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Ariane Web: Conseil d'État 501204, lecture du 2 octobre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:501204.20251002

Décision n° 501204
2 octobre 2025
Conseil d'État

N° 501204
ECLI:FR:CECHR:2025:501204.20251002
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François-Xavier Bréchot, rapporteur
SAS BOULLOCHE, COLIN, STOCLET ET ASSOCIÉS, avocats


Lecture du jeudi 2 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société française de restauration et services (SFRS) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, d'une part, de suspendre, en application de l'article L. 551-17 du code de justice administrative, l'exécution de l'accord-cadre ayant pour objet la fabrication, la fourniture et la livraison de repas en liaison froide conclu par la commune de Cholet avec la société Elior Restauration France le 17 décembre 2024, d'autre part, d'annuler cet accord-cadre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-18 du même code et, enfin, de prononcer une pénalité financière à l'encontre de la commune de Cholet, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-20 de ce code.

Par une ordonnance n° 2419900 du 20 janvier 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de suspension présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-17 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de la demande de la société française de restauration et services.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 et 19 février et le 7 mai 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société française de restauration et services demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Cholet une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la commande publique ;
- l'arrêté du 22 mars 2019 relatif à la signature électronique des contrats de la commande publique ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François-Xavier Bréchot, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société française de restauration et services, à la SCP Bauer-Violas - Feschotte-Desbois - Sebagh, avocat de la commune de Cholet et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Elior Restauration France ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Nantes que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 31 mai 2024, la commune de Cholet a lancé une consultation, selon la procédure adaptée, en vue de l'attribution d'un accord-cadre ayant pour objet des prestations de fabrication, fourniture et livraison de repas en liaison froide. Par courrier du 24 octobre 2024, la commune de Cholet a informé la société française de restauration et services (SFRS) du rejet de son offre et de l'attribution de l'accord-cadre à la société Elior Restauration France. Par une ordonnance du 10 décembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, annulé cette procédure au stade de l'analyse des offres et enjoint à la commune de Cholet, si elle entendait conclure le contrat, de reprendre la procédure de passation au stade de l'examen des offres. Par un courrier du 17 décembre 2024, la commune de Cholet a informé la SFRS que, après une nouvelle analyse des offres, son offre avait été rejetée et celle de la société Elior Restauration France de nouveau retenue. Le 18 décembre 2024, la SFRS a une nouvelle fois demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de mise en concurrence. Ayant appris que le contrat avait été signé le 17 décembre 2024, la SFRS a demandé au même juge des référés la suspension de l'exécution de ce contrat ainsi que son annulation et la condamnation de la commune de Cholet à des pénalités financières, sur le fondement des articles L. 551-17, L. 551-18 et L. 551-20 du code de justice administrative. Par une ordonnance du 20 janvier 2025, contre laquelle la SFRS se pourvoit en cassation, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions de sa demande à fin de suspension du contrat et rejeté le surplus de sa demande en référé contractuel.

2. Aux termes de l'article L. 551-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section ". Aux termes de l'article L. 551-18 du même code : " Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. / La même annulation est prononcée lorsque ont été méconnues les modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. / Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat ".

3. Aux termes de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 2181-1 du même code : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de son article R. 2181-2, applicable aux marchés passés selon une procédure adaptée : " Tout candidat ou soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été rejetée peut obtenir les motifs de ce rejet dans un délai de quinze jours à compter de la réception de sa demande à l'acheteur. / Lorsque l'offre de ce soumissionnaire n'était ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, l'acheteur lui communique en outre les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché. " Il résulte de ces dispositions que, pour les marchés passés selon une procédure adaptée, l'acheteur doit, dès qu'il décide de rejeter une offre, notifier ce rejet au soumissionnaire concerné, sans être tenu de lui notifier la décision d'attribution.

4. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 511-18 du code de justice administrative citées au point 2 que, s'agissant des marchés passés selon une procédure adaptée, qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ne sont pas soumis à l'obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du contrat, la décision d'attribution, l'annulation d'un tel contrat ne peut, en principe, résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l'article L. 551-18 du code de justice administrative, c'est-à-dire de l'absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d'acquisition dynamique. Le juge du référé contractuel doit également annuler un marché à procédure adaptée, sur le fondement des dispositions du troisième alinéa de l'article L. 551-18 du même code, ou prendre l'une des autres mesures mentionnées à l'article L. 551-20 dans l'hypothèse où, alors qu'un recours en référé précontractuel a été formé, le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice n'a pas respecté la suspension de signature du contrat prévue aux articles L. 551-4 ou L. 551-9 ou ne s'est pas conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce référé.

5. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le moyen tiré de ce que le contrat litigieux avait été signé avant l'envoi à la société française de restauration et services de la décision de rejet de son offre était inopérant devant le juge du référé contractuel. Celui-ci n'était, par suite, pas tenu d'y répondre.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2182-3 du code de la commande publique : " Le marché peut être signé électroniquement, selon les modalités fixées par un arrêté du ministre chargé de l'économie qui figure en annexe du présent code ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 22 mars 2019 relatif à la signature électronique des contrats de la commande publique : " Lorsque la signature électronique est requise pour tout document sous forme électronique d'un contrat de la commande publique, il est signé selon les modalités prévues au présent arrêté. " Aux termes de l'article 5-5-1 du règlement de la consultation de l'accord cadre litigieux : " (...) Les propositions n'ont pas à être remises signées par les candidats. Le contrat sera signé par le seul attributaire de manière électronique (...) ".

7. Dès lors qu'il n'appartient pas au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, de contrôler la validité de la signature du contrat qui lui est soumis, la société française de restauration et services ne pouvait utilement soutenir devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes que le contrat litigieux n'avait pas été régulièrement signé. En tout état de cause, il ne résulte ni de l'article R. 2182-3 du code de la commande publique, ni d'aucune autre disposition législative ou réglementaire, en particulier de l'arrêté du 22 mars 2019 relatif à la signature électronique des contrats de la commande publique, qu'un contrat signé électroniquement par l'une des parties ne pourrait pas être signé de façon manuscrite par l'autre partie. Par suite, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, après avoir relevé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que les stipulations de l'article 5-5-1 du règlement de la consultation imposaient uniquement la signature électronique du contrat par l'attributaire, que le représentant de la commune avait pu régulièrement le signer de manière manuscrite.

8. En dernier lieu, la société requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que le juge des référés du tribunal administratif de Nantes aurait dénaturé les pièces du dossier en retenant, pour écarter le moyen tiré de ce que la commune n'aurait pas respecté le délai de suspension de la signature du contrat auquel elle s'était soumise volontairement lors de la première attribution de celui-ci à la société Elior Restauration France, que la procédure ayant conduit à cette première attribution avait été annulée par sa précédente ordonnance du 10 décembre 2024.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque.

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Cholet qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre, au titre des mêmes dispositions, à la charge de la société française de restauration et services la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Cholet, d'une part, et à la société Elior restauration France, d'autre part.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société française de restauration et services est rejeté.
Article 2 : La société française de restauration et services versera à la commune de Cholet et à la société Elior restauration France une somme de 3 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société française de restauration et services, à la commune de Cholet et à la société Elior restauration France.