Conseil d'État
N° 506502
ECLI:FR:CEORD:2025:506502.20250805
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. S Verclytte, rapporteur
SARL CABINET BRIARD, BONICHOT ET ASSOCIES, avocats
Lecture du mardi 5 août 2025
Vu la procédure suivante :
Mme R... P..., Mme J... S..., M. O... S..., M. E... S..., Mme H... S..., Mme L... S..., M. K... Q..., Mme C... F..., M. G... I..., Mme A... I..., Mme D... M... et M. B... N... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre aux autorités compétentes d'interrompre toute opération d'expulsion jusqu'à ce qu'il soit statué par le juge de l'expropriation sur le montant de leur indemnité de dépossession. Par une ordonnance n° 2511047 du 7 juillet 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur requête.
Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme P... et autres demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 7 juillet 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Cergy Pontoise ;
2°) de constater, s'agissant de Mme P..., de M. N..., et de MM. et Mme I... ainsi que Mme M..., que le juge de l'exécution a enjoint par un jugement du 18 juillet 2025 à l'Etat et à l'agence des espaces verts (AEV) de la région Ile-de-France de procéder à leur réintégration sans délai ;
3°) d'enjoindre à l'Etat et à l'AEV de la région Ile-de-France, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé une semaine à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, de les réintégrer sans délai dans les parcelles dont ils ont été expulsés, de remettre les lieux en l'état et d'y installer des habitats légers équipés afin qu'ils puissent y habiter en toute sécurité, et de leur restituer l'intégralité des biens meubles saisis ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'AEV de la région Ile-de-France la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- s'ils ont abandonné leurs conclusions tendant à l'interruption des opérations d'expulsion, celles-ci étant achevées, les conclusions qu'ils maintiennent ne sont pas devenues sans objet ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'ils ont tous été expulsés des terrains dont ils sont propriétaires et sont désormais sans domicile fixe ;
- cette expulsion et la destruction de leurs biens se trouvant sur les parcelles litigieuses portent une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit de propriété, dès lors que, d'une part, elles concernent la parcelle de M. Q... et Mme F... alors qu'elle n'a pas fait l'objet d'une expropriation et que, d'autre part, aucune expulsion n'est possible tant que le montant de l'indemnité de dépossession n'a pas été fixé par le juge de l'expropriation et versé, ainsi qu'à leur droit au respect d'une vie privée et familiale normale, dès lors qu'elle les prive de tout domicile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juillet 2025, l'AEV de la région Ile-de-France conclut au rejet de la requête. Elle soutient, en premier lieu, que le juge administratif est incompétent pour connaître de la requête, en deuxième lieu, qu'il n'y a plus lieu d'y statuer dès lors que l'expulsion est complète, en troisième lieu, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et, en dernier lieu, que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2025, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
-la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme R... P... et autres et, d'autre part, l'AEV de la région Ile-de-France et le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 1er août 2025, à 10 heures :
- Me Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme R... P... et autres ;
- M. E... S... ;
- Me Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'AEV de la région Ile-de-France ;
- le représentant de l'AEV de la région Ile-de-France ;
- les représentantes du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a fixé la clôture de l'instruction au 1er août 2025 à 15 heures ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que le préfet du Val d'Oise a, par un arrêté du 17 juin 2019, déclaré cessibles diverses parcelles situées sur le territoire des communes de Montmagny et Groslay (Val d'Oise), au profit de l'agence des espaces verts de la région Ile-de-France, afin de constituer une réserve foncière en vue de sauvegarder ou de mettre en valeur les espaces naturels de la Butte-Pinson, opération qui a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique le 5 novembre 2009, prolongée le 15 octobre 2014. Les parcelles concernées avaient ou ont fait l'objet d'une décision d'expropriation par ordonnances du juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Pontoise du 31 janvier 2012 et du 1er octobre 2019, qui ont été suivies de décisions d'expulsion ordonnées par arrêts du juge de l'expropriation de la cour d'appel de Versailles du 12 septembre 2024 et du 16 janvier 2025. Le préfet, qui a constaté l'urgence de la prise de possession de ces parcelles par un arrêté du 20 septembre 2024, a accordé le concours de la force publique pour procéder à cette expulsion, qui a été réalisée le 24 juin 2025. Mme P... et autres, déclarant être propriétaires et occupants de certaines de ces parcelles, ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande tendant, initialement, à ce qu'il soit enjoint aux autorités compétentes d'interrompre les opérations d'expulsion, puis, ces opérations ayant été achevées en cours d'instance, à ce qu'il soit enjoint aux mêmes autorités de leur restituer l'accès à leur parcelle, de procéder au nettoyage des lieux et d'y installer un habitat léger équipé afin de leur permettre d'y habiter en toute sécurité, et de leur restituer les biens meubles saisis. Ils font appel de l'ordonnance du 7 juillet 2025 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.
3. Aux termes de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation (...) ". Il résulte de ces dispositions que le représentant de l'Etat, saisi d'une demande en ce sens, doit prêter le concours de la force publique en vue de l'exécution des décisions de justice ayant force exécutoire. Seules des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire statuant sur la demande d'expulsion ou sur la demande de délai pour quitter les lieux et telles que l'exécution de l'expulsion serait susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique. En cas d'octroi de la force publique, il appartient au juge de rechercher si l'appréciation à laquelle s'est livrée l'administration sur la nature et l'ampleur des troubles à l'ordre public susceptibles d'être engendrés par sa décision ou sur les conséquences de l'expulsion des occupants compte tenu de la survenance de circonstances postérieures à la décision de justice l'ayant ordonnée, n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
4. En premier lieu, il n'appartient pas au juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'une demande tendant à ce que la décision du représentant de l'Etat d'octroyer le concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice soit suspendue, d'apprécier le bien-fondé de cette décision de justice. En revanche, le juge des référés, saisi d'une demande justifiée par l'urgence, tire des dispositions du même article le pouvoir de prescrire la suspension de l'arrêté préfectoral octroyant le concours de la force publique, lorsqu'il apparaît nécessaire de prévenir, à bref délai, une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la dignité de la personne humaine. Une telle atteinte peut résulter de ce qu'une personne, privée de tout logement, de tout hébergement ou de toute prise en charge adaptée à court terme, est susceptible, à la date à laquelle le juge des référés se prononce, d'être soumise à un traitement inhumain ou dégradant du fait de conséquences, non prises en compte par la décision judiciaire, qui apparaissent résulter de manière suffisamment certaine ou prévisible de l'exécution de la mesure d'expulsion avec le concours de la force publique et se révèlent être d'une particulière gravité pour l'état de santé de la personne ou pour sa vie.
5. Toutefois, il ressort des écritures d'appel des requérants qu'ils ont renoncé à leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint aux autorités compétentes d'interrompre les opérations d'expulsion, lesquelles étaient au demeurant devenues sans objet compte tenu de l'achèvement de ces opérations postérieurement à leur saisine du juge des référés.
6. En second lieu, aux termes de l'article R. 442-1 du code des procédures civiles d'exécution : " les contestations relatives à l'application des dispositions du présent livre sont portées devant le juge de l'exécution du lieu de la situation de l'immeuble ".
7. D'une part, il résulte de l'instruction que Mme P..., M. N..., ainsi que M. et Mme I... et Mme M..., ont saisi le juge de l'exécution d'une contestation de l'expulsion des parcelles qu'ils occupaient, et que le juge de l'exécution, par jugement du 18 juillet 2025, postérieur à l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, a annulé cette expulsion et ordonné leur réintégration sur les lieux. Les intéressés, en appel, demandent qu'il soit enjoint aux autorités compétentes d'exécuter ce jugement, dont l'agence des espaces verts de la région Ile-de-France, qui s'est pourvue en appel, ne conteste pas le caractère exécutoire. Le juge des référés du Conseil d'Etat est manifestement incompétent pour connaître de telles conclusions.
8. D'autre part, les conclusions de Mmes et MM. S..., Mme F... et M. Q... tendant à ce qu'il soit enjoint aux autorités compétentes de les laisser réintégrer les lieux sans délai et de leur restituer les biens meubles saisis lors des opérations d'expulsion relèvent d'une contestation de la régularité et des effets des opérations d'expulsion menées sur le fondement des décisions du juge de l'expropriation mentionnées au point 2. Une telle contestation devant, en application des dispositions du code des procédures civiles d'exécution citées au point 6, être portée devant le juge de l'exécution, le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'est manifestement pas compétent pour en connaître. Il en va de même des conclusions de l'ensemble des requérants tendant à ce qu'il soit enjoint aux autorités compétentes de procéder au nettoyage des lieux et d'y installer un habitat léger équipé afin de leur permettre d'y habiter en toute sécurité, qui ne sont pas dissociables de celles tendant à ce qu'il soit enjoint à ces autorités, le cas échéant en application des décisions du juge de l'exécution, de leur permettre de réintégrer les lieux.
9. Il résulte de ce qui précède que l'agence des espaces verts de la région Ile-de-France est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise s'est estimé compétent pour statuer sur les conclusions de Mme P... et autres tendant à leur réintégration et à leur réinstallation sur les parcelles dont ils ont été expulsés. Par suite, l'ordonnance attaquée doit être annulée.
10. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme P... et autres devant le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que le juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'est manifestement pas compétent pour statuer sur les conclusions maintenues par les requérants, dont la demande, par suite, ne peut qu'être rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme P... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : L'ordonnance du 7 juillet 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme P... et autres devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme R... P..., Mme J... S..., M. O... S..., M. E... S..., Mme H... S..., Mme L... S..., M. K... Q..., Mme C... F..., M. G... I..., Mme A... I..., Mme D... M... et M. B... N..., à l'agence des espaces verts (AEV) de la région Ile-de-France et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Fait à Paris, le 5 août 2025
Signé : Stéphane Verclytte
N° 506502
ECLI:FR:CEORD:2025:506502.20250805
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. S Verclytte, rapporteur
SARL CABINET BRIARD, BONICHOT ET ASSOCIES, avocats
Lecture du mardi 5 août 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Mme R... P..., Mme J... S..., M. O... S..., M. E... S..., Mme H... S..., Mme L... S..., M. K... Q..., Mme C... F..., M. G... I..., Mme A... I..., Mme D... M... et M. B... N... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre aux autorités compétentes d'interrompre toute opération d'expulsion jusqu'à ce qu'il soit statué par le juge de l'expropriation sur le montant de leur indemnité de dépossession. Par une ordonnance n° 2511047 du 7 juillet 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur requête.
Par une requête, enregistrée le 22 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme P... et autres demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance du 7 juillet 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Cergy Pontoise ;
2°) de constater, s'agissant de Mme P..., de M. N..., et de MM. et Mme I... ainsi que Mme M..., que le juge de l'exécution a enjoint par un jugement du 18 juillet 2025 à l'Etat et à l'agence des espaces verts (AEV) de la région Ile-de-France de procéder à leur réintégration sans délai ;
3°) d'enjoindre à l'Etat et à l'AEV de la région Ile-de-France, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé une semaine à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, de les réintégrer sans délai dans les parcelles dont ils ont été expulsés, de remettre les lieux en l'état et d'y installer des habitats légers équipés afin qu'ils puissent y habiter en toute sécurité, et de leur restituer l'intégralité des biens meubles saisis ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'AEV de la région Ile-de-France la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- s'ils ont abandonné leurs conclusions tendant à l'interruption des opérations d'expulsion, celles-ci étant achevées, les conclusions qu'ils maintiennent ne sont pas devenues sans objet ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'ils ont tous été expulsés des terrains dont ils sont propriétaires et sont désormais sans domicile fixe ;
- cette expulsion et la destruction de leurs biens se trouvant sur les parcelles litigieuses portent une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit de propriété, dès lors que, d'une part, elles concernent la parcelle de M. Q... et Mme F... alors qu'elle n'a pas fait l'objet d'une expropriation et que, d'autre part, aucune expulsion n'est possible tant que le montant de l'indemnité de dépossession n'a pas été fixé par le juge de l'expropriation et versé, ainsi qu'à leur droit au respect d'une vie privée et familiale normale, dès lors qu'elle les prive de tout domicile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juillet 2025, l'AEV de la région Ile-de-France conclut au rejet de la requête. Elle soutient, en premier lieu, que le juge administratif est incompétent pour connaître de la requête, en deuxième lieu, qu'il n'y a plus lieu d'y statuer dès lors que l'expulsion est complète, en troisième lieu, que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et, en dernier lieu, que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2025, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
-la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code des procédures civiles d'exécution ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme R... P... et autres et, d'autre part, l'AEV de la région Ile-de-France et le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 1er août 2025, à 10 heures :
- Me Pinatel, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme R... P... et autres ;
- M. E... S... ;
- Me Briard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'AEV de la région Ile-de-France ;
- le représentant de l'AEV de la région Ile-de-France ;
- les représentantes du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a fixé la clôture de l'instruction au 1er août 2025 à 15 heures ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".
2. Il résulte de l'instruction que le préfet du Val d'Oise a, par un arrêté du 17 juin 2019, déclaré cessibles diverses parcelles situées sur le territoire des communes de Montmagny et Groslay (Val d'Oise), au profit de l'agence des espaces verts de la région Ile-de-France, afin de constituer une réserve foncière en vue de sauvegarder ou de mettre en valeur les espaces naturels de la Butte-Pinson, opération qui a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique le 5 novembre 2009, prolongée le 15 octobre 2014. Les parcelles concernées avaient ou ont fait l'objet d'une décision d'expropriation par ordonnances du juge de l'expropriation du tribunal judiciaire de Pontoise du 31 janvier 2012 et du 1er octobre 2019, qui ont été suivies de décisions d'expulsion ordonnées par arrêts du juge de l'expropriation de la cour d'appel de Versailles du 12 septembre 2024 et du 16 janvier 2025. Le préfet, qui a constaté l'urgence de la prise de possession de ces parcelles par un arrêté du 20 septembre 2024, a accordé le concours de la force publique pour procéder à cette expulsion, qui a été réalisée le 24 juin 2025. Mme P... et autres, déclarant être propriétaires et occupants de certaines de ces parcelles, ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise d'une demande tendant, initialement, à ce qu'il soit enjoint aux autorités compétentes d'interrompre les opérations d'expulsion, puis, ces opérations ayant été achevées en cours d'instance, à ce qu'il soit enjoint aux mêmes autorités de leur restituer l'accès à leur parcelle, de procéder au nettoyage des lieux et d'y installer un habitat léger équipé afin de leur permettre d'y habiter en toute sécurité, et de leur restituer les biens meubles saisis. Ils font appel de l'ordonnance du 7 juillet 2025 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté leur demande.
3. Aux termes de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation (...) ". Il résulte de ces dispositions que le représentant de l'Etat, saisi d'une demande en ce sens, doit prêter le concours de la force publique en vue de l'exécution des décisions de justice ayant force exécutoire. Seules des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire statuant sur la demande d'expulsion ou sur la demande de délai pour quitter les lieux et telles que l'exécution de l'expulsion serait susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique. En cas d'octroi de la force publique, il appartient au juge de rechercher si l'appréciation à laquelle s'est livrée l'administration sur la nature et l'ampleur des troubles à l'ordre public susceptibles d'être engendrés par sa décision ou sur les conséquences de l'expulsion des occupants compte tenu de la survenance de circonstances postérieures à la décision de justice l'ayant ordonnée, n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
4. En premier lieu, il n'appartient pas au juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative d'une demande tendant à ce que la décision du représentant de l'Etat d'octroyer le concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice soit suspendue, d'apprécier le bien-fondé de cette décision de justice. En revanche, le juge des référés, saisi d'une demande justifiée par l'urgence, tire des dispositions du même article le pouvoir de prescrire la suspension de l'arrêté préfectoral octroyant le concours de la force publique, lorsqu'il apparaît nécessaire de prévenir, à bref délai, une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la dignité de la personne humaine. Une telle atteinte peut résulter de ce qu'une personne, privée de tout logement, de tout hébergement ou de toute prise en charge adaptée à court terme, est susceptible, à la date à laquelle le juge des référés se prononce, d'être soumise à un traitement inhumain ou dégradant du fait de conséquences, non prises en compte par la décision judiciaire, qui apparaissent résulter de manière suffisamment certaine ou prévisible de l'exécution de la mesure d'expulsion avec le concours de la force publique et se révèlent être d'une particulière gravité pour l'état de santé de la personne ou pour sa vie.
5. Toutefois, il ressort des écritures d'appel des requérants qu'ils ont renoncé à leurs conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint aux autorités compétentes d'interrompre les opérations d'expulsion, lesquelles étaient au demeurant devenues sans objet compte tenu de l'achèvement de ces opérations postérieurement à leur saisine du juge des référés.
6. En second lieu, aux termes de l'article R. 442-1 du code des procédures civiles d'exécution : " les contestations relatives à l'application des dispositions du présent livre sont portées devant le juge de l'exécution du lieu de la situation de l'immeuble ".
7. D'une part, il résulte de l'instruction que Mme P..., M. N..., ainsi que M. et Mme I... et Mme M..., ont saisi le juge de l'exécution d'une contestation de l'expulsion des parcelles qu'ils occupaient, et que le juge de l'exécution, par jugement du 18 juillet 2025, postérieur à l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, a annulé cette expulsion et ordonné leur réintégration sur les lieux. Les intéressés, en appel, demandent qu'il soit enjoint aux autorités compétentes d'exécuter ce jugement, dont l'agence des espaces verts de la région Ile-de-France, qui s'est pourvue en appel, ne conteste pas le caractère exécutoire. Le juge des référés du Conseil d'Etat est manifestement incompétent pour connaître de telles conclusions.
8. D'autre part, les conclusions de Mmes et MM. S..., Mme F... et M. Q... tendant à ce qu'il soit enjoint aux autorités compétentes de les laisser réintégrer les lieux sans délai et de leur restituer les biens meubles saisis lors des opérations d'expulsion relèvent d'une contestation de la régularité et des effets des opérations d'expulsion menées sur le fondement des décisions du juge de l'expropriation mentionnées au point 2. Une telle contestation devant, en application des dispositions du code des procédures civiles d'exécution citées au point 6, être portée devant le juge de l'exécution, le juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'est manifestement pas compétent pour en connaître. Il en va de même des conclusions de l'ensemble des requérants tendant à ce qu'il soit enjoint aux autorités compétentes de procéder au nettoyage des lieux et d'y installer un habitat léger équipé afin de leur permettre d'y habiter en toute sécurité, qui ne sont pas dissociables de celles tendant à ce qu'il soit enjoint à ces autorités, le cas échéant en application des décisions du juge de l'exécution, de leur permettre de réintégrer les lieux.
9. Il résulte de ce qui précède que l'agence des espaces verts de la région Ile-de-France est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise s'est estimé compétent pour statuer sur les conclusions de Mme P... et autres tendant à leur réintégration et à leur réinstallation sur les parcelles dont ils ont été expulsés. Par suite, l'ordonnance attaquée doit être annulée.
10. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme P... et autres devant le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 7 et 8 que le juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'est manifestement pas compétent pour statuer sur les conclusions maintenues par les requérants, dont la demande, par suite, ne peut qu'être rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme P... et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du 7 juillet 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme P... et autres devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme R... P..., Mme J... S..., M. O... S..., M. E... S..., Mme H... S..., Mme L... S..., M. K... Q..., Mme C... F..., M. G... I..., Mme A... I..., Mme D... M... et M. B... N..., à l'agence des espaces verts (AEV) de la région Ile-de-France et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Fait à Paris, le 5 août 2025
Signé : Stéphane Verclytte