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Ariane Web: Conseil d'État 492265, lecture du 10 juillet 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:492265.20250710

Décision n° 492265
10 juillet 2025
Conseil d'État

N° 492265
ECLI:FR:CECHR:2025:492265.20250710
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Rémy Schwartz, président
Mme Hortense Naudascher, rapporteure
M. Maxime Boutron, rapporteur public
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats


Lecture du jeudi 10 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et quatre autres mémoires, enregistrés les 29 février 2024, 3 mai 2024, 10 septembre 2024, 8 janvier 2025, 7 février 2025 et 13 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du 8 novembre 2023 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a décidé de le regarder comme une personnalité politique au sens et pour l'application du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et les décisions du 13 décembre 2023 et 24 janvier 2024 par lesquelles l'Arcom a refusé de faire droit à ses recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Hortense Naudascher, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de M. C... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 juin 2025, présentée par la Société d'exploitation d'un service d'information.



Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 8 novembre 2023, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), a décidé de regarder M. A... C... comme une personnalité politique au sens et pour l'application du deuxième alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, en lui attribuant la nuance " divers droite ". M. C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision de l'Arcom du 8 novembre 2023 et des décisions du 13 décembre 2023 et du 24 janvier 2024 par lesquelles l'Arcom a rejeté ses recours gracieux.

2. La Société d'exploitation d'un service d'information (SESI) justifie d'un intérêt suffisant à intervenir au soutien de la requête de M. C.... Son intervention est, par suite, recevable.

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " La communication au public par voie électronique est libre. / L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise (...) par le respect (...) du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion (...) ". L'article 3-1 de la même loi dispose : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, autorité publique indépendante, garantit l'exercice de la liberté de communication au public par voie électronique, dans les conditions définies par la présente loi. / (...) L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique garantit l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l'article 1er de la présente loi. (...) / L'autorité peut adresser aux éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle des recommandations relatives au respect des principes énoncés dans la présente loi. Ces recommandations sont publiées au Journal officiel de la République française ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale. / Les services de radio et de télévision transmettent les données relatives aux temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique selon les conditions de périodicité et de format que l'autorité détermine. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique communique chaque mois aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat et aux responsables des différents partis politiques représentés au Parlement le relevé des temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes. Ce relevé est également publié dans un format ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé ".

4. En premier lieu, aux termes du VI. de l'article 4 de la loi du 30 septembre 1986, " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique ne peut délibérer que si au moins six de ses membres sont présents. (...) ". Il ressort des procès-verbaux des séances du 13 décembre 2023 et du 24 janvier 2024 que le quorum était réuni lors de chacune de ces séances. Par suite, le moyen tiré de à la méconnaissance de cette exigence ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". S'agissant d'une autorité de caractère collégial, il est satisfait aux exigences découlant de ces prescriptions dès lors que les décisions que prend l'Arcom portent la signature de son président, accompagnée des mentions, en caractères lisibles, prévues par cet article. Il ressort des pièces du dossier que les décisions attaquées répondent à ces exigences. Par suite, le moyen tiré de leur méconnaissance doit être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L 212-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Les décisions de l'administration peuvent faire l'objet d'une signature électronique. Celle-ci n'est valablement apposée que par l'usage d'un procédé, conforme aux règles du référentiel général de sécurité mentionné au I de l'article 9 de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, qui permette l'identification du signataire, garantisse le lien de la signature avec la décision à laquelle elle s'attache et assure l'intégrité de cette décision ". La circonstance que la signature électronique du président de l'Arcom aurait été apposée sur les procès-verbaux litigieux postérieurement aux séances du collège plénier auxquelles elles se réfèrent est sans incidence sur leur légalité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut qu'être écarté.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prise en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". La décision à destination des éditeurs de médias audiovisuels par laquelle l'Arcom décide de regarder une personne comme une personnalité politique au sens et pour l'application du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986 n'est pas au nombre des décisions administratives individuelles défavorables soumises par les dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration à une obligation de motivation. De même, cette décision à destination des éditeurs de médias audiovisuels ne saurait être regardée comme prise en considération de la personne de M C... et n'entre donc pas dans la catégorie des décisions que les dispositions de l'article L. 121-1 du même code soumettent au respect d'une procédure contradictoire préalable. Par suite, le requérant ne saurait utilement soutenir que la décision attaquée, ensemble les rejets de ses recours gracieux, est entaché d'insuffisance de motivation et a méconnu les garanties prévues par ces dispositions.

8. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que le collège de l'Arcom a décidé lors de sa séance du 8 novembre 2023, de regarder M. C... comme une personnalité politique au sens et pour l'application du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986. Si le procès-verbal de la séance ne précise pas au titre de quelle nuance politique le temps d'intervention de M. C... doit être décompté, ce document se réfère à une note versée au dossier, laquelle proposait au collège plénier que la nuance " divers droite " soit attribuée à M. C.... Par suite, le moyen tiré de ce que la décision de retenir cette nuance politique serait entachée d'incompétence, en ce qu'elle résulterait d'un courriel émanant des services de l'Arcom ne peut qu'être écarté.

9. En sixième lieu, par les dispositions citées au point 3, le législateur a confié à l'autorité de régulation la mission d'assurer la garantie, dans les médias audiovisuels, de l'objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants de pensée et d'opinion, notamment politiques. Cette autorité est tenue d'exercer pleinement sa mission, en veillant au respect de cet objectif par les services de radio et de télévision selon des modalités qu'il lui incombe, en l'état de la législation, de déterminer. Elle dispose, à cette fin, d'un large pouvoir d'appréciation pour fixer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, les règles propres à assurer une présentation équilibrée de l'ensemble du débat politique national. Elle est également compétente à ce titre pour se prononcer sur l'identification des personnes devant être regardées comme des personnalités politiques, au sens et pour l'application du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986, et devant faire l'objet à ce titre d'un décompte de leurs temps d'intervention, lequel est communiqué chaque mois aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat et aux responsables des différents partis politiques représentés au Parlement. L'exercice par l'Arcom de la compétence que lui confie l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986 implique nécessairement qu'elle indique aux éditeurs de service de radio et de télévision non seulement les personnalités politiques qui n'appartiennent ni à l'exécutif ni à un groupement ou parti dont doivent être décomptés les temps d'intervention dans les médias audiovisuels, mais également la sensibilité politique au titre de laquelle ces temps d'intervention doivent être décomptés. Il suit de là que les moyens tirés de ce que, d'une part l'Arcom ne serait dotée par l'article 13 de la loi du 30 septembre d'aucune compétence à ce titre, et d'autre part que les décisions attaquées méconnaissent ces dispositions législatives, ne peuvent qu'être écartés.

10. En septième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C..., élu au conseil municipal de Neuilly-sur-Seine depuis 2020, exerce également depuis lors les fonctions d'adjoint au maire, en charge de la voirie et des espaces publics. Outre ce mandat électif dans une commune importante, il intervient régulièrement à l'antenne, sur au moins un service de télévision, pour commenter l'actualité sur divers sujets politiques sans lien direct ni avec son activité professionnelle de chef d'entreprise ni d'ailleurs avec quelque expertise particulière dont il serait fait état. En estimant, pour demander aux éditeurs de services de radio et de télévision le décompte de ses temps d'intervention dans les médias audiovisuels, qu'il pouvait être regardé, eu égard tant à son mandat électif qu'à ses interventions en qualité d'acteur du débat politique, comme une personnalité politique au sens et pour l'application du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986, sans tenir compte de ce qu'il exerce la profession de chef d'entreprise, l'Arcom n'a pas entaché ses décisions d'une inexacte qualification juridique.

11. En huitième lieu, il ressort des pièces du dossier que pour décider le décompte des temps d'intervention de M. C... au titre de la catégorie " divers droite ", l'Arcom s'est fondée tant sur la nuance politique attribuée par le ministre de l'intérieur à la liste conduite aux élections municipales par le maire de Neuilly-sur-Seine sur laquelle il figurait qu'à la teneur des prises de position de l'intéressé dans le débat public. Le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise l'Arcom en se regardant liée par la nuance retenue par le ministre de l'intérieur ne peut dès lors qu'être écarté. Il en va de même, eu égard à la teneur des propos exprimés par l'intéressé à l'antenne du service Cnews sur notamment l'insécurité, l'immigration et le temps de travail, du moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise l'Arcom sur ce point.

12. En neuvième lieu, les moyens tirés, d'une part des règles en matière d'autorisation de traitement de données à caractère personnel et d'autre part, des règles applicables à ces traitement, lorsqu'ils révèlent des opinions politiques, en particulier le principe de minimisation des données résultant du règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, dit B..., ne peuvent qu'être écartés comme inopérants, la décision attaquée n'ayant par elle-même ni pour objet ni pour effet d'autoriser un tel traitement.

13. En dixième lieu, eu égard à l'objet de la décision par laquelle l'Arcom a décidé de le regarder comme une personnalité politique, laquelle vise à assurer le respect de l'exigence de pluralisme, comme à ses effets, en ce qu'elle ne remet pas en cause la possibilité pour la personnalité ainsi désignée de s'exprimer dans les médias audiovisuels, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les décisions attaquées méconnaissent sa liberté d'expression protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. Enfin, le requérant ne peut utilement soutenir que les décisions attaquées créent une discrimination à son encontre, en ce que d'autres titulaires d'un mandat électoral ne sont pas regardés par l'Arcom comme des personnalités politiques au sens et pour l'application du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut par suite qu'être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. C... doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il en va de même des conclusions présentées à ce même titre par la SESI, qui n'est pas partie à l'instance.



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la Société d'exploitation d'un service d'information est admise.
Article 2 : La requête de M. C... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions de la Société d'exploitation d'un service d'information présentées au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... C..., à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique et à la Société d'exploitation d'un service d'information.
Copie pour information en sera adressée à la ministre de la culture.