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Ariane Web: Conseil d'État 497187, lecture du 30 septembre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:497187.20250930

Décision n° 497187
30 septembre 2025
Conseil d'État

N° 497187
ECLI:FR:CECHR:2025:497187.20250930
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Erwan Le Bras, rapporteur
FREGET GLASER & ASSOCIES, avocats


Lecture du mardi 30 septembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un autre mémoire, enregistrés les 23 août et 22 novembre 2024, le 23 juillet et le 28 août 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Europe 1 Télécompagnie demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision n° 2024-582 du 27 juin 2024 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) l'a mise en demeure de se conformer, à l'avenir, aux dispositions du 4° du I.1. de l'article 2 de la délibération du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale ;

2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel n° 2011-1 du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Erwan Le Bras, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Maxime Boutron, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 16 de la loi du 30 septembre 1986 : " L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique fixe les règles concernant les conditions de production, de programmation et de diffusion des émissions relatives aux campagnes électorales que les sociétés mentionnées à l'article 44 sont tenues de produire et de programmer. Les prestations fournies à ce titre font l'objet de dispositions insérées dans les cahiers des charges. / Pour la durée des campagnes électorales, l'autorité adresse des recommandations aux éditeurs des services de radio et de télévision autorisés ou ayant conclu une convention en vertu de la présente loi. (...) ". L'article 42 de la même loi dispose que : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle, les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1. (...) L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique rend publiques ces mises en demeure ".

2. Aux termes de l'article 2 de la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel, auquel a succédé l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale : " I. - Traitement de l'actualité / I-1. Actualité liée à l'élection / (...) 4° Les comptes rendus, commentaires et présentations auxquels donnent lieu les élections doivent être exposés avec un souci constant de mesure et d'honnêteté. Les éditeurs veillent également à ce que le choix des extraits des déclarations et écrits des candidats et de leurs soutiens, ainsi que les commentaires auxquels ils peuvent donner lieu, n'en dénaturent pas le sens général. / (...) ".

3. La société Europe 1 Télécompagnie demande au Conseil d'Etat d'annuler la décision du 27 juin 2024 par laquelle l'Arcom l'a mise en demeure de se conformer, à l'avenir, aux dispositions du 4° du I.1. de l'article 2 de la délibération n° 2011-1 du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale.

Sur la légalité externe de la mise en demeure attaquée :

4. En premier lieu, l'article 3 de la délibération du 9 avril 2014 fixant le règlement intérieur du Conseil supérieur de l'audiovisuel prévoit qu'il peut être dérogé en cas d'urgence au délai de quarante-huit heures applicable à la transmission des dossiers figurant à l'ordre du jour des réunions du conseil. Il ressort des pièces du dossier que, dans le contexte de la campagne des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 et eu égard notamment à la mise en garde déjà adressée à l'éditeur du service le 19 juin 2024, l'inscription le 26 juin 2024 du point correspondant à l'ordre du jour de la séance du lendemain, au cours de laquelle le collège de l'Autorité a adopté la mise en demeure attaquée, relevait d'un cas d'urgence au sens de la délibération du 9 avril 2014 et n'est ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, constitutive d'aucune irrégularité.

5. En deuxième lieu, la circonstance que la mise en demeure contestée ait été adoptée en application de dispositions législatives qui confient à l'Arcom tant le pouvoir de prendre des décisions, telles que la délibération du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale, que celui d'en assurer le respect par l'exercice d'un pouvoir de mise en demeure et de sanction n'est pas de nature à établir une méconnaissance par cette autorité du principe d'impartialité protégé par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, les circonstances que la société requérante ait fait l'objet d'une mise en garde le 19 juin 2024 et que ses représentants aient été entendus lors d'une audition le 20 juin 2024 ne sont nullement de nature à établir un manquement de l'Arcom au principe d'impartialité dans l'édiction de la décision attaquée. Enfin, il ressort des pièces du dossier que la mise en demeure attaquée n'a, compte tenu de l'urgence, pas été précédée par un examen dans le cadre d'un groupe de travail comportant des membres du collège de l'Autorité et constitué par celle-ci en application de l'article 4 de son règlement intérieur, de sorte que le moyen tiré du défaut d'impartialité qui résulterait de cet examen par un tel groupe de travail ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

6. En troisième lieu, la décision par laquelle l'Arcom met le titulaire de l'autorisation d'exploiter un service audiovisuel en demeure de se conformer à ses obligations, qui n'inflige pas une sanction, n'a pas à être précédée d'une procédure contradictoire.

7. Enfin, la mise en demeure attaquée, qui mentionne les textes dont elle fait application et indique de façon suffisamment précise les faits reprochés et les obligations méconnues, est suffisamment motivée.

Sur la légalité interne de la mise en demeure attaquée :

8. Pour adresser à la société requérante la mise en demeure attaquée de se conformer, à l'avenir, aux dispositions citées ci-dessus du 4° du I.1. de l'article 2 de la délibération du 4 janvier 2011 imposant d'exposer avec un souci constant de mesure et d'honnêteté les comptes rendus, commentaires et présentations auxquels donnent lieu les élections, l'Arcom s'est fondée sur ce que l'émission d'actualité " On marche sur la tête ", programmée quotidiennement en semaine entre 16 et 18 heures, s'était, entre le 17 et 26 juin 2024 caractérisée par un traitement univoque de l'actualité électorale et la diffusion de propos de nature à méconnaître ces dispositions. L'Arcom a relevé à ce titre que les propos tenus par l'animateur et les chroniqueurs de cette émission, dont elle a cité de nombreux exemples, se sont caractérisés par une critique systématique et virulente, en des termes souvent péjoratifs et outranciers, formée à l'encontre d'un parti politique déterminé et des autres partis membres de la coalition électorale dont il faisait partie, sans que puissent s'exprimer suffisamment d'autres points de vue, notamment par des personnes invitées au cours de l'émission dont une grande majorité était issue d'un même courant politique. Outre l'écho que donnaient à ces propos leurs conditions de diffusion, y compris la reprise sur les comptes de l'animateur et de l'éditeur sur les réseaux sociaux, l'Arcom s'est également fondée sur la brièveté de la campagne des élections législatives convoquées à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024 et la vigilance particulière qu'elle appelait de la part des éditeurs.

9. En premier lieu, si la société requérante soutient que l'Arcom ne pouvait légalement se fonder sur la seule expression d'opinions personnelles dans le cadre de l'émission en cause, la mise en demeure contestée porte, non sur l'expression d'opinions personnelles imputables à leurs auteurs mais sur le respect par l'éditeur de ses obligations. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société requérante, les dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 ne font pas obstacle à ce qu'une mise en demeure puisse être adressée à un éditeur de services en considération des programmes d'une seule émission. Au demeurant, l'Arcom a pris en compte le programme de l'émission quotidienne en cause sur une durée de plus d'une semaine. Enfin, la circonstance que certains représentants de partis politiques aient opposé un refus à leur invitation à l'antenne n'est pas de nature à dispenser la société requérante du respect de ses obligations en matière d'honnêteté et de mesure dans le traitement de l'actualité électorale, ni de priver l'Arcom du pouvoir de la mettre en demeure de s'y conformer.

10. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'émission ayant donné lieu à la mise en demeure contestée a été, comme le relève l'Arcom, programmée sur le service de la société requérante à compter du 17 juin 2024 en remplacement d'une émission de divertissement et dans le contexte de la campagne des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024. Caractérisée par la forte présence à l'antenne d'un animateur vedette et de chroniqueurs déjà connus pour leur participation à une émission de télévision, cette émission a été consacrée au traitement de l'actualité liée à ces élections. Elle a donné lieu entre le 17 juin et le 26 juin 2024, période au titre de laquelle elle a fait l'objet de la mise en demeure contestée, à de très nombreux propos systématiquement critiques et particulièrement virulents à l'encontre de certains partis d'un même bord politique et à la mise en cause de certains de leurs membres, en des termes vifs et de façon nominative. Si la société requérante conteste la portée des propos relevés par l'Arcom, en faisant valoir qu'une certaine forme de contradiction leur aurait été apportée à l'antenne, il ne ressort pas des éléments versés au dossier que l'appréciation portée par l'Arcom, sur la base d'éléments nombreux, convergents et précisément exposés, quant au respect par l'éditeur de son obligation de traiter l'actualité liée à l'élection avec un souci constant de mesure et d'honnêteté serait erronée. Eu égard au caractère récurent des propos tenus à l'antenne et à l'ensemble des caractéristiques du traitement de l'actualité liée aux élections dans le cadre de l'émission en cause, l'Arcom, qui a procédé à un examen complet du dossier, a fait une exacte application des dispositions dont il lui incombe d'assurer le respect, indépendamment des règles applicables aux temps de parole en matière de pluralisme politique, en mettant en demeure l'éditeur du service d'exposer avec un souci constant de mesure et d'honnêteté les comptes rendus, commentaires et présentations auxquels donnent lieu les élections.

11. Enfin, le moyen tiré de la méconnaissance par la délibération contestée des principes de prévisibilité et de sécurité juridiques en raison de la définition postérieure, par une délibération du 17 juillet 2024, des modalités d'appréciation du respect du principe de pluralisme des courants de pensée et d'opinion par les éditeurs de services, ne peut qu'être écarté, la mise en demeure contestée se fondant, ainsi qu'il a été dit précédemment, sur les dispositions de la délibération du 4 janvier 2011 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision en période électorale.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Europe 1 Télécompagnie n'est pas fondée à demander l'annulation de la mise en demeure qu'elle attaque. Sa requête doit, par suite, être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société Europe 1 Télécompagnie est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Europe 1 Télécompagnie et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.