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Ariane Web: Conseil d'État 490262, lecture du 22 juillet 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:490262.20250722

Décision n° 490262
22 juillet 2025
Conseil d'État

N° 490262
ECLI:FR:CECHS:2025:490262.20250722
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
Mme Anne Laude, rapporteure
SCP BAUER-VIOLAS - FESCHOTTE-DESBOIS - SEBAGH, avocats


Lecture du mardi 22 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision implicite par laquelle la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande du 31 décembre 2021 tendant à ce que lui soit transmis l'ensemble des données relatives à son dossier d'allocataire de revenu de solidarité active, d'autre part, d'annuler la décision implicite par laquelle cette même autorité a confirmé la décision du 11 janvier 2022 par laquelle le directeur de la caisse d'allocations familiales des Bouches-du-Rhône l'a radié de la liste des bénéficiaires du revenu de solidarité active et, enfin, d'enjoindre à la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône de lui communiquer l'ensemble des données demandées et de rétablir ses droits au revenu de solidarité active. Par un jugement n° 2203643 du 10 octobre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 19 décembre 2023 et les 18 mars et 1er octobre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône, de la caisse d'allocation familiales de ce département et de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Laude, conseillère d'Etat,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Delamarre, Jehannin, avocat de M. A... et à la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, Sebagh, avocat du département des Bouches-du-Rhône ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un courrier du 11 janvier 2022, implicitement confirmé par le président du conseil départemental sur le recours préalable de M. A..., le directeur de la caisse d'allocations familiales des Bouches-du-Rhône a radié ce dernier de la liste des bénéficiaires du revenu de solidarité active au motif notamment qu'il avait omis de déclarer une partie de son épargne, faisant ainsi obstacle au calcul de ses droits. Par un jugement du 10 octobre 2023 contre lequel M. A... se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant notamment à l'annulation de la décision implicite par laquelle le président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a confirmé sa radiation de la liste des bénéficiaires du revenu de solidarité active et au rétablissement de ses droits à cette allocation.

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles : " Toute personne résidant en France de manière stable et effective, dont le foyer dispose de ressources inférieures à un montant forfaitaire, a droit au revenu de solidarité active dans les conditions définies au présent chapitre " et aux termes de l'article L. 262-3 du même code : " (...) L'ensemble des ressources du foyer, y compris celles qui sont mentionnées à l'article L. 132-1, est pris en compte pour le calcul du revenu de solidarité active, dans les conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat qui détermine notamment : / (...) 2° Les modalités d'évaluation des ressources (...) ". Le premier alinéa de l'article R. 262-6 de ce code dispose que : " Les ressources prises en compte pour la détermination du montant du revenu de solidarité active comprennent, sous les réserves et selon les modalités figurant au présent chapitre, l'ensemble des ressources, de quelque nature qu'elles soient, de toutes les personnes composant le foyer, et notamment les avantages en nature ainsi que les revenus procurés par des biens mobiliers et immobiliers et par des capitaux ". Le premier alinéa de l'article L. 132-1 de ce code prévoit qu' : " Il est tenu compte, pour l'appréciation des ressources des postulants à l'aide sociale, des revenus professionnels et autres et de la valeur en capital des biens non productifs de revenu, qui est évaluée dans les conditions fixées par voie réglementaire " et aux termes de l'article R. 132-1 de ce code : " Pour l'appréciation des ressources des postulants prévue à l'article L. 132-1, les biens non productifs de revenu, à l'exclusion de ceux constituant l'habitation principale du demandeur, sont considérés comme procurant un revenu annuel égal à 50 % de leur valeur locative s'il s'agit d'immeubles bâtis, à 80 % de cette valeur s'il s'agit de terrains non bâtis et à 3 % du montant des capitaux ". En outre, l'article L. 262-21 de ce code prévoit qu'il est procédé au réexamen périodique du montant de l'allocation, cette périodicité étant trimestrielle en vertu de l'article R. 262-4 du même code. Aux termes du II de l'article R. 262-7 de ce code dans sa rédaction applicable au litige : " Pour le calcul de l'allocation, les ressources du trimestre de référence prises en compte sont les suivantes : / 1° La moyenne mensuelle des ressources perçues au cours des trois mois précédant la demande ou la révision ; / 2° Le montant mensuel des prestations versées par l'organisme chargé du service du revenu de solidarité active, sous réserve des dispositions des articles R. 262-10 et R. 262-11. Ces prestations sont intégralement affectées au mois de perception ; / 3° Le montant des ressources ayant le caractère de revenus professionnels ou en tenant lieu mentionnées à l'article R. 262-12 présentant un caractère exceptionnel. Celles-ci sont intégralement affectées au mois de perception ".

3. D'autre part, l'article L. 262-37 du code de l'action sociale et des familles dispose, dans sa rédaction applicable au litige, que : " Sauf décision prise au regard de la situation particulière du bénéficiaire, le versement du revenu de solidarité active est suspendu, en tout ou partie, par le président du conseil départemental : / (...) 4° ou lorsque le bénéficiaire refuse de se soumettre aux contrôles prévus par le présent chapitre (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 262-38 de ce code dans sa rédaction applicable au litige : " Le président du conseil départemental procède à la radiation de la liste des bénéficiaires du revenu de solidarité active au terme d'une période, définie par décret, sans versement du revenu de solidarité active (...) ". L'article R. 262-37 du même code dispose que : " Le bénéficiaire de l'allocation de revenu de solidarité active est tenu de faire connaître à l'organisme chargé du service de la prestation toutes informations relatives à sa résidence, à sa situation de famille, aux activités, aux ressources et aux biens des membres du foyer ; il doit faire connaître à cet organisme tout changement intervenu dans l'un ou l'autre de ces éléments ".

4. Il résulte de la combinaison des dispositions citées aux points 2 et 3 que le bénéficiaire du revenu de solidarité active est dans l'obligation de faire connaître trimestriellement à l'organisme chargé du service de la prestation toute information relative aux activités, aux ressources et aux biens, dont le capital placé, des membres du foyer, ainsi que tout changement en la matière, cette obligation ayant notamment pour objet de permettre à l'organisme chargé du versement de l'allocation de s'assurer que le bénéficiaire remplit les conditions d'ouverture des droits et de déterminer le montant de l'allocation due le cas échéant. De plus, s'agissant du capital placé, seules peuvent être évaluées sur la base forfaitaire prévue par les articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de l'action sociale et des familles les ressources que l'allocataire est supposé pouvoir retirer de biens non productifs de revenu. Les intérêts produits par un placement financier doivent être intégralement pris en compte au titre des ressources du mois au cours duquel ils sont perçus, sans qu'il y ait lieu, pour les autres mois, de traiter ce placement comme un bien non productif de revenus. Il s'ensuit que si le bénéficiaire du revenu de solidarité active est tenu de déclarer trimestriellement à l'organisme chargé du service de la prestation l'ensemble du capital dont il dispose, il ne peut être exigé de lui qu'il y procède sans que puisse être distingué le capital placé productif de revenu de celui qui n'en produit pas, alors que cette absence de distinction peut avoir pour conséquence la prise en compte indue sur la base forfaitaire prévue aux articles L.132-1 et R. 132-1 du code de l'action sociale et des familles des biens productifs de revenu de ce bénéficiaire dans le calcul de ses droits au revenu de solidarité active.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'épargne non déclarée par M. A... dans ses déclarations trimestrielles de ressources est constituée de placements productifs de revenus dont il avait fait connaître l'existence par ailleurs à la caisse d'allocations familiales. Il en ressort également, de surcroît, qu'en s'abstenant de déclarer sur ce formulaire le montant de ses capitaux répartis sur un livret A, un livret de développement durable et un livret de caisse d'épargne, M. A... a suivi les consignes qui lui avaient été données dans ses échanges avec la caisse d'allocations familiales et qu'antérieurement, à plusieurs reprises, lorsqu'ils avaient été déclarés, les revenus de ces montants d'épargne avaient été retenus sur la base forfaitaire prévue par les articles L. 132-1 et R. 132-1 du code de l'action sociale et des familles pour le calcul de ses droits au revenu de solidarité active avant une régularisation ultérieure, au demeurant non systématique et intervenue dans le cadre de procédures contentieuses que l'intéressé avait dû intenter, une fois les intérêts de ces placements perçus. Par suite, il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'en retenant que M. A... n'avait pas renseigné de manière trimestrielle l'intégralité de son épargne, pour en déduire qu'il n'était pas fondé à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le président du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a confirmé sa radiation de la liste des bénéficiaires du revenu de solidarité active, le tribunal administratif a commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

6. Il s'ensuit, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, que M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement qu'il attaque.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône une somme de 3 000 euros à verser à M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 10 octobre 2023 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Marseille.
Article 3 : Le département des Bouches-du-Rhône versera à M. A... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions du département des Bouches-du-Rhône présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au département des Bouches-du-Rhône.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 juillet 2025 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Edouard Geffray, conseiller d'Etat et Mme Anne Laude, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 22 juillet 2025.


La présidente :
Signé : Mme Gaëlle Dumortier
La rapporteure :
Signé : Mme Anne Laude
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly