Conseil d'État
N° 494413
ECLI:FR:CECHS:2025:494413.20250722
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
M. Cyril Noël, rapporteur
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats
Lecture du mardi 22 juillet 2025
Vu la procédure suivante :
M. C... D... et Mme B... A..., ainsi que l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez, ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 février 2019 par lequel le maire de Ramatuelle (Var) a délivré à la société par actions simplifiée Rama un permis de construire valant autorisation de travaux dans un établissement recevant du public pour l'édification d'une construction réversible à l'usage de restaurant de plage dans le secteur de Tamaris sur la plage de Pampelonne, ainsi que, pour les premiers, l'arrêté rectificatif du 5 avril 2019 portant sur le même objet. Par un jugement nos 1901090, 1901093 du 22 mars 2022, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à ces demandes.
Par un arrêt n° 22MA01347 du 21 mars 2024, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Rama contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 mai et 21 août 2024 et le 26 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Rama demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge solidaire de M. D... et Mme A... et de l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Rama, à la SCP Delamarre, Jehannin, avocat de l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez et à la SAS Hannotin avocats, avocat de M. D... et de Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 5 février 2019, rectifié le 5 avril 2019, le maire de Ramatuelle a délivré à la société Rama un permis de construire valant autorisation de travaux dans un établissement recevant du public pour l'édification d'une construction réversible à l'usage de restaurant de plage sur le lot T3d devenu lot n° 5 de la parcelle cadastrée section AE n° 74 située dans le secteur de Tamaris de la plage de Pampelonne. Par un jugement du 22 mars 2022, le tribunal administratif de Toulon a fait droit aux demandes de M. D... et Mme A... et de l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez en annulant les arrêtés des 5 février et 5 avril 2019. La société Rama se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 mars 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Lorsqu'un tiers saisit un tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation d'une autorisation administrative individuelle, le tribunal doit, lorsqu'il instruit l'affaire, appeler dans l'instance la personne qui a délivré l'autorisation attaquée ainsi que le bénéficiaire de celle-ci. Conformément aux dispositions de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, cette communication confère à ces personnes la qualité de parties en défense qui les rend recevables à faire appel du jugement annulant l'autorisation, alors même qu'elles n'auraient produit aucune défense en première instance. Lorsque l'une d'elles fait seule régulièrement appel dans le délai, le juge d'appel peut communiquer pour observations cet appel aux autres parties au litige en première instance, au nombre desquelles figure la personne défenderesse en première instance qui s'est abstenue de faire appel. Il n'en a pas l'obligation.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Ramatuelle, défenderesse en première instance, n'a pas formé l'appel qu'elle aurait été recevable à présenter contre le jugement du 22 mars 2022 du tribunal administratif de Toulon annulant les arrêtés des 5 février et 5 avril 2019 par lesquels le maire de la commune avait délivré à la société Rama un permis de construire un restaurant de plage. Par suite, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la société Rama n'est pas fondée à soutenir que l'arrêt qu'elle attaque est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière, alors au demeurant qu'elle ne peut utilement invoquer une telle irrégularité qui n'affecte pas le respect du caractère contradictoire de la procédure à son égard, la cour administrative d'appel de Marseille n'ayant pas communiqué pour observations à la commune l'appel qu'elle avait formé, ce qu'elle avait la faculté, mais non pas l'obligation, de faire.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la requête d'appel :
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'article 14 des statuts de l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez autorise son président à introduire une action en justice en son nom. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en écartant la fin de non-recevoir opposée par la société Rama, tirée de ce que le président de l'association aurait dû être préalablement mandaté par son conseil d'administration pour agir en justice.
En ce qui concerne la légalité interne des arrêtés litigieux :
5. Aux termes de l'article L. 121-28 du code de l'urbanisme : " Afin de réduire les conséquences sur une plage et les espaces naturels qui lui sont proches de nuisances ou de dégradations liées à la présence d'équipements ou de constructions réalisés avant le 5 janvier 1986, une commune ou, le cas échéant, un établissement public de coopération intercommunale compétent peut établir un schéma d'aménagement. " Aux termes de l'article L. 121-30 du même code : " Afin d'améliorer les conditions d'accès au domaine public maritime, le schéma d'aménagement peut, à titre dérogatoire, autoriser le maintien ou la reconstruction d'une partie des équipements ou constructions existants à l'intérieur de la bande littorale définie à l'article L. 121-16, dès lors que ceux-ci sont de nature à permettre de concilier les objectifs de préservation de l'environnement et d'organisation de la fréquentation touristique. " Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 121-8 du même code : " Le schéma approuvé est annexé au plan local d'urbanisme. "
6. En premier lieu, aux termes des dispositions du règlement du plan local d'urbanisme de Ramatuelle relatives à la zone N : " La zone N est divisée en différents secteurs : (...) / Secteur Np : soumis aux dispositions spéciales énoncées par le Schéma d'Aménagement de la Plage de Pampelonne annexé au plan local d'urbanisme (...) ".
7. D'une part, aux termes de l'article N2 du règlement du plan local d'urbanisme de Ramatuelle : " 1. Seules peuvent être autorisées les occupations et les utilisations du sol ci-après, sous réserve des dispositions prévues pour les secteurs spécifiques (...). / 7. Dans le secteur Np : / a. Les constructions, installations et aménagements dans les conditions prescrites par le Schéma d'aménagement de la Plage de Pampelonne annexé au plan local d'urbanisme. (...) ". Aux termes de l'article 2 des prescriptions du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne : " 2.1. Zones Zp / Seuls sont autorisés la construction, l'entretien et la réhabilitation des constructions et équipements liées à l'activité balnéaire dans le cadre de la mise en oeuvre des concessions de plage naturelle : / 2.1.a. A l'avant de la dune sur le domaine public maritime, peuvent seules être autorisées des constructions à caractère " démontable " (...). / 2.1.b. A l'arrière de la dune en dehors du domaine public maritime, peuvent être autorisées des constructions à caractère " réversible " (...) / 2.4 Hors zones Zp, Zap et cordon dunaire / Peuvent seuls être autorisés : / a) les cheminements piétonniers et cyclables et les sentes équestres ni cimentés, ni bitumés, les objets mobiliers destinés à l'accueil ou à l'information du public, les postes d'observation de la faune ainsi que les équipements démontables liés à l'hygiène et à la sécurité tels que les toilettes publiques et les postes de secours - la localisation précise de ces équipements pourra évoluer dans l'intérêt de la gestion du site et de la sécurité du public ; / b) Les aires de stationnement indispensables à la maîtrise de la fréquentation automobile et à la prévention de la dégradation de ces espaces par la résorption du stationnement irrégulier, sans qu'il en résulte un accroissement des capacités effectives de stationnement ".
8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, si le terrain d'assiette du projet litigieux, qui est inclus dans le périmètre du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne, est situé pour partie dans une des zones Zp qu'identifie celui-ci, ce n'est pas le cas de l'aire de retournement que comporte sa voie de desserte, qui n'est pas non plus située dans une zone Zap ou sur le cordon dunaire. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant que l'implantation de cette aire de retournement, qui n'est pas l'accessoire d'une aire de stationnement, méconnaissait les dispositions de l'article 2 des prescriptions du schéma d'aménagement.
9. D'autre part, aux termes de l'article N3 du règlement du plan local d'urbanisme de Ramatuelle : " 1. Les constructions ou installations devront être desservies par des voies publiques ou privées ayant des caractéristiques adaptées à l'approche du matériel de lutte contre l'incendie, de la sécurité civile et du ramassage des ordures ménagères. / 2. Les accès sur voies publiques doivent être aménagés de façon à éviter toute perturbation et tout danger pour la circulation générale. / 3. Les voies en impasse doivent être aménagées de telle sorte que les véhicules puissent faire demi-tour sur une aire de manoeuvre de caractéristiques satisfaisantes. "
10. La cour, qui a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que le permis de construire litigieux prévoyait que le projet de restaurant soit desservi par une voie d'accès traversant la parcelle cadastrée section AE n° 76 appartenant à Mme A... et non pas par le chemin des Tamaris qui longe cette parcelle en franchissant le cordon dunaire, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que ce projet était soumis aux dispositions de l'article N3 du règlement du plan local d'urbanisme relatif aux voies d'accès, celui-ci étant applicable, en l'absence de toute disposition contraire, aux constructions situées en zone Np.
11. En second lieu, aux termes de l'article L. 600-5-1 du même code : " Sans préjudice de la mise en oeuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ".
12. Il résulte de cet article qu'un vice entachant le bien-fondé d'une autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé dans les conditions qu'il prévoit, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.
13. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé, en premier lieu, que le permis de construire litigieux, qui prévoyait que le restaurant soit desservi par une voie privée traversant la parcelle de Mme A... sans faire état de l'existence d'une servitude de passage, méconnaissait les dispositions de l'article N3 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Ramatuelle et de l'article R. 431-9 du code de l'urbanisme et, en second lieu, qu'il n'y avait pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme au motif que le vice tiré de l'illégalité de la voie d'accès n'était pas régularisable compte tenu, d'une part, du refus de Mme A... de concéder une servitude de passage sur les parcelles voisines du terrain d'assiette du projet litigieux qu'elle possède et, d'autre part, des dispositions du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne, qui s'opposent à ce que l'accès à un restaurant situé à l'arrière de la dune, hors du domaine public maritime, soit assuré par une voie franchissant le cordon dunaire.
14. Aux termes de l'article 3 des prescriptions du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne : " 3.1. Accès / Les circulations et stationnements des véhicules à moteur sont interdits sur la plage et le cordon dunaire. / Sont seuls autorisés : / les circulations et stationnements nécessaires au démontage/remontage des constructions démontables autorisées sur le domaine public maritime, / les circulations et stationnements des véhicules de service sur les chemins aménagés et voie de desserte des lots, / les circulations et stationnements des véhicules de sécurité et autres services publics. (...) / 3.2. Voirie / Pour pouvoir bénéficier d'un permis de construire, tout bâtiment est obligatoirement accessible par une voirie de desserte mentionnée au plan de zonage, à l'exception des bâtiments nécessaires à des services publics tels que postes de secours et sanitaires. / Les livraisons empruntent le même chemin que les usagers des établissements. "
15. Il résulte de ces dispositions que la circulation des véhicules à moteur est interdite sur les voies franchissant le cordon dunaire, à l'exception, d'une part, des véhicules des services publics et, d'autre part, des véhicules nécessaires au démontage et remontage des établissements implantés à l'avant de la dune, sur le domaine public maritime, ainsi qu'à leur fonctionnement et à leur approvisionnement. Par suite, en refusant de recourir à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme au motif que le projet litigieux, qui est un restaurant accueillant du public situé à l'arrière de la dune, hors du domaine public maritime, ne pourrait, sans méconnaître les dispositions du schéma d'aménagement de la plage, être desservi par le chemin des Tamaris, dont il n'est pas contesté qu'il franchit le cordon dunaire, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Rama n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. D... et Mme A... et de l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Rama une somme de 1 500 euros à verser à l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez et une somme globale de 1 500 euros à verser à M. D... et Mme A..., au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de la société Rama est rejeté.
Article 2 : La société Rama versera, d'une part, une somme de 1 500 euros à l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez et, d'autre part, une somme globale de 1 500 euros à M. D... et Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Rama, à l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez, à M. C... D... et à Mme B... A...
Copie en sera adressée à la commune de Ramatuelle.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 juillet 2025 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Edouard Geffray, conseiller d'Etat et M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 22 juillet 2025.
La présidente :
Signé : Mme Gaëlle Dumortier
Le rapporteur :
Signé : M. Cyril Noël
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly
N° 494413
ECLI:FR:CECHS:2025:494413.20250722
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
M. Cyril Noël, rapporteur
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats
Lecture du mardi 22 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. C... D... et Mme B... A..., ainsi que l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez, ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 5 février 2019 par lequel le maire de Ramatuelle (Var) a délivré à la société par actions simplifiée Rama un permis de construire valant autorisation de travaux dans un établissement recevant du public pour l'édification d'une construction réversible à l'usage de restaurant de plage dans le secteur de Tamaris sur la plage de Pampelonne, ainsi que, pour les premiers, l'arrêté rectificatif du 5 avril 2019 portant sur le même objet. Par un jugement nos 1901090, 1901093 du 22 mars 2022, le tribunal administratif de Toulon a fait droit à ces demandes.
Par un arrêt n° 22MA01347 du 21 mars 2024, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Rama contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 mai et 21 août 2024 et le 26 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Rama demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge solidaire de M. D... et Mme A... et de l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Cyril Noël, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Rama, à la SCP Delamarre, Jehannin, avocat de l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez et à la SAS Hannotin avocats, avocat de M. D... et de Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 5 février 2019, rectifié le 5 avril 2019, le maire de Ramatuelle a délivré à la société Rama un permis de construire valant autorisation de travaux dans un établissement recevant du public pour l'édification d'une construction réversible à l'usage de restaurant de plage sur le lot T3d devenu lot n° 5 de la parcelle cadastrée section AE n° 74 située dans le secteur de Tamaris de la plage de Pampelonne. Par un jugement du 22 mars 2022, le tribunal administratif de Toulon a fait droit aux demandes de M. D... et Mme A... et de l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez en annulant les arrêtés des 5 février et 5 avril 2019. La société Rama se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 21 mars 2024 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement.
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
2. Lorsqu'un tiers saisit un tribunal administratif d'une demande tendant à l'annulation d'une autorisation administrative individuelle, le tribunal doit, lorsqu'il instruit l'affaire, appeler dans l'instance la personne qui a délivré l'autorisation attaquée ainsi que le bénéficiaire de celle-ci. Conformément aux dispositions de l'article R. 811-1 du code de justice administrative, cette communication confère à ces personnes la qualité de parties en défense qui les rend recevables à faire appel du jugement annulant l'autorisation, alors même qu'elles n'auraient produit aucune défense en première instance. Lorsque l'une d'elles fait seule régulièrement appel dans le délai, le juge d'appel peut communiquer pour observations cet appel aux autres parties au litige en première instance, au nombre desquelles figure la personne défenderesse en première instance qui s'est abstenue de faire appel. Il n'en a pas l'obligation.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la commune de Ramatuelle, défenderesse en première instance, n'a pas formé l'appel qu'elle aurait été recevable à présenter contre le jugement du 22 mars 2022 du tribunal administratif de Toulon annulant les arrêtés des 5 février et 5 avril 2019 par lesquels le maire de la commune avait délivré à la société Rama un permis de construire un restaurant de plage. Par suite, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la société Rama n'est pas fondée à soutenir que l'arrêt qu'elle attaque est intervenu à la suite d'une procédure irrégulière, alors au demeurant qu'elle ne peut utilement invoquer une telle irrégularité qui n'affecte pas le respect du caractère contradictoire de la procédure à son égard, la cour administrative d'appel de Marseille n'ayant pas communiqué pour observations à la commune l'appel qu'elle avait formé, ce qu'elle avait la faculté, mais non pas l'obligation, de faire.
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
En ce qui concerne la recevabilité de la requête d'appel :
4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'article 14 des statuts de l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez autorise son président à introduire une action en justice en son nom. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en écartant la fin de non-recevoir opposée par la société Rama, tirée de ce que le président de l'association aurait dû être préalablement mandaté par son conseil d'administration pour agir en justice.
En ce qui concerne la légalité interne des arrêtés litigieux :
5. Aux termes de l'article L. 121-28 du code de l'urbanisme : " Afin de réduire les conséquences sur une plage et les espaces naturels qui lui sont proches de nuisances ou de dégradations liées à la présence d'équipements ou de constructions réalisés avant le 5 janvier 1986, une commune ou, le cas échéant, un établissement public de coopération intercommunale compétent peut établir un schéma d'aménagement. " Aux termes de l'article L. 121-30 du même code : " Afin d'améliorer les conditions d'accès au domaine public maritime, le schéma d'aménagement peut, à titre dérogatoire, autoriser le maintien ou la reconstruction d'une partie des équipements ou constructions existants à l'intérieur de la bande littorale définie à l'article L. 121-16, dès lors que ceux-ci sont de nature à permettre de concilier les objectifs de préservation de l'environnement et d'organisation de la fréquentation touristique. " Aux termes du dernier alinéa de l'article R. 121-8 du même code : " Le schéma approuvé est annexé au plan local d'urbanisme. "
6. En premier lieu, aux termes des dispositions du règlement du plan local d'urbanisme de Ramatuelle relatives à la zone N : " La zone N est divisée en différents secteurs : (...) / Secteur Np : soumis aux dispositions spéciales énoncées par le Schéma d'Aménagement de la Plage de Pampelonne annexé au plan local d'urbanisme (...) ".
7. D'une part, aux termes de l'article N2 du règlement du plan local d'urbanisme de Ramatuelle : " 1. Seules peuvent être autorisées les occupations et les utilisations du sol ci-après, sous réserve des dispositions prévues pour les secteurs spécifiques (...). / 7. Dans le secteur Np : / a. Les constructions, installations et aménagements dans les conditions prescrites par le Schéma d'aménagement de la Plage de Pampelonne annexé au plan local d'urbanisme. (...) ". Aux termes de l'article 2 des prescriptions du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne : " 2.1. Zones Zp / Seuls sont autorisés la construction, l'entretien et la réhabilitation des constructions et équipements liées à l'activité balnéaire dans le cadre de la mise en oeuvre des concessions de plage naturelle : / 2.1.a. A l'avant de la dune sur le domaine public maritime, peuvent seules être autorisées des constructions à caractère " démontable " (...). / 2.1.b. A l'arrière de la dune en dehors du domaine public maritime, peuvent être autorisées des constructions à caractère " réversible " (...) / 2.4 Hors zones Zp, Zap et cordon dunaire / Peuvent seuls être autorisés : / a) les cheminements piétonniers et cyclables et les sentes équestres ni cimentés, ni bitumés, les objets mobiliers destinés à l'accueil ou à l'information du public, les postes d'observation de la faune ainsi que les équipements démontables liés à l'hygiène et à la sécurité tels que les toilettes publiques et les postes de secours - la localisation précise de ces équipements pourra évoluer dans l'intérêt de la gestion du site et de la sécurité du public ; / b) Les aires de stationnement indispensables à la maîtrise de la fréquentation automobile et à la prévention de la dégradation de ces espaces par la résorption du stationnement irrégulier, sans qu'il en résulte un accroissement des capacités effectives de stationnement ".
8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, si le terrain d'assiette du projet litigieux, qui est inclus dans le périmètre du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne, est situé pour partie dans une des zones Zp qu'identifie celui-ci, ce n'est pas le cas de l'aire de retournement que comporte sa voie de desserte, qui n'est pas non plus située dans une zone Zap ou sur le cordon dunaire. Par suite, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en jugeant que l'implantation de cette aire de retournement, qui n'est pas l'accessoire d'une aire de stationnement, méconnaissait les dispositions de l'article 2 des prescriptions du schéma d'aménagement.
9. D'autre part, aux termes de l'article N3 du règlement du plan local d'urbanisme de Ramatuelle : " 1. Les constructions ou installations devront être desservies par des voies publiques ou privées ayant des caractéristiques adaptées à l'approche du matériel de lutte contre l'incendie, de la sécurité civile et du ramassage des ordures ménagères. / 2. Les accès sur voies publiques doivent être aménagés de façon à éviter toute perturbation et tout danger pour la circulation générale. / 3. Les voies en impasse doivent être aménagées de telle sorte que les véhicules puissent faire demi-tour sur une aire de manoeuvre de caractéristiques satisfaisantes. "
10. La cour, qui a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que le permis de construire litigieux prévoyait que le projet de restaurant soit desservi par une voie d'accès traversant la parcelle cadastrée section AE n° 76 appartenant à Mme A... et non pas par le chemin des Tamaris qui longe cette parcelle en franchissant le cordon dunaire, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que ce projet était soumis aux dispositions de l'article N3 du règlement du plan local d'urbanisme relatif aux voies d'accès, celui-ci étant applicable, en l'absence de toute disposition contraire, aux constructions situées en zone Np.
11. En second lieu, aux termes de l'article L. 600-5-1 du même code : " Sans préjudice de la mise en oeuvre de l'article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation, même après l'achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé ".
12. Il résulte de cet article qu'un vice entachant le bien-fondé d'une autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé dans les conditions qu'il prévoit, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même.
13. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour a jugé, en premier lieu, que le permis de construire litigieux, qui prévoyait que le restaurant soit desservi par une voie privée traversant la parcelle de Mme A... sans faire état de l'existence d'une servitude de passage, méconnaissait les dispositions de l'article N3 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Ramatuelle et de l'article R. 431-9 du code de l'urbanisme et, en second lieu, qu'il n'y avait pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme au motif que le vice tiré de l'illégalité de la voie d'accès n'était pas régularisable compte tenu, d'une part, du refus de Mme A... de concéder une servitude de passage sur les parcelles voisines du terrain d'assiette du projet litigieux qu'elle possède et, d'autre part, des dispositions du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne, qui s'opposent à ce que l'accès à un restaurant situé à l'arrière de la dune, hors du domaine public maritime, soit assuré par une voie franchissant le cordon dunaire.
14. Aux termes de l'article 3 des prescriptions du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne : " 3.1. Accès / Les circulations et stationnements des véhicules à moteur sont interdits sur la plage et le cordon dunaire. / Sont seuls autorisés : / les circulations et stationnements nécessaires au démontage/remontage des constructions démontables autorisées sur le domaine public maritime, / les circulations et stationnements des véhicules de service sur les chemins aménagés et voie de desserte des lots, / les circulations et stationnements des véhicules de sécurité et autres services publics. (...) / 3.2. Voirie / Pour pouvoir bénéficier d'un permis de construire, tout bâtiment est obligatoirement accessible par une voirie de desserte mentionnée au plan de zonage, à l'exception des bâtiments nécessaires à des services publics tels que postes de secours et sanitaires. / Les livraisons empruntent le même chemin que les usagers des établissements. "
15. Il résulte de ces dispositions que la circulation des véhicules à moteur est interdite sur les voies franchissant le cordon dunaire, à l'exception, d'une part, des véhicules des services publics et, d'autre part, des véhicules nécessaires au démontage et remontage des établissements implantés à l'avant de la dune, sur le domaine public maritime, ainsi qu'à leur fonctionnement et à leur approvisionnement. Par suite, en refusant de recourir à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme au motif que le projet litigieux, qui est un restaurant accueillant du public situé à l'arrière de la dune, hors du domaine public maritime, ne pourrait, sans méconnaître les dispositions du schéma d'aménagement de la plage, être desservi par le chemin des Tamaris, dont il n'est pas contesté qu'il franchit le cordon dunaire, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Rama n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de M. D... et Mme A... et de l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Rama une somme de 1 500 euros à verser à l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez et une somme globale de 1 500 euros à verser à M. D... et Mme A..., au titre de ces mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Rama est rejeté.
Article 2 : La société Rama versera, d'une part, une somme de 1 500 euros à l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez et, d'autre part, une somme globale de 1 500 euros à M. D... et Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Rama, à l'association Vivre dans la presqu'île de Saint-Tropez, à M. C... D... et à Mme B... A...
Copie en sera adressée à la commune de Ramatuelle.
Délibéré à l'issue de la séance du 3 juillet 2025 où siégeaient : Mme Gaëlle Dumortier, présidente de chambre, présidant ; M. Edouard Geffray, conseiller d'Etat et M. Cyril Noël, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 22 juillet 2025.
La présidente :
Signé : Mme Gaëlle Dumortier
Le rapporteur :
Signé : M. Cyril Noël
La secrétaire :
Signé : Mme Paule Troly