Conseil d'État
N° 493788
ECLI:FR:CECHR:2025:493788.20251010
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Céline Boniface, rapporteure
LLA AVOCATS, avocats
Lecture du vendredi 10 octobre 2025
Vu la procédure suivante :
La société Rim Communication a demandé au tribunal administratif de Paris d'ordonner l'exequatur de l'arrêt n° 12/2018 du 10 juillet 2018 rendu par la cour d'appel de Nouakchott et de la décision n° 06/2019 du 4 février 2020 rendue par la Cour suprême de la République islamique de Mauritanie dans un litige né de la résiliation d'un contrat conclu le 10 janvier 2013 entre la communauté urbaine de Nouakchott et la requérante, portant sur la gestion de l'espace et des dispositifs publicitaires de la communauté urbaine. Par une ordonnance n° 2306711/4-2 du 5 juillet 2023, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté cette demande comme manifestement irrecevable.
Par un arrêt n° 23PA03945 du 25 avril 2024, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 5 septembre 2023 au greffe de la cour, de la société RIM Communication contre l'ordonnance de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris.
Par ce pourvoi et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 19 juin 2024 et 7 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société RIM Communication demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la région de Nouakchott la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'accord en matière de justice entre la République française et la République islamique de Mauritanie du 19 juin 1961 ;
- la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, signée à Rome le 19 juin 1980 et le décret n° 91-242 du 28 février 1991 portant publication de ladite convention, notamment en son article 2 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Céline Boniface, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la société Rim Communication ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société RIM communication, société de droit mauritanien, a demandé au président du tribunal administratif de Paris qu'il ordonne, sur le fondement de l'accord en matière de justice entre la République française et la République islamique de Mauritanie du 19 juin 1961, l'exequatur, d'une part de l'arrêt de la cour d'appel de Nouakchott du 10 juillet 2018, condamnant la communauté urbaine de Nouakchott à lui payer la somme de 664 959 738 ouguiyas en indemnisation du préjudice subi du fait de la résiliation fautive d'un contrat de concession et, d'autre part, de la décision du 4 février 2020 de la Cour suprême de la République islamique de Mauritanie ayant rejeté le recours de la communauté urbaine de Nouakchott à l'encontre de l'arrêt du 17 juillet 2018. La société RIM Communication se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 5 juillet 2023 par laquelle la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté cette demande comme manifestement irrecevable.
Sur le pourvoi :
2. Aux termes de l'article 36 de l'accord en matière de justice entre la République française et la République islamique de Mauritanie du 19 juin 1961 : " En matière civile et commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire de la République islamique de Mauritanie ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat si elles réunissent les conditions suivantes : / a) La décision émane d'une juridiction compétente selon les règles concernant les conflits de compétence admises dans l'Etat où la décision est exécutée ; / b) La décision est, d'après la loi de l'Etat où elle a été rendue, passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution ; / c) Les parties ont été régulièrement citées, représentées ou déclarées défaillantes ; / d) La décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat. Elle ne doit pas non plus être contraire à une décision judiciaire prononcée dans cet Etat et possédant à son égard l'autorité de la chose jugée ". Aux termes de l'article 38 du même accord : " L'exequatur est accordé, quelle que soit la valeur du litige, par le président du tribunal de grande instance ou de la juridiction correspondante du lieu où l'exécution doit être poursuivie. / Le président est saisi et statue suivant la forme prévue pour les référés. / La décision ne peut faire l'objet que d'un recours en cassation ". Enfin, aux termes de l'article 45 de cet accord : " L'exécution des décisions rendues en matière administrative est poursuivie comme il est dit au présent titre, sous la réserve que le président de la juridiction compétente pour connaître au premier degré des litiges de plein contentieux est substitué au président de la juridiction visée à l'alinéa 1er de l'article 38 ".
3. Pour rejeter la demande d'exequatur de la société RIM Communication comme manifestement irrecevable, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris s'est fondée sur la circonstance que l'arrêt de la cour d'appel de Nouakchott et la décision de la Cour suprême de la République islamique de Mauritanie étaient relatifs à des faits s'étant déroulés sur le territoire de la Mauritanie et ne présentant ainsi aucun lien avec la France. Elle a, ce faisant, commis une erreur de droit.
4. Il suit de là que la société RIM Communication est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur la demande d'exequatur :
6. Aux termes de l'article 39 de l'accord en matière de justice entre la République française et la République islamique de Mauritanie du 19 juin 1961 : " Le président se borne à vérifier si la décision dont l'exequatur est demandé remplit les conditions prévues à l'article 36 pour avoir de plein droit l'autorité de la chose jugée. / Il procède d'office à cet examen et doit en constater le résultat dans sa décision. (...) ".
7. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté par la région de Nouakchott, qui vient aux droits de la communauté urbaine de Nouakchott et à laquelle le pourvoi a été communiqué dans les formes prévues par les stipulations des articles 25 et 27 de l'accord du 19 juin 1961 sans qu'elle produise en défense, que les deux décisions dont l'exequatur est demandé ont été rendues au terme de procédures régulières, les parties ayant été valablement citées ou représentées, et qu'elles sont passées en force de chose jugée et susceptibles d'exécution.
8. Il résulte également de l'instruction que les décisions dont l'exequatur est demandé émanent de juridictions compétentes selon la loi applicable à ce litige, né de l'exécution d'un contrat qui n'est en aucune façon régi par le droit français mais régi, conformément à la volonté des parties, par le droit mauritanien.
9. Il résulte enfin de l'instruction que ces mêmes décisions ne contiennent rien de contraire à l'ordre public international et aux principes du droit public, ni ne sont contraires à une décision de justice prononcée en France.
10. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'exequatur présentée par la société RIM Communication.
Sur les frais du litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région de Nouakchott la somme de 3 000 euros à verser à la société RIM Communication au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 5 juillet 2023 de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : L'arrêt n° 12/2018 du 10 juillet 2018 de la cour d'appel de Nouakchott et la décision n° 06/2019 du 4 février 2020 de la Cour suprême de la République islamique de Mauritanie sont déclarées exécutoires sur le territoire français.
Article 3 : La région de Nouakchott versera à la société Rim Communication la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société RIM Communication, à la région de Nouakchott et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
N° 493788
ECLI:FR:CECHR:2025:493788.20251010
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
Mme Céline Boniface, rapporteure
LLA AVOCATS, avocats
Lecture du vendredi 10 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société Rim Communication a demandé au tribunal administratif de Paris d'ordonner l'exequatur de l'arrêt n° 12/2018 du 10 juillet 2018 rendu par la cour d'appel de Nouakchott et de la décision n° 06/2019 du 4 février 2020 rendue par la Cour suprême de la République islamique de Mauritanie dans un litige né de la résiliation d'un contrat conclu le 10 janvier 2013 entre la communauté urbaine de Nouakchott et la requérante, portant sur la gestion de l'espace et des dispositifs publicitaires de la communauté urbaine. Par une ordonnance n° 2306711/4-2 du 5 juillet 2023, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté cette demande comme manifestement irrecevable.
Par un arrêt n° 23PA03945 du 25 avril 2024, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le pourvoi, enregistré le 5 septembre 2023 au greffe de la cour, de la société RIM Communication contre l'ordonnance de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris.
Par ce pourvoi et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 19 juin 2024 et 7 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société RIM Communication demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge de la région de Nouakchott la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'accord en matière de justice entre la République française et la République islamique de Mauritanie du 19 juin 1961 ;
- la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, signée à Rome le 19 juin 1980 et le décret n° 91-242 du 28 février 1991 portant publication de ladite convention, notamment en son article 2 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Céline Boniface, maîtresse des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP L. Poulet, Odent, avocat de la société Rim Communication ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société RIM communication, société de droit mauritanien, a demandé au président du tribunal administratif de Paris qu'il ordonne, sur le fondement de l'accord en matière de justice entre la République française et la République islamique de Mauritanie du 19 juin 1961, l'exequatur, d'une part de l'arrêt de la cour d'appel de Nouakchott du 10 juillet 2018, condamnant la communauté urbaine de Nouakchott à lui payer la somme de 664 959 738 ouguiyas en indemnisation du préjudice subi du fait de la résiliation fautive d'un contrat de concession et, d'autre part, de la décision du 4 février 2020 de la Cour suprême de la République islamique de Mauritanie ayant rejeté le recours de la communauté urbaine de Nouakchott à l'encontre de l'arrêt du 17 juillet 2018. La société RIM Communication se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 5 juillet 2023 par laquelle la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, rejeté cette demande comme manifestement irrecevable.
Sur le pourvoi :
2. Aux termes de l'article 36 de l'accord en matière de justice entre la République française et la République islamique de Mauritanie du 19 juin 1961 : " En matière civile et commerciale, les décisions contentieuses et gracieuses rendues par les juridictions siégeant sur le territoire de la République islamique de Mauritanie ont de plein droit l'autorité de la chose jugée sur le territoire de l'autre Etat si elles réunissent les conditions suivantes : / a) La décision émane d'une juridiction compétente selon les règles concernant les conflits de compétence admises dans l'Etat où la décision est exécutée ; / b) La décision est, d'après la loi de l'Etat où elle a été rendue, passée en force de chose jugée et susceptible d'exécution ; / c) Les parties ont été régulièrement citées, représentées ou déclarées défaillantes ; / d) La décision ne contient rien de contraire à l'ordre public de l'Etat où elle est invoquée ou aux principes de droit public applicables dans cet Etat. Elle ne doit pas non plus être contraire à une décision judiciaire prononcée dans cet Etat et possédant à son égard l'autorité de la chose jugée ". Aux termes de l'article 38 du même accord : " L'exequatur est accordé, quelle que soit la valeur du litige, par le président du tribunal de grande instance ou de la juridiction correspondante du lieu où l'exécution doit être poursuivie. / Le président est saisi et statue suivant la forme prévue pour les référés. / La décision ne peut faire l'objet que d'un recours en cassation ". Enfin, aux termes de l'article 45 de cet accord : " L'exécution des décisions rendues en matière administrative est poursuivie comme il est dit au présent titre, sous la réserve que le président de la juridiction compétente pour connaître au premier degré des litiges de plein contentieux est substitué au président de la juridiction visée à l'alinéa 1er de l'article 38 ".
3. Pour rejeter la demande d'exequatur de la société RIM Communication comme manifestement irrecevable, la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris s'est fondée sur la circonstance que l'arrêt de la cour d'appel de Nouakchott et la décision de la Cour suprême de la République islamique de Mauritanie étaient relatifs à des faits s'étant déroulés sur le territoire de la Mauritanie et ne présentant ainsi aucun lien avec la France. Elle a, ce faisant, commis une erreur de droit.
4. Il suit de là que la société RIM Communication est fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de son pourvoi, à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
Sur la demande d'exequatur :
6. Aux termes de l'article 39 de l'accord en matière de justice entre la République française et la République islamique de Mauritanie du 19 juin 1961 : " Le président se borne à vérifier si la décision dont l'exequatur est demandé remplit les conditions prévues à l'article 36 pour avoir de plein droit l'autorité de la chose jugée. / Il procède d'office à cet examen et doit en constater le résultat dans sa décision. (...) ".
7. Il résulte de l'instruction et n'est pas contesté par la région de Nouakchott, qui vient aux droits de la communauté urbaine de Nouakchott et à laquelle le pourvoi a été communiqué dans les formes prévues par les stipulations des articles 25 et 27 de l'accord du 19 juin 1961 sans qu'elle produise en défense, que les deux décisions dont l'exequatur est demandé ont été rendues au terme de procédures régulières, les parties ayant été valablement citées ou représentées, et qu'elles sont passées en force de chose jugée et susceptibles d'exécution.
8. Il résulte également de l'instruction que les décisions dont l'exequatur est demandé émanent de juridictions compétentes selon la loi applicable à ce litige, né de l'exécution d'un contrat qui n'est en aucune façon régi par le droit français mais régi, conformément à la volonté des parties, par le droit mauritanien.
9. Il résulte enfin de l'instruction que ces mêmes décisions ne contiennent rien de contraire à l'ordre public international et aux principes du droit public, ni ne sont contraires à une décision de justice prononcée en France.
10. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'exequatur présentée par la société RIM Communication.
Sur les frais du litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la région de Nouakchott la somme de 3 000 euros à verser à la société RIM Communication au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 5 juillet 2023 de la présidente de la 4ème section du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : L'arrêt n° 12/2018 du 10 juillet 2018 de la cour d'appel de Nouakchott et la décision n° 06/2019 du 4 février 2020 de la Cour suprême de la République islamique de Mauritanie sont déclarées exécutoires sur le territoire français.
Article 3 : La région de Nouakchott versera à la société Rim Communication la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société RIM Communication, à la région de Nouakchott et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.