Conseil d'État
N° 497273
ECLI:FR:CECHS:2025:497273.20250630
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
Mme Maud Vialettes, présidente
Mme Camille Belloc, rapporteure
M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public
RIDOUX, avocats
Lecture du lundi 30 juin 2025
Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a porté plainte contre M. D... C... devant le conseil départemental des Ardennes de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui a transmis sa plainte à la chambre disciplinaire de première instance de la région Grand-Est de l'ordre des chirurgiens-dentistes sans s'y associer. Par une décision du 2 novembre 2023, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. C... la sanction de l'interdiction d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant une durée de six mois, dont trois mois avec sursis.
Par une décision du 27 juin 2024, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a confirmé la sanction infligée à M. C... par la décision du 2 novembre 2023 et dit qu'elle serait exécutée du 1er septembre au 30 novembre 2024.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 27 août et 27 novembre 2024 et le 29 janvier 2025, M. C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de renvoyer l'affaire devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. C... et à Me Ridoux, avocat de Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A... a porté plainte contre M. D... C..., chirurgien-dentiste, devant le conseil départemental des Ardennes de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui a transmis sa plainte à la chambre disciplinaire de première instance de la région Grand-Est de l'ordre des chirurgiens-dentistes sans s'y associer. Par une décision du 2 novembre 2023, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. C... la sanction de l'interdiction d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant une durée de six mois, dont trois mois avec sursis. M. C... se pourvoit en cassation contre la décision du 27 juin 2024 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a confirmé cette sanction.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
3. Ces exigences impliquent qu'une personne faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'elle soit préalablement informée du droit qu'elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu'elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l'ordre administratif. A ce titre, elle doit être avisée qu'elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l'instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d'appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information.
4. Il s'ensuit, d'une part, que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d'irrégularité si la personne poursuivie comparaît à l'audience sans avoir été au préalable informée du droit qu'elle a de se taire, sauf s'il est établi qu'elle n'y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier. D'autre part, pour retenir que la personne poursuivie a commis des manquements et lui infliger une sanction, la juridiction disciplinaire ne peut, sans méconnaître les exigences mentionnées aux points 2 et 3, se déterminer en se fondant sur les propos tenus par cette personne lors de son audition pendant l'instruction si elle n'avait pas été préalablement avisée du droit qu'elle avait de se taire à cette occasion.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 4126-1 du code de la santé publique : " Aucune peine disciplinaire ne peut être prononcée sans que le chirurgien-dentiste (...) en cause ait été entendu ou appelé à comparaître. " Aux termes des articles R. 4126-25 et R. 4126-26 de ce code, rendus applicables à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes par l'article R. 4126-43 : " (...) / Les parties sont convoquées à l'audience (...) " et " Les affaires sont examinées en audience publique (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 4126-29 du même code relatif aux mentions figurant sur la décision juridictionnelle rendue : " Mention y est faite que le rapporteur et, s'il y a lieu, les parties, les personnes qui les ont représentées ou assistées ainsi que toute personne convoquée à l'audience ont été entendues ".
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 que le chirurgien-dentiste poursuivi devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes doit être informé du droit qu'il a de se taire dans les conditions précisées au point 3.
7. Il résulte des mentions de la décision attaquée que M. C... a comparu devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes lors de l'audience s'étant tenue le 12 juin 2024 et qu'il y a été entendu. Or il ne ressort ni des pièces de la procédure suivie en appel, ni d'ailleurs des mentions de cette décision, qu'il ait été préalablement informé du droit qu'il avait de s'y taire. Il n'est pas davantage établi qu'il n'y aurait pas tenu des propos susceptibles de lui préjudicier. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que la décision qu'il attaque est entachée d'irrégularité.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que M. C... est fondé à demander l'annulation de la décision du 27 juin 2024 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes qu'il attaque.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par Mme A... à l'encontre de M. C... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... le versement à M. C... d'une somme au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes du 27 juin 2024 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. C... et par Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. D... C... et à Mme B... A....
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
N° 497273
ECLI:FR:CECHS:2025:497273.20250630
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
Mme Maud Vialettes, présidente
Mme Camille Belloc, rapporteure
M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public
RIDOUX, avocats
Lecture du lundi 30 juin 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme B... A... a porté plainte contre M. D... C... devant le conseil départemental des Ardennes de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui a transmis sa plainte à la chambre disciplinaire de première instance de la région Grand-Est de l'ordre des chirurgiens-dentistes sans s'y associer. Par une décision du 2 novembre 2023, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. C... la sanction de l'interdiction d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant une durée de six mois, dont trois mois avec sursis.
Par une décision du 27 juin 2024, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a confirmé la sanction infligée à M. C... par la décision du 2 novembre 2023 et dit qu'elle serait exécutée du 1er septembre au 30 novembre 2024.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 27 août et 27 novembre 2024 et le 29 janvier 2025, M. C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) de renvoyer l'affaire devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de M. C... et à Me Ridoux, avocat de Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... A... a porté plainte contre M. D... C..., chirurgien-dentiste, devant le conseil départemental des Ardennes de l'ordre des chirurgiens-dentistes, qui a transmis sa plainte à la chambre disciplinaire de première instance de la région Grand-Est de l'ordre des chirurgiens-dentistes sans s'y associer. Par une décision du 2 novembre 2023, la chambre disciplinaire de première instance a infligé à M. C... la sanction de l'interdiction d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pendant une durée de six mois, dont trois mois avec sursis. M. C... se pourvoit en cassation contre la décision du 27 juin 2024 par laquelle la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes a confirmé cette sanction.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la Déclaration de 1789 : " Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi ". Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s'appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition.
3. Ces exigences impliquent qu'une personne faisant l'objet d'une procédure disciplinaire ne puisse être entendue sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu'elle soit préalablement informée du droit qu'elle a de se taire. Il en va ainsi, même sans texte, lorsqu'elle est poursuivie devant une juridiction disciplinaire de l'ordre administratif. A ce titre, elle doit être avisée qu'elle dispose de ce droit tant lors de son audition au cours de l'instruction que lors de sa comparution devant la juridiction disciplinaire. En cas d'appel, la personne doit à nouveau recevoir cette information.
4. Il s'ensuit, d'une part, que la décision de la juridiction disciplinaire est entachée d'irrégularité si la personne poursuivie comparaît à l'audience sans avoir été au préalable informée du droit qu'elle a de se taire, sauf s'il est établi qu'elle n'y a pas tenu de propos susceptibles de lui préjudicier. D'autre part, pour retenir que la personne poursuivie a commis des manquements et lui infliger une sanction, la juridiction disciplinaire ne peut, sans méconnaître les exigences mentionnées aux points 2 et 3, se déterminer en se fondant sur les propos tenus par cette personne lors de son audition pendant l'instruction si elle n'avait pas été préalablement avisée du droit qu'elle avait de se taire à cette occasion.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 4126-1 du code de la santé publique : " Aucune peine disciplinaire ne peut être prononcée sans que le chirurgien-dentiste (...) en cause ait été entendu ou appelé à comparaître. " Aux termes des articles R. 4126-25 et R. 4126-26 de ce code, rendus applicables à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes par l'article R. 4126-43 : " (...) / Les parties sont convoquées à l'audience (...) " et " Les affaires sont examinées en audience publique (...) ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article R. 4126-29 du même code relatif aux mentions figurant sur la décision juridictionnelle rendue : " Mention y est faite que le rapporteur et, s'il y a lieu, les parties, les personnes qui les ont représentées ou assistées ainsi que toute personne convoquée à l'audience ont été entendues ".
6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3 que le chirurgien-dentiste poursuivi devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes doit être informé du droit qu'il a de se taire dans les conditions précisées au point 3.
7. Il résulte des mentions de la décision attaquée que M. C... a comparu devant la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes lors de l'audience s'étant tenue le 12 juin 2024 et qu'il y a été entendu. Or il ne ressort ni des pièces de la procédure suivie en appel, ni d'ailleurs des mentions de cette décision, qu'il ait été préalablement informé du droit qu'il avait de s'y taire. Il n'est pas davantage établi qu'il n'y aurait pas tenu des propos susceptibles de lui préjudicier. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que la décision qu'il attaque est entachée d'irrégularité.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, que M. C... est fondé à demander l'annulation de la décision du 27 juin 2024 de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes qu'il attaque.
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par Mme A... à l'encontre de M. C... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... le versement à M. C... d'une somme au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes du 27 juin 2024 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. C... et par Mme A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. D... C... et à Mme B... A....
Copie en sera adressée au Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes.