Conseil d'État
N° 498841
ECLI:FR:CECHR:2025:498841.20251002
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Julia Flot, rapporteure
SCP PIWNICA & MOLINIE;MAGENTA;CABINET OYAT, avocats
Lecture du jeudi 2 octobre 2025
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 498841, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 12 février, 11 juillet, 22 août et 1er septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Bourgogne Franche-Comté demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national incluses dans le document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et les horaires de service 2025 et 2026 et son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, dans leur version publiée le 8 juillet 2024 sur le site internet de SNCF Réseau ainsi que dans toutes leurs versions successives ;
2°) d'enjoindre à la société SNCF Réseau d'adopter de nouvelles dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national au sein du document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et de son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, conformes aux principes et règles de tarification applicables aux redevances ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne cinq questions préjudicielles portant sur l'interprétation de l'article 32, paragraphes 1 et 5, de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen ;
4°) de mettre à la charge de la société SNCF Réseau la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 498842, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 12 février, 11 juillet, 22 août et 1er septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Occitanie présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que la requête enregistrée sous le n° 498841.
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3° Sous le n° 498844, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 12 février, 11 juillet, 22 août et 1er septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Hauts-de-France présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que la requête enregistrée sous le n° 498841.
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4° Sous le n° 498845, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 12 février, 11 juillet, 22 août et 1er septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Centre-Val de Loire présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que la requête enregistrée sous le n° 498841.
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5° Sous le n° 498847 par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 12 février, 11 juillet, 22 août et 1er septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Ile-de-France Mobilités présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que la requête enregistrée sous le n° 498841.
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6° Sous le n° 498849, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 11 février et 11 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Nouvelle-Aquitaine demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national incluses dans le document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et les horaires de service 2025 et 2026 et son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, dans leur version publiée le 8 juillet 2024 sur le site internet de SNCF Réseau ainsi que dans toutes leurs versions successives ;
2°) d'enjoindre à la société SNCF Réseau d'adopter de nouvelles dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national au sein du document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et de son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, conformes aux principes et règles de tarification applicables aux redevances ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne cinq questions préjudicielles portant sur l'interprétation de de l'article 32, paragraphe 1, de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen ;
4°) de mettre à la charge de la société SNCF Réseau la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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7° Sous le n° 498896, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 novembre 2024 et 13 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Grand Est demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national incluses dans le document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et les horaires de service 2025 et 2026 et son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, dans leur version publiée le 8 juillet 2024 sur le site internet de SNCF Réseau ainsi que dans toutes leurs versions successives ;
2°) d'enjoindre à la société SNCF Réseau d'adopter de nouvelles dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national au sein du document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et de son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, conformes aux principes et règles de tarification applicables aux redevances ;
3°) de mettre à la charge de la société SNCF Réseau la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 ;
- le règlement d'exécution (UE) 2015/909 de la Commission du 12 juin 2015 ;
- le code des transports ;
- le décret n° 97-446 du 5 mai 1997 ;
- le décret n° 2001-1116 du 27 novembre 2001 ;
- le décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 ;
- la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux nos 472859, 472862, 472868, 472870, 472871, 472872, 472891 et 472899 du 5 mars 2024 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Julia Flot, auditrice,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société SNCF Réseau et à la SAS Hannotin Avocats, avocats des régions Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie, Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Nouvelle-Aquitaine et d'Ile-de-France Mobilités
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 septembre 2025, présentée par les régions Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie, Hauts-de-France, Centre-Val de Loire et Nouvelle-Aquitaine et par Ile-de-France Mobilités ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 septembre 2025, présentée par la région Nouvelle-Aquitaine ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
En ce qui concerne les principes applicables à la fixation des redevances d'infrastructure :
1. La directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen définit notamment le cadre de tarification de l'infrastructure ferroviaire par des redevances, selon des principes énoncés à son article 31. Le paragraphe 3 de cet article prévoit ainsi que : " les redevances perçues pour l'ensemble des prestations minimales et pour l'accès à l'infrastructure reliant les installations de service sont égales au coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire. ". Par exception à ce principe, le 1 de l'article 32 dispose que : " Un État membre peut, afin de procéder au recouvrement total des coûts encourus par le gestionnaire de l'infrastructure et si le marché s'y prête, percevoir des majorations sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires, tout en garantissant une compétitivité optimale des segments du marché ferroviaire. Le système de tarification respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires. "
2. Selon l'article L. 2111-9 du code des transports : " La société SNCF Réseau a pour mission d'assurer de façon transparente et non discriminatoire (...) : 1° L'accès à l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, comprenant la répartition des capacités et la tarification de cette infrastructure ; (...) ". Aux termes de l'article L. 2122-5 du même code : " Le gestionnaire d'infrastructure assurant la fonction de répartition des capacités de l'infrastructure ferroviaire publie chaque année un document de référence du réseau qui décrit les caractéristiques de l'infrastructure mise à disposition des entreprises ferroviaires, les tarifs des prestations offertes, les règles de répartition des capacités, ainsi que les informations nécessaires à l'exercice des droits d'accès au réseau (...) ".
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2111-25 du même code, le calcul des redevances d'infrastructure " tient notamment compte du coût de l'infrastructure, de la situation du marché des transports et des caractéristiques de l'offre et de la demande, des impératifs de l'utilisation optimale du réseau ferré national et de l'harmonisation des conditions de la concurrence intermodale ; il tient également compte de la nécessité de tenir les engagements de desserte par des trains à grande vitesse pris par l'État dans le cadre de la construction des lignes à grande vitesse et de permettre le maintien ou le développement de dessertes ferroviaires pertinentes en matière d'aménagement du territoire ; enfin, il tient compte, lorsque le marché s'y prête, et sur le segment de marché considéré, de la soutenabilité des redevances et de la valeur économique, pour l'attributaire de la capacité d'infrastructure, de l'utilisation du réseau ferré national et respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires. " Le troisième alinéa de cet article précise que, pour les services de transport ferroviaire faisant l'objet d'un contrat de service public, dits " services conventionnés ", " la soutenabilité des redevances est évaluée selon des modalités permettant de prendre en compte les spécificités de tels services, en particulier l'existence d'une contribution financière des autorités organisatrices à leur exploitation, en vue d'assurer, le cas échéant, que les majorations sont définies sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires. Ces modalités consistent à s'assurer que le montant total des redevances à la charge de ces services n'excède pas la part de coût complet de gestion du réseau qui leur est imputable et que l'équilibre économique des entreprises ferroviaires est respecté en tenant compte des compensations de service public dont elles bénéficient. "
4. Le I de l'article 3 du décret du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferroviaire définit les prestations minimales que comprend, pour toute entreprise ferroviaire, le droit d'accès au réseau ferré national. Aux termes du III du même article : " L'accès par le réseau aux prestations minimales mentionnées au premier alinéa du I donne lieu au versement de redevances d'infrastructure dans les conditions prévues par le décret n° 97-441 du 5 mai 1997 (...) ". L'article 31 du même décret dispose que le gestionnaire d'infrastructure " peut, afin de procéder au recouvrement total des coûts encourus par lui et si le marché s'y prête, percevoir des majorations des redevances d'infrastructure pour des segments particuliers de marché (...). 2° Le gestionnaire d'infrastructure définit la liste des segments de marché. Elle contient au moins les trois segments suivants : (...) services de transport de passagers dans le cadre d'un contrat de service public (...). / 3° Le gestionnaire d'infrastructure définit le niveau des majorations des redevances pour les segments de marché de la liste mentionnée au 2°. Ces majorations sont calculées sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires, tout en garantissant une compétitivité optimale des segments du marché ferroviaire. Le système de tarification du gestionnaire d'infrastructure respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires ".
5. L'article 4 du décret du 5 mai 1997 relatif aux redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national perçues par SNCF Réseau prévoit que la redevance de circulation, la redevance due pour l'utilisation du système ferroviaire d'alimentation électrique pour le courant de traction et la redevance concernant la couverture des pertes de systèmes électriques depuis les sous-stations jusqu'aux points de captage des trains sont destinées à couvrir le coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire. En application de l'article 6 de ce décret, dans sa rédaction alors en vigueur, SNCF Réseau fixe dans le document de référence du réseau la redevance de marché, qui est une majoration de redevance d'infrastructure " établie sur la base d'unités d'oeuvre liées à l'utilisation de l'infrastructure ", son montant pouvant être modulé en fonction de différents critères. L'article 6-1 du même décret prévoit que " L'accès au réseau ferré national des services publics de transport de voyageurs assurés en exécution d'un contrat conclu par une autorité organisatrice de transports donne lieu au versement d'une redevance dite "redevance d'accès". / En contrepartie de cette redevance, qui représente une majoration de redevance d'infrastructure (...) SNCF Réseau met à la disposition des services organisés par cette autorité des capacités d'infrastructure ".
En ce qui concerne la procédure d'élaboration des redevances d'infrastructure :
6. Le quatrième alinéa de l'article L. 2111-25 du code des transports dispose que tout projet de modification des modalités de fixation des redevances d'infrastructure " fait l'objet d'une consultation et d'un avis de la ou des régions concernées et de l'Autorité de régulation des transports ". Aux termes du II de l'article 17 du décret du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferroviaire : " Le gestionnaire d'infrastructure soumet le projet de document de référence du réseau à l'avis du ministre chargé des transports, des candidats et des organisations nationales représentatives des usagers des transports ferroviaires. Les avis sont réputés favorables s'ils ne sont pas intervenus dans les deux mois suivant la transmission du projet. Les projets de modifications des éléments mentionnés à l'article 31 figurent dans le projet de document de référence du réseau. " Selon l'article 7 du décret du 27 novembre 2001 relatif au transfert de compétences en matière de transports collectifs d'intérêt régional : " Tout projet portant modification de la structure ou du barème des redevances d'infrastructure pouvant avoir une incidence dans le ressort territorial d'une région est soumis pour avis à cette région au moins trois mois avant la date prévue pour l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions. / Le conseil régional est réputé avoir donné son avis s'il ne s'est pas prononcé dans le délai de deux mois à compter de sa saisine. "
Sur le litige :
7. Par une décision nos 472859, 472862, 472868, 472870, 472871, 472872, 472891, 472899 du 5 mars 2024 le Conseil d'Etat, statuant au Contentieux a annulé les dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et décidé que cette annulation prendrait effet le 1er octobre 2024. A la suite de cette décision, la société SNCF Réseau, gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, a publié le 8 juillet 2024 sur son site internet une nouvelle version du document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024, qui comporte des dispositions tarifaires fixant les principes de tarification des redevances d'utilisation de l'infrastructure de ce réseau pour les horaires de service 2024 à 2026, leur barème pour l'horaire de service 2024 et leurs modalités d'évolution pour les horaires de service 2025 et 2026. L'Autorité de régulation des transports a rendu le 5 septembre 2024 sur ces dispositions un avis favorable, sous réserve de la correction des montants de la redevance de marché de cinq autorités organisatrices de transport. Le conseil d'administration de la société SNCF Réseau a adopté le 11 septembre 2024 ce document de référence, modifié en ce qui concerne les éléments sur lesquels l'Autorité de régulation des transports avait émis des réserves. Les régions Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie, Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Nouvelle-Aquitaine et Grand Est, ainsi qu'Ile-de-France Mobilités, autorité organisatrice des services de transports publics de personnes dans la région Île-de-France, demandent l'annulation des dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national figurant dans la version du document de référence du réseau publiée le 8 juillet 2024 ainsi que dans toutes ses versions ultérieures. Leurs requêtes présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur la légalité externe des dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national :
8. En premier lieu, il résulte des dispositions, citées aux points 2 et 3, des articles L. 2111-9 et L. 2111-25 du code des transports, qui assurent la transposition des dispositions de la directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 citées au point 1, qu'il appartient à la société SNCF Réseau d'assurer sa mission de tarification de l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, en particulier s'agissant des majorations des redevances, en respectant une exigence de transparence, laquelle implique notamment que lorsqu'il modifie la structure ou le barème des redevances d'infrastructure, il fournisse aux participants aux consultations prévues par les dispositions citées au point 6 une information suffisante pour les mettre en mesure d'exprimer un avis éclairé sur les dispositions tarifaires en cause et, s'agissant des autorités organisatrices des services de transport public de voyageurs, leur permettre de s'assurer que le montant total des redevances à la charge de ces services n'excède pas la part de coût complet du réseau qui leur est imputable et que l'équilibre économique des entreprises ferroviaires est respecté en tenant compte des compensations de service public dont elles bénéficient.
9. Les régions Grand-Est et Nouvelle-Aquitaine soutiennent n'avoir pas été mises à même d'exprimer un avis éclairé sur les dispositions tarifaires en cause ni de s'assurer que le montant total des redevances à leur charge n'excédait pas la part de coût complet du réseau qui leur est imputable. Elles font valoir que SNCF Réseau n'aurait communiqué aucune information sur la décomposition des coûts complets, que des anomalies persistent dans les modalités d'estimation de ces coûts et que les hypothèses qui sous-tendent les évolutions prévues sont insuffisamment justifiées. Toutefois alors, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que le projet de document de référence du réseau soumis à consultation comprend des indications sur l'estimation du montant et de l'évolution des principales composantes des coûts complets des activités de SNCF Réseau, sur la part qui est affectée aux prestations minimales donnant lieu aux redevances, sur les modalités d'imputation des coûts du réseau dédié et des coûts du réseau partagé aux activités conventionnées de transport relevant de chaque autorité organisatrice, ainsi que sur le taux de couverture des coûts complets imputables à ces activités et, d'autre part, que contrairement à ce que soutiennent ces deux régions, l'exigence de transparence n'implique pas de procéder à une allocation des coûts pour chaque ligne du réseau, un tel moyen ne peut qu'être écarté. S'il est également soutenu que faute pour les intéressées de comprendre les modalités de calcul de la redevance de marché qui leur a été imputée, en particulier le mode de détermination du coefficient d'indexation appliqué aux barèmes de la redevance de marché mis en oeuvre au titre de l'horaire de service 2023, et faute que les modalités précises de fixation de la redevance d'accès, qui est conçue par les auteurs des tarifs comme une variable d'ajustement pour égaliser le taux de couverture des coûts complets attribuable à chaque autorité organisatrice, soient transparentes, les tarifs auraient été fixés de manière irrégulière, il résulte des pièces du dossier qu'un fichier comportant les différentes étapes de ces calculs a été transmis à chacune de ces autorités. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions tarifaires en cause méconnaîtraient l'exigence de transparence rappelée au point précédent doit être écarté.
10. En deuxième lieu, la circonstance, invoquée par la région Grand Est, que la réunion de présentation des dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national aux autorités organisatrices, que la société SNCF Réseau n'était au demeurant pas tenue d'organiser, l'aurait été dans des conditions qui ne lui auraient pas permis de formuler des observations, et l'absence alléguée de " dialogue constructif " pendant une réunion bilatérale entre SNCF Réseau et ses services, sont sans incidence sur la régularité de la procédure de consultation de ces autorités au regard des dispositions citées au point 6. En outre, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qui est soutenu, les consultations prévues par les dispositions de l'article 17 du décret du 7 mars 2003 sur les dispositions tarifaires en cause ont bien été effectuées, SNCF Réseau ayant, par un courrier électronique en date du 8 avril 2024, adressé le projet de document de référence du réseau ferré national aux personnes dont l'avis devait être recueilli.
11. Enfin, en vertu de l'article 7 du règlement intérieur du conseil d'administration de la société SNCF Réseau, ses membres sont convoqués au minimum dix jours avant sa réunion et, en cas d'urgence, peuvent être convoqués vingt-quatre heures à l'avance. Si les requérants soutiennent que la convocation du conseil d'administration, respectivement sept jours et cinq jours à l'avance, pour ses séances du 3 juillet 2024, afin d'adopter une nouvelle version des dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national, puis du 11 septembre 2024, pour prendre en compte l'avis rendu le 5 septembre par l'autorité de régulation des transports, est intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article 7 du règlement intérieur de ce conseil, la proximité de la date d'effet de l'annulation prononcée par le Conseil d'Etat, statuant au Contentieux de la précédente version des dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national, fixée au 1er octobre 2024, justifiait la convocation en urgence des membres du conseil d'administration. En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ressort des pièces du dossier que les membres du conseil d'administration de la société SNCF Réseau ont reçu, préalablement à la séance du conseil d'administration du 3 juillet 2024, les documents leur permettant d'y participer en connaissance de cause, notamment l'ensemble des observations émises par les parties consultées, et qu'ils ont disposé d'un délai suffisant à cet effet.
Sur la légalité interne des dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national :
12. Il résulte des dispositions mentionnées aux points 1 et 3 que des majorations de redevances pour les services de transport de passagers dans le cadre d'un contrat de service public, dits " services conventionnés ", ayant pour but de couvrir, en plus du coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire, tout ou partie des coûts fixes du réseau, peuvent être instituées sous réserve de leur soutenabilité, c'est-à-dire de la capacité du marché à les supporter. Il résulte en particulier du troisième alinéa de l'article L. 2111-25 du code des transports cité au point 3 que, pour les services conventionnés, la soutenabilité est appréciée en tenant compte de l'existence d'une contribution financière des autorités organisatrices à leur exploitation. Son évaluation consiste à s'assurer, d'une part, que le montant total des redevances à la charge de ces services n'excède pas la part du coût complet de gestion du réseau qui leur est imputable, d'autre part, que les tarifs projetés ne remettent pas en cause l'équilibre économique des contrats de service public du segment de marché considéré en faisant peser sur les entreprises ferroviaires des majorations qu'elles ne peuvent pas supporter ou, en cas de compensation des redevances par les autorités organisatrices, en prévoyant des majorations à un niveau de nature à conduire celles-ci à prendre des mesures susceptibles d'affecter sensiblement l'utilisation de l'infrastructure sur ce segment.
13. En premier lieu, les requérants soutiennent que les dispositions tarifaires attaquées méconnaitraient l'exigence de soutenabilité, rappelée au point précédent, en ce qu'elles conduiraient le montant des redevances au titre des services conventionnés à excéder la part de coût complet du réseau qui leur est imputable, en raison de lacunes et d'erreurs méthodologiques importantes qui les conduiraient à surestimer les coûts complets du réseau ferré national ainsi que la part de ces coûts affectés aux prestations minimales et, au sein de ceux-ci, la part des coûts du réseau dédié et du réseau partagé qui leur est imputable.
14. Il ressort de l'avis de l'Autorité de régulation des transports du 5 septembre 2024 que certains éléments financiers relevant des " autres produits " et des " autres coûts " ont été inclus par SNCF Réseau dans le périmètre des prestations minimales, alors qu'ils relèvent manifestement du périmètre des prestations non régulées, et que la correction de ces erreurs conduit à une hausse de 3 points du taux de couverture du coût complet des prestations minimales. En outre, SNCF Réseau alloue aux services conventionnés la totalité du coût complet du réseau dédié des lignes catégorisées " UIC 7 à UIC 9 ", alors qu'il résulte des pièces du dossier que celles-ci sont également utilisées par d'autres services ferroviaires, notamment des trains de fret, Intercités et TGV dans une proportion que l'Autorité de régulation des transports évalue en moyenne à près de 8 %, et que le retraitement correspondant aboutirait, d'après les études de Frontier Economics produites par les requérants, à une hausse de 1,9 à 5,1 points du taux de couverture du coût complet des prestations minimales selon les autorités organisatrices. Si les choix méthodologiques retenus par SNCF Réseau et admis par l'Autorité de régulation des transports ne sauraient justifier l'imputation aux services conventionnés de charges correspondant à l'utilisation des réseaux par d'autres services, il ne ressort cependant pas des pièces du dossier que l'effet cumulé des deux retraitements mentionnés ci-dessus conduirait, pour tout ou partie des services conventionnés, à dépasser le taux de 100 % de couverture des coûts complets sur la période du cycle tarifaire 2024-2026. Par ailleurs, la seule circonstance que l'Autorité de régulation des transports ait effectué une analyse de sensibilité du taux de couverture à l'hypothèse d'un coût moyen pondéré du capital de 5,2 %, au lieu de celui de 5,7 % retenu, ne suffit pas à établir que celui-ci serait surévalué. Enfin, les requérantes ne sauraient utilement se prévaloir, au soutien de ce moyen, de ce que SNCF Réseau n'aurait pas pris en considération les comptes pour l'année 2021, dont elle disposait déjà à la date de l'adoption des dispositions annulées par le Conseil d'Etat, ainsi que diverses recommandations de l'Autorité de régulation des transports relatives à l'amélioration des méthodes d'évaluation et d'allocation des coûts, sans en évaluer les effets sur le taux de couverture des coûts. Par suite, les autorités requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions tarifaires contestées méconnaîtraient l'exigence de soutenabilité en établissant le montant des redevances au titre des services conventionnés à un niveau qui excéderait la part de coût complet du réseau qui leur est imputable.
15. En deuxième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que SNCF Réseau n'aurait pas réalisé une analyse de chacun des segments de marché correspondant aux services exploités par chaque autorité afin de s'assurer que l'évolution des majorations permettrait d'atteindre l'objectif d'utilisation optimale de l'infrastructure ferroviaire sans avoir pour effet de nuire à la compétitivité du secteur ferroviaire par rapport à d'autres modes de transport ne saurait suffire à établir qu'auraient été méconnues les dispositions de l'article L. 2111-25 du code des transports et celles de l'article 31 du décret du 7 mars 2003 selon lesquelles les majorations peuvent être perçues " si le marché s'y prête ", interprétées à la lumière des dispositions du troisième alinéa du 1 de l'article 32 de la directive 2012/34/UE citées au point 1. En outre, en se bornant à relever que le niveau du trafic régional demeure inférieur aux prévisions du contrat de performance entre SNCF Réseau et l'Etat, ou à faire valoir qu'elles ont dû augmenter le coût des titres de transports, qu'elles ont renoncé à des projets de renforcement de leur offre de transport sur certaines lignes et qu'elles devront étudier la possibilité d'une réduction de leur offre de transport, les autorités organisatrices requérantes n'établissent pas que les majorations atteignent un niveau de nature à les conduire à prendre des mesures susceptibles d'affecter sensiblement l'utilisation de l'infrastructure sur le segment de marché correspondant. Enfin, elles n'établissent pas davantage que la nouvelle structure tarifaire mise en place par SNCF Réseau, qui repose sur une forfaitisation de la redevance de marché à partir des prévisions de trafic communiquées par les autorités organisatrices de transport, ne tiendrait pas compte des impératifs de l'utilisation optimale du réseau ferré national et méconnaitrait pour ce motif les dispositions de l'article L. 2111-25 du code des transports.
16. En troisième lieu, si les requérants soutiennent que, du fait de son caractère forfaitaire et de ce qu'elle est établie sur la base de simples prévisions de trafic et non d'éléments relatifs à l'utilisation réelle de l'infrastructure, la redevance de marché méconnaîtrait l'article 6 du décret du 5 mai 1997, cité au point 5, qui prévoit, dans sa rédaction antérieure à sa modification par un décret du 21 juillet 2025, que la redevance de marché est établie " sur la base d'unités d'oeuvre liées à l'utilisation de l'infrastructure ", il résulte des dispositions tarifaires contestées qu'elles comportent un mécanisme de régularisation a posteriori de cette redevance en fonction du trafic réel, lorsque celui-ci est inférieur à 90 % du volume de référence sur la base duquel son montant forfaitaire a été fixé. Dans ces conditions, le moyen ne peut qu'être écarté.
17. En troisième lieu, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé le moyen tiré de ce que les modalités d'établissement et de répartition de la redevance d'accès, d'une part, et de la redevance de marché, d'autre part, méconnaîtraient l'obligation de définir les majorations sur la base de principes non discriminatoires en ce qu'elles viseraient à harmoniser le taux de couverture des coûts complets, en dehors du cas des services relevant d'Ile-de-France-Mobilités, et qu'elles auraient fait l'objet d'ajustements ayant pour effet de distendre le lien entre l'utilisation du réseau ferré national et le montant des redevances acquittées. Il en va de même du moyen, soulevé par la région Nouvelle-Aquitaine, tiré de ce que les dispositions tarifaires attaquées méconnaîtraient, en l'absence de dispositions transitoires, le principe de sécurité juridique.
18. Enfin, La région Nouvelle-Aquitaine ne saurait utilement soutenir que les dispositions tarifaires attaquées ne respecteraient pas le plafond prévu par le contrat de performance conclu entre l'Etat et SNCF Réseau ni exciper de l'illégalité de ce contrat, ces dispositions n'ayant, en tout état de cause, pas été prises pour l'application de ce contrat, qui ne constitue pas davantage leur base légale.
19. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la société SNCF Réseau ni, en l'absence de tout doute raisonnable quant à l'interprétation des dispositions en cause du droit de l'Union européenne, de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national incluses dans le document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et les horaires de service 2025 et 2026. Par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société SNCF Réseau qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de chacun des requérants la somme de 3 000 euros à verser à SNCF Réseau au titre de ces dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la région Bourgogne-Franche-Comté, de la région Occitanie, de la région Hauts de France, de la région Centre-Val de Loire, d'Ile-de-France Mobilités, de la région Nouvelle-Aquitaine et de la région Grand Est sont rejetées.
Article 2 : La région Bourgogne-Franche-Comté, la région Occitanie, la région Hauts de France, la région Centre-Val de Loire, Ile-de-France Mobilités, la région Nouvelle-Aquitaine et la région Grand Est verseront chacun la somme de 3 000 euros à la société SNCF Réseau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la région Bourgogne-Franche-Comté, à la région Occitanie, à la région Hauts de France, à la région Centre-Val de Loire, à Ile-de-France Mobilités, à la région Nouvelle-Aquitaine, à la région Grand Est, à la société SNCF Réseau et à l'Autorité de régulation des transports.
Copie en sera adressée au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
N° 498841
ECLI:FR:CECHR:2025:498841.20251002
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Julia Flot, rapporteure
SCP PIWNICA & MOLINIE;MAGENTA;CABINET OYAT, avocats
Lecture du jeudi 2 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu les procédures suivantes :
1° Sous le n° 498841, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 12 février, 11 juillet, 22 août et 1er septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Bourgogne Franche-Comté demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national incluses dans le document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et les horaires de service 2025 et 2026 et son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, dans leur version publiée le 8 juillet 2024 sur le site internet de SNCF Réseau ainsi que dans toutes leurs versions successives ;
2°) d'enjoindre à la société SNCF Réseau d'adopter de nouvelles dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national au sein du document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et de son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, conformes aux principes et règles de tarification applicables aux redevances ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne cinq questions préjudicielles portant sur l'interprétation de l'article 32, paragraphes 1 et 5, de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen ;
4°) de mettre à la charge de la société SNCF Réseau la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 498842, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 12 février, 11 juillet, 22 août et 1er septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Occitanie présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que la requête enregistrée sous le n° 498841.
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3° Sous le n° 498844, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 12 février, 11 juillet, 22 août et 1er septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Hauts-de-France présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que la requête enregistrée sous le n° 498841.
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4° Sous le n° 498845, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 12 février, 11 juillet, 22 août et 1er septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Centre-Val de Loire présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que la requête enregistrée sous le n° 498841.
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5° Sous le n° 498847 par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 12 février, 11 juillet, 22 août et 1er septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Ile-de-France Mobilités présente les mêmes conclusions et les mêmes moyens que la requête enregistrée sous le n° 498841.
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6° Sous le n° 498849, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 12 novembre 2024 et les 11 février et 11 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Nouvelle-Aquitaine demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national incluses dans le document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et les horaires de service 2025 et 2026 et son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, dans leur version publiée le 8 juillet 2024 sur le site internet de SNCF Réseau ainsi que dans toutes leurs versions successives ;
2°) d'enjoindre à la société SNCF Réseau d'adopter de nouvelles dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national au sein du document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et de son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, conformes aux principes et règles de tarification applicables aux redevances ;
3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne cinq questions préjudicielles portant sur l'interprétation de de l'article 32, paragraphe 1, de la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen ;
4°) de mettre à la charge de la société SNCF Réseau la somme de 15 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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7° Sous le n° 498896, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 novembre 2024 et 13 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la région Grand Est demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national incluses dans le document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et les horaires de service 2025 et 2026 et son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, dans leur version publiée le 8 juillet 2024 sur le site internet de SNCF Réseau ainsi que dans toutes leurs versions successives ;
2°) d'enjoindre à la société SNCF Réseau d'adopter de nouvelles dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national au sein du document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et de son annexe 5 détaillant les modalités de cette tarification, conformes aux principes et règles de tarification applicables aux redevances ;
3°) de mettre à la charge de la société SNCF Réseau la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 ;
- le règlement d'exécution (UE) 2015/909 de la Commission du 12 juin 2015 ;
- le code des transports ;
- le décret n° 97-446 du 5 mai 1997 ;
- le décret n° 2001-1116 du 27 novembre 2001 ;
- le décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 ;
- la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux nos 472859, 472862, 472868, 472870, 472871, 472872, 472891 et 472899 du 5 mars 2024 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Julia Flot, auditrice,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société SNCF Réseau et à la SAS Hannotin Avocats, avocats des régions Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie, Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Nouvelle-Aquitaine et d'Ile-de-France Mobilités
Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 septembre 2025, présentée par les régions Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie, Hauts-de-France, Centre-Val de Loire et Nouvelle-Aquitaine et par Ile-de-France Mobilités ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 septembre 2025, présentée par la région Nouvelle-Aquitaine ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
En ce qui concerne les principes applicables à la fixation des redevances d'infrastructure :
1. La directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen définit notamment le cadre de tarification de l'infrastructure ferroviaire par des redevances, selon des principes énoncés à son article 31. Le paragraphe 3 de cet article prévoit ainsi que : " les redevances perçues pour l'ensemble des prestations minimales et pour l'accès à l'infrastructure reliant les installations de service sont égales au coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire. ". Par exception à ce principe, le 1 de l'article 32 dispose que : " Un État membre peut, afin de procéder au recouvrement total des coûts encourus par le gestionnaire de l'infrastructure et si le marché s'y prête, percevoir des majorations sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires, tout en garantissant une compétitivité optimale des segments du marché ferroviaire. Le système de tarification respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires. "
2. Selon l'article L. 2111-9 du code des transports : " La société SNCF Réseau a pour mission d'assurer de façon transparente et non discriminatoire (...) : 1° L'accès à l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, comprenant la répartition des capacités et la tarification de cette infrastructure ; (...) ". Aux termes de l'article L. 2122-5 du même code : " Le gestionnaire d'infrastructure assurant la fonction de répartition des capacités de l'infrastructure ferroviaire publie chaque année un document de référence du réseau qui décrit les caractéristiques de l'infrastructure mise à disposition des entreprises ferroviaires, les tarifs des prestations offertes, les règles de répartition des capacités, ainsi que les informations nécessaires à l'exercice des droits d'accès au réseau (...) ".
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2111-25 du même code, le calcul des redevances d'infrastructure " tient notamment compte du coût de l'infrastructure, de la situation du marché des transports et des caractéristiques de l'offre et de la demande, des impératifs de l'utilisation optimale du réseau ferré national et de l'harmonisation des conditions de la concurrence intermodale ; il tient également compte de la nécessité de tenir les engagements de desserte par des trains à grande vitesse pris par l'État dans le cadre de la construction des lignes à grande vitesse et de permettre le maintien ou le développement de dessertes ferroviaires pertinentes en matière d'aménagement du territoire ; enfin, il tient compte, lorsque le marché s'y prête, et sur le segment de marché considéré, de la soutenabilité des redevances et de la valeur économique, pour l'attributaire de la capacité d'infrastructure, de l'utilisation du réseau ferré national et respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires. " Le troisième alinéa de cet article précise que, pour les services de transport ferroviaire faisant l'objet d'un contrat de service public, dits " services conventionnés ", " la soutenabilité des redevances est évaluée selon des modalités permettant de prendre en compte les spécificités de tels services, en particulier l'existence d'une contribution financière des autorités organisatrices à leur exploitation, en vue d'assurer, le cas échéant, que les majorations sont définies sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires. Ces modalités consistent à s'assurer que le montant total des redevances à la charge de ces services n'excède pas la part de coût complet de gestion du réseau qui leur est imputable et que l'équilibre économique des entreprises ferroviaires est respecté en tenant compte des compensations de service public dont elles bénéficient. "
4. Le I de l'article 3 du décret du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferroviaire définit les prestations minimales que comprend, pour toute entreprise ferroviaire, le droit d'accès au réseau ferré national. Aux termes du III du même article : " L'accès par le réseau aux prestations minimales mentionnées au premier alinéa du I donne lieu au versement de redevances d'infrastructure dans les conditions prévues par le décret n° 97-441 du 5 mai 1997 (...) ". L'article 31 du même décret dispose que le gestionnaire d'infrastructure " peut, afin de procéder au recouvrement total des coûts encourus par lui et si le marché s'y prête, percevoir des majorations des redevances d'infrastructure pour des segments particuliers de marché (...). 2° Le gestionnaire d'infrastructure définit la liste des segments de marché. Elle contient au moins les trois segments suivants : (...) services de transport de passagers dans le cadre d'un contrat de service public (...). / 3° Le gestionnaire d'infrastructure définit le niveau des majorations des redevances pour les segments de marché de la liste mentionnée au 2°. Ces majorations sont calculées sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires, tout en garantissant une compétitivité optimale des segments du marché ferroviaire. Le système de tarification du gestionnaire d'infrastructure respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires ".
5. L'article 4 du décret du 5 mai 1997 relatif aux redevances d'infrastructure liées à l'utilisation du réseau ferré national perçues par SNCF Réseau prévoit que la redevance de circulation, la redevance due pour l'utilisation du système ferroviaire d'alimentation électrique pour le courant de traction et la redevance concernant la couverture des pertes de systèmes électriques depuis les sous-stations jusqu'aux points de captage des trains sont destinées à couvrir le coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire. En application de l'article 6 de ce décret, dans sa rédaction alors en vigueur, SNCF Réseau fixe dans le document de référence du réseau la redevance de marché, qui est une majoration de redevance d'infrastructure " établie sur la base d'unités d'oeuvre liées à l'utilisation de l'infrastructure ", son montant pouvant être modulé en fonction de différents critères. L'article 6-1 du même décret prévoit que " L'accès au réseau ferré national des services publics de transport de voyageurs assurés en exécution d'un contrat conclu par une autorité organisatrice de transports donne lieu au versement d'une redevance dite "redevance d'accès". / En contrepartie de cette redevance, qui représente une majoration de redevance d'infrastructure (...) SNCF Réseau met à la disposition des services organisés par cette autorité des capacités d'infrastructure ".
En ce qui concerne la procédure d'élaboration des redevances d'infrastructure :
6. Le quatrième alinéa de l'article L. 2111-25 du code des transports dispose que tout projet de modification des modalités de fixation des redevances d'infrastructure " fait l'objet d'une consultation et d'un avis de la ou des régions concernées et de l'Autorité de régulation des transports ". Aux termes du II de l'article 17 du décret du 7 mars 2003 relatif à l'utilisation du réseau ferroviaire : " Le gestionnaire d'infrastructure soumet le projet de document de référence du réseau à l'avis du ministre chargé des transports, des candidats et des organisations nationales représentatives des usagers des transports ferroviaires. Les avis sont réputés favorables s'ils ne sont pas intervenus dans les deux mois suivant la transmission du projet. Les projets de modifications des éléments mentionnés à l'article 31 figurent dans le projet de document de référence du réseau. " Selon l'article 7 du décret du 27 novembre 2001 relatif au transfert de compétences en matière de transports collectifs d'intérêt régional : " Tout projet portant modification de la structure ou du barème des redevances d'infrastructure pouvant avoir une incidence dans le ressort territorial d'une région est soumis pour avis à cette région au moins trois mois avant la date prévue pour l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions. / Le conseil régional est réputé avoir donné son avis s'il ne s'est pas prononcé dans le délai de deux mois à compter de sa saisine. "
Sur le litige :
7. Par une décision nos 472859, 472862, 472868, 472870, 472871, 472872, 472891, 472899 du 5 mars 2024 le Conseil d'Etat, statuant au Contentieux a annulé les dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et décidé que cette annulation prendrait effet le 1er octobre 2024. A la suite de cette décision, la société SNCF Réseau, gestionnaire de l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, a publié le 8 juillet 2024 sur son site internet une nouvelle version du document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024, qui comporte des dispositions tarifaires fixant les principes de tarification des redevances d'utilisation de l'infrastructure de ce réseau pour les horaires de service 2024 à 2026, leur barème pour l'horaire de service 2024 et leurs modalités d'évolution pour les horaires de service 2025 et 2026. L'Autorité de régulation des transports a rendu le 5 septembre 2024 sur ces dispositions un avis favorable, sous réserve de la correction des montants de la redevance de marché de cinq autorités organisatrices de transport. Le conseil d'administration de la société SNCF Réseau a adopté le 11 septembre 2024 ce document de référence, modifié en ce qui concerne les éléments sur lesquels l'Autorité de régulation des transports avait émis des réserves. Les régions Bourgogne-Franche-Comté, Occitanie, Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Nouvelle-Aquitaine et Grand Est, ainsi qu'Ile-de-France Mobilités, autorité organisatrice des services de transports publics de personnes dans la région Île-de-France, demandent l'annulation des dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national figurant dans la version du document de référence du réseau publiée le 8 juillet 2024 ainsi que dans toutes ses versions ultérieures. Leurs requêtes présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.
Sur la légalité externe des dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national :
8. En premier lieu, il résulte des dispositions, citées aux points 2 et 3, des articles L. 2111-9 et L. 2111-25 du code des transports, qui assurent la transposition des dispositions de la directive 2012/34/UE du 21 novembre 2012 citées au point 1, qu'il appartient à la société SNCF Réseau d'assurer sa mission de tarification de l'infrastructure ferroviaire du réseau ferré national, en particulier s'agissant des majorations des redevances, en respectant une exigence de transparence, laquelle implique notamment que lorsqu'il modifie la structure ou le barème des redevances d'infrastructure, il fournisse aux participants aux consultations prévues par les dispositions citées au point 6 une information suffisante pour les mettre en mesure d'exprimer un avis éclairé sur les dispositions tarifaires en cause et, s'agissant des autorités organisatrices des services de transport public de voyageurs, leur permettre de s'assurer que le montant total des redevances à la charge de ces services n'excède pas la part de coût complet du réseau qui leur est imputable et que l'équilibre économique des entreprises ferroviaires est respecté en tenant compte des compensations de service public dont elles bénéficient.
9. Les régions Grand-Est et Nouvelle-Aquitaine soutiennent n'avoir pas été mises à même d'exprimer un avis éclairé sur les dispositions tarifaires en cause ni de s'assurer que le montant total des redevances à leur charge n'excédait pas la part de coût complet du réseau qui leur est imputable. Elles font valoir que SNCF Réseau n'aurait communiqué aucune information sur la décomposition des coûts complets, que des anomalies persistent dans les modalités d'estimation de ces coûts et que les hypothèses qui sous-tendent les évolutions prévues sont insuffisamment justifiées. Toutefois alors, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que le projet de document de référence du réseau soumis à consultation comprend des indications sur l'estimation du montant et de l'évolution des principales composantes des coûts complets des activités de SNCF Réseau, sur la part qui est affectée aux prestations minimales donnant lieu aux redevances, sur les modalités d'imputation des coûts du réseau dédié et des coûts du réseau partagé aux activités conventionnées de transport relevant de chaque autorité organisatrice, ainsi que sur le taux de couverture des coûts complets imputables à ces activités et, d'autre part, que contrairement à ce que soutiennent ces deux régions, l'exigence de transparence n'implique pas de procéder à une allocation des coûts pour chaque ligne du réseau, un tel moyen ne peut qu'être écarté. S'il est également soutenu que faute pour les intéressées de comprendre les modalités de calcul de la redevance de marché qui leur a été imputée, en particulier le mode de détermination du coefficient d'indexation appliqué aux barèmes de la redevance de marché mis en oeuvre au titre de l'horaire de service 2023, et faute que les modalités précises de fixation de la redevance d'accès, qui est conçue par les auteurs des tarifs comme une variable d'ajustement pour égaliser le taux de couverture des coûts complets attribuable à chaque autorité organisatrice, soient transparentes, les tarifs auraient été fixés de manière irrégulière, il résulte des pièces du dossier qu'un fichier comportant les différentes étapes de ces calculs a été transmis à chacune de ces autorités. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions tarifaires en cause méconnaîtraient l'exigence de transparence rappelée au point précédent doit être écarté.
10. En deuxième lieu, la circonstance, invoquée par la région Grand Est, que la réunion de présentation des dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national aux autorités organisatrices, que la société SNCF Réseau n'était au demeurant pas tenue d'organiser, l'aurait été dans des conditions qui ne lui auraient pas permis de formuler des observations, et l'absence alléguée de " dialogue constructif " pendant une réunion bilatérale entre SNCF Réseau et ses services, sont sans incidence sur la régularité de la procédure de consultation de ces autorités au regard des dispositions citées au point 6. En outre, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qui est soutenu, les consultations prévues par les dispositions de l'article 17 du décret du 7 mars 2003 sur les dispositions tarifaires en cause ont bien été effectuées, SNCF Réseau ayant, par un courrier électronique en date du 8 avril 2024, adressé le projet de document de référence du réseau ferré national aux personnes dont l'avis devait être recueilli.
11. Enfin, en vertu de l'article 7 du règlement intérieur du conseil d'administration de la société SNCF Réseau, ses membres sont convoqués au minimum dix jours avant sa réunion et, en cas d'urgence, peuvent être convoqués vingt-quatre heures à l'avance. Si les requérants soutiennent que la convocation du conseil d'administration, respectivement sept jours et cinq jours à l'avance, pour ses séances du 3 juillet 2024, afin d'adopter une nouvelle version des dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national, puis du 11 septembre 2024, pour prendre en compte l'avis rendu le 5 septembre par l'autorité de régulation des transports, est intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article 7 du règlement intérieur de ce conseil, la proximité de la date d'effet de l'annulation prononcée par le Conseil d'Etat, statuant au Contentieux de la précédente version des dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national, fixée au 1er octobre 2024, justifiait la convocation en urgence des membres du conseil d'administration. En outre, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ressort des pièces du dossier que les membres du conseil d'administration de la société SNCF Réseau ont reçu, préalablement à la séance du conseil d'administration du 3 juillet 2024, les documents leur permettant d'y participer en connaissance de cause, notamment l'ensemble des observations émises par les parties consultées, et qu'ils ont disposé d'un délai suffisant à cet effet.
Sur la légalité interne des dispositions tarifaires du document de référence du réseau ferré national :
12. Il résulte des dispositions mentionnées aux points 1 et 3 que des majorations de redevances pour les services de transport de passagers dans le cadre d'un contrat de service public, dits " services conventionnés ", ayant pour but de couvrir, en plus du coût directement imputable à l'exploitation du service ferroviaire, tout ou partie des coûts fixes du réseau, peuvent être instituées sous réserve de leur soutenabilité, c'est-à-dire de la capacité du marché à les supporter. Il résulte en particulier du troisième alinéa de l'article L. 2111-25 du code des transports cité au point 3 que, pour les services conventionnés, la soutenabilité est appréciée en tenant compte de l'existence d'une contribution financière des autorités organisatrices à leur exploitation. Son évaluation consiste à s'assurer, d'une part, que le montant total des redevances à la charge de ces services n'excède pas la part du coût complet de gestion du réseau qui leur est imputable, d'autre part, que les tarifs projetés ne remettent pas en cause l'équilibre économique des contrats de service public du segment de marché considéré en faisant peser sur les entreprises ferroviaires des majorations qu'elles ne peuvent pas supporter ou, en cas de compensation des redevances par les autorités organisatrices, en prévoyant des majorations à un niveau de nature à conduire celles-ci à prendre des mesures susceptibles d'affecter sensiblement l'utilisation de l'infrastructure sur ce segment.
13. En premier lieu, les requérants soutiennent que les dispositions tarifaires attaquées méconnaitraient l'exigence de soutenabilité, rappelée au point précédent, en ce qu'elles conduiraient le montant des redevances au titre des services conventionnés à excéder la part de coût complet du réseau qui leur est imputable, en raison de lacunes et d'erreurs méthodologiques importantes qui les conduiraient à surestimer les coûts complets du réseau ferré national ainsi que la part de ces coûts affectés aux prestations minimales et, au sein de ceux-ci, la part des coûts du réseau dédié et du réseau partagé qui leur est imputable.
14. Il ressort de l'avis de l'Autorité de régulation des transports du 5 septembre 2024 que certains éléments financiers relevant des " autres produits " et des " autres coûts " ont été inclus par SNCF Réseau dans le périmètre des prestations minimales, alors qu'ils relèvent manifestement du périmètre des prestations non régulées, et que la correction de ces erreurs conduit à une hausse de 3 points du taux de couverture du coût complet des prestations minimales. En outre, SNCF Réseau alloue aux services conventionnés la totalité du coût complet du réseau dédié des lignes catégorisées " UIC 7 à UIC 9 ", alors qu'il résulte des pièces du dossier que celles-ci sont également utilisées par d'autres services ferroviaires, notamment des trains de fret, Intercités et TGV dans une proportion que l'Autorité de régulation des transports évalue en moyenne à près de 8 %, et que le retraitement correspondant aboutirait, d'après les études de Frontier Economics produites par les requérants, à une hausse de 1,9 à 5,1 points du taux de couverture du coût complet des prestations minimales selon les autorités organisatrices. Si les choix méthodologiques retenus par SNCF Réseau et admis par l'Autorité de régulation des transports ne sauraient justifier l'imputation aux services conventionnés de charges correspondant à l'utilisation des réseaux par d'autres services, il ne ressort cependant pas des pièces du dossier que l'effet cumulé des deux retraitements mentionnés ci-dessus conduirait, pour tout ou partie des services conventionnés, à dépasser le taux de 100 % de couverture des coûts complets sur la période du cycle tarifaire 2024-2026. Par ailleurs, la seule circonstance que l'Autorité de régulation des transports ait effectué une analyse de sensibilité du taux de couverture à l'hypothèse d'un coût moyen pondéré du capital de 5,2 %, au lieu de celui de 5,7 % retenu, ne suffit pas à établir que celui-ci serait surévalué. Enfin, les requérantes ne sauraient utilement se prévaloir, au soutien de ce moyen, de ce que SNCF Réseau n'aurait pas pris en considération les comptes pour l'année 2021, dont elle disposait déjà à la date de l'adoption des dispositions annulées par le Conseil d'Etat, ainsi que diverses recommandations de l'Autorité de régulation des transports relatives à l'amélioration des méthodes d'évaluation et d'allocation des coûts, sans en évaluer les effets sur le taux de couverture des coûts. Par suite, les autorités requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions tarifaires contestées méconnaîtraient l'exigence de soutenabilité en établissant le montant des redevances au titre des services conventionnés à un niveau qui excéderait la part de coût complet du réseau qui leur est imputable.
15. En deuxième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que SNCF Réseau n'aurait pas réalisé une analyse de chacun des segments de marché correspondant aux services exploités par chaque autorité afin de s'assurer que l'évolution des majorations permettrait d'atteindre l'objectif d'utilisation optimale de l'infrastructure ferroviaire sans avoir pour effet de nuire à la compétitivité du secteur ferroviaire par rapport à d'autres modes de transport ne saurait suffire à établir qu'auraient été méconnues les dispositions de l'article L. 2111-25 du code des transports et celles de l'article 31 du décret du 7 mars 2003 selon lesquelles les majorations peuvent être perçues " si le marché s'y prête ", interprétées à la lumière des dispositions du troisième alinéa du 1 de l'article 32 de la directive 2012/34/UE citées au point 1. En outre, en se bornant à relever que le niveau du trafic régional demeure inférieur aux prévisions du contrat de performance entre SNCF Réseau et l'Etat, ou à faire valoir qu'elles ont dû augmenter le coût des titres de transports, qu'elles ont renoncé à des projets de renforcement de leur offre de transport sur certaines lignes et qu'elles devront étudier la possibilité d'une réduction de leur offre de transport, les autorités organisatrices requérantes n'établissent pas que les majorations atteignent un niveau de nature à les conduire à prendre des mesures susceptibles d'affecter sensiblement l'utilisation de l'infrastructure sur le segment de marché correspondant. Enfin, elles n'établissent pas davantage que la nouvelle structure tarifaire mise en place par SNCF Réseau, qui repose sur une forfaitisation de la redevance de marché à partir des prévisions de trafic communiquées par les autorités organisatrices de transport, ne tiendrait pas compte des impératifs de l'utilisation optimale du réseau ferré national et méconnaitrait pour ce motif les dispositions de l'article L. 2111-25 du code des transports.
16. En troisième lieu, si les requérants soutiennent que, du fait de son caractère forfaitaire et de ce qu'elle est établie sur la base de simples prévisions de trafic et non d'éléments relatifs à l'utilisation réelle de l'infrastructure, la redevance de marché méconnaîtrait l'article 6 du décret du 5 mai 1997, cité au point 5, qui prévoit, dans sa rédaction antérieure à sa modification par un décret du 21 juillet 2025, que la redevance de marché est établie " sur la base d'unités d'oeuvre liées à l'utilisation de l'infrastructure ", il résulte des dispositions tarifaires contestées qu'elles comportent un mécanisme de régularisation a posteriori de cette redevance en fonction du trafic réel, lorsque celui-ci est inférieur à 90 % du volume de référence sur la base duquel son montant forfaitaire a été fixé. Dans ces conditions, le moyen ne peut qu'être écarté.
17. En troisième lieu, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé le moyen tiré de ce que les modalités d'établissement et de répartition de la redevance d'accès, d'une part, et de la redevance de marché, d'autre part, méconnaîtraient l'obligation de définir les majorations sur la base de principes non discriminatoires en ce qu'elles viseraient à harmoniser le taux de couverture des coûts complets, en dehors du cas des services relevant d'Ile-de-France-Mobilités, et qu'elles auraient fait l'objet d'ajustements ayant pour effet de distendre le lien entre l'utilisation du réseau ferré national et le montant des redevances acquittées. Il en va de même du moyen, soulevé par la région Nouvelle-Aquitaine, tiré de ce que les dispositions tarifaires attaquées méconnaîtraient, en l'absence de dispositions transitoires, le principe de sécurité juridique.
18. Enfin, La région Nouvelle-Aquitaine ne saurait utilement soutenir que les dispositions tarifaires attaquées ne respecteraient pas le plafond prévu par le contrat de performance conclu entre l'Etat et SNCF Réseau ni exciper de l'illégalité de ce contrat, ces dispositions n'ayant, en tout état de cause, pas été prises pour l'application de ce contrat, qui ne constitue pas davantage leur base légale.
19. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la société SNCF Réseau ni, en l'absence de tout doute raisonnable quant à l'interprétation des dispositions en cause du droit de l'Union européenne, de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation pour excès de pouvoir des dispositions relatives à la tarification de l'usage du réseau ferré national incluses dans le document de référence du réseau ferré national pour l'horaire de service 2024 et les horaires de service 2025 et 2026. Par voie de conséquence, leurs conclusions aux fins d'injonction doivent être rejetées.
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société SNCF Réseau qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de chacun des requérants la somme de 3 000 euros à verser à SNCF Réseau au titre de ces dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la région Bourgogne-Franche-Comté, de la région Occitanie, de la région Hauts de France, de la région Centre-Val de Loire, d'Ile-de-France Mobilités, de la région Nouvelle-Aquitaine et de la région Grand Est sont rejetées.
Article 2 : La région Bourgogne-Franche-Comté, la région Occitanie, la région Hauts de France, la région Centre-Val de Loire, Ile-de-France Mobilités, la région Nouvelle-Aquitaine et la région Grand Est verseront chacun la somme de 3 000 euros à la société SNCF Réseau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la région Bourgogne-Franche-Comté, à la région Occitanie, à la région Hauts de France, à la région Centre-Val de Loire, à Ile-de-France Mobilités, à la région Nouvelle-Aquitaine, à la région Grand Est, à la société SNCF Réseau et à l'Autorité de régulation des transports.
Copie en sera adressée au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.