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Ariane Web: Conseil d'État 507728, lecture du 8 septembre 2025, ECLI:FR:CEORD:2025:507728.20250908

Décision n° 507728
8 septembre 2025
Conseil d'État

N° 507728
ECLI:FR:CEORD:2025:507728.20250908
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
HAAS, avocats


Lecture du lundi 8 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
Mme I... D..., Mme A... E... et Mme F... C..., ont demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 26 août 2025 par lequel le maire d'Orléans a retiré l'autorisation, délivrée le 20 août 2025, d'inhumation de M. B... H... dans le cimetière municipal et opposé un refus à son inhumation dans ce cimetière et, d'autre part, d'enjoindre au maire d'Orléans de délivrer sans délai l'autorisation d'inhumation, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance. Par une ordonnance n° 2504536 du 28 août 2025, le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.

Par une requête et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 29 août et les 1er et 2 septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... et autres demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 26 août 2025 du maire d'Orléans ;

3°) d'enjoindre au maire d'Orléans de délivrer sans délai l'autorisation d'inhumation de M. H... dans le cimetière municipal d'Orléans sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance ;

4°) de mettre à la charge de la commune d'Orléans la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elles soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors qu'il y a urgence à procéder à l'inhumation des morts ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au respect dû à la dépouille d'un mort et à sa famille endeuillée ;
- le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a considéré à tort que le maire pouvait, sans erreur de droit, se fonder sur les circonstances alléguées que M. H... aurait été impliqué dans le génocide rwandais pour refuser l'autorisation d'inhumer dès lors que, d'une part, cette affirmation méconnaît l'autorité de la chose jugée par la décision d'acquittement de M. H... et, d'autre part, il n'est pas permis d'établir des distinctions ou des prescriptions particulières en matière d'inhumation à raison des circonstances qui ont accompagné la mort du défunt ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de droit dès lors que, d'une part, la sépulture est due à M. H... et, d'autre part, la décision d'inhumation n'a provoqué aucun trouble à l'ordre public et les risques allégués en ce qui concerne la constitution d'un lieu de rassemblement, de commémoration ou d'exaltation des auteurs ou complices du génocide ne sont pas établis.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Par un arrêté du 10 août 2025, le maire d'Orléans a concédé à Mme D... une concession familiale dans le cimetière communal pour une durée de trente ans. Le 20 août 2025, il a autorisé l'inhumation dans ce cimetière de M. B... H..., ressortissant rwandais décédé le 8 août 2025 à Niamey (Niger) et époux de Mme D.... Toutefois, par un arrêté du 26 août 2025, le maire d'Orléans a retiré l'autorisation du 20 août 2025 et opposé un refus à l'inhumation de M. B... H... dans ce cimetière. Mme D... et deux de ses filles relèvent appel de l'ordonnance du 28 août 2025 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 26 août 2025 et à ce qu'il soit enjoint au maire d'Orléans d'autoriser l'inhumation.

3. Aux termes de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale (...) ". Aux termes de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / (...) 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes (...) ". Aux termes de l'article L. 2213-8 : " Le maire assure la police des funérailles et des cimetières. " Aux termes de l'article L. 2213-9 : " Sont soumis au pouvoir de police du maire le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l'ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations, sans qu'il soit permis d'établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort. " Enfin, aux termes de l'article L. 2223-3 : " La sépulture dans un cimetière d'une commune est due : / 1° Aux personnes décédées sur son territoire, quel que soit leur domicile ; / 2° Aux personnes domiciliées sur son territoire, alors même qu'elles seraient décédées dans une autre commune ; / 3° Aux personnes non domiciliées dans la commune mais qui y ont droit à une sépulture de famille ; / 4° Aux Français établis hors de France n'ayant pas une sépulture de famille dans la commune et qui sont inscrits ou remplissent les conditions pour être inscrits sur la liste électorale de celle-ci en application des articles L. 12 et L. 14 du code électoral. "

4. Les dispositions de l'article L. 2223-3 du code général des collectivités territoriales cité ci-dessus fixent les catégories de personnes auxquelles la sépulture est due dans les cimetières de la commune. Les dispositions de l'article L. 2213-9, qui confient au maire la police des funérailles, lui interdisent d'établir des distinctions ou des prescriptions particulières en fonction, notamment, des circonstances de la mort. Toutefois, les pouvoirs de police générale et spéciale que le maire tient des dispositions des articles L. 2212-1, L. 2212-2, L. 2213-8 et L. 2213-9 du code général des collectivités territoriales lui permettent de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les troubles à l'ordre public que pourrait susciter une inhumation dans un cimetière de la commune. Il lui appartient, à ce titre, lorsqu'il constate un risque de troubles, de fixer des modalités d'inhumation de nature à préserver l'ordre public. En présence d'un risque de troubles tel que, dans les circonstances de l'espèce, aucune autre mesure ne serait de nature à le prévenir, le maire peut légalement refuser l'autorisation d'inhumation, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article L. 2223-3 du code, qui doivent être conciliées avec celles qui confient au maire des pouvoirs de police.

5. Il résulte de l'instruction conduite devant le tribunal administratif et n'est pas contesté que M. B... H... a occupé une place influente au sein du cercle restreint des conseillers et membres de la famille du président rwandais Habyarimana et il est communément admis que ce premier cercle du pouvoir rwandais a été impliqué dans la préparation et la planification du génocide perpétré à l'encontre des Tutsis en 1994. Il résulte également de cette instruction que M. B... H... était présent au Rwanda pendant la durée des massacres. Le maire d'Orléans a ainsi légalement pu retenir, au soutien de son refus d'autoriser l'inhumation de l'intéressé dans les cimetières de la commune, son implication grave et directe dans le génocide rwandais. La circonstance que la chambre d'appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda a, par un arrêt rendu le 16 novembre 2009, annulé les déclarations de culpabilité prononcées en première instance et prononcé son acquittement au titre de deux chefs d'accusation est dépourvue d'incidence sur la légalité de la mesure contestée, prise pour des motifs de préservation de l'ordre public.

6. Il résulte par ailleurs des débats devant le juge des référés du tribunal administratif que la cérémonie d'obsèques prévue le 28 août 2025, qui devait se dérouler dans le plus grand édifice religieux de la commune, devait réunir des centaines de personnes et a suscité des tensions liées à la vive opposition manifestée par des associations de défense de la mémoire des victimes du génocide rwandais. Ces obsèques ont en outre été l'objet d'une médiatisation importante faisant obstacle à ce qu'elles puissent se dérouler dans des conditions de discrétion propres à éviter des troubles à l'ordre public. En se fondant, pour prendre l'arrêté contesté, sur l'existence ainsi avérée de risques de troubles à l'ordre public ainsi que sur le risque que la sépulture de M. B... H... devienne, compte tenu de la notoriété donnée à sa localisation du fait de la médiatisation de ses obsèques, un lieu de mémoire et de rassemblement, le maire d'Orléans n'a pas commis d'erreur de droit. Il n'apparaît pas, en outre, au vu de l'instruction conduite devant le tribunal administratif, qu'une mesure autre qu'un refus d'inhumation dans les cimetières de la commune pouvait, dans les circonstances de l'espèce, suffire à prévenir la survenance des troubles à l'ordre public mentionnés ci-dessus.

7. Dans ces conditions, il apparaît manifeste que le maire d'Orléans, en prenant l'arrêté contesté, n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Par suite, les conclusions de Mme D... et autres tendant à l'annulation de l'ordonnance attaquée doivent être rejetées par application des dispositions de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le respect de la condition d'urgence. Il en va de même des conclusions aux fins d'injonction et de celles tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme D... et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme I... D..., Mme A... E... et Mme F... C....
Copie en sera adressée à la commune d'Orléans.
Fait à Paris, le 8 septembre 2025
Signé : Pierre Collin