Conseil d'État
N° 491624
ECLI:FR:CECHR:2025:491624.20250715
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Hervé Cassara, rapporteur
CABINET FRANÇOIS PINET, avocats
Lecture du mardi 15 juillet 2025
Vu les procédures suivantes :
La société Ferry a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 1 374 016,78 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison de la procédure d'attribution du lot n° E1 de sous-concession de la plage de Pampelonne. Par un jugement n° 2001371 du 30 juin 2022, ce tribunal a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 22MA002374 du 11 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Ferry, annulé ce jugement, condamné la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 52 367,50 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
1° Sous le n° 491624, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 février et 10 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ferry demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête d'appel ;
2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Ramatuelle la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 491676, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 13 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Ramatuelle demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 11 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Marseille, en tant qu'il l'a condamnée à verser une indemnité à la société Ferry ;
2°) de mettre à la charge de la société Ferry la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la société Ferry et au cabinet François Pinet, avocat de la commune de Ramatuelle ;
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois visés ci-dessus sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 7 avril 2017, le préfet du Var a accordé à la commune de Ramatuelle la concession de la plage naturelle de Pampelonne pour une durée de douze ans à compter du 1er janvier 2019. La commune de Ramatuelle a engagé, le 30 juin 2017, une procédure de mise en concurrence en vue de l'attribution de traités de sous-concession du service public balnéaire sur cette plage. Le lot n° E1 a été attribué à la société Ferry par une délibération du conseil municipal du 16 juillet 2018. Saisi par un concurrent évincé, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulon a, par une ordonnance du 24 août 2018, annulé la procédure de passation de ce lot au stade de l'examen des offres. Le 3 décembre 2018, la commune de Ramatuelle, après avoir procédé à un nouvel examen des offres, a décidé une nouvelle fois d'attribuer le lot n° E1 à la société Ferry mais, par une ordonnance du 1er février 2019, le juge du référé précontractuel du même tribunal, saisi par une autre société évincée, a annulé cette nouvelle procédure au stade de l'examen des offres. Par une délibération du 12 mars 2019, le conseil municipal a décidé de déclarer sans suite la procédure relative à ce lot. Après l'annulation de deux autres procédures de passation ultérieures pour le même lot devenu n° 23, dans le cadre desquelles la société Ferry ne s'était pas portée candidate, aucun contrat n'a finalement été conclu. Par un jugement du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de la société Ferry tendant à la condamnation de la commune de Ramatuelle à lui verser une somme totale de 1 374 016,78 euros en réparation des différents préjudices qu'elle estime avoir subis. Par un arrêt du 11 décembre 2023, contre lequel se pourvoient en cassation, d'une part, la société Ferry sous le n° 491624 et, d'autre part, la commune de Ramatuelle sous le n° 491676, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Ferry, annulé ce jugement, condamné la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 52 367,50 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Sur le cadre juridique :
3. Une personne publique qui a engagé une procédure de passation d'un contrat de concession ne saurait être tenue de conclure le contrat. Elle peut décider, sous le contrôle du juge, de renoncer à le conclure pour un motif d'intérêt général. Cette décision n'est pas de nature à engager sa responsabilité pour faute.
4. Dans une telle hypothèse, la responsabilité de la personne publique peut toutefois être mise en cause lorsqu'elle a, au cours de la procédure de passation, commis des fautes, par exemple en incitant un ou des candidats à engager des dépenses en pure perte ou en leur donnant, à tort, l'assurance que le contrat serait signé. Dans ce cas, le candidat peut prétendre à la réparation des préjudices imputables à ces fautes, sous réserve du partage de responsabilité découlant le cas échéant de ses propres fautes.
5. En revanche, la perte du bénéfice que le partenaire pressenti, qui ne peut se prévaloir d'aucun droit à la conclusion du contrat, escomptait de l'opération ne saurait, en toute hypothèse, constituer un préjudice indemnisable.
Sur les pourvois :
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'à la suite des annulations de la procédure d'attribution du lot n° E1 prononcées par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon par ses ordonnances des 24 août 2018 et 1er février 2019, tant la commission de délégation de service public que la commune ont estimé qu'aucune offre ne pouvait être considérée comme conforme au dossier de consultation des entreprises et que les motifs de non-conformité, qui concernaient des éléments essentiels de la concession, ne pourraient faire l'objet de corrections au cours d'une phase de négociation que sur une base juridique fragile. La cour administrative d'appel de Marseille a jugé que la commune de Ramatuelle avait ainsi justifié de l'existence d'un risque juridique constitutif d'un motif d'intérêt général et n'avait pas commis de faute engageant sa responsabilité en déclarant la procédure de passation du lot en litige sans suite pour un tel motif. La cour a, en revanche, retenu deux fautes de nature à engager la responsabilité de la commune de Ramatuelle à l'égard de la société Ferry, tenant, d'une part, à l'ignorance délibérée, dans les documents de la consultation, des contraintes urbanistiques qui s'appliquaient sur le site de la sous-concession en litige, résultant d'un cône de dégagement visuel institué par le schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne destiné à préserver la vue sur la mer depuis le chemin de l'Epi qui mène à la plage, conduisant nécessairement les candidats à proposer des offres méconnaissant ces contraintes, et, d'autre part, à avoir incité la société Ferry, alors attributaire du lot n° E1, à engager des frais pour la constitution d'un dossier de demande de permis de construire.
En ce qui concerne le pourvoi de la société Ferry :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 46 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, applicable au litige : " Les autorités concédantes peuvent organiser librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par voie réglementaire. La négociation ne peut porter sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ". L'autorité concédante peut apporter des adaptations à l'objet du contrat qu'elle envisage de conclure au terme de la négociation lorsque ces adaptations sont d'une portée limitée, justifiées par l'intérêt du service et qu'elles ne présentent pas, entre les entreprises concurrentes, un caractère discriminatoire.
8. En jugeant que la prise en compte de la servitude résultant du cône de visibilité mentionné au point 6 induisait une modification de l'étendue géographique du lot n° E1 telle qu'elle ne pouvait être regardée, sans risque juridique, comme étant de portée suffisamment limitée pour être admise dans le cadre de la négociation, alors notamment que la procédure avait déjà été annulée deux fois au stade de l'examen des offres, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas dénaturé ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.
9. En deuxième lieu, en jugeant que le motif mentionné aux points 6 et 8, tiré d'un fort risque juridique fragilisant la procédure de passation, constituait un motif d'intérêt général de nature à permettre, ainsi qu'il est dit au point 3, à la commune de Ramatuelle de renoncer à poursuivre cette procédure et à conclure le contrat, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
10. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, dès lors que la procédure de passation avait été déclarée sans suite pour le motif d'intérêt général mentionné au point 9, la société Ferry ne pouvait prétendre à être indemnisée du gain manqué dont elle se prévalait.
11. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel de Marseille aurait dénaturé les pièces de ce dossier en jugeant que la société Ferry n'établissait pas la réalité du préjudice commercial et d'image dont elle demandait la réparation.
12. En dernier lieu, en jugeant, par adoption des motifs du jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2022, que la société Ferry n'avait pas subi, du fait des annulations successives de la procédure de passation du lot n° E1 et de la renonciation de la commune de Ramatuelle à conclure le contrat, un préjudice grave et spécial de nature à engager la responsabilité sans faute de cette commune, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
13. Il résulte de ce qui précède que la société Ferry n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête d'appel.
En ce qui concerne le pourvoi de la commune de Ramatuelle :
14. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 5 qu'en jugeant que la circonstance que la procédure de déclaration sans suite était justifiée par le motif d'intérêt général mentionné au point 9 ne faisait pas obstacle à ce que la société Ferry recherche la responsabilité de la commune de Ramatuelle au titre de fautes qu'elle lui imputait dans la procédure de passation en vue d'obtenir l'indemnisation des frais qu'elle a exposés en pure perte, d'une part, pour soumissionner et, d'autre part, après l'attribution du contrat, pour la préparation du dossier de demande de permis de construire, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. De même, en jugeant que la circonstance que l'offre de la société Ferry serait irrégulière était dépourvue d'incidence à cet égard, dès lors que ce n'était pas en sa qualité de candidate irrégulièrement évincée qu'elle pouvait prétendre à la réparation de ses préjudices mais sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de la commune au titre des fautes qu'elle avait commises dans la procédure de passation du contrat, ainsi qu'il a été dit au point 4, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas non plus commis d'erreur de droit.
15. En deuxième lieu, la cour n'a ni dénaturé les termes du courriel du 20 juillet 2018 adressé par la commune de Ramatuelle aux sociétés déclarées attributaires des sous-concessions, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que, par ce courriel, et alors même que la commune ne fixait pas de délai précis pour déposer la demande d'autorisation d'urbanisme, elle devait être regardée comme ayant incité la société Ferry, alors attributaire du lot n° E1, à engager en pure perte des frais pour la constitution du dossier de cette demande sans attendre la signature de la sous-concession et que la commune avait, par suite, commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
16. En troisième lieu, en jugeant que les préjudices de la société Ferry, qu'elle a condamné la commune de Ramatuelle à réparer, étaient directement liés aux fautes commises par cette dernière dans la procédure de passation du contrat et dans l'incitation de cette société à engager des démarches en vue de déposer une demande de permis de construire sans attendre la signature du contrat, la cour administrative d'appel de Marseille, qui a ainsi recherché, contrairement à ce que soutient la commune requérante, l'existence d'un lien de causalité direct entre ces fautes et les préjudices dont cette société demandait réparation, n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
17. En dernier lieu, la cour n'a, contrairement à ce que soutient la commune de Ramatuelle, pas commis d'erreur de droit en jugeant que les frais de justice utilement exposés par la société Ferry en qualité de défenderesse à l'instance, autre que l'administration ayant lancé la procédure d'attribution du contrat, devant le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulon ayant abouti à l'ordonnance de ce juge du 24 août 2018 mentionnée au point 2 étaient susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à la commune. Elle ne s'est pas davantage méprise sur la portée des écritures de la commune en relevant qu'elle ne contestait pas que la société Ferry s'était acquittée des factures justifiant de la réalité de ce préjudice ni n'a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en fixant à 3 000 euros le montant de l'indemnisation de la société Ferry à ce titre.
18. Il résulte de ce qui précède que la commune de Ramatuelle n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant qu'il l'a condamnée à verser une indemnité à la société Ferry.
Sur les frais de l'instance :
19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les pourvois de la société Ferry et de la commune de Ramatuelle sont rejetés.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Ramatuelle dans l'affaire n° 491624 et par la société Ferry dans l'affaire n° 491676 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Ferry et à la commune de Ramatuelle.
N° 491624
ECLI:FR:CECHR:2025:491624.20250715
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Hervé Cassara, rapporteur
CABINET FRANÇOIS PINET, avocats
Lecture du mardi 15 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
La société Ferry a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 1 374 016,78 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis à raison de la procédure d'attribution du lot n° E1 de sous-concession de la plage de Pampelonne. Par un jugement n° 2001371 du 30 juin 2022, ce tribunal a rejeté cette demande.
Par un arrêt n° 22MA002374 du 11 décembre 2023, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Ferry, annulé ce jugement, condamné la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 52 367,50 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
1° Sous le n° 491624, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 février et 10 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Ferry demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête d'appel ;
2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Ramatuelle la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 491676, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 13 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Ramatuelle demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 11 décembre 2023 de la cour administrative d'appel de Marseille, en tant qu'il l'a condamnée à verser une indemnité à la société Ferry ;
2°) de mettre à la charge de la société Ferry la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Hervé Cassara, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de la société Ferry et au cabinet François Pinet, avocat de la commune de Ramatuelle ;
Considérant ce qui suit :
1. Les pourvois visés ci-dessus sont dirigés contre le même arrêt. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 7 avril 2017, le préfet du Var a accordé à la commune de Ramatuelle la concession de la plage naturelle de Pampelonne pour une durée de douze ans à compter du 1er janvier 2019. La commune de Ramatuelle a engagé, le 30 juin 2017, une procédure de mise en concurrence en vue de l'attribution de traités de sous-concession du service public balnéaire sur cette plage. Le lot n° E1 a été attribué à la société Ferry par une délibération du conseil municipal du 16 juillet 2018. Saisi par un concurrent évincé, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulon a, par une ordonnance du 24 août 2018, annulé la procédure de passation de ce lot au stade de l'examen des offres. Le 3 décembre 2018, la commune de Ramatuelle, après avoir procédé à un nouvel examen des offres, a décidé une nouvelle fois d'attribuer le lot n° E1 à la société Ferry mais, par une ordonnance du 1er février 2019, le juge du référé précontractuel du même tribunal, saisi par une autre société évincée, a annulé cette nouvelle procédure au stade de l'examen des offres. Par une délibération du 12 mars 2019, le conseil municipal a décidé de déclarer sans suite la procédure relative à ce lot. Après l'annulation de deux autres procédures de passation ultérieures pour le même lot devenu n° 23, dans le cadre desquelles la société Ferry ne s'était pas portée candidate, aucun contrat n'a finalement été conclu. Par un jugement du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté la demande de la société Ferry tendant à la condamnation de la commune de Ramatuelle à lui verser une somme totale de 1 374 016,78 euros en réparation des différents préjudices qu'elle estime avoir subis. Par un arrêt du 11 décembre 2023, contre lequel se pourvoient en cassation, d'une part, la société Ferry sous le n° 491624 et, d'autre part, la commune de Ramatuelle sous le n° 491676, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de la société Ferry, annulé ce jugement, condamné la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 52 367,50 euros et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.
Sur le cadre juridique :
3. Une personne publique qui a engagé une procédure de passation d'un contrat de concession ne saurait être tenue de conclure le contrat. Elle peut décider, sous le contrôle du juge, de renoncer à le conclure pour un motif d'intérêt général. Cette décision n'est pas de nature à engager sa responsabilité pour faute.
4. Dans une telle hypothèse, la responsabilité de la personne publique peut toutefois être mise en cause lorsqu'elle a, au cours de la procédure de passation, commis des fautes, par exemple en incitant un ou des candidats à engager des dépenses en pure perte ou en leur donnant, à tort, l'assurance que le contrat serait signé. Dans ce cas, le candidat peut prétendre à la réparation des préjudices imputables à ces fautes, sous réserve du partage de responsabilité découlant le cas échéant de ses propres fautes.
5. En revanche, la perte du bénéfice que le partenaire pressenti, qui ne peut se prévaloir d'aucun droit à la conclusion du contrat, escomptait de l'opération ne saurait, en toute hypothèse, constituer un préjudice indemnisable.
Sur les pourvois :
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué qu'à la suite des annulations de la procédure d'attribution du lot n° E1 prononcées par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon par ses ordonnances des 24 août 2018 et 1er février 2019, tant la commission de délégation de service public que la commune ont estimé qu'aucune offre ne pouvait être considérée comme conforme au dossier de consultation des entreprises et que les motifs de non-conformité, qui concernaient des éléments essentiels de la concession, ne pourraient faire l'objet de corrections au cours d'une phase de négociation que sur une base juridique fragile. La cour administrative d'appel de Marseille a jugé que la commune de Ramatuelle avait ainsi justifié de l'existence d'un risque juridique constitutif d'un motif d'intérêt général et n'avait pas commis de faute engageant sa responsabilité en déclarant la procédure de passation du lot en litige sans suite pour un tel motif. La cour a, en revanche, retenu deux fautes de nature à engager la responsabilité de la commune de Ramatuelle à l'égard de la société Ferry, tenant, d'une part, à l'ignorance délibérée, dans les documents de la consultation, des contraintes urbanistiques qui s'appliquaient sur le site de la sous-concession en litige, résultant d'un cône de dégagement visuel institué par le schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne destiné à préserver la vue sur la mer depuis le chemin de l'Epi qui mène à la plage, conduisant nécessairement les candidats à proposer des offres méconnaissant ces contraintes, et, d'autre part, à avoir incité la société Ferry, alors attributaire du lot n° E1, à engager des frais pour la constitution d'un dossier de demande de permis de construire.
En ce qui concerne le pourvoi de la société Ferry :
7. En premier lieu, aux termes de l'article 46 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession, applicable au litige : " Les autorités concédantes peuvent organiser librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par voie réglementaire. La négociation ne peut porter sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ". L'autorité concédante peut apporter des adaptations à l'objet du contrat qu'elle envisage de conclure au terme de la négociation lorsque ces adaptations sont d'une portée limitée, justifiées par l'intérêt du service et qu'elles ne présentent pas, entre les entreprises concurrentes, un caractère discriminatoire.
8. En jugeant que la prise en compte de la servitude résultant du cône de visibilité mentionné au point 6 induisait une modification de l'étendue géographique du lot n° E1 telle qu'elle ne pouvait être regardée, sans risque juridique, comme étant de portée suffisamment limitée pour être admise dans le cadre de la négociation, alors notamment que la procédure avait déjà été annulée deux fois au stade de l'examen des offres, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas dénaturé ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.
9. En deuxième lieu, en jugeant que le motif mentionné aux points 6 et 8, tiré d'un fort risque juridique fragilisant la procédure de passation, constituait un motif d'intérêt général de nature à permettre, ainsi qu'il est dit au point 3, à la commune de Ramatuelle de renoncer à poursuivre cette procédure et à conclure le contrat, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
10. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que, dès lors que la procédure de passation avait été déclarée sans suite pour le motif d'intérêt général mentionné au point 9, la société Ferry ne pouvait prétendre à être indemnisée du gain manqué dont elle se prévalait.
11. En quatrième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la cour administrative d'appel de Marseille aurait dénaturé les pièces de ce dossier en jugeant que la société Ferry n'établissait pas la réalité du préjudice commercial et d'image dont elle demandait la réparation.
12. En dernier lieu, en jugeant, par adoption des motifs du jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2022, que la société Ferry n'avait pas subi, du fait des annulations successives de la procédure de passation du lot n° E1 et de la renonciation de la commune de Ramatuelle à conclure le contrat, un préjudice grave et spécial de nature à engager la responsabilité sans faute de cette commune, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
13. Il résulte de ce qui précède que la société Ferry n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa requête d'appel.
En ce qui concerne le pourvoi de la commune de Ramatuelle :
14. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 5 qu'en jugeant que la circonstance que la procédure de déclaration sans suite était justifiée par le motif d'intérêt général mentionné au point 9 ne faisait pas obstacle à ce que la société Ferry recherche la responsabilité de la commune de Ramatuelle au titre de fautes qu'elle lui imputait dans la procédure de passation en vue d'obtenir l'indemnisation des frais qu'elle a exposés en pure perte, d'une part, pour soumissionner et, d'autre part, après l'attribution du contrat, pour la préparation du dossier de demande de permis de construire, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. De même, en jugeant que la circonstance que l'offre de la société Ferry serait irrégulière était dépourvue d'incidence à cet égard, dès lors que ce n'était pas en sa qualité de candidate irrégulièrement évincée qu'elle pouvait prétendre à la réparation de ses préjudices mais sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de la commune au titre des fautes qu'elle avait commises dans la procédure de passation du contrat, ainsi qu'il a été dit au point 4, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas non plus commis d'erreur de droit.
15. En deuxième lieu, la cour n'a ni dénaturé les termes du courriel du 20 juillet 2018 adressé par la commune de Ramatuelle aux sociétés déclarées attributaires des sous-concessions, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que, par ce courriel, et alors même que la commune ne fixait pas de délai précis pour déposer la demande d'autorisation d'urbanisme, elle devait être regardée comme ayant incité la société Ferry, alors attributaire du lot n° E1, à engager en pure perte des frais pour la constitution du dossier de cette demande sans attendre la signature de la sous-concession et que la commune avait, par suite, commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
16. En troisième lieu, en jugeant que les préjudices de la société Ferry, qu'elle a condamné la commune de Ramatuelle à réparer, étaient directement liés aux fautes commises par cette dernière dans la procédure de passation du contrat et dans l'incitation de cette société à engager des démarches en vue de déposer une demande de permis de construire sans attendre la signature du contrat, la cour administrative d'appel de Marseille, qui a ainsi recherché, contrairement à ce que soutient la commune requérante, l'existence d'un lien de causalité direct entre ces fautes et les préjudices dont cette société demandait réparation, n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
17. En dernier lieu, la cour n'a, contrairement à ce que soutient la commune de Ramatuelle, pas commis d'erreur de droit en jugeant que les frais de justice utilement exposés par la société Ferry en qualité de défenderesse à l'instance, autre que l'administration ayant lancé la procédure d'attribution du contrat, devant le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Toulon ayant abouti à l'ordonnance de ce juge du 24 août 2018 mentionnée au point 2 étaient susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de la faute imputable à la commune. Elle ne s'est pas davantage méprise sur la portée des écritures de la commune en relevant qu'elle ne contestait pas que la société Ferry s'était acquittée des factures justifiant de la réalité de ce préjudice ni n'a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en fixant à 3 000 euros le montant de l'indemnisation de la société Ferry à ce titre.
18. Il résulte de ce qui précède que la commune de Ramatuelle n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, en tant qu'il l'a condamnée à verser une indemnité à la société Ferry.
Sur les frais de l'instance :
19. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les pourvois de la société Ferry et de la commune de Ramatuelle sont rejetés.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Ramatuelle dans l'affaire n° 491624 et par la société Ferry dans l'affaire n° 491676 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Ferry et à la commune de Ramatuelle.