Conseil d'État
N° 493126
ECLI:FR:CECHR:2025:493126.20250724
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. David Gaudillère, rapporteur
Lecture du jeudi 24 juillet 2025
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 3 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Notre affaire à tous demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 31 janvier 2024 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relative à la mise en oeuvre de la réforme vers le " zéro artificialisation nette des sols " ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ;
- le décret n° 2022-762 du 29 avril 2022 ;
- le décret n° 2023-1097 du 27 novembre 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a fixé à son article 191 " l'objectif national d'absence de toute artificialisation nette des sols en 2050 ". En outre, l'article 194 de cette loi a prévu, pour la première tranche de dix années suivant sa promulgation, c'est-à-dire pour la période comprise entre 2021 et 2031, un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers par comparaison avec la consommation de tels espaces observée au cours de la décennie précédente. Ces objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et de réduction de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers doivent, aux termes de cet article 194, être intégrés au plus tard le 22 novembre 2024 dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), au plus tard le 22 février 2027 dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et, en l'absence de SCoT, au plus tard le 22 février 2028 dans les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les cartes communales. Si le SCOT modifié ou révisé n'est pas entré en vigueur dans ces délais, les ouvertures à l'urbanisation sont suspendues. Si le PLU ou la carte communale modifié ou révisé n'est pas entré en vigueur dans ces délais, aucune autorisation d'urbanisme ne peut être délivrée dans une zone à urbaniser du PLU ou dans les secteurs de la carte communale où les constructions sont autorisées. Par ailleurs, le 14° du même article 194 prévoit que, dans le cadre de la mise en oeuvre de ces objectifs, l'autorité compétente pour délivrer les autorisations d'urbanisme peut surseoir à statuer sur une demande d'autorisation d'urbanisme entraînant une consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers qui pourrait compromettre l'atteinte des objectifs de réduction de cette consommation susceptible d'être fixés par le document d'urbanisme en cours d'élaboration ou de modification, durant la première tranche de dix années mentionnée ci-dessus.
2. L'association Notre affaire à tous demande l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du 31 janvier 2024 relative à la mise en oeuvre de la réforme vers le " zéro artificialisation nette des sols ".
Sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation :
3. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.
4. Si la circulaire attaquée, dont l'objectif est de faciliter la mise en oeuvre territoriale de la politique de lutte contre l'artificialisation des sol, est adressée aux seuls agents des services de l'Etat, elle est susceptible, tant par l'interprétation des dispositions législatives et réglementaires applicables qu'elle contient que par les instructions qu'elle formule, notamment s'agissant du dialogue entre les services déconcentrés de l'Etat et les collectivités territoriales et des modalités d'exercice par ces services du contrôle de légalité, d'avoir des effets notables sur la situation des collectivités territoriales chargées de la déclinaison, dans les documents de planification régionale et les documents d'urbanisme, des objectifs de réduction de consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers fixés par la loi pour la période de 2021 à 2031. Doit par suite être écartée la fin de non-recevoir opposée par la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, tirée de ce que la circulaire attaquée serait insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
Sur le cadre juridique applicable :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : " La région, à l'exception de la région d'Ile-de-France, des régions d'outre-mer et des collectivités territoriales à statut particulier exerçant les compétences d'une région, élabore un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires. / Ce schéma fixe les objectifs de moyen et long termes sur le territoire de la région en matière (...) de lutte contre l'artificialisation des sols (...). En matière de lutte contre l'artificialisation des sols, les objectifs fixés sont traduits par une trajectoire permettant d'aboutir à l'absence de toute artificialisation nette des sols ainsi que, par tranches de dix années, par un objectif de réduction du rythme de l'artificialisation. Cet objectif est décliné entre les différentes parties du territoire régional. / (...) Une carte synthétique indicative illustre les objectifs du schéma. / (...) Des règles générales sont énoncées par la région pour contribuer à atteindre les objectifs mentionnés au présent article, sans méconnaître les compétences de l'Etat et des autres collectivités territoriales. / Ces règles générales peuvent varier entre les différentes grandes parties du territoire régional (...) / Elles sont regroupées dans un fascicule du schéma régional qui comprend des chapitres thématiques. Le fascicule indique les modalités de suivi de l'application des règles générales et de l'évaluation de leurs incidences. " Aux termes de l'article R. 4251-1 du code général des collectivités territoriales : " Le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires est composé : / - d'un rapport consacré aux objectifs du schéma illustrés par une carte synthétique ; / - d'un fascicule regroupant les règles générales organisé en chapitres thématiques ; / - de documents annexes ".
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 4251-3 du code général des collectivités territoriales : " Les schémas de cohérence territoriale et, à défaut, les plans locaux d'urbanisme, les cartes communales ou les documents en tenant lieu (...) : 1° Prennent en compte les objectifs du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires ; 2° Sont compatibles avec les règles générales du fascicule de ce schéma, pour celles de leurs dispositions auxquelles ces règles sont opposables. " Aux termes de l'article L. 131-1 du code de l'urbanisme : " Les schémas de cohérence territoriale prévus à l'article L. 141-1 sont compatibles avec : / (...) 2° Les règles générales du fascicule des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires prévus à l'article L. 4251-3 du code général des collectivités territoriales pour celles de leurs dispositions auxquelles ces règles sont opposables. " Aux termes de l'article L. 131-2 du code de l'urbanisme : " Les schémas de cohérence territoriale prennent en compte : / 1° Les objectifs des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires prévus à l'article L. 4251-3 du code général des collectivités territoriales (...) ". Aux termes de l'article L. 131-6 du même code : " En l'absence de schéma de cohérence territoriale, les plans locaux d'urbanisme, les documents en tenant lieu et les cartes communales sont compatibles avec les dispositions mentionnées au 1° et avec les documents énumérés aux 2° à 16° de l'article L. 131-1. / Ils prennent en compte les documents mentionnés à l'article L. 131-2. "
7. Enfin, si le premier alinéa de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue du décret du 29 avril 2022 relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires, prévoyait que le fascicule des règles générales du SRADDET devait comporter des règles territorialisées permettant d'assurer la déclinaison des objectif de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols, le décret du 27 novembre 2023 relatif à la mise en oeuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols a modifié ces dispositions en vue de rendre facultative l'obligation antérieurement prévue. Ainsi, les dispositions du I de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue de ce décret du 27 novembre 2023, disposent désormais que : " En matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols, des règles différenciées peuvent être définies afin d'assurer la déclinaison des objectifs entre les différentes parties du territoire en tenant compte des périmètres des schémas de cohérence territoriale. (...) ".
Sur la légalité de la circulaire attaquée :
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la circulaire attaquée aurait été prise en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure :
8. L'association requérante soutient que les dispositions du I de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, en vue de la mise en oeuvre desquelles a été prise la circulaire attaquée, méconnaîtraient, d'une part, l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales et, d'autre part, le principe de non-régression.
9. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales qu'il revient au SRADDET d'identifier des objectifs, lesquels sont déclinés dans des règles générales, regroupées dans le fascicule du schéma. En confiant au SRADDET le soin de fixer des objectifs de maîtrise de l'artificialisation des sols, et notamment une trajectoire permettant d'aboutir à l'absence de toute artificialisation nette des sols, le législateur a permis, sans l'imposer, que ces objectifs soient déclinés dans les règles du fascicule du SRADDET. Si ces dispositions autorisent en conséquence le pouvoir réglementaire à prévoir que les objectifs ainsi fixés se traduisent par des règles s'imposant aux documents locaux d'urbanisme par un rapport de compatibilité en application des articles L. 131-1 et L. 131-6 du code de l'urbanisme, elles ne font toutefois pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire permette que ces objectifs ne fassent pas l'objet d'une déclinaison dans les règles du fascicule et soient ainsi seulement pris en compte par les documents locaux d'urbanisme en application de l'article L. 131-2 du même code. Par suite, en prévoyant, par les dispositions précitées du I de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, dans leur version résultant du décret du 27 novembre 2023, que des règles différenciées peuvent être définies afin d'assurer la déclinaison des objectifs du SRADDET entre les différentes parties du territoire en tenant compte des périmètres des schémas de cohérence territoriale, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales.
10. En second lieu, les dispositions du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement énoncent au nombre des principes qui, " dans le cadre des lois qui en définissent la portée ", inspirent les politiques de l'environnement : " 9° Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment (...) ".
11. Ainsi qu'il a été dit au point 7, les dispositions du I de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue du décret du 27 novembre 2023 relatif à la mise en oeuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols, ne prévoient plus, contrairement à ce qui résultait de la version antérieure de ce texte, la fixation obligatoire, dans le fascicule regroupant les règles générales du SRADDET, d'une cible chiffrée d'artificialisation nette des sols à l'échelle infrarégionale. Ce faisant, le pouvoir réglementaire n'a remis en cause ni l'objectif de réduction de l'artificialisation, ni le principe de sa déclinaison territoriale. La seule circonstance que cette déclinaison territoriale n'implique plus nécessairement l'édiction de règles générales dans le fascicule du SRADDET, laquelle demeure une faculté pour la région, ne peut être regardée comme caractérisant, par elle-même, une régression de la protection de l'environnement. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du I de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue du décret du 27 novembre 2023, méconnaîtraient le principe de non-régression.
12. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la circulaire attaquée aurait été prise en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure doit être écarté.
En ce qui concerne la marge d'appréciation pour l'examen de la compatibilité entre les différents documents de planification et d'urbanisme :
13. Saisi d'un recours dirigé contre un document mentionné au point 3, il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité de ce document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.
14. La circulaire attaquée demande, à son point 2, aux préfets et aux services déconcentrés de l'Etat, non seulement dans le cadre de leur dialogue avec les collectivités territoriales mais également au titre du contrôle de légalité, de veiller à " l'application appropriée, nécessaire et proportionnée de cette réforme ". Elle rappelle à cet égard que " le rapport de compatibilité entre les documents de planification et d'urbanisme doit conduire à porter une appréciation globale sur le respect du document supérieur, incluant une marge d'appréciation dans l'atteinte de l'ensemble des objectifs fixés, dont celui portant sur la réduction de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers ". Elle souligne que les espaces ouverts à l'urbanisation dans un PLU ou un PLUi ne sont jamais, dans leur totalité, effectivement consommés ou artificialisés sur la période de leur ouverture à la constructibilité. Elle précise, dans ce cadre, qu'il est " nécessaire de ne pas restreindre aux seuls hectares de la trajectoire de sobriété les évolutions des documents d'urbanisme et d'autoriser un dépassement qui, à défaut d'une justification spécifique, peut aller jusqu'à 20 % ".
15. A travers cette dernière précision, la circulaire se borne à illustrer le rapport de compatibilité entre les différents documents de planification et d'urbanisme, en indiquant que, lorsqu'un document d'urbanisme dépasse de 20 % l'objectif chiffré de maîtrise de l'artificialisation des sols fixé par un document de rang supérieur, un tel dépassement ne doit pas nécessairement être regardé par les services déconcentrés de l'Etat comme méconnaissant le rapport de compatibilité prévu par les textes.
16. Contrairement à ce qui est soutenu, la mention, à titre indicatif, d'une marge d'interprétation dans l'appréciation de la compatibilité d'un document de rang inférieur avec un document de rang supérieur ne saurait être regardée comme ayant pour effet de remettre en cause les objectifs globaux de réduction de l'artificialisation des sols tels qu'ils figurent dans la loi, ni, dès lors notamment que le caractère admissible d'une telle marge devra faire l'objet d'une appréciation au cas par cas, comme méconnaissant le sens et la portée des dispositions législatives précitées du code général des collectivités territoriales et du code de l'urbanisme régissant les rapports entre les différents documents de planification et d'urbanisme.
17. Par suite, le moyen tiré de ce que les énonciations litigieuses de la circulaire attaqué fixeraient une règle nouvelle entachée d'incompétence et méconnaîtraient le sens et la portée du droit positif qu'elles interprètent doit être écarté.
18. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'association Notre affaire à tous doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de l'association Notre affaire à tous est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Notre affaire à tous et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 juin 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 24 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. David Gaudillère
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain
N° 493126
ECLI:FR:CECHR:2025:493126.20250724
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. David Gaudillère, rapporteur
Lecture du jeudi 24 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 3 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Notre affaire à tous demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire du 31 janvier 2024 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires relative à la mise en oeuvre de la réforme vers le " zéro artificialisation nette des sols " ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 ;
- le décret n° 2022-762 du 29 avril 2022 ;
- le décret n° 2023-1097 du 27 novembre 2023 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. David Gaudillère, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Maïlys Lange, rapporteure publique ;
Considérant ce qui suit :
1. La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a fixé à son article 191 " l'objectif national d'absence de toute artificialisation nette des sols en 2050 ". En outre, l'article 194 de cette loi a prévu, pour la première tranche de dix années suivant sa promulgation, c'est-à-dire pour la période comprise entre 2021 et 2031, un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers par comparaison avec la consommation de tels espaces observée au cours de la décennie précédente. Ces objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et de réduction de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers doivent, aux termes de cet article 194, être intégrés au plus tard le 22 novembre 2024 dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), au plus tard le 22 février 2027 dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et, en l'absence de SCoT, au plus tard le 22 février 2028 dans les plans locaux d'urbanisme (PLU) et les cartes communales. Si le SCOT modifié ou révisé n'est pas entré en vigueur dans ces délais, les ouvertures à l'urbanisation sont suspendues. Si le PLU ou la carte communale modifié ou révisé n'est pas entré en vigueur dans ces délais, aucune autorisation d'urbanisme ne peut être délivrée dans une zone à urbaniser du PLU ou dans les secteurs de la carte communale où les constructions sont autorisées. Par ailleurs, le 14° du même article 194 prévoit que, dans le cadre de la mise en oeuvre de ces objectifs, l'autorité compétente pour délivrer les autorisations d'urbanisme peut surseoir à statuer sur une demande d'autorisation d'urbanisme entraînant une consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers qui pourrait compromettre l'atteinte des objectifs de réduction de cette consommation susceptible d'être fixés par le document d'urbanisme en cours d'élaboration ou de modification, durant la première tranche de dix années mentionnée ci-dessus.
2. L'association Notre affaire à tous demande l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire du 31 janvier 2024 relative à la mise en oeuvre de la réforme vers le " zéro artificialisation nette des sols ".
Sur la fin de non-recevoir opposée par la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation :
3. Les documents de portée générale émanant d'autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l'excès de pouvoir lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en oeuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices.
4. Si la circulaire attaquée, dont l'objectif est de faciliter la mise en oeuvre territoriale de la politique de lutte contre l'artificialisation des sol, est adressée aux seuls agents des services de l'Etat, elle est susceptible, tant par l'interprétation des dispositions législatives et réglementaires applicables qu'elle contient que par les instructions qu'elle formule, notamment s'agissant du dialogue entre les services déconcentrés de l'Etat et les collectivités territoriales et des modalités d'exercice par ces services du contrôle de légalité, d'avoir des effets notables sur la situation des collectivités territoriales chargées de la déclinaison, dans les documents de planification régionale et les documents d'urbanisme, des objectifs de réduction de consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers fixés par la loi pour la période de 2021 à 2031. Doit par suite être écartée la fin de non-recevoir opposée par la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation, tirée de ce que la circulaire attaquée serait insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
Sur le cadre juridique applicable :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets : " La région, à l'exception de la région d'Ile-de-France, des régions d'outre-mer et des collectivités territoriales à statut particulier exerçant les compétences d'une région, élabore un schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires. / Ce schéma fixe les objectifs de moyen et long termes sur le territoire de la région en matière (...) de lutte contre l'artificialisation des sols (...). En matière de lutte contre l'artificialisation des sols, les objectifs fixés sont traduits par une trajectoire permettant d'aboutir à l'absence de toute artificialisation nette des sols ainsi que, par tranches de dix années, par un objectif de réduction du rythme de l'artificialisation. Cet objectif est décliné entre les différentes parties du territoire régional. / (...) Une carte synthétique indicative illustre les objectifs du schéma. / (...) Des règles générales sont énoncées par la région pour contribuer à atteindre les objectifs mentionnés au présent article, sans méconnaître les compétences de l'Etat et des autres collectivités territoriales. / Ces règles générales peuvent varier entre les différentes grandes parties du territoire régional (...) / Elles sont regroupées dans un fascicule du schéma régional qui comprend des chapitres thématiques. Le fascicule indique les modalités de suivi de l'application des règles générales et de l'évaluation de leurs incidences. " Aux termes de l'article R. 4251-1 du code général des collectivités territoriales : " Le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires est composé : / - d'un rapport consacré aux objectifs du schéma illustrés par une carte synthétique ; / - d'un fascicule regroupant les règles générales organisé en chapitres thématiques ; / - de documents annexes ".
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 4251-3 du code général des collectivités territoriales : " Les schémas de cohérence territoriale et, à défaut, les plans locaux d'urbanisme, les cartes communales ou les documents en tenant lieu (...) : 1° Prennent en compte les objectifs du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires ; 2° Sont compatibles avec les règles générales du fascicule de ce schéma, pour celles de leurs dispositions auxquelles ces règles sont opposables. " Aux termes de l'article L. 131-1 du code de l'urbanisme : " Les schémas de cohérence territoriale prévus à l'article L. 141-1 sont compatibles avec : / (...) 2° Les règles générales du fascicule des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires prévus à l'article L. 4251-3 du code général des collectivités territoriales pour celles de leurs dispositions auxquelles ces règles sont opposables. " Aux termes de l'article L. 131-2 du code de l'urbanisme : " Les schémas de cohérence territoriale prennent en compte : / 1° Les objectifs des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires prévus à l'article L. 4251-3 du code général des collectivités territoriales (...) ". Aux termes de l'article L. 131-6 du même code : " En l'absence de schéma de cohérence territoriale, les plans locaux d'urbanisme, les documents en tenant lieu et les cartes communales sont compatibles avec les dispositions mentionnées au 1° et avec les documents énumérés aux 2° à 16° de l'article L. 131-1. / Ils prennent en compte les documents mentionnés à l'article L. 131-2. "
7. Enfin, si le premier alinéa de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue du décret du 29 avril 2022 relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires, prévoyait que le fascicule des règles générales du SRADDET devait comporter des règles territorialisées permettant d'assurer la déclinaison des objectif de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols, le décret du 27 novembre 2023 relatif à la mise en oeuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols a modifié ces dispositions en vue de rendre facultative l'obligation antérieurement prévue. Ainsi, les dispositions du I de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue de ce décret du 27 novembre 2023, disposent désormais que : " En matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols, des règles différenciées peuvent être définies afin d'assurer la déclinaison des objectifs entre les différentes parties du territoire en tenant compte des périmètres des schémas de cohérence territoriale. (...) ".
Sur la légalité de la circulaire attaquée :
En ce qui concerne le moyen tiré de ce que la circulaire attaquée aurait été prise en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure :
8. L'association requérante soutient que les dispositions du I de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, en vue de la mise en oeuvre desquelles a été prise la circulaire attaquée, méconnaîtraient, d'une part, l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales et, d'autre part, le principe de non-régression.
9. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales qu'il revient au SRADDET d'identifier des objectifs, lesquels sont déclinés dans des règles générales, regroupées dans le fascicule du schéma. En confiant au SRADDET le soin de fixer des objectifs de maîtrise de l'artificialisation des sols, et notamment une trajectoire permettant d'aboutir à l'absence de toute artificialisation nette des sols, le législateur a permis, sans l'imposer, que ces objectifs soient déclinés dans les règles du fascicule du SRADDET. Si ces dispositions autorisent en conséquence le pouvoir réglementaire à prévoir que les objectifs ainsi fixés se traduisent par des règles s'imposant aux documents locaux d'urbanisme par un rapport de compatibilité en application des articles L. 131-1 et L. 131-6 du code de l'urbanisme, elles ne font toutefois pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire permette que ces objectifs ne fassent pas l'objet d'une déclinaison dans les règles du fascicule et soient ainsi seulement pris en compte par les documents locaux d'urbanisme en application de l'article L. 131-2 du même code. Par suite, en prévoyant, par les dispositions précitées du I de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, dans leur version résultant du décret du 27 novembre 2023, que des règles différenciées peuvent être définies afin d'assurer la déclinaison des objectifs du SRADDET entre les différentes parties du territoire en tenant compte des périmètres des schémas de cohérence territoriale, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu l'article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales.
10. En second lieu, les dispositions du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement énoncent au nombre des principes qui, " dans le cadre des lois qui en définissent la portée ", inspirent les politiques de l'environnement : " 9° Le principe de non-régression, selon lequel la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment (...) ".
11. Ainsi qu'il a été dit au point 7, les dispositions du I de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue du décret du 27 novembre 2023 relatif à la mise en oeuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols, ne prévoient plus, contrairement à ce qui résultait de la version antérieure de ce texte, la fixation obligatoire, dans le fascicule regroupant les règles générales du SRADDET, d'une cible chiffrée d'artificialisation nette des sols à l'échelle infrarégionale. Ce faisant, le pouvoir réglementaire n'a remis en cause ni l'objectif de réduction de l'artificialisation, ni le principe de sa déclinaison territoriale. La seule circonstance que cette déclinaison territoriale n'implique plus nécessairement l'édiction de règles générales dans le fascicule du SRADDET, laquelle demeure une faculté pour la région, ne peut être regardée comme caractérisant, par elle-même, une régression de la protection de l'environnement. Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions du I de l'article R. 4251-8-1 du code général des collectivités territoriales, dans leur rédaction issue du décret du 27 novembre 2023, méconnaîtraient le principe de non-régression.
12. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la circulaire attaquée aurait été prise en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure doit être écarté.
En ce qui concerne la marge d'appréciation pour l'examen de la compatibilité entre les différents documents de planification et d'urbanisme :
13. Saisi d'un recours dirigé contre un document mentionné au point 3, il appartient au juge d'examiner les vices susceptibles d'affecter la légalité de ce document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s'il fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence, si l'interprétation du droit positif qu'il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s'il est pris en vue de la mise en oeuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.
14. La circulaire attaquée demande, à son point 2, aux préfets et aux services déconcentrés de l'Etat, non seulement dans le cadre de leur dialogue avec les collectivités territoriales mais également au titre du contrôle de légalité, de veiller à " l'application appropriée, nécessaire et proportionnée de cette réforme ". Elle rappelle à cet égard que " le rapport de compatibilité entre les documents de planification et d'urbanisme doit conduire à porter une appréciation globale sur le respect du document supérieur, incluant une marge d'appréciation dans l'atteinte de l'ensemble des objectifs fixés, dont celui portant sur la réduction de la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers ". Elle souligne que les espaces ouverts à l'urbanisation dans un PLU ou un PLUi ne sont jamais, dans leur totalité, effectivement consommés ou artificialisés sur la période de leur ouverture à la constructibilité. Elle précise, dans ce cadre, qu'il est " nécessaire de ne pas restreindre aux seuls hectares de la trajectoire de sobriété les évolutions des documents d'urbanisme et d'autoriser un dépassement qui, à défaut d'une justification spécifique, peut aller jusqu'à 20 % ".
15. A travers cette dernière précision, la circulaire se borne à illustrer le rapport de compatibilité entre les différents documents de planification et d'urbanisme, en indiquant que, lorsqu'un document d'urbanisme dépasse de 20 % l'objectif chiffré de maîtrise de l'artificialisation des sols fixé par un document de rang supérieur, un tel dépassement ne doit pas nécessairement être regardé par les services déconcentrés de l'Etat comme méconnaissant le rapport de compatibilité prévu par les textes.
16. Contrairement à ce qui est soutenu, la mention, à titre indicatif, d'une marge d'interprétation dans l'appréciation de la compatibilité d'un document de rang inférieur avec un document de rang supérieur ne saurait être regardée comme ayant pour effet de remettre en cause les objectifs globaux de réduction de l'artificialisation des sols tels qu'ils figurent dans la loi, ni, dès lors notamment que le caractère admissible d'une telle marge devra faire l'objet d'une appréciation au cas par cas, comme méconnaissant le sens et la portée des dispositions législatives précitées du code général des collectivités territoriales et du code de l'urbanisme régissant les rapports entre les différents documents de planification et d'urbanisme.
17. Par suite, le moyen tiré de ce que les énonciations litigieuses de la circulaire attaqué fixeraient une règle nouvelle entachée d'incompétence et méconnaîtraient le sens et la portée du droit positif qu'elles interprètent doit être écarté.
18. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'association Notre affaire à tous doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : La requête de l'association Notre affaire à tous est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Notre affaire à tous et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 juin 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, conseillers d'Etat et M. David Gaudillère, maître des requêtes-rapporteur.
Rendu le 24 juillet 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. David Gaudillère
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain