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Ariane Web: Conseil d'État 491058, lecture du 7 mai 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:491058.20250507

Décision n° 491058
7 mai 2025
Conseil d'État

N° 491058
ECLI:FR:CECHR:2025:491058.20250507
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Pierre Collin, président
M. Lionel Ferreira, rapporteur
M. Bastien Lignereux, rapporteur public


Lecture du mercredi 7 mai 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société A. Menarini Diagnostics France (AMDF) a demandé au tribunal administratif de Montreuil de prononcer la décharge des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe additionnelle à cette cotisation et des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2013, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement nos 1912702, 1912706 du 7 octobre 2021, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21PA06233 du 22 novembre 2023, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société AMDF contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 janvier et 22 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société AMDF demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Lionel Ferreira, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de la société A. Menarini Diagnostics France ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société A. Menarini Diagnostics France (AMDF), détenue à 100 % par la société Menarini France elle-même détenue par les sociétés de droit italien A. Menarini Industrie Farmaceutiche Riunite (Menarini IFR) et une filiale de celle-ci, exerce une activité d'achat et de revente d'appareils et de produits de diagnostic dans le domaine, d'une part, de l'autodiagnostic et, d'autre part, des laboratoires d'analyse médicale. La société AMDF a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos de 2011 à 2013, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a estimé qu'elle avait indirectement transféré des bénéfices aux sociétés italiennes Menarini IFR et AMDI, autre société du groupe. Par un jugement du 7 octobre 2021, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté la demande de la société AMDF tendant à la décharge des rappels de la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts et des compléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2011 à 2013 auxquels elle a été assujettie en conséquence. La société AMDF demande l'annulation de l'arrêt du 22 novembre 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.

2. Aux termes de l'article 57 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (...) / A défaut d'éléments précis pour opérer les rectifications (...), les produits imposables sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires exploitées normalement ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices qui ne peut utilement être combattue par l'entreprise imposable en France que si celle-ci apporte la preuve que les avantages qu'elle a consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties.

Sur le transfert indirect de bénéfices allégué au profit de la société italienne Menarini IFR :

3. Pour juger que l'administration fiscale apportait la preuve de l'existence de pratiques entrant dans le champ des dispositions citées au point précédent permettant de présumer un transfert de bénéfices au profit de la société italienne Menarini IFR, la cour s'est fondée, d'une part, sur ce que la société AMDF subissait des pertes d'exploitation récurrentes depuis sa création en 2003 en dépit de la rentabilité propre de ses activités et alors même qu'elle n'était plus en phase de pénétration de marché. Elle s'est fondée, d'autre part, sur ce que les taux de marge nette de l'ensemble des produits que la société AMDF distribuait étaient négatifs en raison d'un poste de dépenses " autres achats et charges externes " représentant 28 % à 43 % de son chiffre d'affaires sur la période de 2007 à 2013, alors qu'il ressortait des éléments réunis par l'administration que, d'une part, les entreprises indépendantes comparables avaient réalisé, sur la même période, des marges nettes positives sauf lors d'un exercice pour l'une d'entre elles et, d'autre part, que pour ces mêmes entreprises, le poste de dépenses " autres achats et charges externes " ne représentait en moyenne que 13 % du chiffre d'affaires.

4. En statuant ainsi alors que, faute notamment pour l'administration de préciser quelles dépenses comptabilisées dans le poste " autres achats et charges externes " auraient été exposées dans le seul intérêt des autres sociétés du groupe, les circonstances qu'elle a retenues ne suffisaient pas à établir une présomption de transfert de bénéfices de la société AMDF vers la société italienne Menarini IFR, la cour a commis une erreur de droit.

5. Il en résulte, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi relatifs à ce chef de redressement, que la société AMDF est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il se prononce sur le transfert de bénéfices allégué au profit de la société italienne Menarini IFR.

Sur le transfert indirect de bénéfices au profit de la société italienne AMDI :

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour établir l'existence d'un transfert de bénéfices au profit de la société italienne AMDI et mesurer son ampleur, l'administration fiscale a mis en évidence le caractère surévalué du prix d'achat par la société AMDF à la société AMDI des produits de la gamme G-IHCO en appliquant la méthode dite du " prix comparable sur le marché libre ". En appel, la société requérante reprochait à l'administration fiscale de ne pas avoir recouru, pour déterminer le prix de pleine concurrence, à des comparables " externes ", c'est-à-dire des transactions comparables entre deux entreprises indépendantes dont aucune n'est impliquée dans la transaction en litige, et de s'être fondée sur un unique comparable " interne ", c'est-à-dire impliquant l'une des entreprises parties à la transaction en litige, relatif aux produits de la gamme G-ECCH achetés par elle-même à un fournisseur indépendant, dont elle contestait en outre la fiabilité au motif que la marge qu'elle réalisait sur la vente des produits de la gamme G-ECCH représentait 10 % de son chiffre d'affaires contre 19 % pour la gamme G-IHCO et que le taux de remboursement par la sécurité sociale des produits de ces deux gammes différait. Après avoir relevé, par des motifs non entachés de dénaturation, que ces deux gammes de produits s'adressaient à la même clientèle dans le même secteur d'activité, qu'il n'existait pas d'autres comparables internes correspondant à des produits acquis directement par la société AMDF auprès de fournisseurs tiers et que la vente des produits G-IHCO constituait une part de chiffre d'affaires suffisamment représentative au sein de la gamme G, la cour a jugé que l'administration fiscale avait pu en l'espèce, sans en altérer la fiabilité, appliquer la méthode du prix comparable en retenant cet unique comparable interne. En statuant ainsi, la cour, qui ne s'est pas uniquement fondée, contrairement à ce que soutient la société requérante, sur les déficits récurrents subis depuis sa création, a souverainement apprécié les faits qui lui étaient soumis sans les dénaturer et n'a pas commis d'erreur de droit.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société AMDF est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il se prononce sur le transfert indirect de bénéfices allégué au profit de la société italienne Menarini IFR.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société AMDF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 22 novembre 2023 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il se prononce sur le transfert indirect de bénéfices allégué au profit de la société A. Menarini Industrie Farmaceutiche Riunite.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de l'annulation prononcée à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : L'Etat versera à la société A. Menarini Diagnostics France la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société A. Menarini Diagnostics France est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société A. Menarini Diagnostics France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 28 mars 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta,
Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge,
M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Lionel Ferreira, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 7 mai 2025.


Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Lionel Ferreira
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :