Conseil d'État
N° 471273
ECLI:FR:CECHS:2025:471273.20250703
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Jean-Philippe Mochon, président
Mme Hortense Naudascher, rapporteure
M. Florian Roussel, rapporteur public
SARL LE PRADO - GILBERT, avocats
Lecture du jeudi 3 juillet 2025
Vu la procédure suivante :
M. H... D..., ainsi que Mme G... D... et M. C... D..., ses parents, agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leurs trois enfants mineurs, E..., B... et F..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ou, subsidiairement, du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à réparer leurs préjudices en lien avec l'intervention chirurgicale subie par H... D... le 11 septembre 2015. Par un jugement n° 1902702, 1903917 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif a condamné l'ONIAM à verser à M. H... D..., premièrement, une somme de 487 100 euros, deuxièmement, au titre de l'assistance d'une tierce personne, une somme de 215 529,91 euros et une rente de 113,68 euros par jour à compter de la date de lecture du jugement, sous déduction de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et de la prestation de compensation du handicap, en fonction des justificatifs à fournir, troisièmement, au titre du préjudice lié à la perte de revenus professionnels et à la perte consécutive de droits à pension, une somme de 64 692 euros et une rente de 5 391 euros par trimestre revalorisée annuellement, sous déduction de l'allocation aux adultes handicapés éventuellement perçue, et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par un arrêt n° 20BX02996 du 22 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel des consorts D... et appels incidents de l'ONIAM et du CHU de Bordeaux, a ramené à 512 432,79 euros la somme que l'ONIAM a été condamné à verser aux consorts D..., mis hors de cause le CHU de Bordeaux, réformé le jugement de première instance en toutes ses dispositions contraires et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par un pourvoi sommaire et quatre autres mémoires, enregistrés les 13 février, 15 mai, 11 juillet et 18 septembre 2023 et le 13 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme G... D... et M. C... D..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'ayants-droits de leur fils H..., décédé, demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'ONIAM et du CHU de Bordeaux la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Hortense Naudascher, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin-Gougeon, avocat de Mme et Mme D..., à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la SARL Le Prado-Gilbert, avocat du centre hospitalier universitaire de Bordeaux.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de complications au moment de sa naissance, le 26 janvier 1999, M. H... D... est resté atteint d'une paralysie du plexus brachial droit, d'un retard de développement et de troubles de la statique rachidienne avec scoliose évolutive et cyphose. Pour éviter une aggravation de son état en raison de sa croissance, il a subi, le 11 septembre 2015, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, une opération chirurgicale du rachis thoracique. M. H... D... ainsi que, ses parents, A... et Mme D..., en leur nom et au nom de leurs trois autres enfants, F..., E... et B..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux ou de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer les préjudices subis par l'intéressé à la suite de cette intervention chirurgicale. Estimant insuffisante la condamnation de l'ONIAM prononcée par le jugement du 7 juillet 2020, M. H... D... ainsi que M. et Mme D... ont relevé appel de ce jugement. M. H... D... étant décédé le 8 mai 2021, ses parents, en leur nom et au nom de leurs trois autres enfants, ont repris l'instance qu'il avait ainsi engagée et ont, en outre, demandé à la cour administrative d'appel l'indemnisation du préjudice subi par eux-mêmes et par leurs trois autres enfants, en raison du décès de leur fils. M. et Mme D... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 22 décembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a ramené à 512 432,79 euros la somme que l'ONIAM a été condamné à verser aux consorts D... au titre du préjudice subi par H... et a rejeté leurs conclusions tendant à la réparation de leur préjudice propre ainsi que de celui subi par leurs trois autres enfants.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 724 du code civil : " Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt ". Le droit à réparation d'un dommage est transmis aux héritiers. Il en résulte que chacun des héritiers a qualité, le cas échéant sans le concours des autres indivisaires, pour exercer l'action indemnitaire tendant à obtenir, au bénéfice de la succession, la réparation du préjudice subi par le défunt.
3. M. et Mme D... qui, au demeurant, se sont eux-mêmes déclarés devant la cour administrative d'appel, pendant toute la durée de l'instance, comme les représentants légaux de leurs trois enfants, F..., E... et B..., alors même que le premier est devenu majeur le 16 octobre 2020 et les jumeaux le 3 décembre 2022, ne sont ainsi pas fondés à soutenir, au surplus au nom des intérêts de leur fils F... qui ne s'est pas lui-même pourvu en cassation, que la cour a commis une erreur de droit en admettant la recevabilité des conclusions qu'ils ont présentées, le 12 juillet 2022, en leur nom et au nom de leurs trois enfants, en reprise de l'instance initié par leur fils H..., décédé le 8 mai 2021, quand bien même ses frères auraient eux-mêmes eu qualité, dès la date de leur majorité respective, pour reprendre également l'instance.
Sur l'évaluation des chefs de préjudice subis par H... D... :
En ce qui concerne l'indemnisation de l'assistance par une tierce personne :
4. Lorsque la victime d'un préjudice corporel présentait, antérieurement au fait générateur de ce préjudice, un état justifiant déjà le recours à l'assistance par une tierce personne, elle ne peut prétendre à une indemnisation qu'à hauteur du besoin supplémentaire d'assistance directement imputable à ce fait générateur. La cour a ainsi pu, sans insuffisance de motivation ni erreur de droit, condamner l'ONIAM à évaluer l'indemnisation due à M. H... D... au titre de l'assistance par une tierce personne, en déduisant de ses besoins d'assistance ceux qui étaient déjà préalablement requis par son état antérieur.
5. En retenant que l'indemnisation due au titre de l'assistance par une tierce personne rendue nécessaire par les conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale du 11 septembre 2015 devait être évaluée à 12 heures par jour, au vu de la description d'une journée type de M. H... D... et de ses besoins d'aide pour la toilette, l'habillage et les gestes de la vie quotidienne, la cour, qui n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation, n'a pas dénaturé les pièces du dossier.
6. Toutefois, lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer, augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier.
7. En retenant que l'indemnisation de l'assistance par une tierce personne dont M. H... D... avait besoin, tant à titre temporaire avant la consolidation de son état qu'à titre permanent après celle-ci, devait être évaluée sur la base d'un taux horaire fixé par référence au coût horaire moyen du salaire minimum horaire, sans rechercher le coût effectif, pendant l'ensemble de ces périodes, d'une assistance adaptée à sa situation de handicap, la cour a commis une erreur de droit.
En ce qui concerne le préjudice professionnel et scolaire :
8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les consorts D... n'avaient pas formulé de demande d'indemnisation du préjudice personnel subi par M. H... D... en raison de l'impossibilité de poursuivre sa scolarité à la suite de l'intervention du 11 septembre 2015. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêt attaqué et de l'erreur de droit que la cour aurait commise à n'avoir pas indemnisé ce chef de préjudice ne peuvent qu'être écartés.
9. Toutefois, en se bornant à indemniser le préjudice professionnel subi par M. H... D..., au titre de ses préjudices patrimoniaux permanents, à compter de la date de consolidation de son état, soit le 23 novembre 2017, sans indemniser la période antérieure courant à compter de la date de sa majorité, soit le 26 janvier 2017, alors qu'il ressort des énonciations souveraines de l'arrêt attaqué que l'intéressé était dans l'incapacité d'exercer une activité professionnelle depuis l'accident médical du 11 septembre 2015, la cour a commis une erreur de droit.
En ce qui concerne l'indemnisation de divers frais matériels :
10. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les consorts D... n'avaient produit aucun élément de nature à établir que l'acquisition d'un logement adapté au handicap de leur fils s'imposait. Par suite, en jugeant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'acquisition d'un nouveau logement aurait été rendue indispensable en raison de l'impossibilité de trouver une location adaptée, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
11. Il ressort du mémoire récapitulatif produit par les consorts D... devant la cour que ceux-ci n'avaient pas demandé l'indemnisation des frais liés à l'acquisition d'alèses jetables, d'un chargeur USB, d'un coussin d'accoudoir, de lingettes jetables, de changes complets diurnes, de gants de toilette jetables, de solution antiseptique, d'onguents et d'une table de lit. Les requérants pouvant dès lors être regardés comme ayant abandonné ces prétentions, la cour n'a pas irrégulièrement omis de statuer sur le remboursement de ces frais.
12. En revanche, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les six déplacements que M. et Mme D... indiquaient avoir effectués pour conduire leur fils H... au lieu de diverses hospitalisations et consultations ainsi que de l'expertise, présentaient un caractère suffisamment certain pour que la cour ne puisse, sans commettre une erreur de droit, rejeter le principe de leur indemnisation forfaitaire sur la base d'un barème kilométrique, sauf, le cas échéant, à faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour demander aux requérants la production des justificatifs afférents à ces rendez-vous.
En ce qui concerne l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent :
13. Pour évaluer le montant de l'indemnité due au titre du préjudice de déficit fonctionnel permanent alors que la victime souffrait antérieurement d'une infirmité de même nature, il appartient aux juges du fond de se livrer, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, à une estimation du préjudice tenant au déficit fonctionnel permanent résultant directement de l'événement ayant causé la nouvelle infirmité.
14. La cour n'a pas ainsi insuffisamment motivé son arrêt ni commis une erreur de droit en tenant compte, pour évaluer l'indemnisation due au titre du déficit fonctionnel permanent de M. H... D... imputable aux séquelles consécutives à l'intervention chirurgicale qu'il avait subie le 11 septembre 2015, du déficit fonctionnel provoqué par son état antérieur.
15. Alors que le déficit fonctionnel que présentait M. H... D... était évalué à 50 % avant l'intervention du 11 septembre 2015 et à 90 % après, et en tenant compte de la brièveté de la période pendant laquelle il en a souffert compte tenu de son décès à l'âge de 22 ans, la cour, qui n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation, n'a pas dénaturé les pièces du dossier en fixant l'indemnisation de ce chef de préjudice à la somme de 40 000 euros.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt du 22 décembre 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, s'agissant des préjudices subis par leur fils H..., qu'en tant qu'il statue sur l'indemnisation des préjudices temporaires et permanents tenant à son besoin d'assistance par tierce personne, sur l'indemnisation de son préjudice professionnel pour la période du 26 janvier au 23 novembre 2017 et sur l'indemnisation des frais afférents aux déplacements mentionnés au point 12.
Sur les conclusions de M. et Mme D... tendant à la réparation de leurs préjudices propres et de ceux subis par les frères de H... :
17. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et notamment du rapport d'expertise, que postérieurement à l'intervention chirurgicale du 11 septembre 2015 à l'occasion de laquelle s'est produit l'accident médical dont il a été victime, M. H... D... a été atteint d'infections urinaires à répétition. En jugeant que le décès de M. D..., des suites d'un choc septique sur pyélonéphrite obstructive, était dépourvu de lien direct avec l'accident médical survenu le 11 septembre 2015, alors qu'en l'absence notamment d'expertise judiciaire, aucune pièce du dossier qui lui était soumis ne permettait d'écarter l'existence d'un tel lien, la cour a dénaturé les pièces du dossier.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... sont également fondés à demander l'annulation de l'arrêt du 22 décembre 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à la réparation de leurs préjudices propres ainsi que de ceux subis par les frères de H....
19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 500 euros à verser à M. et Mme D..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge, d'une part, du CHU de Bordeaux et, d'autre part, de M. et Mme D... qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 22 décembre 2022 est annulé en tant, d'une part, qu'il statue sur l'indemnisation des préjudices temporaires et permanents de M. H... D... tenant à son besoin d'assistance par une tierce personne, sur l'indemnisation de son préjudice professionnel pour la période du 26 janvier au 23 novembre 2017 et sur l'indemnisation des frais afférents aux déplacements mentionnés au point 12 et en tant, d'autre part, qu'il rejette les conclusions de M. et Mme D... tendant à la réparation de leurs préjudices propres ainsi que de ceux subis par les frères de H....
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : L'ONIAM versera 3 500 euros à M. et Mme D..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. et Mme D... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme C... D..., et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera adressée au centre hospitalier universitaire de Bordeaux.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 juin 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et Mme Hortense Naudascher, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 3 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Hortense Naudascher
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet
N° 471273
ECLI:FR:CECHS:2025:471273.20250703
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Jean-Philippe Mochon, président
Mme Hortense Naudascher, rapporteure
M. Florian Roussel, rapporteur public
SARL LE PRADO - GILBERT, avocats
Lecture du jeudi 3 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. H... D..., ainsi que Mme G... D... et M. C... D..., ses parents, agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de leurs trois enfants mineurs, E..., B... et F..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) ou, subsidiairement, du centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux à réparer leurs préjudices en lien avec l'intervention chirurgicale subie par H... D... le 11 septembre 2015. Par un jugement n° 1902702, 1903917 du 7 juillet 2020, le tribunal administratif a condamné l'ONIAM à verser à M. H... D..., premièrement, une somme de 487 100 euros, deuxièmement, au titre de l'assistance d'une tierce personne, une somme de 215 529,91 euros et une rente de 113,68 euros par jour à compter de la date de lecture du jugement, sous déduction de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé et de la prestation de compensation du handicap, en fonction des justificatifs à fournir, troisièmement, au titre du préjudice lié à la perte de revenus professionnels et à la perte consécutive de droits à pension, une somme de 64 692 euros et une rente de 5 391 euros par trimestre revalorisée annuellement, sous déduction de l'allocation aux adultes handicapés éventuellement perçue, et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par un arrêt n° 20BX02996 du 22 décembre 2022, la cour administrative d'appel de Bordeaux, sur appel des consorts D... et appels incidents de l'ONIAM et du CHU de Bordeaux, a ramené à 512 432,79 euros la somme que l'ONIAM a été condamné à verser aux consorts D..., mis hors de cause le CHU de Bordeaux, réformé le jugement de première instance en toutes ses dispositions contraires et rejeté le surplus des conclusions des parties.
Par un pourvoi sommaire et quatre autres mémoires, enregistrés les 13 février, 15 mai, 11 juillet et 18 septembre 2023 et le 13 janvier 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme G... D... et M. C... D..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'ayants-droits de leur fils H..., décédé, demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'ONIAM et du CHU de Bordeaux la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Hortense Naudascher, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Guérin-Gougeon, avocat de Mme et Mme D..., à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la SARL Le Prado-Gilbert, avocat du centre hospitalier universitaire de Bordeaux.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de complications au moment de sa naissance, le 26 janvier 1999, M. H... D... est resté atteint d'une paralysie du plexus brachial droit, d'un retard de développement et de troubles de la statique rachidienne avec scoliose évolutive et cyphose. Pour éviter une aggravation de son état en raison de sa croissance, il a subi, le 11 septembre 2015, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, une opération chirurgicale du rachis thoracique. M. H... D... ainsi que, ses parents, A... et Mme D..., en leur nom et au nom de leurs trois autres enfants, F..., E... et B..., ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux ou de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer les préjudices subis par l'intéressé à la suite de cette intervention chirurgicale. Estimant insuffisante la condamnation de l'ONIAM prononcée par le jugement du 7 juillet 2020, M. H... D... ainsi que M. et Mme D... ont relevé appel de ce jugement. M. H... D... étant décédé le 8 mai 2021, ses parents, en leur nom et au nom de leurs trois autres enfants, ont repris l'instance qu'il avait ainsi engagée et ont, en outre, demandé à la cour administrative d'appel l'indemnisation du préjudice subi par eux-mêmes et par leurs trois autres enfants, en raison du décès de leur fils. M. et Mme D... se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 22 décembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a ramené à 512 432,79 euros la somme que l'ONIAM a été condamné à verser aux consorts D... au titre du préjudice subi par H... et a rejeté leurs conclusions tendant à la réparation de leur préjudice propre ainsi que de celui subi par leurs trois autres enfants.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article 724 du code civil : " Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt ". Le droit à réparation d'un dommage est transmis aux héritiers. Il en résulte que chacun des héritiers a qualité, le cas échéant sans le concours des autres indivisaires, pour exercer l'action indemnitaire tendant à obtenir, au bénéfice de la succession, la réparation du préjudice subi par le défunt.
3. M. et Mme D... qui, au demeurant, se sont eux-mêmes déclarés devant la cour administrative d'appel, pendant toute la durée de l'instance, comme les représentants légaux de leurs trois enfants, F..., E... et B..., alors même que le premier est devenu majeur le 16 octobre 2020 et les jumeaux le 3 décembre 2022, ne sont ainsi pas fondés à soutenir, au surplus au nom des intérêts de leur fils F... qui ne s'est pas lui-même pourvu en cassation, que la cour a commis une erreur de droit en admettant la recevabilité des conclusions qu'ils ont présentées, le 12 juillet 2022, en leur nom et au nom de leurs trois enfants, en reprise de l'instance initié par leur fils H..., décédé le 8 mai 2021, quand bien même ses frères auraient eux-mêmes eu qualité, dès la date de leur majorité respective, pour reprendre également l'instance.
Sur l'évaluation des chefs de préjudice subis par H... D... :
En ce qui concerne l'indemnisation de l'assistance par une tierce personne :
4. Lorsque la victime d'un préjudice corporel présentait, antérieurement au fait générateur de ce préjudice, un état justifiant déjà le recours à l'assistance par une tierce personne, elle ne peut prétendre à une indemnisation qu'à hauteur du besoin supplémentaire d'assistance directement imputable à ce fait générateur. La cour a ainsi pu, sans insuffisance de motivation ni erreur de droit, condamner l'ONIAM à évaluer l'indemnisation due à M. H... D... au titre de l'assistance par une tierce personne, en déduisant de ses besoins d'assistance ceux qui étaient déjà préalablement requis par son état antérieur.
5. En retenant que l'indemnisation due au titre de l'assistance par une tierce personne rendue nécessaire par les conséquences dommageables de l'intervention chirurgicale du 11 septembre 2015 devait être évaluée à 12 heures par jour, au vu de la description d'une journée type de M. H... D... et de ses besoins d'aide pour la toilette, l'habillage et les gestes de la vie quotidienne, la cour, qui n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation, n'a pas dénaturé les pièces du dossier.
6. Toutefois, lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer, augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier.
7. En retenant que l'indemnisation de l'assistance par une tierce personne dont M. H... D... avait besoin, tant à titre temporaire avant la consolidation de son état qu'à titre permanent après celle-ci, devait être évaluée sur la base d'un taux horaire fixé par référence au coût horaire moyen du salaire minimum horaire, sans rechercher le coût effectif, pendant l'ensemble de ces périodes, d'une assistance adaptée à sa situation de handicap, la cour a commis une erreur de droit.
En ce qui concerne le préjudice professionnel et scolaire :
8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les consorts D... n'avaient pas formulé de demande d'indemnisation du préjudice personnel subi par M. H... D... en raison de l'impossibilité de poursuivre sa scolarité à la suite de l'intervention du 11 septembre 2015. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de l'arrêt attaqué et de l'erreur de droit que la cour aurait commise à n'avoir pas indemnisé ce chef de préjudice ne peuvent qu'être écartés.
9. Toutefois, en se bornant à indemniser le préjudice professionnel subi par M. H... D..., au titre de ses préjudices patrimoniaux permanents, à compter de la date de consolidation de son état, soit le 23 novembre 2017, sans indemniser la période antérieure courant à compter de la date de sa majorité, soit le 26 janvier 2017, alors qu'il ressort des énonciations souveraines de l'arrêt attaqué que l'intéressé était dans l'incapacité d'exercer une activité professionnelle depuis l'accident médical du 11 septembre 2015, la cour a commis une erreur de droit.
En ce qui concerne l'indemnisation de divers frais matériels :
10. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les consorts D... n'avaient produit aucun élément de nature à établir que l'acquisition d'un logement adapté au handicap de leur fils s'imposait. Par suite, en jugeant qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'acquisition d'un nouveau logement aurait été rendue indispensable en raison de l'impossibilité de trouver une location adaptée, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
11. Il ressort du mémoire récapitulatif produit par les consorts D... devant la cour que ceux-ci n'avaient pas demandé l'indemnisation des frais liés à l'acquisition d'alèses jetables, d'un chargeur USB, d'un coussin d'accoudoir, de lingettes jetables, de changes complets diurnes, de gants de toilette jetables, de solution antiseptique, d'onguents et d'une table de lit. Les requérants pouvant dès lors être regardés comme ayant abandonné ces prétentions, la cour n'a pas irrégulièrement omis de statuer sur le remboursement de ces frais.
12. En revanche, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les six déplacements que M. et Mme D... indiquaient avoir effectués pour conduire leur fils H... au lieu de diverses hospitalisations et consultations ainsi que de l'expertise, présentaient un caractère suffisamment certain pour que la cour ne puisse, sans commettre une erreur de droit, rejeter le principe de leur indemnisation forfaitaire sur la base d'un barème kilométrique, sauf, le cas échéant, à faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour demander aux requérants la production des justificatifs afférents à ces rendez-vous.
En ce qui concerne l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent :
13. Pour évaluer le montant de l'indemnité due au titre du préjudice de déficit fonctionnel permanent alors que la victime souffrait antérieurement d'une infirmité de même nature, il appartient aux juges du fond de se livrer, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce, à une estimation du préjudice tenant au déficit fonctionnel permanent résultant directement de l'événement ayant causé la nouvelle infirmité.
14. La cour n'a pas ainsi insuffisamment motivé son arrêt ni commis une erreur de droit en tenant compte, pour évaluer l'indemnisation due au titre du déficit fonctionnel permanent de M. H... D... imputable aux séquelles consécutives à l'intervention chirurgicale qu'il avait subie le 11 septembre 2015, du déficit fonctionnel provoqué par son état antérieur.
15. Alors que le déficit fonctionnel que présentait M. H... D... était évalué à 50 % avant l'intervention du 11 septembre 2015 et à 90 % après, et en tenant compte de la brièveté de la période pendant laquelle il en a souffert compte tenu de son décès à l'âge de 22 ans, la cour, qui n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation, n'a pas dénaturé les pièces du dossier en fixant l'indemnisation de ce chef de préjudice à la somme de 40 000 euros.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... ne sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt du 22 décembre 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, s'agissant des préjudices subis par leur fils H..., qu'en tant qu'il statue sur l'indemnisation des préjudices temporaires et permanents tenant à son besoin d'assistance par tierce personne, sur l'indemnisation de son préjudice professionnel pour la période du 26 janvier au 23 novembre 2017 et sur l'indemnisation des frais afférents aux déplacements mentionnés au point 12.
Sur les conclusions de M. et Mme D... tendant à la réparation de leurs préjudices propres et de ceux subis par les frères de H... :
17. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et notamment du rapport d'expertise, que postérieurement à l'intervention chirurgicale du 11 septembre 2015 à l'occasion de laquelle s'est produit l'accident médical dont il a été victime, M. H... D... a été atteint d'infections urinaires à répétition. En jugeant que le décès de M. D..., des suites d'un choc septique sur pyélonéphrite obstructive, était dépourvu de lien direct avec l'accident médical survenu le 11 septembre 2015, alors qu'en l'absence notamment d'expertise judiciaire, aucune pièce du dossier qui lui était soumis ne permettait d'écarter l'existence d'un tel lien, la cour a dénaturé les pièces du dossier.
18. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme D... sont également fondés à demander l'annulation de l'arrêt du 22 décembre 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, en tant qu'il rejette leurs conclusions tendant à la réparation de leurs préjudices propres ainsi que de ceux subis par les frères de H....
19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 500 euros à verser à M. et Mme D..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge, d'une part, du CHU de Bordeaux et, d'autre part, de M. et Mme D... qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 22 décembre 2022 est annulé en tant, d'une part, qu'il statue sur l'indemnisation des préjudices temporaires et permanents de M. H... D... tenant à son besoin d'assistance par une tierce personne, sur l'indemnisation de son préjudice professionnel pour la période du 26 janvier au 23 novembre 2017 et sur l'indemnisation des frais afférents aux déplacements mentionnés au point 12 et en tant, d'autre part, qu'il rejette les conclusions de M. et Mme D... tendant à la réparation de leurs préjudices propres ainsi que de ceux subis par les frères de H....
Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Bordeaux.
Article 3 : L'ONIAM versera 3 500 euros à M. et Mme D..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. et Mme D... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme C... D..., et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera adressée au centre hospitalier universitaire de Bordeaux.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 juin 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et Mme Hortense Naudascher, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 3 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Hortense Naudascher
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet