Conseil d'État
N° 473313
ECLI:FR:CECHS:2025:473313.20250703
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Jean-Philippe Mochon, président
Mme Hortense Naudascher, rapporteure
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ;SARL LE PRADO - GILBERT, avocats
Lecture du jeudi 3 juillet 2025
Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, la société hospitalière des assurances mutuelles, son assureur, et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une indemnité en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'accident médical survenu le 16 juin 2006 et de l'infection nosocomiale contractée à cette occasion. Par un jugement n° 1803976 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a, d'une part, condamné l'ONIAM à verser à M. B... une indemnité de 164 729,97 euros et, d'autre part, condamné le CHU de Bordeaux et la SHAM solidairement à lui verser une indemnité de 32 711,96 euros ainsi qu'une somme de 28 516,18 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.
Par un arrêt n° 19BX04962 du 16 février 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux a porté à 219 190, 47 euros la somme mise à la charge de l'ONIAM, assortie d'une rente trimestrielle de 11 523 euros sous déduction de la prestation de compensation du handicap, et porté à 51 423,56 euros la somme que le CHU de Bordeaux et la SHAM, devenue la société Reylens Mutual Insurance, ont été solidairement condamnés à verser à M. B... et à 48 908,45 euros la somme qu'ils ont été condamnés à verser à la CPAM de la Gironde, assortie d'une rente annuelle au titre de la pension d'invalidité postérieure au 1er juillet 2019 dans la limite du tiers.
1° Sous le n° 473324, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 avril et 13 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux et de l'ONIAM la somme de 4 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 473313, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 avril et 4 juillet 2023, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et la société Reylens Mutual Insurance demandent au Conseil d'Etat l'annulation de l'arrêt n° 19BX04962 du 16 février 2023 de la cour administrative d'appel de Bordeaux.
....................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Hortense Naudascher, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier universitaire de Bordeaux et de la Société Relyens Mutual Insurance, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. B... et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'alors âgé de 43 ans, M. A... B... a été opéré au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, le 16 juin 2006, pour la pose d'une prothèse de hanche. Du fait de diverses complications post-opératoires, une reprise chirurgicale a été réalisée le 19 janvier 2008, révélant la présence d'une bactérie de type staphylococcus epidermidis. M. B... a subi quatre autres opérations chirurgicales afin de lutter contre cette infection et réinstaller une prothèse. Classé en invalidité de catégorie 2 à compter du 7 juin 2007, M. B... reste atteint de graves difficultés pour marcher et se tenir debout, de douleurs persistantes aux hanches et de lombalgies. M. B... doit être regardé comme demandant l'annulation de l'arrêt du 16 février 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a réformé le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 novembre 2019, en tant que cet arrêt statue, d'une part, sur ses chefs de préjudice consécutifs à l'aggravation de son état de santé postérieurement au 18 mars 2011 et, d'autre part, sur son chef de préjudice résultant de sa perte de revenus professionnels postérieurement au 4 octobre 2006. Le centre hospitalier universitaire ainsi que la société Reylens Mutual Insurance doivent, pour leur part, être regardés comme demandant l'annulation de cet arrêt en tant qu'il statue sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde tenant au remboursement des indemnités journalières et des arrérages de pension d'invalidité qu'elle a versés à M. B.... Il y a lieu de joindre ces deux pourvois pour y statuer par une même décision.
2. En premier lieu, pour évaluer l'indemnisation des préjudices permanents dont la victime d'un préjudice corporel demande réparation, il appartient nécessairement au juge administratif, quelles que soient les prétentions de la victime à cet égard, de fixer la date de consolidation de son état et, pour ce faire, de tenir compte, le cas échéant, de l'évolution de cet état, à la date à laquelle il statue. En revanche, si le requérant a réservé explicitement, tant aux termes de sa demande préalable adressée à l'administration qu'aux termes des conclusions dont il a saisi le juge administratif, les chefs de préjudice temporaires nés d'une aggravation de son état de santé consécutive au même fait générateur et survenue postérieurement au dommage initial, le juge administratif ne peut statuer d'office sur de tels chefs de préjudice, quand bien même cette aggravation est établie par les pièces du dossier et que sa réparation resterait dans la limite du quantum des conclusions dont il est saisi.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B... a expressément limité sa demande devant la cour, conformément, du reste, aux termes de ses réclamations préalables adressées les 12 et 14 juin 2018 à l'ONIAM et au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la réparation des préjudices qu'il avait subis jusqu'au 18 mars 2011, date à laquelle un premier rapport d'expertise avait fixé la consolidation de son état, en dépit de la rechute infectieuse qui avait nécessité deux nouvelles interventions chirurgicales les 23 octobre 2015 et 1er avril 2016, et d'une expertise ultérieure fixant, en conséquence, la date de consolidation de son état au 27 novembre 2017. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que si la cour était fondée, pour évaluer l'indemnisation des préjudices permanents subis par M. B..., à retenir, quels que soient les termes de sa demande, le 27 novembre 2017 comme la date de consolidation de son état, elle ne pouvait, sans statuer irrégulièrement au-delà des conclusions dont elle était saisie, condamner l'ONIAM et le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à indemniser M. B... des préjudices temporaires que l'aggravation de son état lui avait causés entre le 18 mars 2011 et le 27 novembre 2017, qu'il avait expressément entendu exclure du champ de sa demande.
4. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a écarté l'indemnisation de toute perte de revenus professionnels subis par M. B..., postérieurement au 4 octobre 2006, date d'échéance du contrat à durée déterminée qui le liait à la communauté de communes du pays de Paroupian, et n'a admis d'indemniser, au titre de l'incidence professionnelle, que la perte de chance qu'il avait subie d'être recruté sur un emploi à durée indéterminée de " conducteur spécialisé de 2ème niveau à temps complet " créé par délibération du conseil communautaire du 1er mai 2005, préjudice qu'elle a évalué à hauteur de 90 000 euros mais qu'elle a estimé intégralement compensé par le montant des prestations perçues ou à percevoir. En rejetant la demande d'indemnisation de M. B... au titre de la perte de gains professionnels futurs, au motif que l'intéressé était employé aux termes d'un contrat de travail à durée limitée qui n'avait pas été renouvelé à l'issue de son accident, sans rechercher si, en dépit de la durée déterminée de son dernier contrat de travail, le requérant avait, jusqu'à son accident, régulièrement travaillé et si cet accident l'avait, de fait, empêché de retrouver un emploi équivalent à ceux qu'il avait occupés jusque-là, qui lui aurait assuré une rémunération supérieure aux prestations sociales et à la pension d'invalidité qu'il a perçus, sans préjudice d'une éventuelle indemnisation complémentaire au titre de l'incidence professionnelle de la perte de chance qu'il aurait, le cas échéant, subie de se voir recruté à durée indéterminée par la communauté de communes, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
5. Enfin, en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudice, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ou du fait que celle-ci n'a subi que la perte d'une chance d'éviter le dommage corporel. Le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale.
6. En calculant les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde par application du taux de responsabilité du centre hospitalier universitaire au montant des prestations qu'elle avait versées, indemnités journalières, d'une part, et pension d'invalidité, d'autre part, sans avoir préalablement déterminé l'assiette de ses droits telle qu'elle aurait dû résulter, d'une part, du solde du poste de préjudice professionnel temporaire et, d'autre part, du solde du poste de préjudice professionnel permanent, après indemnisation de la victime, la cour a également commis une erreur de droit.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B..., le centre hospitalier universitaire de Bordeaux et la société Reylans Mutual Insurance ne sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent qu'en tant que cet arrêt statue sur l'indemnisation, d'une part, des préjudices temporaires subis par M. B... à la suite de l'aggravation de son état entre le 18 mars 2011 et le 27 novembre 2017, et, d'autre part, de son préjudice professionnel, y compris en ce qui concerne les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde tenant au remboursement des indemnités journalières et des arrérages de pension d'invalidité qu'elle lui a versées.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 4 000 euros, à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. B..., du centre hospitalier universitaire de Bordeaux et de la société Reylans Mutual Insurance, qui ne sont pas les parties perdantes.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 février 2023 est annulé en tant que cet arrêt statue sur l'indemnisation, d'une part, des préjudices temporaires subis par M. B... à la suite de l'aggravation de son état entre le 18 mars 2011 et le 27 novembre 2017, et d'autre part, de son préjudice professionnel, y compris en ce qui concerne les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde tenant au remboursement des indemnités journalières et des arrérages de pension d'invalidité qu'elle lui a versées.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux sur l'indemnisation du préjudice professionnel de M. B....
Article 3 : L'ONIAM versera la somme de 4 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. B... est rejeté et les conclusions présentées par l'ONIAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la société Reylens Mutual Insurance et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 juin 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et Mme Hortense Naudascher, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 3 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Hortense Naudascher
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet
N° 473313
ECLI:FR:CECHS:2025:473313.20250703
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Jean-Philippe Mochon, président
Mme Hortense Naudascher, rapporteure
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ;SARL LE PRADO - GILBERT, avocats
Lecture du jeudi 3 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, la société hospitalière des assurances mutuelles, son assureur, et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une indemnité en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'accident médical survenu le 16 juin 2006 et de l'infection nosocomiale contractée à cette occasion. Par un jugement n° 1803976 du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a, d'une part, condamné l'ONIAM à verser à M. B... une indemnité de 164 729,97 euros et, d'autre part, condamné le CHU de Bordeaux et la SHAM solidairement à lui verser une indemnité de 32 711,96 euros ainsi qu'une somme de 28 516,18 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.
Par un arrêt n° 19BX04962 du 16 février 2023, la cour administrative d'appel de Bordeaux a porté à 219 190, 47 euros la somme mise à la charge de l'ONIAM, assortie d'une rente trimestrielle de 11 523 euros sous déduction de la prestation de compensation du handicap, et porté à 51 423,56 euros la somme que le CHU de Bordeaux et la SHAM, devenue la société Reylens Mutual Insurance, ont été solidairement condamnés à verser à M. B... et à 48 908,45 euros la somme qu'ils ont été condamnés à verser à la CPAM de la Gironde, assortie d'une rente annuelle au titre de la pension d'invalidité postérieure au 1er juillet 2019 dans la limite du tiers.
1° Sous le n° 473324, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 avril et 13 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d'appel ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Bordeaux et de l'ONIAM la somme de 4 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 473313, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 avril et 4 juillet 2023, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux et la société Reylens Mutual Insurance demandent au Conseil d'Etat l'annulation de l'arrêt n° 19BX04962 du 16 février 2023 de la cour administrative d'appel de Bordeaux.
....................................................................................
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Hortense Naudascher, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Le Prado - Gilbert, avocat du centre hospitalier universitaire de Bordeaux et de la Société Relyens Mutual Insurance, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. B... et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'alors âgé de 43 ans, M. A... B... a été opéré au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, le 16 juin 2006, pour la pose d'une prothèse de hanche. Du fait de diverses complications post-opératoires, une reprise chirurgicale a été réalisée le 19 janvier 2008, révélant la présence d'une bactérie de type staphylococcus epidermidis. M. B... a subi quatre autres opérations chirurgicales afin de lutter contre cette infection et réinstaller une prothèse. Classé en invalidité de catégorie 2 à compter du 7 juin 2007, M. B... reste atteint de graves difficultés pour marcher et se tenir debout, de douleurs persistantes aux hanches et de lombalgies. M. B... doit être regardé comme demandant l'annulation de l'arrêt du 16 février 2023 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a réformé le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 novembre 2019, en tant que cet arrêt statue, d'une part, sur ses chefs de préjudice consécutifs à l'aggravation de son état de santé postérieurement au 18 mars 2011 et, d'autre part, sur son chef de préjudice résultant de sa perte de revenus professionnels postérieurement au 4 octobre 2006. Le centre hospitalier universitaire ainsi que la société Reylens Mutual Insurance doivent, pour leur part, être regardés comme demandant l'annulation de cet arrêt en tant qu'il statue sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Gironde tenant au remboursement des indemnités journalières et des arrérages de pension d'invalidité qu'elle a versés à M. B.... Il y a lieu de joindre ces deux pourvois pour y statuer par une même décision.
2. En premier lieu, pour évaluer l'indemnisation des préjudices permanents dont la victime d'un préjudice corporel demande réparation, il appartient nécessairement au juge administratif, quelles que soient les prétentions de la victime à cet égard, de fixer la date de consolidation de son état et, pour ce faire, de tenir compte, le cas échéant, de l'évolution de cet état, à la date à laquelle il statue. En revanche, si le requérant a réservé explicitement, tant aux termes de sa demande préalable adressée à l'administration qu'aux termes des conclusions dont il a saisi le juge administratif, les chefs de préjudice temporaires nés d'une aggravation de son état de santé consécutive au même fait générateur et survenue postérieurement au dommage initial, le juge administratif ne peut statuer d'office sur de tels chefs de préjudice, quand bien même cette aggravation est établie par les pièces du dossier et que sa réparation resterait dans la limite du quantum des conclusions dont il est saisi.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B... a expressément limité sa demande devant la cour, conformément, du reste, aux termes de ses réclamations préalables adressées les 12 et 14 juin 2018 à l'ONIAM et au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la réparation des préjudices qu'il avait subis jusqu'au 18 mars 2011, date à laquelle un premier rapport d'expertise avait fixé la consolidation de son état, en dépit de la rechute infectieuse qui avait nécessité deux nouvelles interventions chirurgicales les 23 octobre 2015 et 1er avril 2016, et d'une expertise ultérieure fixant, en conséquence, la date de consolidation de son état au 27 novembre 2017. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que si la cour était fondée, pour évaluer l'indemnisation des préjudices permanents subis par M. B..., à retenir, quels que soient les termes de sa demande, le 27 novembre 2017 comme la date de consolidation de son état, elle ne pouvait, sans statuer irrégulièrement au-delà des conclusions dont elle était saisie, condamner l'ONIAM et le centre hospitalier universitaire de Bordeaux à indemniser M. B... des préjudices temporaires que l'aggravation de son état lui avait causés entre le 18 mars 2011 et le 27 novembre 2017, qu'il avait expressément entendu exclure du champ de sa demande.
4. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a écarté l'indemnisation de toute perte de revenus professionnels subis par M. B..., postérieurement au 4 octobre 2006, date d'échéance du contrat à durée déterminée qui le liait à la communauté de communes du pays de Paroupian, et n'a admis d'indemniser, au titre de l'incidence professionnelle, que la perte de chance qu'il avait subie d'être recruté sur un emploi à durée indéterminée de " conducteur spécialisé de 2ème niveau à temps complet " créé par délibération du conseil communautaire du 1er mai 2005, préjudice qu'elle a évalué à hauteur de 90 000 euros mais qu'elle a estimé intégralement compensé par le montant des prestations perçues ou à percevoir. En rejetant la demande d'indemnisation de M. B... au titre de la perte de gains professionnels futurs, au motif que l'intéressé était employé aux termes d'un contrat de travail à durée limitée qui n'avait pas été renouvelé à l'issue de son accident, sans rechercher si, en dépit de la durée déterminée de son dernier contrat de travail, le requérant avait, jusqu'à son accident, régulièrement travaillé et si cet accident l'avait, de fait, empêché de retrouver un emploi équivalent à ceux qu'il avait occupés jusque-là, qui lui aurait assuré une rémunération supérieure aux prestations sociales et à la pension d'invalidité qu'il a perçus, sans préjudice d'une éventuelle indemnisation complémentaire au titre de l'incidence professionnelle de la perte de chance qu'il aurait, le cas échéant, subie de se voir recruté à durée indéterminée par la communauté de communes, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.
5. Enfin, en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire d'un organisme de sécurité sociale doit, pour chacun des postes de préjudice, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations de sécurité sociale et celle qui est demeurée à la charge de la victime. Il lui appartient ensuite de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime ou du fait que celle-ci n'a subi que la perte d'une chance d'éviter le dommage corporel. Le juge doit allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale.
6. En calculant les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde par application du taux de responsabilité du centre hospitalier universitaire au montant des prestations qu'elle avait versées, indemnités journalières, d'une part, et pension d'invalidité, d'autre part, sans avoir préalablement déterminé l'assiette de ses droits telle qu'elle aurait dû résulter, d'une part, du solde du poste de préjudice professionnel temporaire et, d'autre part, du solde du poste de préjudice professionnel permanent, après indemnisation de la victime, la cour a également commis une erreur de droit.
7. Il résulte de tout ce qui précède que M. B..., le centre hospitalier universitaire de Bordeaux et la société Reylans Mutual Insurance ne sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent qu'en tant que cet arrêt statue sur l'indemnisation, d'une part, des préjudices temporaires subis par M. B... à la suite de l'aggravation de son état entre le 18 mars 2011 et le 27 novembre 2017, et, d'autre part, de son préjudice professionnel, y compris en ce qui concerne les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde tenant au remboursement des indemnités journalières et des arrérages de pension d'invalidité qu'elle lui a versées.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 4 000 euros, à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. B..., du centre hospitalier universitaire de Bordeaux et de la société Reylans Mutual Insurance, qui ne sont pas les parties perdantes.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 16 février 2023 est annulé en tant que cet arrêt statue sur l'indemnisation, d'une part, des préjudices temporaires subis par M. B... à la suite de l'aggravation de son état entre le 18 mars 2011 et le 27 novembre 2017, et d'autre part, de son préjudice professionnel, y compris en ce qui concerne les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde tenant au remboursement des indemnités journalières et des arrérages de pension d'invalidité qu'elle lui a versées.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux sur l'indemnisation du préjudice professionnel de M. B....
Article 3 : L'ONIAM versera la somme de 4 000 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. B... est rejeté et les conclusions présentées par l'ONIAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A... B..., au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, à la société Reylens Mutual Insurance et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.
Copie en sera adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde.
Délibéré à l'issue de la séance du 5 juin 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et Mme Hortense Naudascher, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 3 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
La rapporteure :
Signé : Mme Hortense Naudascher
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet