Conseil d'État
N° 486329
ECLI:FR:CECHS:2025:486329.20250730
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
M. Aurélien Gloux-Saliou , rapporteur
SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du mercredi 30 juillet 2025
Vu les procédures suivantes :
I. Sous le numéro 486329, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 août et 23 novembre 2023 puis le 22 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du jury du concours ouvert en 2023 pour recruter un professeur en intelligence artificielle à l'Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II. Sous le numéro 492124, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 février et 21 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a nommé Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole stagiaire ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 13 septembre 2023 par lequel le même ministre, rapportant l'arrêté du 13 juillet 2023, a nommé Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 92-171 du 21 février 1992 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Géevy, avocat de Mme C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces des dossiers que, par un arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire du 20 avril 2023, Mme C..., maîtresse de conférences à l'Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, et Mme A... ont été autorisées à se présenter au concours pour le recrutement d'un professeur en intelligence artificielle au sein de cet institut, ouvert en application de l'article 37 du décret du 21 février 1992 portant statuts particuliers des corps d'enseignants-chercheurs des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministre chargé de l'agriculture. A l'issue des épreuves, qui se sont déroulées les 1er et 2 juin 2023, le jury de ce concours a déclaré Mme A... admise, par une délibération du 2 juin 2023. Mme C... a formé le 9 juin 2023 un recours administratif contre cette délibération auprès du ministre chargé de l'agriculture, qui l'a rejeté par courrier du 6 juillet 2023. Mme C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération du jury, de l'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a nommé Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole stagiaire ainsi que de l'arrêté du 13 septembre 2023 par lequel le même ministre, rapportant l'arrêté du 13 juillet 2023, a nommé Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole. Les requêtes de Mme C... présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
Sur les conclusions dirigées contre la délibération du jury :
2. La seule circonstance qu'un membre du jury d'un concours connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu'il s'abstienne de participer aux délibérations qui concernent ce candidat. En revanche, le respect du principe d'impartialité exige que, lorsqu'un membre du jury d'un concours a, avec l'un des candidats, des liens, tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles, qui seraient de nature à influer sur son appréciation, ce membre doit non seulement s'abstenir de participer aux interrogations et aux délibérations concernant ce candidat mais encore concernant l'ensemble des candidats au concours. En outre, un membre du jury qui a des raisons de penser que son impartialité pourrait être mise en doute ou qui estime, en conscience, ne pas pouvoir participer aux délibérations avec l'impartialité requise, doit également s'abstenir de prendre part à toutes les interrogations et délibérations de ce jury en vertu des principes d'unicité du jury et d'égalité des candidats devant celui-ci.
3. Il ressort des pièces du dossier numéro 486329, d'une part, que Mme A... a publié, entre 2015 et 2023, dix-huit articles cosignés avec M. D..., membre du jury du concours. Alors même que ces articles ont été rédigés avec d'autres co-auteurs, généralement au nombre de trois ou quatre, le recensement de l'ensemble des publications de Mme A... révèle que ce membre est le co-auteur avec lequel Mme A... a le plus travaillé en nombre de publications, les articles co-signés avec lui représentant près de 40 % de l'ensemble des publications de Mme A.... D'autre part, il est établi que Mme A... et ce membre du jury ont collaboré conjointement, avec d'autres chercheurs, à quatre projets de recherche entre 2013 et 2023, au sein de la même équipe rattachée au laboratoire dénommé institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires (IRISA), et qu'entre 2017 et 2022, ils ont co-dirigé trois thèses. Alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le concours litigieux porterait sur une discipline comportant un nombre très restreint de spécialistes, le cumul de ces circonstances, caractérisant une relation professionnelle étroite, faisait, en l'espèce, obstacle à ce que ce membre du jury participât aux interrogations et délibérations concernant les deux candidates autorisées à concourir. Il s'ensuit que le principe d'impartialité du jury a été, en l'espèce, méconnu.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête numéro 486329, que Mme C... est fondée à demander l'annulation de la délibération qu'elle attaque.
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 13 juillet 2023 :
5. L'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a nommé Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole stagiaire ayant été retiré par l'arrêté du 13 septembre 2023, pris par le même ministre avant l'introduction de la requête de Mme C..., et ce retrait étant devenu définitif, les conclusions dirigées contre le premier arrêté sont dénuées d'objet et par suite irrecevables.
Sur les conclusions dirigées contre la légalité de l'arrêté du 13 septembre 2023 :
6. Aux termes de l'article 45 du décret du 21 février 1992 portant statuts particuliers des corps d'enseignants-chercheurs des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministre chargé de l'agriculture : " Les professeurs de l'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'agriculture sont nommés stagiaires par décret et classés dans le corps par arrêté du ministre chargé de l'agriculture. / La durée du stage est fixée à une année. Toutefois, sont dispensés du stage les professeurs issus d'un corps d'enseignants-chercheurs (...) ". Il résulte de ces dispositions que le ministre chargé de l'agriculture n'était pas compétent pour nommer, par l'arrêté du 13 septembre 2023 contesté, Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de sa requête numéro 492124, Mme C... est fondée à demander l'annulation de cet arrêté.
Sur les frais d'instance :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros à verser à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La délibération du 2 juin 2023 du jury du concours de recrutement d'un professeur en intelligence artificielle à l'Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement et l'arrêté du 13 septembre 2023 nommant Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n° 492124 est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme E... C..., à Mme B... A... et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.
N° 486329
ECLI:FR:CECHS:2025:486329.20250730
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
M. Aurélien Gloux-Saliou , rapporteur
SARL THOUVENIN, COUDRAY, GREVY, avocats
Lecture du mercredi 30 juillet 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
I. Sous le numéro 486329, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 août et 23 novembre 2023 puis le 22 avril 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération du jury du concours ouvert en 2023 pour recruter un professeur en intelligence artificielle à l'Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
II. Sous le numéro 492124, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 février et 21 mai 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme E... C... demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a nommé Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole stagiaire ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 13 septembre 2023 par lequel le même ministre, rapportant l'arrêté du 13 juillet 2023, a nommé Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 92-171 du 21 février 1992 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Aurélien Gloux-Saliou, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Géevy, avocat de Mme C... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces des dossiers que, par un arrêté du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire du 20 avril 2023, Mme C..., maîtresse de conférences à l'Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, et Mme A... ont été autorisées à se présenter au concours pour le recrutement d'un professeur en intelligence artificielle au sein de cet institut, ouvert en application de l'article 37 du décret du 21 février 1992 portant statuts particuliers des corps d'enseignants-chercheurs des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministre chargé de l'agriculture. A l'issue des épreuves, qui se sont déroulées les 1er et 2 juin 2023, le jury de ce concours a déclaré Mme A... admise, par une délibération du 2 juin 2023. Mme C... a formé le 9 juin 2023 un recours administratif contre cette délibération auprès du ministre chargé de l'agriculture, qui l'a rejeté par courrier du 6 juillet 2023. Mme C... demande l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération du jury, de l'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a nommé Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole stagiaire ainsi que de l'arrêté du 13 septembre 2023 par lequel le même ministre, rapportant l'arrêté du 13 juillet 2023, a nommé Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole. Les requêtes de Mme C... présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.
Sur les conclusions dirigées contre la délibération du jury :
2. La seule circonstance qu'un membre du jury d'un concours connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu'il s'abstienne de participer aux délibérations qui concernent ce candidat. En revanche, le respect du principe d'impartialité exige que, lorsqu'un membre du jury d'un concours a, avec l'un des candidats, des liens, tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles, qui seraient de nature à influer sur son appréciation, ce membre doit non seulement s'abstenir de participer aux interrogations et aux délibérations concernant ce candidat mais encore concernant l'ensemble des candidats au concours. En outre, un membre du jury qui a des raisons de penser que son impartialité pourrait être mise en doute ou qui estime, en conscience, ne pas pouvoir participer aux délibérations avec l'impartialité requise, doit également s'abstenir de prendre part à toutes les interrogations et délibérations de ce jury en vertu des principes d'unicité du jury et d'égalité des candidats devant celui-ci.
3. Il ressort des pièces du dossier numéro 486329, d'une part, que Mme A... a publié, entre 2015 et 2023, dix-huit articles cosignés avec M. D..., membre du jury du concours. Alors même que ces articles ont été rédigés avec d'autres co-auteurs, généralement au nombre de trois ou quatre, le recensement de l'ensemble des publications de Mme A... révèle que ce membre est le co-auteur avec lequel Mme A... a le plus travaillé en nombre de publications, les articles co-signés avec lui représentant près de 40 % de l'ensemble des publications de Mme A.... D'autre part, il est établi que Mme A... et ce membre du jury ont collaboré conjointement, avec d'autres chercheurs, à quatre projets de recherche entre 2013 et 2023, au sein de la même équipe rattachée au laboratoire dénommé institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires (IRISA), et qu'entre 2017 et 2022, ils ont co-dirigé trois thèses. Alors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le concours litigieux porterait sur une discipline comportant un nombre très restreint de spécialistes, le cumul de ces circonstances, caractérisant une relation professionnelle étroite, faisait, en l'espèce, obstacle à ce que ce membre du jury participât aux interrogations et délibérations concernant les deux candidates autorisées à concourir. Il s'ensuit que le principe d'impartialité du jury a été, en l'espèce, méconnu.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête numéro 486329, que Mme C... est fondée à demander l'annulation de la délibération qu'elle attaque.
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 13 juillet 2023 :
5. L'arrêté du 13 juillet 2023 par lequel le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire a nommé Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole stagiaire ayant été retiré par l'arrêté du 13 septembre 2023, pris par le même ministre avant l'introduction de la requête de Mme C..., et ce retrait étant devenu définitif, les conclusions dirigées contre le premier arrêté sont dénuées d'objet et par suite irrecevables.
Sur les conclusions dirigées contre la légalité de l'arrêté du 13 septembre 2023 :
6. Aux termes de l'article 45 du décret du 21 février 1992 portant statuts particuliers des corps d'enseignants-chercheurs des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministre chargé de l'agriculture : " Les professeurs de l'enseignement supérieur relevant du ministre chargé de l'agriculture sont nommés stagiaires par décret et classés dans le corps par arrêté du ministre chargé de l'agriculture. / La durée du stage est fixée à une année. Toutefois, sont dispensés du stage les professeurs issus d'un corps d'enseignants-chercheurs (...) ". Il résulte de ces dispositions que le ministre chargé de l'agriculture n'était pas compétent pour nommer, par l'arrêté du 13 septembre 2023 contesté, Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de sa requête numéro 492124, Mme C... est fondée à demander l'annulation de cet arrêté.
Sur les frais d'instance :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros à verser à Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La délibération du 2 juin 2023 du jury du concours de recrutement d'un professeur en intelligence artificielle à l'Institut national d'enseignement supérieur pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement et l'arrêté du 13 septembre 2023 nommant Mme A... professeure de l'enseignement supérieur agricole sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n° 492124 est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme E... C..., à Mme B... A... et à la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.