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Ariane Web: Conseil d'État 496436, lecture du 6 mai 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:496436.20250506

Décision n° 496436
6 mai 2025
Conseil d'État

N° 496436
ECLI:FR:CECHR:2025:496436.20250506
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
Mme Julia Flot, rapporteure
M. Clément Malverti, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET, avocats


Lecture du mardi 6 mai 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 26 juillet et 25 octobre 2024 et les 16 janvier et 3 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), l'association Accueil demandeurs d'asile, le Secours catholique-Caritas France, l'association JRS France-Service jésuite des réfugiés, l'Association d'accueil des demandeurs d'asile, la Ligue des droits de l'homme, l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture, l'association La Cimade, l'association Dom'Asile, la Fédération d'entraide protestante, le Comité pour la santé des exilés, l'Association pour le droit des étrangers et l'association Collectif Agir demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de refus née du silence gardé sur la demande adressée le 12 avril 2024 au Premier ministre, ainsi qu'au ministre de l'intérieur, au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), au président de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), et tendant à ce que soit édictées toutes mesures utiles afin que soient pris en charge les frais de transport des demandeurs d'asile en vue de réaliser les déplacements nécessaires à l'examen de leur demande d'asile ;

2°) d'enjoindre aux administrations compétentes de prendre toutes mesures afin de remédier aux différences de traitement constatées et d'assurer une prise en charge des frais de transport des demandeurs d'asile en vue de réaliser les déplacements nécessaires à l'examen de leur demande d'asile dans le respect des principes d'égalité et d'effectivité du droit d'asile ;

3°) le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions portant sur l'interprétation des directives 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et la compatibilité avec l'accès effectif au droit d'asile et le respect du principe d'égalité garanti par l'article 20 de la Charte des droits fondamentaux des droits de l'Union européenne ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;




Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Flot, auditrice,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du GISTI et autres ;



Considérant ce qui suit :

1. La coordination française pour le droit d'asile a demandé au Premier ministre, ainsi qu'au ministre de l'intérieur, au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), au président de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), par un courrier du 12 avril 2024, de prendre toutes mesures utiles afin que soient pris en charge les frais de transport des demandeurs d'asile en vue de réaliser les déplacements nécessaires à l'examen de leur demande. Le GISTI et autres demandent au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite rejetant cette demande et d'enjoindre aux autorités compétentes de prendre les mesures demandées.

Sur l'invocation d'une obligation générale de prise en charge des frais de transport dans le cadre de l'examen de la demande d'asile :

2. En premier lieu, d'une part, aux termes du quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie le préambule de la Constitution de 1958 : " Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ". D'autre part, aux termes du 2° du paragraphe A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui " craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (...) ".

3. Il ne résulte ni des dispositions constitutionnelles garantissant le droit d'asile, qui impliquent notamment que les demandeurs d'asile bénéficient d'une protection particulière, ni des stipulations de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés d'obligation générale de prise en charge des frais de transport des demandeurs d'asile au titre des déplacements occasionnés par le traitement de leur demande.

4. En deuxième lieu, aux termes du 2 de l'article 6 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale : " Les Etats membres veillent à ce que les personnes qui ont présenté une demande de protection internationale aient la possibilité concrète de l'introduire dans les meilleurs délais ". Il résulte notamment des articles 12, 14 et 19 à 25 de cette directive, transposés par les articles L. 520-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que tout demandeur d'asile dispose de garanties durant la procédure d'examen de sa demande d'asile, dont une assistance juridique et procédurale gratuite durant la période d'instruction. En revanche, aucune disposition de cette directive n'impose aux Etats membres de prendre en charge les frais de transport dans le cadre de cet examen.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 17 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, les Etats membres garantissent l'accès des demandeurs d'asile aux conditions matérielles d'accueil. Selon l'article 2, point g de la même directive, celles-ci comprennent " le logement, la nourriture et l'habillement, fournis en nature ou sous forme d'allocation financière ou de bons, ou en combinant ces trois formules, ainsi qu'une allocation journalière ". En vertu des articles L. 551-8 et D. 553-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pris pour la transposition de ces dispositions, les conditions matérielles d'accueil consistent en des prestations d'hébergement et en une allocation pour demandeur d'asile, dont le montant dépend des ressources, du nombre de personnes composant le foyer et du mode d'hébergement. Ces dispositions n'obligent pas à prendre en charge de façon spécifique les frais de transport liés aux déplacements nécessaires à l'examen de la demande d'asile des demandeurs d'asile bénéficiant des conditions matérielles d'accueil.

6. Enfin et en tout état de cause, les associations requérantes n'apportent pas d'élément permettant d'établir que l'absence de règle générale imposant une telle prise en charge des frais de transport rendrait très difficile voire impossible l'exercice de leurs droits par les demandeurs d'asile dans des conditions de nature à priver d'effectivité l'accès à la procédure d'asile qui leur est garanti.

Sur la méconnaissance du principe d'égalité :

7. Aux termes de l'article L. 551-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, comprennent les prestations et l'allocation prévues aux chapitres II et III. " Aux termes de l'article L. 552-8 du même code, les demandeurs d'asile ayant accepté les conditions matérielles d'accueil se voient proposer un lieu d'hébergement tenant compte de leurs besoins, de leur situation personnelle et familiale au regard de l'évaluation de ces besoins et de leur vulnérabilité, ainsi que des capacités d'hébergement disponibles et de la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région. Selon les articles L. 552-1 et L. 551-2 de ce code, sont des lieux d'hébergement des demandeurs d'asile, ayant vocation à accueillir les demandeurs d'asile pendant la durée d'instruction de leur demande ou jusqu'à leur transfert effectif vers un autre Etat européen, les " centres d'accueil pour demandeurs d'asile définis à l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles " et " Toute autre structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l'asile pour l'accueil de demandeurs d'asile et soumise à déclaration, au sens de l'article L. 322-1 du même code ", dont les lieux d'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile. L'article R. 552-2 de ce code dispose que : " Aux fins de la gestion des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile, mentionnés à l'article L. 552-1 autres que les établissements hôteliers, le ministre chargé de l'asile fixe par arrêté les documents-types suivants : / 1° Le cahier des charges des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile ; / 2° Le contrat de séjour signé entre le gestionnaire de ces lieux d'hébergement et les demandeurs d'asile accueillis ; / 3° Le règlement de fonctionnement des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile ".

8. En vertu de l'article L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les demandeurs d'asile accueillis dans les lieux d'hébergement mentionnés à l'article L. 552-1 bénéficient d'un accompagnement social et administratif. / Les normes minimales en matière d'accompagnement social et administratif dans ces lieux d'hébergement sont définies par décret en Conseil d'Etat. Ce décret vise à assurer une uniformisation progressive des conditions de prise en charge dans ces structures ". Selon l'article R. 552-10 du même code : " Les normes mentionnées à l'article L. 552-13 correspondent aux prestations d'accompagnement administratif, juridique, sanitaire et social fournies aux demandeurs d'asile pendant la durée de leur hébergement. Elles sont assurées par le gestionnaire du lieu d'hébergement ou sous sa responsabilité. Elles comportent : / 1° La domiciliation du demandeur d'asile, pendant toute la durée de la procédure de demande d'asile ; / 2° L'information sur les missions et le fonctionnement du lieu d'hébergement ainsi que l'information sur les droits et devoirs de la personne hébergée, matérialisée par la signature d'un contrat de séjour ; / 3° L'information sur la procédure d'asile et l'accompagnement dans les démarches administratives relatives à la présentation de la demande devant l'Office français de protection des réfugiés et le cas échéant, à la présentation du recours devant la Cour nationale du droit d'asile ; / 4° L'information sur les soins de santé et la facilitation d'accès aux services de santé afin d'assurer un suivi de santé adapté aux besoins ; / 5° L'accompagnement dans les démarches d'ouverture des différents droits sociaux ; / 6° L'accompagnement pour la scolarisation des enfants mineurs hébergés ; / 7° La mise en place d'activités sociales, bénévoles et récréatives, en partenariat, le cas échéant, avec les collectivités locales et le tissu associatif de proximité ; / 8° La préparation et l'organisation de la sortie du lieu d'hébergement, en lien avec l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'ensemble de ces prestations sont précisées dans les cahiers des charges, publiés par arrêté du ministre chargé de l'asile, des centres d'accueil pour demandeurs d'asile et des structures bénéficiant de financements du ministère chargé de l'asile pour l'accueil de demandeurs d'asile ".

9. Dans ce cadre, parmi les prestations d'accompagnement administratif qui doivent être fournies aux demandeurs d'asile ayant accepté les conditions matérielles d'accueil, hébergés en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) ou au titre de l'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile (HUDA), le point 2 du cahier des charges annexé à l'arrêté du 19 juin 2019 relatif au cahier des charges des centres d'accueil pour demandeurs d'asile et le point 1 de l'article 2 du contrat de séjour annexé à l'arrêté du 19 juin 2019 relatif au contrat de séjour entre le gestionnaire de l'hébergement d'urgence pour demandeurs d'asile et le demandeur d'asile accueilli ont prévu la prise en charge des frais de déplacement liés aux convocations de l'OFPRA et, le cas échéant, de la CNDA. En revanche, pour les demandeurs d'asile qui ne sont pas hébergés dans ces structures et dont l'accompagnement administratif relève des structures de premier accueil des demandeurs d'asile (SPADA) dans le cadre de conventions conclues avec l'Office de l'immigration et de l'intégration (OFII) en application de l'article L. 550-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, aucune obligation de prise en charge des frais de déplacement n'est prévue. Les associations requérantes font valoir que la prise en charge des frais de déplacement vers l'OFPRA et la CNDA pour les seuls demandeurs d'asile hébergés en CADA ou en HUDA méconnaîtrait le principe d'égalité.

10. Les demandeurs d'asile qui ont refusé l'octroi des conditions matérielles d'accueil ou n'y ont pas ou plus droit se trouvent, de ce fait, dans une situation différente de celle des demandeurs d'asile qui en bénéficient et la différence de traitement dont ils font l'objet au regard des prestations auxquelles ils peuvent prétendre est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

11. En revanche, le fait de réserver, parmi les bénéficiaires des conditions matérielles d'accueil, la prise en charge des frais de déplacement liés aux convocations à l'OFPRA et à la CNDA aux seuls demandeurs d'asile hébergés en CADA et en HUDA, alors qu'une telle orientation ne dépend pas de la situation ou du choix des intéressés mais procède du nombre de places disponibles dans un contexte de saturation du dispositif national d'accueil, constitue une différence de traitement sans rapport avec l'objet de l'accompagnement administratif dû aux demandeurs d'asile et porte une atteinte illégale au principe d'égalité.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne en l'absence de tout doute raisonnable quant à l'interprétation des dispositions en cause du droit de l'Union européenne, que le GISTI et autres sont recevables et fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision attaquée en tant seulement qu'elle porte refus de prendre toutes mesures utiles pour assurer une égalité de traitement entre les demandeurs d'asile bénéficiaires des conditions matérielles d'accueil s'agissant de la prise en charge des frais de transport en vue des déplacements à l'OFPRA et à la CNDA.

13. Il y a lieu, en conséquence de l'annulation prononcée au point précédent, d'enjoindre au Premier ministre de prendre toutes mesures utiles afin de remédier à la différence de traitement constatée, dans un délai de neuf mois suivant la notification de la présente décision.

14. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme globale de 3 000 euros aux associations requérantes au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : La décision implicite du Premier ministre est annulée en tant qu'elle porte refus de prendre toutes mesures utiles de nature à assurer une égalité de traitement entre les demandeurs d'asile bénéficiaires des conditions matérielles d'accueil s'agissant de la prise en charge des frais de transport en vue des déplacements à l'OFPRA et à la CNDA.
Article 2 : Il est enjoint au Premier ministre, dans un délai de neuf mois à compter de la présente décision, de prendre toutes mesures utiles de nature à de remédier à la différence de traitement constatée.
Article 3 : L'Etat versera aux associations requérantes la somme globale de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au Groupe d'information et de soutien des immigrés, premier requérant dénommé, au Premier ministre et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.


Délibéré à l'issue de la séance du 2 avril 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; Mme Anne Courrèges, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pascal Trouilly, conseillers d'Etat et Mme Julia Flot, auditrice-rapporteure.

Rendu le 6 mai 2025.


Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Julia Flot
La secrétaire :
Signé : Mme Eliane Evrard