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Ariane Web: Conseil d'État 492283, lecture du 16 juin 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:492283.20250616

Décision n° 492283
16 juin 2025
Conseil d'État

N° 492283
ECLI:FR:CECHR:2025:492283.20250616
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Juliette Mongin, rapporteure
Mme Maïlys Lange, rapporteure publique
SCP SPINOSI, avocats


Lecture du lundi 16 juin 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 29 février et 18 novembre 2024 et le 8 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les articles 3 et 4 du décret n° 2023-1363 du 28 décembre 2023 relatif à la réduction et à l'indemnisation des dégâts de grand gibier ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention signée à Aarhus le 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement ;
- le code de l'environnement ;
- l'arrêté du 16 mars 1955 relatif à l'interdiction de la divagation des chiens ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la Fédération nationale des chasseurs ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 22 mai 2025, présentée par l'ASPAS ;



Considérant ce qui suit :

1. L'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS) demande l'annulation pour excès de pouvoir des articles 3 et 4 du décret du 28 décembre 2023 relatif à la réduction et à l'indemnisation des dégâts de grand gibier, qui modifient, respectivement, d'une part, les dispositions de l'article R. 424-8 du code de l'environnement en substituant le 31 mai au 31 mars comme date de clôture spécifique de la chasse au sanglier et en précisant les conditions et les modalités selon lesquelles la chasse au sanglier peut être pratiquée durant cette période complémentaire et, d'autre part, les dispositions de l'article R. 425-1 du même code en indiquant que le schéma départemental de gestion cynégétique fixe les conditions de recours aux opérations d'agrainage dissuasives conformément à l'article L. 425-5 du même code et en énonçant les conditions que doivent respecter ces opérations.

Sur l'intervention de la Fédération nationale des chasseurs :

2. La Fédération nationale des chasseurs justifie d'un intérêt suffisant au maintien du décret attaqué. Par suite, son intervention en défense est recevable.

Sur la légalité externe du décret attaqué :

3. En premier lieu, l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement définit les conditions et limites dans lesquelles les décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence directe ou significative sur l'environnement sont soumises au principe de participation du public énoncé à l'article 7 de la Charte de l'environnement. Aux termes du II de cet article L. 123-19-1 : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (...). / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation. / (...) Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision ".

4. Il ressort des pièces du dossier que le projet de décret litigieux, qui a fait l'objet, préalablement à son adoption, d'une consultation du public entre le 18 juillet et le 7 août 2023, était accompagné d'une note de présentation rappelant le contexte général de ce texte et précisant son contenu et ses objectifs de manière suffisamment détaillée. Par ailleurs, si l'association requérante soutient que cette note comportait des indications erronées par rapport aux dispositions du projet de décret, dès lors que le public a eu connaissance des termes mêmes du projet de décret, la sincérité de la procédure de participation du public ne saurait être regardée comme ayant été affectée du fait de ces inexactitudes. Le moyen tiré d'une méconnaissance de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ne peut, dès lors, qu'être écarté.

5. En second lieu, les stipulations de l'article 7 de la convention d'Aarhus créent seulement des obligations entre les Etats parties à la convention et ne produisent pas d'effets directs dans l'ordre juridique interne. Elles ne peuvent, par suite, être utilement invoquées à l'appui du présent recours.

Sur la légalité interne du décret attaqué :

En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'article 3 du décret attaqué :

6. L'article 3 du décret attaqué modifie l'article R. 424-8 du code de l'environnement en substituant le 31 mai au 31 mars comme date de clôture spécifique de la chasse au sanglier et en précisant : " Du 1er avril au 31 mai, la chasse du sanglier ne peut être pratiquée que pour la protection des semis, à l'affût ou à l'approche, voire en battue à titre exceptionnel, après autorisation préfectorale délivrée au détenteur du droit de chasse et dans les conditions fixées par l'arrêté du préfet après avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage. Le bénéficiaire de l'autorisation adresse au préfet avant le 1er juillet de la même année le bilan des effectifs prélevés ".

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 420-1 du code de l'environnement : " La gestion durable du patrimoine faunique et de ses habitats est d'intérêt général. La pratique de la chasse, activité à caractère environnemental, culturel, social et économique, participe à cette gestion et contribue à l'équilibre entre le gibier, les milieux et les activités humaines en assurant un véritable équilibre agro-sylvo-cynégétique. / Le principe de prélèvement raisonnable sur les ressources naturelles renouvelables s'impose aux activités d'usage et d'exploitation de ces ressources. Par leurs actions de gestion et de régulation des espèces dont la chasse est autorisée ainsi que par leurs réalisations en faveur des biotopes, les chasseurs contribuent au maintien, à la restauration et à la gestion équilibrée des écosystèmes en vue de la préservation de la biodiversité. Ils participent de ce fait au développement des activités économiques et écologiques dans les milieux naturels, notamment dans les territoires à caractère rural ".

8. Les dispositions de l'article 3 du décret attaqué citées au point 6 permettent au préfet d'autoriser, entre le 1er avril et le 31 mai et après avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage, le détenteur du droit de chasse à pratiquer la chasse du sanglier, à l'affût ou à l'approche, voire en battue à titre exceptionnel, uniquement pour protéger des semis. Ainsi, elles n'ont pas, par elles-mêmes, pour effet de nuire au maintien de l'espèce de sanglier dans un état de conservation favorable, et ce alors qu'il ressort des pièces du dossier que l'espèce de sanglier est abondamment présente sur le territoire national et que cette mesure intervient dans un contexte d'augmentation très significative, depuis plusieurs années, tant du nombre de spécimens de sangliers présents sur le territoire national que du montant des indemnités versées au titre des dégâts causés par cette espèce. Par ailleurs, la circonstance, invoquée par l'association requérante, selon laquelle les opérations de chasse auraient pour effet d'accroitre la capacité de reproduction du sanglier, et ainsi la population de cette espèce, n'est pas de nature à établir que ces dispositions méconnaîtraient le principe de prélèvement raisonnable tel que cité au point précédent. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance du principe de prélèvement raisonnable doit être écarté.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 425-4 du code de l'environnement : " L'équilibre agro-sylvo-cynégétique consiste à rendre compatibles, d'une part, la présence durable d'une faune sauvage riche et variée et, d'autre part, la pérennité et la rentabilité économique des activités agricoles et sylvicoles. / Il est assuré, conformément aux principes définis à l'article L. 420-1, par la gestion concertée et raisonnée des espèces de faune sauvage et de leurs habitats agricoles et forestiers. / L'équilibre agro-sylvo-cynégétique est recherché par la combinaison des moyens suivants : la chasse, la régulation, la prévention des dégâts de gibier par la mise en place de dispositifs de protection et de dispositifs de dissuasion ainsi que, le cas échéant, par des procédés de destruction autorisés. La recherche de pratiques et de systèmes de gestion prenant en compte à la fois les objectifs de production des gestionnaires des habitats agricoles et forestiers et la présence de la faune sauvage y contribue. L'indemnisation mentionnée à L. 426-1 peut contribuer à cet équilibre (...) ".

10. Si l'association requérante soutient que les dispositions de l'article 3 du décret attaqué méconnaîtraient l'objectif d'équilibre agro-sylvo-cynégétique en tant qu'elles reposeraient exclusivement sur l'allongement de la période d'ouverture spécifique de la chasse du sanglier pour remédier aux dégâts causés aux cultures par cette espèce, sans combiner plusieurs moyens pour y parvenir, ce moyen ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté dès lors que ce décret met, au contraire, en oeuvre plusieurs mesures visant à réduire les dégâts causés aux cultures par le grand gibier .

11. En troisième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (...) d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : / 1° La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces (...) ". D'autre part, aux termes du 2ème alinéa de l'article L. 424-2 du même code : " Les oiseaux ne peuvent être chassés ni pendant la période nidicole ni pendant les différents stades de reproduction et de dépendance. Les oiseaux migrateurs ne peuvent en outre être chassés pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification ".

12. Tout d'abord, les dispositions de l'article 3 du décret attaqué n'ayant pas pour objet de réglementer la chasse des oiseaux, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 424-2 du code de l'environnement ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces dispositions auraient, par elles-mêmes, pour effet de méconnaître l'article L. 411-1 du code de l'environnement en favorisant la perturbation intentionnelle d'espèces d'oiseaux protégées et de leurs habitats. Enfin, si l'association requérante soutient que les dispositions de l'article 3 du décret attaqué méconnaîtraient les dispositions de l'article 1er de l'arrêté du 16 mars 1955 relatif à l'interdiction de la divagation des chiens, aux termes desquelles : " Dans les bois et forêts, il est interdit de promener des chiens non tenus en laisse en dehors des allées forestières pendant la période du 15 avril au 30 juin ", en ce que l'application du décret contesté conduirait à des mouvements de chiens de chasse entre le 1er avril et le 31 mai, de telles dispositions ne peuvent utilement être invoquées à l'encontre des dispositions de l'article 3 du décret attaqué.

13. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 110-1 du code de l'environnement : " I. - Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, la qualité de l'eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d'usage. (...) / II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : (...) / 9° Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment (...) ".

14. La seule circonstance que les dispositions de l'article 3 du décret attaqué permettent au préfet d'allonger, dans certaines conditions qu'elles définissent, la période de la pratique de la chasse du sanglier entre le 1er avril et le 31 mai n'est, en tout état de cause, pas de nature à méconnaître le principe de non-régression tel qu'énoncé au point 13.

En ce qui concerne les moyens dirigés contre l'article 4 du décret attaqué :

15. L'article 4 du décret attaqué modifie l'article R. 452-1 du code de l'environnement afin d'y insérer les alinéas suivants : " Le schéma départemental de gestion cynégétique fixe les conditions de recours aux opération d'agrainage dissuasives conformément à l'article L. 425-5. / Ces opérations respectent les conditions suivantes : / 1° La personne qui souhaite les mettre en oeuvre communique leur localisation et les modalités de suivi et, le cas échéant, les modifications qu'elle y apporte ultérieurement, à la fédération départementale des chasseurs, qui peut s'y opposer ; / 2° L'agrainage est linéaire et dispersé, sauf exception prévue par le schéma départemental de gestion cynégétique ; / 3° La quantité maximale à distribuer ne peut pas dépasser 50 kilos pour 100 hectares boisés par semaine ; / 4° L'agrainage a lieu au plus deux jours fixes par semaine ; / 5° L'agrainage est suspendu du 15 février au 31 mars, sauf exception prévue par le schéma départemental de gestion cynégétique prise conformément à la proposition de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage. / Le projet de schéma départemental de gestion cynégétique est adressé, pour avis, aux organes de gestion des parcs nationaux et des parcs naturels régionaux en tant qu'il les concerne. / Ce schéma et l'arrêté préfectoral qui l'approuve sont publiés au recueil des actes administratifs de la préfecture ".

16. Aux termes du 2ème alinéa du I de l'article L. 425-5 du code de l'environnement : " Le nourrissage en vue de concentrer des sangliers sur un territoire est interdit. Le schéma départemental de gestion cynégétique peut autoriser des opérations d'agrainage dissuasives en fonction des particularités locales ".

17. L'association requérante soutient que les dispositions de l'article 4 du décret attaqué cité au point 16 sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elles n'encadrent pas suffisamment les conditions de recours aux opérations d'agrainage dissuasives fixées dans le cadre des schémas départementaux de gestion cynégétique afin qu'elles ne puissent constituer des opérations de nourrissage, en prévoyant une suspension de ces opérations sur la seule période du 15 février au 31 mars et une possibilité de dérogation tant à cette période de suspension, sur proposition de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage, qu'au caractère linéaire et dispersé de l'agrainage, alors que l'agrainage ne serait dissuasif que lorsqu'il est linéaire et se déroule pendant la période de sensibilité des cultures. Toutefois, ces dispositions, en tant qu'elles se bornent à fixer les conditions minimales que doivent respecter les opérations d'agrainage dissuasives fixées dans le cadre des schémas départementaux de gestion cynégétique en prévoyant qu'il puisse être fait exception à certaines d'entre elles en fonction des spécificités départementales, n'ont pas, par elles-mêmes, pour effet de méconnaître l'interdiction du nourrissage des sangliers prévue à l'article L. 425-5 du code de l'environnement.

18. Il résulte de tout ce qui précède que l'ASPAS n'est pas fondée à demander l'annulation des articles 3 et 4 du décret attaqué.

Sur les frais irrépétibles :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Fédération nationale des chasseurs est admise.
Article 2 : La requête de l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Copie en sera adressée à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire et à la Fédération nationale des chasseurs.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 mai 2025 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, conseillers d'Etat et Mme Juliette Mongin, maîtresse des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 16 juin 2025.


Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
La rapporteure :
Signé : Mme Juliette Mongin
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain