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Ariane Web: Conseil d'État 499618, lecture du 13 août 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:499618.20250813

Décision n° 499618
13 août 2025
Conseil d'État

N° 499618
ECLI:FR:CECHS:2025:499618.20250813
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
Mme Céline Boniface, rapporteure
SCP GUÉRIN - GOUGEON, avocats


Lecture du mercredi 13 août 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme C... B... épouse A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner solidairement le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège, la communauté de communes Couserans-Pyrénées et la commune de La Bastide-de-Sérou à lui verser la somme provisionnelle de 638 235,78 euros en réparation des désordres affectant sa propriété. Par une ordonnance n° 2400770 du 28 mai 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Par une ordonnance n° 24TL01506 du 26 novembre 2024, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse a, sur appel de Mme A..., d'une part, annulé cette ordonnance, et, d'autre part, condamné le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège à verser à Mme A... une provision de 150 920 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2023.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 et 26 décembre 2024 et 14 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter l'appel de Mme B... épouse A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Céline Boniface, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Gury et Maître, avocat du syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège SMDEA, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme A..., à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la commune de La Bastide-de-Sérou et à la SCP Guérin - Gougeon, avocat de la communauté de communes Couserans Pyrénées ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que Mme A..., propriétaire, à La Bastide-de-Sérou (Ariège), d'une maison d'habitation située au bord immédiat du canal de dérivation de l'Arize, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner in solidum la commune de La Bastide-de-Sérou, le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège et la communauté de communes Couserans-Pyrénées à lui verser une provision de 638 235,78 euros en réparation de l'ensemble des préjudices que le canal de l'Arize a, selon elle, causés à sa propriété. Par une ordonnance du 28 mai 2024, ce juge des référés a rejeté sa demande. Sur appel de Mme A..., le juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse a, par une ordonnance du 26 novembre 2024, annulé cette ordonnance et condamné le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège à verser à Mme A... une provision de 150 920 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 27 novembre 2023, correspondant, compte tenu de la part de responsabilité que le juge des référés a estimé devoir être supportée par Mme A..., à 70 % des préjudices subis, y compris les frais d'assistance d'un conseil pour présenter le référé expertise et pour se faire assister au cours des opérations d'expertise. Le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.
2. D'une part, aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. "

3. Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.

4. D'autre part, le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

Sur la responsabilité du syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège :

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'expertise, ordonnée le 29 août 2019 par le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse pour décrire les désordres affectant la maison de Mme A..., en rechercher l'origine et indiquer les travaux permettant d'y mettre fin, n'a été réalisée contradictoirement qu'à l'égard de la commune de La Bastide-de-Sérou, le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège ni la communauté de communes Couserans-Pyrénées n'y ayant pas été parties. Le rapport de l'expert désigné par le tribunal a été soumis au débat contradictoire lors de l'instance en référé provision, à l'exclusion de ses annexes, parmi lesquelles figuraient les devis actualisés des travaux de réparation des désordres.

6. Si le juge des référés s'est fondé pour statuer sur l'origine des désordres affectant la maison de Mme A... et se prononcer sur la faute de la victime alléguée par le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège et la communauté de communes Couserans-Pyrénées, sur les éléments figurant dans le rapport d'expertise, il ressort toutefois des énonciations de son ordonnance que c'est uniquement à titre d'éléments d'information corroborés par d'autres éléments du dossier qui lui était soumis.

7. En déduisant ainsi des faits qu'elle a souverainement constaté que les désordres affectant la maison de Mme A... résultaient de mouvements différentiels des fondations ayant pour origine la présence, dans un sol argileux, d'eaux dont l'origine pouvait être imputée, avec un degré suffisant de certitude, à des fuites en provenance du canal de l'Arize, alors même qu'il n'avait pas été procédé à la vérification de l'étanchéité des ouvrages du canal préconisée par le sapiteur, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

8. En second lieu, en estimant, au vu des pièces qui lui étaient soumises, que le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège exerçait, en vertu des articles 2.1, 2.2. et 2.3 de ses statuts, la compétence " Eau ", " Assainissement " et " Canaux ", et qu'il lui appartenait donc de réparer les désordres subis par la propriété de Mme A..., le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit. Le syndicat requérant ne peut utilement faire valoir, pour la première fois devant le juge de cassation et au regard de pièces nouvelles, que la compétence facultative en matière de " canaux " sur le territoire des communes membres de la communauté de communes Couserans-Pyrénées ne lui a jamais été transférée, et donc qu'il ne pouvait être condamné à payer une somme qu'il ne devait pas.

9. Il résulte de ce qui précède que le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse a jugé non sérieusement contestable son obligation de réparer les préjudices subis par Mme A... du fait du canal de l'Arize.

Sur l'évaluation du montant de la provision :

10. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée et des pièces du dossier soumis au juge des référés que celui-ci s'est exclusivement fondé sur le rapport d'expertise, qui, ainsi qu'il est dit au point 5, n'a pas été réalisée contradictoirement à l'égard du syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège, pour déterminer les modalités de réparation des désordres affectant la maison de Mme A... ainsi que pour évaluer le montant de la provision qui devait lui être allouée à ce titre, sans que ces éléments, contestés par les défendeurs, soient corroborés par d'autres éléments du dossier. Par suite le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège est fondé à soutenir qu'en jugeant, dans ces conditions, certain le montant de son obligation envers Mme A... au titre des conséquences dommageables des désordres subis par sa maison du fait du canal de l'Arize, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse a méconnu les principes rappelés au point 4 et commis une erreur de droit.

11. En revanche, le montant de la provision correspondant aux frais engagés par Mme A... pour se faire assister d'un conseil pour former un référé expertise et pour se faire assister au cours des opérations d'expertise, dont ni le principe ni le montant ne sont contestés par le requérant, n'a pas été déterminé par référence au rapport d'expertise non contradictoire.

12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'ordonnance du 26 novembre 2024 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse doit être annulée en tant seulement qu'elle a condamné le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège à verser à Mme A... une provision au titre des travaux de réparation des désordres et des préjudices qui lui sont liés, à l'exclusion des préjudices liés aux frais de conseil et de présentation de sa requête en référé-expertise.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège et de la communauté de communes Couserans-Pyrénées présentées au titre du même article.


D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'ordonnance du 26 novembre 2024 du juge des référés de la cour administrative d'appel de Toulouse est annulé en tant seulement qu'il condamne le syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège à verser à Mme A... une provision au titre des travaux de réparation des désordres et des préjudices qui lui sont liés, à l'exclusion des préjudices liés aux frais de conseil et de présentation de sa requête en référé-expertise.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Toulouse.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au syndicat mixte départemental des eaux et de l'assainissement de l'Ariège, à Mme C... B... épouse A..., à la communauté de communes Couserans-Pyrénées et à la commune de La Bastide-de-Sérou.