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Ariane Web: Conseil d'État 490055, lecture du 3 juillet 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:490055.20250703

Décision n° 490055
3 juillet 2025
Conseil d'État

N° 490055
ECLI:FR:CECHS:2025:490055.20250703
Inédit au recueil Lebon
5ème chambre
M. Jean-Philippe Mochon, président
M. Pascal Trouilly, rapporteur
M. Florian Roussel, rapporteur public
SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats


Lecture du jeudi 3 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 17 juillet 2024, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. B... A... et autres dirigées contre l'arrêt n° 22DA00140 du 10 octobre 2023 de la cour administrative d'appel de Douai en tant seulement que cet arrêt s'est prononcé sur le préjudice résultant de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne ainsi que sur le préjudice correspondant aux frais résultant de la nécessité d'utiliser un véhicule adapté au handicap.

Par un mémoire enregistré le 23 septembre 2024, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), conclut au rejet du pourvoi et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de M. B... A... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il soutient que les moyens soulevés par le pourvoi ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pascal Trouilly, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de M. A... et autres et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 juin 2025, présentée par M. A... et autres ;


Considérant ce qui suit :

1. M. B... A... et plusieurs membres de sa famille ont demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer les préjudices résultant de l'accident médical qu'il a subi alors qu'il avait seize ans lors d'une intervention chirurgicale réalisée le 19 juin 2015 au centre hospitalier universitaire (CHU) d'Amiens et qui l'a rendu paraplégique. Par un jugement n° 1901557 du 25 novembre 2021, le tribunal administratif a condamné l'ONIAM à verser à M. B... A... la somme de 772 846,51 euros. Par un arrêt du 10 octobre 2023, la cour administrative d'appel de Paris, statuant sur l'appel principal des consorts A... et sur l'appel incident de l'ONIAM, a jugé que les droits de M. B... A... au titre de plusieurs chefs de préjudice étaient réservés et a ramené à 754 108, 50 euros le montant de la condamnation de l'ONIAM. M. B... A... et autres se pourvoient en cassation contre cet arrêt.

2. Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d'un dommage corporel la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne, il détermine le montant de l'indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir. Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire déterminé, au vu des pièces du dossier, par référence, soit au montant des salaires des personnes à employer augmentés des cotisations sociales dues par l'employeur, soit aux tarifs des organismes offrant de telles prestations, en permettant le recours à l'aide professionnelle d'une tierce personne d'un niveau de qualification adéquat et sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier. Il n'appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l'aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime ou que celle-ci n'a, malgré son besoin, pas fait effectivement appel à une telle aide.

3. Pour indemniser le préjudice correspondant aux frais liés à l'assistance à domicile de M. A... par une tierce personne, la cour administrative d'appel s'est fondée, pour la période courant du 19 octobre 2015 au 8 mars 2017 inclus, date de la consolidation de son état de santé, sur un taux horaire de 13,50 euros et, pour la période postérieure à cette date, sur un taux horaire de 14,50 euros, en estimant que ces taux étaient " représentatifs des valeurs du SMIC et des taux moyens des cotisations sociales obligatoires sur la période ". En se bornant ainsi à prendre en compte le montant du SMIC augmenté des cotisations sociales, sans tenir compte, alors qu'elle y était invitée par les requérants, de l'ensemble de la documentation produite par M. A..., notamment du devis établi par une société prestataire, qui indiquait des taux largement supérieurs, la cour administrative d'appel a méconnu les règles rappelées au point 2 ci-dessus.

4. Par ailleurs, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour administrative d'appel, après avoir relevé que la paraplégie de M. A... était compatible avec la conduite d'un véhicule pour autant que celui-ci fasse l'objet d'aménagements lui permettant de s'installer au volant en toute autonomie, de disposer de l'ensemble des commandes au volant et de disposer d'un dispositif automatique de rangement de son fauteuil roulant, a procédé à l'évaluation du préjudice correspondant au surcoût annuel engendré par ces aménagements d'un véhicule. Elle a capitalisé le montant ainsi obtenu en appliquant un indice viager " à compter de la date de la première acquisition d'un véhicule, en septembre 2022 ". En appliquant un tel indice aux frais de renouvellement de véhicule déjà exposés en 2022 et non aux seuls frais de renouvellement futurs, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

5. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens soulevés à l'appui de ces conclusions du pourvoi, M. A... et autres sont fondés à demander l'annulation des articles 2 à 4 de l'arrêt qu'ils attaquent en tant qu'il s'est prononcé sur le préjudice résultant de la nécessité de recourir à l'assistance d'une tierce personne ainsi que sur le préjudice correspondant aux frais résultant de la nécessité d'utiliser un véhicule adapté au handicap.

6. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond dans la limite de la cassation ainsi prononcée.

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction, notamment des rapports d'expertise médicale déposés devant la commission régionale de conciliation et d'indemnisation les 3 août 2016 et 12 mars 2017, que M. A..., entre la survenue de l'accident médical non fautif dont il a été victime et la date de consolidation de son état de santé, a nécessité, du fait de la paraplégie et des escarres qu'il a développées, l'aide permanente d'une tierce personne pendant ses permissions de sortie et lors du mois ayant suivi sa sortie de l'hôpital le 18 septembre 2015. A compter du 19 octobre 2015, les experts ont évalué ce besoin à cinq heures par jour pour les actes de la vie courante et à une heure par jour pour les sorties. Pour la période comprise entre le 21 juin 2015, date de survenue de l'accident médical, et le 18 octobre 2015 inclus, date d'expiration du délai d'un mois suivant le retour à domicile, M. A... justifie ainsi avoir eu besoin de 904 heures d'assistance par une tierce personne. Pour la période comprise entre le 19 octobre 2015 et le 8 mars 2017, date de la consolidation de son état de santé et en ne tenant pas compte d'une période d'hospitalisation, ce besoin s'est élevé à 2 994 heures. Il en résulte, pour la période antérieure à la consolidation, un volume total d'heures indemnisables de 3 898 heures, qu'il y lieu de porter à 4 399 heures pour tenir compte des dimanches, jours fériés et jours de congés prévus par l'article L. 3133-1 du code du travail. Enfin, pour la période postérieure à la date de consolidation et dont l'indemnisation est demandée par M. A..., c'est-à-dire la période comprise entre le 9 mars 2017 et le 17 mars 2024, ce besoin s'est élevé, selon le même mode de calcul et à raison de 5 heures par jour pour les actes de la vie courante, les sorties et l'accompagnement, à 14 480 heures. Eu égard à l'ensemble des documents produits par le requérant, le taux horaire des prestations d'assistance à tierce personne adaptées au handicap de M. A... doit être évalué à 18 euros en moyenne sur la période. Ainsi, pour la totalité des heures d'assistance par une tierce personne nécessaires pendant l'ensemble de la période, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par M. A... en fixant ce préjudice à la somme de 340 000 euros et de réformer sur ce point le jugement du tribunal administratif.

8. En second lieu, s'agissant du préjudice résultant de l'adaptation du véhicule au handicap de M. A..., il résulte de l'instruction que le surcoût lié à l'achat d'un véhicule spacieux peut être évalué à 8 000 euros et le coût des aménagements à 12 000 euros, soit un montant total de 20 000 euros. Compte tenu d'une fréquence de renouvellement du véhicule tous les cinq ans, le coût annuel peut être ainsi estimé à 4 000 euros. Il sera fait une juste appréciation du préjudice sur toute la vie en l'évaluant à la somme de 160 000 euros, cette somme incluant le surcoût de 705 euros lié à la nécessité d'obtenir un permis de conduire spécifique.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM le versement à M. B... A... de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de l'ONIAM tendant à la mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, d'une somme correspondant aux frais exposés dans la présente instance et non compris dans les dépens.


D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 2 à 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 10 octobre 2023 sont annulés en tant qu'il se prononcent sur le préjudice résultant de la nécessité pour M. A... de recourir à l'assistance d'une tierce personne ainsi que sur le préjudice correspondant aux frais résultant de la nécessité d'utiliser un véhicule adapté au handicap.

Article 2 : La somme de 772 846,51 euros mise à la charge de l'ONIAM à verser à M. B... A... par le jugement du 25 novembre 2021 du tribunal administratif d'Amiens, ramenée à 754 108,50 par l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 10 octobre 2023, est portée à 838 317 euros.

Article 3 : Le jugement du 25 novembre 2021 du tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 3 : L'ONIAM versera à M. A... la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par l'ONIAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM).
Délibéré à l'issue de la séance du 5 juin 2025 où siégeaient : M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre, présidant ; Mme Laurence Helmlinger, conseillère d'Etat et M. Pascal Trouilly, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 3 juillet 2025.

Le président :
Signé : M. Jean-Philippe Mochon
Le rapporteur :
Signé : M. Pascal Trouilly
La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Pilet