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Ariane Web: Conseil d'État 507709, lecture du 30 août 2025, ECLI:FR:CEORD:2025:507709.20250830

Décision n° 507709
30 août 2025
Conseil d'État

N° 507709
ECLI:FR:CEORD:2025:507709.20250830
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. P Ranquet, rapporteur
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, FELIERS, avocats


Lecture du samedi 30 août 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 29 août 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Les amis du virage sud et la société anonyme sportive professionnelle (SASP) Olympique de Marseille demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur du 27 août 2025 portant interdiction de déplacement des supporters du club de football de l'Olympique de Marseille lors de la rencontre du dimanche 31 août 2025 à 20 h 45 avec l'Olympique Lyonnais ;

2°) de suspendre l'exécution des articles 1er et 2 de l'arrêté de la préfète du Rhône du 18 août 2025 portant interdiction, le dimanche 31 août 2025 de 8h00 à 24h00, à toute personne se prévalant de la qualité de supporter de l'équipe de l'Olympique de Marseille d'accéder, de stationner et de circuler au Groupama Stadium de Décines-Charpieu, dans un périmètre déterminé autour de ce stade et dans un périmètre déterminé du vieux Lyon ;

3°) d'ordonner toute mesure de nature à préserver les libertés fondamentales des supporters visiteurs ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




Elles soutiennent que :

- le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier ressort de leurs conclusions dirigées contre l'arrêté du ministre et, par connexité, de celles dirigées contre l'arrêté préfectoral ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que les arrêtés contestés, d'une part, prévoient une interdiction de déplacement des supporters marseillais et d'accès au stade ainsi qu'au vieux Lyon pour la journée du 31 août 2025 alors que les supporters marseillais doivent prévoir et réaliser leurs déplacements et, d'autre part, portent une atteinte illégale aux droits fondamentaux des supporters ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté de réunion, à la liberté d'expression et à la liberté d'association ;
- le risque de troubles graves à l'ordre public n'est pas avéré dès lors que, en premier lieu, aucun élément précis et circonstancié ne permet d'attester d'un risque particulier lié à la rencontre en cause, en deuxième lieu, le contexte de mobilisation des forces de l'ordre est formellement contesté dès lors que le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ne s'appuie sur aucun élément concret, chiffré et probant permettant d'attester d'une tension empêchant le recours de la force publique pour sécuriser le déplacement des supporters marseillais et, en dernier lieu, l'interdiction de déplacement prononcée par le ministre, comme l'interdiction d'accéder au stade, à ses abords et au vieux Lyon, constituent des mesures de police administrative disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi qui aurait pu être satisfait par des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 août 2025, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- le code du sport ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Les amis du virage sud et autre, d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 30 août 2025, à 14 heures :

- Me Féliers, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de l'association Les amis du virage sud et autre ;

- la représentante du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-1 du code du sport : " Le ministre de l'intérieur peut, par arrêté, interdire le déplacement individuel ou collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait qui la motivent ainsi que les communes de point de départ et de destination auxquelles elle s'applique ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 332-16-2 du même code : " Le représentant de l'Etat dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut, par arrêté, restreindre la liberté d'aller et de venir des personnes se prévalant de la qualité de supporter d'une équipe ou se comportant comme tel sur les lieux d'une manifestation sportive et dont la présence est susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public. / L'arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s'applique ".

3. Les interdictions que le ministre de l'intérieur et le représentant de l'Etat dans le département peuvent décider, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus, constituent des mesures de police administrative. L'existence d'une atteinte à l'ordre public de nature à justifier de telles interdictions doit être appréciée objectivement, indépendamment du comportement des personnes qu'elles visent dès lors que leur seule présence serait susceptible d'occasionner des troubles graves pour l'ordre public, tant au cours de leur déplacement que sur le lieu de la manifestation sportive. Il appartient à l'administration de justifier dans le détail, devant le juge, le recours aux interdictions prises sur le fondement des dispositions mentionnées au point 2 tant au regard de la réalité des risques de troubles graves pour l'ordre public qu'elles visent à prévenir que de la proportionnalité des mesures. Il incombe au juge des référés d'apprécier les diligences accomplies par l'administration en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce et de ne faire usage des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sur le fondement desquelles il est saisi que lorsque l'illégalité invoquée présente un caractère manifeste.

4. Il résulte de l'instruction que le dimanche 31 août 2025 à 20h45, le club de l'Olympique Lyonnais (OL) recevra l'Olympique de Marseille (OM), au Groupama Stadium, à Décines-Charpieu, pour un match dans le cadre de la 3ème journée du championnat de France de football de Ligue 1 2025-2026. Par un arrêté du 18 août 2025, la préfète du Rhône a notamment interdit, par les dispositions de ses articles 1er et 2, le dimanche 31 août de 8 h à minuit, à toute personne se prévalant de la qualité de supporter de l'OM ou se comportant comme tel, d'une part, d'accéder au Groupama Stadium et, d'autre part, de circuler ou stationner sur la voie publique à l'intérieur d'un périmètre délimité aux abords de ce stade et d'un périmètre délimité du centre-ville de Lyon. Par un arrêté du 27 août 2025 publié au Journal officiel le 28 août, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur a interdit le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, des mêmes personnes entre les communes du département des Bouches-du-Rhône et les communes de Décines-Charpieu, Meyzieu et Lyon (Rhône), le dimanche 31 août de zéro heure à minuit. L'association Les amis du virage sud et la SASP Olympique de Marseille demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté ministériel et des articles 1er et 2 de l'arrêté préfectoral.

Sur la compétence du juge des référés du Conseil d'Etat :

5. Le juge des référés du Conseil d'Etat ne peut être régulièrement saisi, en premier et dernier ressort, d'une requête tendant à la mise en oeuvre de l'une des procédures régies par le livre V du code de justice administrative que pour autant que le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prendre ressortit lui-même à la compétence directe du Conseil d'Etat.

6. En vertu de l'article R. 341-1 du code de justice administrative : " Lorsque le Conseil d'Etat est saisi de conclusions relevant de sa compétence de premier ressort, il est également compétent pour connaître de conclusions connexes relevant normalement de la compétence de premier ressort d'un tribunal administratif ou d'une cour administrative d'appel ".

7. Le Conseil d'Etat est compétent en premier et dernier ressort, en application du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, pour connaître d'un recours pour excès de pouvoir contre un arrêté du ministre de l'intérieur portant interdiction de déplacement de supporteurs en application de l'article L. 332-16-1 du code du sport, cet arrêté ayant un caractère réglementaire. Le recours contre un arrêté préfectoral de la nature de celui en litige doit en revanche, en principe, être porté devant le tribunal administratif territorialement compétent.

8. Il résulte de l'instruction qu'avant de former la présente requête, les requérantes ont également saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lyon de leurs conclusions dirigées contre l'arrêté de la préfète du Rhône, sur lesquelles ce juge a statué par une ordonnance du 29 août 2025.

9. Pour demander que le juge des référés du Conseil d'Etat se prononce en premier ressort sur les mêmes conclusions, les requérantes font valoir le lien de connexité existant entre le recours qu'elles exercent contre cet arrêté préfectoral et celui qu'elles exercent contre l'arrêté du ministre de l'intérieur portant interdiction de déplacement de supporters se rapportant aux mêmes événements sportifs. Toutefois, si ce lien est bien de nature à justifier, au regard des dispositions de l'article R. 341-1 du code de justice administrative, que le juge des référés du Conseil d'Etat saisi de litiges pendants contre les deux arrêtés se prononce sur l'ensemble de ces litiges, le litige que les requérantes ont engagé en premier ressort contre l'arrêté préfectoral n'est plus pendant depuis que le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a rendu son ordonnance, qu'il appartient aux requérantes, si elles s'y croient fondées, de contester par la voie de l'appel. Par suite, les conditions auxquelles est subordonnée l'application des dispositions de l'article R. 341-1 du code de justice administrative ne sont pas réunies en l'espèce.

10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions des requérantes dirigées contre l'arrêté de la préfète du Rhône ne peuvent qu'être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Sur la demande en référé dirigée contre l'arrêté ministériel :

11. Pour justifier les interdictions en litige, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur fait valoir que de nombreux événements violents, impliquant des supporters de l'OM à l'occasion de déplacements ou des supporters de l'OL lors de rencontres avec des clubs visiteurs, ont eu lieu y compris ces derniers mois, notamment plusieurs rixes ayant rendu nécessaire l'intervention des forces de l'ordre et causé un ou plusieurs blessés à l'issue des rencontres entre l'OL et l'Olympiakos FC le 26 septembre 2024, le Football Club de Nantes le 6 octobre 2024 et le Besiktas JK le 24 octobre 2024, des affrontements avec les forces de l'ordre, dont sept membres ont été légèrement blessés, lors du déplacement de supporters de Marseille à Montpellier le 20 octobre 2024, une rixe dans le centre-ville de Lyon le 11 décembre 2024, la veille de la rencontre entre l'OL et l'Eintracht Francfort, des rixes ayant causé plusieurs blessés lors des déplacements de supporters marseillais à Bordeaux le 11 janvier 2025 et à Auxerre le 23 février 2025, des rixes ayant rendu nécessaire l'intervention des forces de l'ordre, en amont de la rencontre entre l'Association sportive de Monaco et l'OM le 12 avril 2025, au cours de la rencontre opposant le Lille Olympique Sporting Club à l'OM le 4 mai 2025 et en amont de la rencontre entre le Havre Athletic Club et l'OM le 10 mai 2025. Il relève que plusieurs de ces incidents, tels ceux du 24 octobre 2024 à Lyon et du 4 mai 2025 à Lille, se sont produits alors même que les déplacements des supporters avaient fait l'objet d'un encadrement strict ou d'une limitation par la fixation d'une jauge.

12. Il soutient, en outre, qu'une animosité particulière et ancienne entre les supporters des deux clubs est avérée, qui s'est traduite par des incidents lors des deux rencontres de la saison 2022-2023, malgré des mesures d'encadrement et la fixation d'une jauge, qui n'a pas été respectée, et surtout lors de la rencontre jouée à Marseille le 29 octobre 2023, où les bus des joueurs et des supporters lyonnais ont été la cible de jets de projectiles par des supporters marseillais, blessant sept lyonnais dont l'entraîneur du club, ce qui a nécessité l'intervention des forces de l'ordre dont cinq membres ont été légèrement blessés, et causé le report de la rencontre sportive, toutes les rencontres suivantes donnant lieu à une interdiction de déplacement des supporters du club visiteur. Il fait valoir que malgré cela, l'intensité de l'animosité entre les supporters des deux clubs demeure importante, ce dont attestent des incidents récents, par exemple le fait que, lors de la rencontre jouée le 22 septembre 2024 à Lyon, l'intervention des stadiers ait été nécessaire pour empêcher l'agression par des supporters lyonnais de spectateurs ayant manifesté leur joie lors d'actions favorables aux Marseillais, ce qui conduit à retenir l'existence d'un risque réel et sérieux d'affrontements entre les supporters des deux clubs à l'occasion de la rencontre devant opposer les deux équipes le dimanche 31 août 2025 et a d'ailleurs justifié le classement de la rencontre au niveau 4 sur 5 par les services de la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH). Enfin, il fait état du contexte de forte mobilisation des forces de l'ordre dans la zone de défense.

13. Sans contester la réalité de ces faits ni l'existence d'une animosité entre supporters de l'OM et de l'OL, les requérantes soutiennent que l'interdiction de déplacement porte aux libertés fondamentales une atteinte disproportionnée, dès lors que les faits de violence entre supporters des deux équipes ne sont plus récents, que ceux que l'administration a relevés à l'encontre de supporters d'autres clubs sont davantage le fait de groupes isolés identifiables plutôt que de l'ensemble des supporters, dont le comportement n'excède pas les limites raisonnables de la rivalité sportive, et qu'un déroulement apaisé de la rencontre est favorisé en l'espèce par les circonstances de temps, en début de saison donc avec un enjeu sportif limité, et de lieu, compte tenu du dispositif de sécurité performant du stade où elle se déroule. Elles soutiennent que les risques que présente le déplacement des supporters de l'OM pour cette rencontre justifient, non le recours systématique à l'interdiction, mais le recours à des mesures moins attentatoires aux libertés comme l'encadrement du déplacement, la fixation d'une jauge ou le recours à des stadiers supplémentaires que la SASP Olympique de Marseille est prête à fournir, de telles mesures ayant démontré leur efficacité lors de précédents déplacements des supporters de l'OM, par exemple le 6 mai 2023 à Lille et le 23 novembre 2024 à Lens, et que l'impossibilité pour les forces de l'ordre d'assurer la sécurisation de la rencontre en cas de recours à ces mesures n'est pas établie.

14. Il résulte toutefois de l'instruction qu'eu égard à la gravité des événements survenus entre supporters de l'OM et de l'OL le 29 octobre 2023, soit il y a à peine deux ans, aux indices attestant de la persistance d'une vive animosité entre eux et à la fréquence des faits récents de recours à la violence de la part de supporters de l'un ou l'autre club, y compris à l'occasion de rencontres faisant l'objet de mesures d'encadrement, les risques de troubles graves à l'ordre public que comporterait le déplacement des supporters de l'OM ne paraissent pas, en l'état du comportement observé chez les supporters des deux clubs, pouvoir être prévenus efficacement par de simples mesures d'encadrement, et ce alors que la sécurisation de la rencontre dans l'hypothèse où le déplacement demeurerait interdit représente déjà, pour les forces de l'ordre, une mobilisation très importante impliquant de recourir à des moyens supplémentaires par rapport à ceux dont dispose la zone de défense, dans un contexte où de tels moyens sont difficiles à libérer en raison des menaces à prendre en compte sur l'ensemble du territoire national. Dans ces conditions, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que l'arrêté litigieux porterait une atteinte manifestement disproportionnée aux libertés fondamentales invoquées.

15. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, les conclusions de l'association Les amis du virage sud et autre dirigées contre l'arrêté du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur du 27 août 2025 doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : Les conclusions de la requête de l'association Les amis du virage sud et autre dirigées contre l'arrêté du 18 août 2025 de la préfète du Rhône sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Les amis du virage sud, première requérante dénommée et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Fait à Paris, le 30 août 2025
Philippe Ranquet