Conseil d'État
N° 498425
ECLI:FR:CECHR:2025:498425.20250718
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jean-Luc Matt, rapporteur
CABINET MUNIER-APAIRE, avocats
Lecture du vendredi 18 juillet 2025
Vu la procédure suivante :
L'association Odelia a demandé au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Lyon la réformation de la décision du 9 décembre 2021 du directeur général de l'agence régionale de santé d'Auvergne-Rhône-Alpes portant modification pour l'exercice 2021 du montant et de la répartition de la dotation globale de soins prévue par le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Le Verger des Coudry " à Cervens et " Le Bosquet de la Mandallaz " à Sillingy, selon des modalités permettant de financer l'intégralité des coûts de la revalorisation salariale décidée le 22 mars 2021, soit une dotation complémentaire de 71 611,41 euros. Par un jugement n° 22.004 du 26 juin 2023, le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Lyon a rejeté cette demande.
Par une décision n° A23.022 du 17 juin 2024, la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale a annulé ce jugement mais, statuant par la voie de l'évocation, a rejeté la demande de l'association Odelia.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un autre mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 octobre 2024 et 14 janvier, 10 juin et 27 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Odelia demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Matt, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Munier-Apaire, avocat de l'Association Odelia ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 juillet 2025, présentée par l'association Odelia ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'association Odelia, qui gère deux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) en Haute-Savoie, a demandé au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Lyon la réformation de la décision du 9 décembre 2021 du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) d'Auvergne-Rhône-Alpes portant modification pour l'exercice 2021 du montant et de la répartition de la dotation globale de soins prévue par le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens 2018-2022. Par un jugement du 26 juin 2023, le tribunal a rejeté sa demande. Par une décision du 17 juin 2024, la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale a annulé ce jugement mais, statuant par la voie de l'évocation, a ensuite rejeté la demande de l'association Odelia. Cette dernière se pourvoit en cassation contre cette décision.
Sur la régularité de la décision attaquée :
2. Si l'association requérante fait valoir que la Cour a, en méconnaissance de l'article R. 351-34 du code de l'action sociale et des familles alors applicable, omis de mentionner, dans les visas de sa décision, le mémoire en réplique qu'elle avait présenté avant la clôture de l'instruction, une telle circonstance n'est, par elle-même, pas de nature à vicier la régularité de la décision attaquée dès lors qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ces écritures n'apportaient aucun élément nouveau auquel il n'aurait pas été répondu dans les motifs de la décision.
Sur le bien-fondé de la décision attaquée :
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les accords dits du " Ségur de la santé ", signés le 13 juillet 2020 par le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé, d'un côté, et certaines organisations syndicales représentant les professions médicales et paramédicales de la fonction publique hospitalière, de l'autre côté, prévoient des mesures de revalorisation salariale pour les agents des établissements de santé et des EHPAD publics, afin de prendre en compte les sujétions de ces métiers et de renforcer leur attractivité après l'épidémie de covid-19. Par une décision unilatérale du 26 octobre 2020, la fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP) a adopté les mêmes mesures de revalorisation salariale pour les personnels non-médicaux des EHPAD privés à but non lucratif dont elle représente les employeurs. Cette décision a été agréée par les ministres compétents, en application de l'article L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles, par un arrêté du 8 décembre 2020. L'association Odelia en a fait application aux établissements qu'elle gère par une décision unilatérale du 22 mars 2021.
4. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 314-2 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au présent litige résultant de l'article 48 de la loi du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 : " Les établissements et services mentionnés au I et au II de l'article L. 313-12 sont financés par : / 1° Un forfait global relatif aux soins prenant en compte notamment le niveau de dépendance moyen et les besoins en soins requis des résidents mentionnés à l'article L. 314-9, validés au plus tard le 30 juin de l'année précédente. Le cas échéant, ce forfait global inclut des financements complémentaires relatifs notamment à des modalités d'accueil particulières, définis dans le contrat prévu au IV ter de l'article L. 313-12. Ce forfait global peut tenir compte de l'activité réalisée. Il peut financer des mesures de revalorisation salariale de personnels dont les rémunérations sont financées, en tout ou partie, par les forfaits mentionnés aux 2° et 3° du présent I. Les modalités de détermination du forfait global sont fixées par décret en Conseil d'Etat. / Le montant du forfait global de soins est arrêté annuellement par le directeur général de l'agence régionale de santé. / 2° Un forfait global relatif à la dépendance prenant en compte le niveau de dépendance moyen des résidents dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat, fixé par un arrêté du président du conseil départemental et versé aux établissements par ce dernier au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie mentionnée à l'article L. 232-8 ; / 3° Des tarifs journaliers afférents à un ensemble de prestations relatives à l'hébergement, fixés par le président du conseil départemental, dans des conditions précisées par décret et opposables aux bénéficiaires de l'aide sociale accueillis dans des établissements habilités totalement ou partiellement à l'aide sociale à l'hébergement des personnes âgées. Ce décret détermine le contenu des tarifs journaliers afférents aux prestations relatives à l'hébergement qui ne peuvent comporter des dépenses intégrées dans les tarifs relatifs aux soins et à la dépendance cités respectivement aux 1° et 2°. (...) ". Le II de l'article R. 314-163 du même code précise que les financements complémentaires que le forfait global relatif aux soins peut inclure " peuvent (...) couvrir les dépenses : / (...) 8° Des mesures prises pour renforcer l'attractivité de l'exercice des professions ".
5. Ni le I de l'article de l'article L. 314-2 du code de l'action sociale et des familles, ni le II de l'article R. 314-163 du même code, dont il résulte des termes mêmes qu'ils prévoient seulement une faculté de financement des mesures de revalorisation salariale des personnels concernés par l'intermédiaire de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, ne permettent de caractériser un " engagement " de l'Etat, qui serait traduit par les dispositions issues de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, de prise en charge des coûts pour les établissements privés d'hébergement de personnes âgées dépendantes de la revalorisation salariale résultant de la mise en oeuvre du " Ségur de la santé ".
6. En deuxième lieu, l'article L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles a prévu un mécanisme d'agrément obligatoire, par le ministre compétent, des accords collectifs de travail dans le secteur social et médico-social privé à but non lucratif. Si, une fois agréés, ces conventions ou accords collectifs s'imposent aux autorités de tarification, c'est sous la réserve de l'exception, prévue par cet article, " des conventions collectives de travail et conventions d'entreprise ou d'établissement applicables au personnel des établissements et services ayant conclu un contrat mentionné au IV ter de l'article L. 313-12 ou à l'article L. 313-12-2 ", c'est-à-dire un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens. Par suite, quand bien même la décision unilatérale du 26 octobre 2020 de la FEHAP, agréée par un arrêté du 8 décembre 2020, mentionne que le paiement de la revalorisation salariale qu'elle prévoit au bénéfice des personnels non-médicaux des EHPAD privés à but non lucratif est " conditionné à son financement par les pouvoirs publics ", cette disposition n'est, en tout état de cause, pas opposable aux autorités de tarification des établissements gérés par l'association requérante qui sont soumis à un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens.
7. En troisième lieu, si l'association requérante est susceptible de se prévaloir, à l'appui de son recours, de lignes directrices publiées par lesquelles le ministre chargé des affaires sociales détermine les conditions d'allocation, par les autorités de tarification compétentes relevant de son autorité, des ressources fixées en loi de financement de la sécurité sociale visant à couvrir les prestations des établissements et services sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes âgées et des personnes handicapées qui sont à la charge des organismes de sécurité sociale, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que l'instruction du 28 octobre 2020 " complémentaire à l'instruction du 5 juin 2020 relative aux orientations de l'exercice 2020 pour la campagne budgétaire des établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées ", la circulaire du 2 novembre 2020 " relative à la campagne tarifaire et budgétaire 2020 des établissements de santé ", la note d'information du 18 novembre 2020 " relative à la transposition de la revalorisation socle des rémunérations dans les établissements de santé privés et privés d'intérêt collectif, y compris en hospitalisation à domicile, mentionnés à l'article L. 6161-1 du code de la santé publique, et les EHPAD du secteur privé " et l'instruction du 26 janvier 2021 " complémentaire, relative aux orientations de l'exercice 2020 pour la campagne budgétaire des établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées " ne sont pas applicables à l'exercice 2021 en litige, quand bien même il serait procédé dans le cadre de l'exercice 2021 à un rattrapage de crédits concernant l'exercice 2020.
8. Pour sa part, l'instruction du 8 juin 2021 " relative aux orientations de l'exercice 2021 pour la campagne budgétaire des établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées ", si elle est applicable dans le cadre du présent litige, ne prévoit aucun engagement de couverture intégrale des coûts salariaux résultant du " Ségur de la santé ", mais seulement une méthode de répartition entre établissements, au prorata de leurs charges, des crédits disponibles en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
9. En quatrième lieu, dès lors, ainsi qu'il a été dit précédemment, qu'aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune des lignes directrices invoquées ne peut être comprise comme traduisant un " engagement " de l'Etat de financement par la sécurité sociale des coûts résultant pour les établissements concernés des mesures de revalorisation salariale pour les personnels non-médicaux des EHPAD privés à but non lucratif, l'association requérante ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir, ni de la propriété d'un bien que les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte, ni de l'espérance légitime constitutive d'un bien d'obtenir de l'Etat une somme d'argent à ce titre.
10. Par suite, la Cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumis en jugeant, sans en tout état de cause méconnaître le principe de sécurité juridique ou l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme, qu'il ne résultait pas des dispositions du 1° du I de l'article L. 314-2 de l'action sociale et des familles, dans leur rédaction applicables au litige, ni d'aucune autre disposition légale ou réglementaire, d'obligation pour l'Etat de prendre intégralement en charge l'ensemble des coûts résultant pour les établissements tels que ceux gérés par l'association requérante de sa décision unilatérale du 22 mars 2021 transposant la décision unilatérale du 26 octobre 2020 de la fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires et agréée par arrêté du 8 décembre 2020 du ministre des solidarités et de la santé, prise à la suite du " Ségur de la santé " en 2020, et que le directeur général de l'ARS n'était pas tenu de fixer le montant de la dotation globale de soins pour l'exercice 2021 afin de faire financer par l'assurance maladie l'intégralité des coûts de la revalorisation salariale résultant de la décision unilatérale du 22 mars 2021.
11. En dernier lieu, l'article L. 314-3 du code de l'action sociale et des familles prévoit, en son I, que : " Le financement des établissements et services mentionnés à l'article L. 314-3-1 qui sont à la charge des organismes de sécurité sociale est soumis à un objectif de dépenses fixé chaque année par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale, des affaires sociales et du budget. / (...) Sur la base de cet objectif, les mêmes ministres arrêtent, dans les quinze jours qui suivent la publication de la loi de financement de la sécurité sociale, le montant total annuel des dépenses prises en compte pour le calcul des dotations globales, forfaits, prix de journée et tarifs afférents aux prestations mentionnées au premier alinéa " et, en son II, que : " Le montant annuel mentionné au dernier alinéa du I ainsi que le montant des dotations prévues au troisième alinéa de l'article L. 312-5-2 sont répartis par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie en dotations régionales limitatives ". Dès lors que, sur le fondement de ces dispositions, les financements de l'assurance maladie sont accordés aux établissements d'hébergement de personnes âgées dépendantes dans la limite des dotations limitatives ainsi fixées en application de la loi de financement annuelle de la sécurité sociale, la Cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumis en jugeant, par un motif d'ailleurs surabondant, que l'association requérante ne saurait se prévaloir de ce que la dotation accordée par le directeur général de l'ARS ne lui permettrait pas de financer l'intégralité des coûts de la revalorisation salariale résultant de la mise en oeuvre du " Ségur de la santé " par la décision unilatérale du 22 mars 2021.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de l'association Odelia doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de l'association Odelia est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Odelia et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 juillet 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat et M. Jean-Luc Matt, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 18 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Luc Matt
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber
N° 498425
ECLI:FR:CECHR:2025:498425.20250718
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Jean-Luc Matt, rapporteur
CABINET MUNIER-APAIRE, avocats
Lecture du vendredi 18 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
L'association Odelia a demandé au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Lyon la réformation de la décision du 9 décembre 2021 du directeur général de l'agence régionale de santé d'Auvergne-Rhône-Alpes portant modification pour l'exercice 2021 du montant et de la répartition de la dotation globale de soins prévue par le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes " Le Verger des Coudry " à Cervens et " Le Bosquet de la Mandallaz " à Sillingy, selon des modalités permettant de financer l'intégralité des coûts de la revalorisation salariale décidée le 22 mars 2021, soit une dotation complémentaire de 71 611,41 euros. Par un jugement n° 22.004 du 26 juin 2023, le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Lyon a rejeté cette demande.
Par une décision n° A23.022 du 17 juin 2024, la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale a annulé ce jugement mais, statuant par la voie de l'évocation, a rejeté la demande de l'association Odelia.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un autre mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 octobre 2024 et 14 janvier, 10 juin et 27 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Odelia demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette décision ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Luc Matt, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Mathieu Le Coq, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Munier-Apaire, avocat de l'Association Odelia ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 11 juillet 2025, présentée par l'association Odelia ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'association Odelia, qui gère deux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) en Haute-Savoie, a demandé au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Lyon la réformation de la décision du 9 décembre 2021 du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) d'Auvergne-Rhône-Alpes portant modification pour l'exercice 2021 du montant et de la répartition de la dotation globale de soins prévue par le contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens 2018-2022. Par un jugement du 26 juin 2023, le tribunal a rejeté sa demande. Par une décision du 17 juin 2024, la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale a annulé ce jugement mais, statuant par la voie de l'évocation, a ensuite rejeté la demande de l'association Odelia. Cette dernière se pourvoit en cassation contre cette décision.
Sur la régularité de la décision attaquée :
2. Si l'association requérante fait valoir que la Cour a, en méconnaissance de l'article R. 351-34 du code de l'action sociale et des familles alors applicable, omis de mentionner, dans les visas de sa décision, le mémoire en réplique qu'elle avait présenté avant la clôture de l'instruction, une telle circonstance n'est, par elle-même, pas de nature à vicier la régularité de la décision attaquée dès lors qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que ces écritures n'apportaient aucun élément nouveau auquel il n'aurait pas été répondu dans les motifs de la décision.
Sur le bien-fondé de la décision attaquée :
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les accords dits du " Ségur de la santé ", signés le 13 juillet 2020 par le Premier ministre et le ministre des solidarités et de la santé, d'un côté, et certaines organisations syndicales représentant les professions médicales et paramédicales de la fonction publique hospitalière, de l'autre côté, prévoient des mesures de revalorisation salariale pour les agents des établissements de santé et des EHPAD publics, afin de prendre en compte les sujétions de ces métiers et de renforcer leur attractivité après l'épidémie de covid-19. Par une décision unilatérale du 26 octobre 2020, la fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP) a adopté les mêmes mesures de revalorisation salariale pour les personnels non-médicaux des EHPAD privés à but non lucratif dont elle représente les employeurs. Cette décision a été agréée par les ministres compétents, en application de l'article L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles, par un arrêté du 8 décembre 2020. L'association Odelia en a fait application aux établissements qu'elle gère par une décision unilatérale du 22 mars 2021.
4. En premier lieu, aux termes du I de l'article L. 314-2 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable au présent litige résultant de l'article 48 de la loi du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 : " Les établissements et services mentionnés au I et au II de l'article L. 313-12 sont financés par : / 1° Un forfait global relatif aux soins prenant en compte notamment le niveau de dépendance moyen et les besoins en soins requis des résidents mentionnés à l'article L. 314-9, validés au plus tard le 30 juin de l'année précédente. Le cas échéant, ce forfait global inclut des financements complémentaires relatifs notamment à des modalités d'accueil particulières, définis dans le contrat prévu au IV ter de l'article L. 313-12. Ce forfait global peut tenir compte de l'activité réalisée. Il peut financer des mesures de revalorisation salariale de personnels dont les rémunérations sont financées, en tout ou partie, par les forfaits mentionnés aux 2° et 3° du présent I. Les modalités de détermination du forfait global sont fixées par décret en Conseil d'Etat. / Le montant du forfait global de soins est arrêté annuellement par le directeur général de l'agence régionale de santé. / 2° Un forfait global relatif à la dépendance prenant en compte le niveau de dépendance moyen des résidents dans des conditions précisées par décret en Conseil d'Etat, fixé par un arrêté du président du conseil départemental et versé aux établissements par ce dernier au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie mentionnée à l'article L. 232-8 ; / 3° Des tarifs journaliers afférents à un ensemble de prestations relatives à l'hébergement, fixés par le président du conseil départemental, dans des conditions précisées par décret et opposables aux bénéficiaires de l'aide sociale accueillis dans des établissements habilités totalement ou partiellement à l'aide sociale à l'hébergement des personnes âgées. Ce décret détermine le contenu des tarifs journaliers afférents aux prestations relatives à l'hébergement qui ne peuvent comporter des dépenses intégrées dans les tarifs relatifs aux soins et à la dépendance cités respectivement aux 1° et 2°. (...) ". Le II de l'article R. 314-163 du même code précise que les financements complémentaires que le forfait global relatif aux soins peut inclure " peuvent (...) couvrir les dépenses : / (...) 8° Des mesures prises pour renforcer l'attractivité de l'exercice des professions ".
5. Ni le I de l'article de l'article L. 314-2 du code de l'action sociale et des familles, ni le II de l'article R. 314-163 du même code, dont il résulte des termes mêmes qu'ils prévoient seulement une faculté de financement des mesures de revalorisation salariale des personnels concernés par l'intermédiaire de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, ne permettent de caractériser un " engagement " de l'Etat, qui serait traduit par les dispositions issues de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, de prise en charge des coûts pour les établissements privés d'hébergement de personnes âgées dépendantes de la revalorisation salariale résultant de la mise en oeuvre du " Ségur de la santé ".
6. En deuxième lieu, l'article L. 314-6 du code de l'action sociale et des familles a prévu un mécanisme d'agrément obligatoire, par le ministre compétent, des accords collectifs de travail dans le secteur social et médico-social privé à but non lucratif. Si, une fois agréés, ces conventions ou accords collectifs s'imposent aux autorités de tarification, c'est sous la réserve de l'exception, prévue par cet article, " des conventions collectives de travail et conventions d'entreprise ou d'établissement applicables au personnel des établissements et services ayant conclu un contrat mentionné au IV ter de l'article L. 313-12 ou à l'article L. 313-12-2 ", c'est-à-dire un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens. Par suite, quand bien même la décision unilatérale du 26 octobre 2020 de la FEHAP, agréée par un arrêté du 8 décembre 2020, mentionne que le paiement de la revalorisation salariale qu'elle prévoit au bénéfice des personnels non-médicaux des EHPAD privés à but non lucratif est " conditionné à son financement par les pouvoirs publics ", cette disposition n'est, en tout état de cause, pas opposable aux autorités de tarification des établissements gérés par l'association requérante qui sont soumis à un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens.
7. En troisième lieu, si l'association requérante est susceptible de se prévaloir, à l'appui de son recours, de lignes directrices publiées par lesquelles le ministre chargé des affaires sociales détermine les conditions d'allocation, par les autorités de tarification compétentes relevant de son autorité, des ressources fixées en loi de financement de la sécurité sociale visant à couvrir les prestations des établissements et services sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes âgées et des personnes handicapées qui sont à la charge des organismes de sécurité sociale, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que l'instruction du 28 octobre 2020 " complémentaire à l'instruction du 5 juin 2020 relative aux orientations de l'exercice 2020 pour la campagne budgétaire des établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées ", la circulaire du 2 novembre 2020 " relative à la campagne tarifaire et budgétaire 2020 des établissements de santé ", la note d'information du 18 novembre 2020 " relative à la transposition de la revalorisation socle des rémunérations dans les établissements de santé privés et privés d'intérêt collectif, y compris en hospitalisation à domicile, mentionnés à l'article L. 6161-1 du code de la santé publique, et les EHPAD du secteur privé " et l'instruction du 26 janvier 2021 " complémentaire, relative aux orientations de l'exercice 2020 pour la campagne budgétaire des établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées " ne sont pas applicables à l'exercice 2021 en litige, quand bien même il serait procédé dans le cadre de l'exercice 2021 à un rattrapage de crédits concernant l'exercice 2020.
8. Pour sa part, l'instruction du 8 juin 2021 " relative aux orientations de l'exercice 2021 pour la campagne budgétaire des établissements sociaux et médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées ", si elle est applicable dans le cadre du présent litige, ne prévoit aucun engagement de couverture intégrale des coûts salariaux résultant du " Ségur de la santé ", mais seulement une méthode de répartition entre établissements, au prorata de leurs charges, des crédits disponibles en application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021.
9. En quatrième lieu, dès lors, ainsi qu'il a été dit précédemment, qu'aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune des lignes directrices invoquées ne peut être comprise comme traduisant un " engagement " de l'Etat de financement par la sécurité sociale des coûts résultant pour les établissements concernés des mesures de revalorisation salariale pour les personnels non-médicaux des EHPAD privés à but non lucratif, l'association requérante ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir, ni de la propriété d'un bien que les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte, ni de l'espérance légitime constitutive d'un bien d'obtenir de l'Etat une somme d'argent à ce titre.
10. Par suite, la Cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumis en jugeant, sans en tout état de cause méconnaître le principe de sécurité juridique ou l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme, qu'il ne résultait pas des dispositions du 1° du I de l'article L. 314-2 de l'action sociale et des familles, dans leur rédaction applicables au litige, ni d'aucune autre disposition légale ou réglementaire, d'obligation pour l'Etat de prendre intégralement en charge l'ensemble des coûts résultant pour les établissements tels que ceux gérés par l'association requérante de sa décision unilatérale du 22 mars 2021 transposant la décision unilatérale du 26 octobre 2020 de la fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires et agréée par arrêté du 8 décembre 2020 du ministre des solidarités et de la santé, prise à la suite du " Ségur de la santé " en 2020, et que le directeur général de l'ARS n'était pas tenu de fixer le montant de la dotation globale de soins pour l'exercice 2021 afin de faire financer par l'assurance maladie l'intégralité des coûts de la revalorisation salariale résultant de la décision unilatérale du 22 mars 2021.
11. En dernier lieu, l'article L. 314-3 du code de l'action sociale et des familles prévoit, en son I, que : " Le financement des établissements et services mentionnés à l'article L. 314-3-1 qui sont à la charge des organismes de sécurité sociale est soumis à un objectif de dépenses fixé chaque année par arrêté des ministres chargés de la sécurité sociale, des affaires sociales et du budget. / (...) Sur la base de cet objectif, les mêmes ministres arrêtent, dans les quinze jours qui suivent la publication de la loi de financement de la sécurité sociale, le montant total annuel des dépenses prises en compte pour le calcul des dotations globales, forfaits, prix de journée et tarifs afférents aux prestations mentionnées au premier alinéa " et, en son II, que : " Le montant annuel mentionné au dernier alinéa du I ainsi que le montant des dotations prévues au troisième alinéa de l'article L. 312-5-2 sont répartis par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie en dotations régionales limitatives ". Dès lors que, sur le fondement de ces dispositions, les financements de l'assurance maladie sont accordés aux établissements d'hébergement de personnes âgées dépendantes dans la limite des dotations limitatives ainsi fixées en application de la loi de financement annuelle de la sécurité sociale, la Cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumis en jugeant, par un motif d'ailleurs surabondant, que l'association requérante ne saurait se prévaloir de ce que la dotation accordée par le directeur général de l'ARS ne lui permettrait pas de financer l'intégralité des coûts de la revalorisation salariale résultant de la mise en oeuvre du " Ségur de la santé " par la décision unilatérale du 22 mars 2021.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi de l'association Odelia doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l'association Odelia est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Odelia et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré à l'issue de la séance du 9 juillet 2025 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Maud Vialettes, Mme Gaëlle Dumortier, présidentes de chambre ; M. Jean-Luc Nevache, M. Édouard Geffray, Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, M. Raphaël Chambon, M. Jean-Dominique Langlais, conseillers d'Etat et M. Jean-Luc Matt, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 18 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Jacques-Henri Stahl
Le rapporteur :
Signé : M. Jean-Luc Matt
Le secrétaire :
Signé : M. Hervé Herber