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Ariane Web: Conseil d'État 473541, lecture du 4 juillet 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:473541.20250704

Décision n° 473541
4 juillet 2025
Conseil d'État

N° 473541
ECLI:FR:CECHS:2025:473541.20250704
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
M. Philippe Ranquet, président
Mme Muriel Deroc, rapporteure
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique
SAS HANNOTIN AVOCATS, avocats


Lecture du vendredi 4 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Pigeon Carrières a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge des suppléments de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre, respectivement, de l'année 2015 et des années 2012 à 2016 dans les rôles des communes de La Croixille, Montreuil-Poulay et Torcé-Viviers-en-Charnie, ainsi que des majorations correspondantes. Par un jugement nos 1708997 et 1805577 du 17 juillet 2020, ce tribunal a rejeté ses demandes.

Par l'article 1er d'un arrêt n° 20NT02517 du 15 avril 2022, enregistré le 24 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Nantes a renvoyé au Conseil d'Etat le pourvoi, enregistré le 6 août 2020 au greffe de cette cour, formé par la société Pigeon Carrières, contre ce jugement, en tant qu'il a statué sur sa demande en décharge des suppléments de taxe foncière sur les propriétés bâties.

Par ce pourvoi et quatre mémoires, enregistrés les 6 août 2020, 15 mars et 19 mai 2021, 5 juillet 2021 et 29 juillet 2021 au greffe de la cour administrative d'appel de Nantes, la société Pigeon Carrières demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement du 17 juillet 2020 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il rejette ses conclusions en décharge des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015 ;

2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Pigeon Carrières ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au regard d'informations recueillies dans le cadre d'une vérification de comptabilité de la société Pigeon Carrières, société exploitant notamment des sites d'extraction à La Croixille et Montreuil-Poulay, ainsi qu'une installation de concassage à Torcé-Viviers-en-Charnie, l'administration fiscale a assujetti cette dernière à des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre de l'année 2015 et de cotisation foncière des entreprises au titre des années 2012 à 2016, à raison de l'inclusion des carrières dans le champ d'application de la taxe foncière sur les propriétés bâties et de la réévaluation des biens passibles de cette taxe selon la méthode prévue à l'article 1499 du code général des impôts. Par un jugement du 17 juillet 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de la société Pigeon Carrières tendant à la décharge de ces suppléments d'impôt. Par le présent pourvoi, la société Pigeon Carrière demande l'annulation de ce jugement en tant qu'il rejette ses conclusions en décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties.

Sur l'étendue du litige :

2. Par deux décisions des 21 octobre 2020 et 18 juin 2021, postérieures à l'enregistrement, par la cour administrative d'appel de Nantes, de la requête par laquelle la société Pigeon Carrières a sollicité la décharge des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015 et l'annulation du jugement du tribunal administratif dans cette mesure, l'administration fiscale a prononcé le dégrèvement de ces suppléments d'impôt à concurrence de, respectivement, 11 399 et 44 525 euros, résultant de l'application anticipée du règlement n° 2014-05 de l'Autorité des normes comptables du 2 octobre 2014 pour déterminer, selon la méthode comptable, les bases imposables et de l'exclusion de celles-ci du prix de revient de matériaux à extraire ainsi que de celui des clôtures protégeant des trous d'eau. Dès lors, les conclusions du pourvoi de la société Pigeon Carrières sont, dans cette mesure, devenues sans objet.

Sur le surplus des conclusions du pourvoi :

3. En premier lieu, d'une part, la garantie prévue par les dispositions de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales ne trouve à s'appliquer que dans les hypothèses où l'administration a recours aux procédures de rectification prévues par les articles L. 55 et L. 65 du livre des procédures, lesquelles ne sont pas applicables en matière d'impositions directes locales. Dès lors, c'est sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que la méconnaissance des dispositions de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales ne pouvait être utilement invoquée par la société requérante.

4. D'autre part, lorsqu'une imposition est, telle la taxe foncière sur les propriétés bâties, assise sur la base d'éléments qui doivent être déclarés par le redevable, l'administration ne peut établir, à la charge de celui-ci, des droits excédant le montant de ceux qui résulteraient des éléments qu'il a déclarés qu'après l'avoir, conformément au principe général des droits de la défense et à défaut d'applicabilité de la procédure de redressement contradictoire prévue par les articles L. 55 à L. 61 du livre des procédures fiscales, mis à même de présenter ses observations. Après avoir relevé que, par lettre du 9 juillet 2015, l'administration avait informé la société Pigeon Carrières des rectifications envisagées, de leurs motifs ainsi que, de manière détaillée, des bases d'impositions rehaussées, c'est par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation, et sans erreur de droit, que le tribunal a jugé que, eu égard aux éléments portés à la connaissance du redevable, et alors même que le courrier ne précisait pas le montant des impositions et des pénalités résultant des bases rectifiées, la société avait été mise à même de présenter utilement des observations, ce qu'elle a d'ailleurs fait par lettre du 7 septembre 2015. Enfin, si la société Pigeon Carrières fait également valoir que les bases d'imposition portées à sa connaissance par un courrier du 7 juillet 2016, modifiant, à la suite de l'interlocution régionale, celles initialement retenues dans le courrier du 9 juillet 2015, ne correspondraient pas à celles portées sur l'avis d'imposition qui lui a été notifié et mises en recouvrement, un tel moyen est nouveau en cassation et, par suite, inopérant.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1381 du code général des impôts : " Sont également soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties : / (...) / 5° Les terrains non cultivés employés à un usage commercial ou industriel, tels que chantiers, lieux de dépôt de marchandises et autres emplacements de même nature, soit que le propriétaire les occupe, soit qu'il les fasse occuper par d'autres à titre gratuit ou onéreux (...) ". Si l'article 1393 du code général des impôts, qui trouve son origine dans l'article 81 de la loi du 3 frimaire an VII, dispose que la taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés non bâties de toute nature et qu'elle est notamment due pour les terrains occupés par les carrières, le 5° de l'article 1381 du même code, issu de l'article 1er de la loi du 29 décembre 1884, qui ne comporte aucune exception quant à la nature des terrains concernés a, en prévoyant que les terrains non cultivés employés à un usage commercial ou industriel, tels que les chantiers, lieux de dépôt des marchandises et autres emplacements de même nature, seront imposés à la taxe foncière sur les propriétés bâties, édicté des règles fiscales de caractère général, applicables notamment aux carrières qui font l'objet d'une exploitation à caractère industriel.

6. Dans ces conditions, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif aurait commis une erreur de droit en jugeant, après avoir constaté que l'administration fiscale faisait valoir sans être contestée que les terrains en cause supportaient notamment des installations de criblage, de concassage et des tapis de transport de matériaux conférant à l'exploitation un caractère industriel, que ces carrières devaient être imposées à la taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu des dispositions du 5° de l'article 1381 du code général des impôts et non à la taxe foncière sur les propriétés non bâties en application de l'article 1393 du même code et que la valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe devait être déterminée à partir de leur prix de revient, conformément à l'article 1499 du même code.

7. En troisième lieu, en mentionnant, pour les assimiler à des propriétés bâties au regard de la taxe foncière, les " terrains non cultivés employés à un usage commercial ou industriel (...) ", le 5° de l'article 1382 du code général des impôts doit être entendu comme visant des terrains non cultivés affectés à un usage commercial ou industriel, du moment qu'ils n'ont pas été rendus disponibles à d'autres usages.

8. Dès lors que la société requérante n'établissait, ni même ne soutenait, que les parcelles comprises dans le périmètre des arrêtés préfectoraux des 9 janvier 2012 et 25 juillet 2008 autorisant la société Pigeon Carrières à exploiter, respectivement, la carrière de La Châtaigneraie à La Croixille et une carrière ainsi que des installations de traitement sur la commune de Montreuil-Poulay, lieu-dit " Les Housseaux ", auraient été rendues disponibles à d'autres usages, notamment agricole, c'est sans erreur de droit, ni dénaturation des pièces des dossiers, que le tribunal a pu déduire de cette inclusion que ces parcelles devaient être regardées comme ayant été affectées, à compter de ces autorisations, à un usage industriel et ce alors même que, pour certaines, leur usage premier était agricole et leur exploitation effective, compte tenu des plans de phasage imposés, n'avait pas encore pu débuter ou avait cessé au 1er janvier 2015.

9. En quatrième lieu, la société Pigeon Carrières ne peut utilement soutenir que le tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant qu'elle n'était pas fondée à demander que la valeur locative des sites qu'elle exploite soit minorée de la somme correspondant à la valeur d'acquisition des gisements des carrières, dès lors que, par les dégrèvements mentionnés au point 2, il a été fait droit à sa demande en décharge sur ce point, au regard des éléments qu'elle a communiqués à l'administration, par courriel du 21 septembre 2020 et dans une mesure qu'elle ne conteste pas.

10. En cinquième lieu, aux termes de l'article 1499 du code général des impôts : " La valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties est déterminée en appliquant au prix de revient de leurs différents éléments (...) des taux d'intérêt fixés par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article 324 AE de l'annexe III au code général des impôts : " Le prix de revient visé à l'article 1499 du code général des impôts s'entend de la valeur d'origine pour laquelle les immobilisations doivent être inscrites au bilan en conformité de l'article 38 quinquies ". Aux termes de l'article 38 quater de la même annexe : " Les entreprises doivent respecter les définitions édictées par le plan comptable général, sous réserve que celles-ci ne soient pas incompatibles avec les règles applicables pour l'assiette de l'impôt ". Enfin, aux termes de l'articles 38 quinquies de la même annexe : " 1. Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. / Cette valeur d'origine s'entend : / a. Pour les immobilisations acquises à titre onéreux, du coût d'acquisition, c'est-à-dire du prix d'achat minoré des remises, rabais commerciaux et escomptes de règlement obtenus et majoré des coûts directement engagés pour la mise en état d'utilisation du bien et des coûts d'emprunt dans les conditions prévues à l'article 38 undecies. (...) ". Il résulte de ces dispositions que les immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière doivent être évaluées d'après leur prix de revient, qui est celui inscrit à l'actif du bilan. Sauf pour la société à démontrer que des dépenses inscrites au registre de ses immobilisations constitueraient en réalité des charges déductibles, l'administration fiscale peut se fonder sur ces énonciations comptables, opposables à la société, pour établir, selon la méthode comptable prévue par l'article 1499 du code général des impôts, la valeur locative des immobilisations.

11. Il résulte des dispositions du règlement du Comité de la réglementation comptable n° 2004-06 du 23 novembre 2004 relatif à la définition, la comptabilisation et l'évaluation des actifs, homologué par arrêté du 24 décembre 2004, applicables en l'espèce dès lors que la société requérante s'est abstenue de mettre en oeuvre, de façon anticipée, les normes comptables issues du règlement n° 2014-05 du 2 octobre 2014 de l'autorité des normes comptables au titre de son exercice clos le 31 octobre 2014, d'une part, que les gisements composant les terrains de carrières constituent des immobilisations corporelles, enregistrées au compte 211 " terrains " et, d'autre part, que si les frais d'extraction des couches dites stériles exposés en cours d'exploitation de la carrière afin de maintenir le gisement dans un état tel que l'exploitation normale de la carrière puisse continuer constituent des charges d'exploitation, les frais de préparation du terrain en vue de l'exploitation du gisement, dès lors qu'ils sont nécessaires à la mise en état d'exploitation de la carrière, doivent en revanche être inclus dans le coût d'acquisition de celle-ci.

12. Par suite et dès lors que la société requérante ne conteste pas que les frais de découverte qu'elle a inscrits à l'actif de son bilan en tant qu'immobilisations corporelles correspondaient à des frais de préparation des terrains en vue de l'exploitation des gisements, c'est sans commettre d'erreur de droit que le tribunal a jugé qu'elle n'était pas fondée à soutenir que ces derniers devaient, contrairement à la comptabilisation retenue, être regardés comme des charges d'exploitation et que l'administration fiscale les aurait à tort inclus dans le prix de revient des immobilisations dont la valeur locative servant de base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties due au titre de l'année 2015.

13. En sixième lieu, la société Pigeon Carrières ne saurait utilement soutenir, pour la première fois en cassation, que le service aurait à tort, pour déterminer la valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties, pris en compte le prix de revient de clôtures et portails de sécurité exigés des carriers, d'un abri de pompe de lavage, d'une armoire technique, d'un ensemble modulaire constituant le réfectoire et les vestiaires du site de La Croixille, d'un local technique de floculation du site de Montreuil Poulay et des gisements, ainsi que les frais de découverte, au motif qu'ils seraient pourtant, selon elle, exonérés de cette taxe en application du 11°de l'article 1382 du code général des impôts.

14. Il résulte de ce qui précède que la société Pigeon Carrières n'est pas fondée à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque en tant qu'il rejette ses conclusions en décharge des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2015 et restant en litige.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme que demande la société Pigeon Carrières au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions du pourvoi à concurrence de la somme de 55 924 euros.
Article 2 : Le surplus des conclusions du pourvoi de la société Pigeon Carrières est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée (SAS) Pigeon Carrières et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.


Délibéré à l'issue de la séance du 12 juin 2025 où siégeaient : M. Philippe Ranquet, conseiller d'Etat, présidant ; Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 4 juillet 2025.


Le président :
Signé : M. Philippe Ranquet

La rapporteure :
Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :
Signé : Mme Nathalie Martinez-Casanova