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Décision n° 508612
10 octobre 2025
Conseil d'État

N° 508612
ECLI:FR:CEORD:2025:508612.20251010
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. P Ranquet, rapporteur
VERDIER, avocats


Lecture du vendredi 10 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de suspendre l'exécution de la décision implicite révélée par laquelle l'administration pénitentiaire lui fait supporter un régime de fouilles intégrales systématiques, en deuxième lieu, d'enjoindre à l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau de rédiger, sans délai, un avis médical motivé se prononçant sur la compatibilité de son état de santé avec le régime d'isolement dont il fait l'objet, en troisième lieu, d'enjoindre au directeur du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau de procéder, sans délai, à un réexamen individualisé de la nécessité de le maintenir à l'isolement, en quatrième lieu, d'enjoindre au directeur du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau de lui permettre, sans délai, l'accès à deux visites médicales par semaine dans les locaux de l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire, en cinquième lieu, d'enjoindre au directeur du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau de lui permettre l'accès aux soins et rendez-vous médicaux qu'il réclame, dans un délai de cinq jours à compter de la notification de l'ordonnance et, en dernier lieu, d'enjoindre à l'administration toutes mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales en cause. Par une ordonnance n° 2503103 du 25 septembre 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 septembre et 5 octobre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de suspendre l'exécution de la décision implicite révélée par laquelle l'administration pénitentiaire lui fait supporter un régime de fouilles intégrales systématiques ;

3°) de suspendre l'exécution de la décision du 5 septembre 2025 par laquelle le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice a renouvelé au-delà du délai d'un an son placement à l'isolement administratif jusqu'au 8 décembre 2025 ;

4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau de rédiger, sans délai, un avis médical motivé se prononçant sur la compatibilité de son état de santé avec le régime d'isolement dont il fait l'objet ;

5°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au directeur du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau de procéder, sans délai, à un réexamen individualisé de la nécessité de le maintenir à l'isolement en tenant compte de son état de santé et de sa conduite en quartier d'isolement ;

6°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au directeur du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau de lui permettre, sans délai, l'accès à deux visites médicales par semaine dans les locaux de l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire ;

7°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à l'administration de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales en cause ;

8°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, le régime de fouilles quotidiennes mis en oeuvre à son égard fragilise son état de santé psychique et mental et le décourage d'exercer ses droits à la promenade et à des contacts familiaux, en deuxième lieu, ce régime de fouilles combiné au défaut de soins médicaux adaptés l'expose à un risque imminent de dégradation physique et psychique eu égard à ses douleurs dentaires non traitées et son absence de suivi psychologique malgré son antécédent suicidaire et, en dernier lieu, la décision du 5 septembre 2025 prolongeant son placement à l'isolement administratif le place dans une situation de vulnérabilité extrême et crée un risque de décompensation psychique si aucune mesure n'est prise dans les quarante-huit heures ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de sa vie privée et familiale, à son droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants, à son droit au respect de la dignité de la personne humaine et au droit à un recours effectif ;
- le régime de fouilles intégrales systématiques mis en oeuvre à son égard méconnaît les dispositions du code pénitentiaire en ce que, en premier lieu, il n'est pas justifié par une présomption d'infraction ou un risque concret lié à son comportement, en deuxième lieu, il ne fait l'objet d'aucune motivation ni procédure de réexamen à bref délai, en troisième lieu, il n'est pas adapté à sa situation en détention et, en dernier lieu, les fouilles intégrales sont pratiquées sans que l'insuffisance de moyens moins intrusifs n'ait été préalablement démontrée ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a considéré que l'étude de la personnalité du détenu était une condition objective permettant d'établir la nécessité des fouilles intégrales dès lors que l'article L. 225-1 du code pénitentiaire ne permet de tenir compte de la personnalité de la personne détenue que pour la détermination de la fréquence des fouilles intégrales ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s'est contenté de relever un nombre élevé de fouilles sans analyser leur proportionnalité ni exiger des justifications individuelles au sens des dispositions de l'article L. 225-2 du code pénitentiaire ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s'est fondé sur ses antécédents disciplinaires pour rejeter sa requête sans tenir compte de ses observations alors qu'aucun incident majeur ne permet d'observer une menace réelle et actuelle susceptible de justifier la nécessité absolue de maintenir systématiquement un régime de fouilles intégrales ;
- ce régime méconnaît le principe de proportionnalité, dont le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a refusé à tort de contrôler le respect, dès lors que les fouilles ont lieu à une fréquence abusive et avec une intensité physique et morale excessive et se cumulent avec un isolement strict, l'exposant à des traitements inhumains et dégradants ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a retenu son appartenance à la criminalité en bande organisée alors qu'il n'a pas été condamné sur ce fondement ;
- l'administration pénitentiaire a méconnu les dispositions de l'article R. 213-19 du code pénitentiaire en ce que, d'une part, il ne bénéficie pas de deux consultations médicales hebdomadaires respectueuses de son droit au secret médical et, d'autre part, aucune pièce du dossier n'a permis d'établir que l'équipe médicale du centre pénitentiaire ait été consulté ou ait émis un avis récent sur la compatibilité de son isolement prolongé avec son état de santé ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a considéré que la prolongation de son isolement au-delà d'un an était régulière en se fondant sur les seuls visas de la décision du 5 septembre 2025, d'une part, sans exiger la production de l'avis médical du 15 juillet 2025 et de l'avis de l'autorité judiciaire du 18 juillet 2025, ni vérifier leur existence effective et leur conformité aux exigences d'indépendance et de motivation et d'autre part, dès lors que son passé carcéral n'a révélé aucun danger pour la sécurité des personnes et des biens en détention ;
- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a considéré comme suffisant l'avis de la substitute générale près la cour d'appel de Paris dès lors que celle-ci n'est pas une autorité judiciaire indépendante au sens de l'article 66 de la Constitution car placée sous l'autorité du garde des sceaux.

Par un mémoire distinct et un nouveau mémoire, enregistrés les 28 septembre et 5 octobre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... demande, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 213-8 du code pénitentiaire et de ces mêmes dispositions combinées à celles de l'article L. 213-9 du même code.

Il soutient que ces dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution et que la question de leur conformité aux exigences des articles 34 et 66 de la Constitution et de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 revêt un caractère sérieux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 2 octobre 2025, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire, enregistré le 2 octobre 2025, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 pour le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B... ne sont pas remplies, et en particulier, que cette question n'est pas sérieuse.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 5 octobre 2025, M. C... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit aux conclusions de la requête. Il soutient que son intervention est recevable et s'associe aux moyens exposés dans la requête de M. A... B....


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A... B... et, d'autre part, le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 6 octobre 2025, à 10 heures 30 :

- Me Prigent, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- les représentants de M. B... ;

- les représentants du ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice ;

- M. C... B... ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 7 octobre 2025 à 17 heures puis à 19 heures ;

Vu le mémoire après audience, enregistré le 7 octobre 2025, présenté par M. B..., tendant au maintien de ses conclusions ;

Vu le mémoire après audience, enregistré le 7 octobre 2025, présenté par le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, tendant au maintien de ses conclusions ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code pénitentiaire ;
- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 octobre 2025, présentée par M. B... ;



Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., en détention depuis 2016 dans différents établissements pénitentiaires, et en dernier lieu au centre pénitentiaire de Troyes-Lavau, fait l'objet d'une mesure de placement à l'isolement décidée initialement le 2 août 2023 et qui, compte tenu de ses renouvellements successifs ainsi que d'une période pendant laquelle elle a été levée, atteint une durée d'un an et six mois au 8 septembre 2025, date à compter de laquelle elle a été prolongée pour une nouvelle durée de trois mois par une décision du 5 septembre 2025 du garde des sceaux, ministre de la justice. M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cette décision et des fouilles intégrales systématiques dont il fait l'objet, ainsi que d'enjoindre à l'administration d'assurer son accès effectif aux soins. M. B... relève appel de l'ordonnance du 25 septembre 2025 par laquelle ce juge des référés a rejeté ses conclusions et demande, dans le dernier état de ses écritures, à titre principal, la suspension de l'exécution du placement à l'isolement et des fouilles intégrales systématiques ainsi que, à titre subsidiaire, qu'il soit enjoint sans délai, d'une part, à l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau de rédiger un avis médical motivé se prononçant sur la compatibilité de son état de santé avec le régime d'isolement et, d'autre part, au directeur du même centre pénitentiaire de procéder à un réexamen individualisé de la nécessité de le maintenir à l'isolement et de lui permettre l'accès à deux visites médicales par semaine dans les locaux de l'unité sanitaire.

2. A l'appui de ses conclusions tendant à la suspension ou, subsidiairement, au réexamen de son placement à l'isolement, M. B... demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 213-8 et L. 213-9 du code pénitentiaire, qui régissent le placement à l'isolement par décision administrative.

Sur l'intervention :

3. M. C... B..., frère du requérant et susceptible d'être affecté dans sa vie privée et familiale par la situation de celui-ci, justifie d'un intérêt suffisant, eu égard à la nature et à l'objet du litige, pour intervenir au soutien des conclusions présentées par M. A... B.... Son intervention est, par suite, recevable.

Sur la procédure applicable :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
5. D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Aux termes de l'article 23-1 de la même ordonnance : " (...) le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution (...) peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. (...) " L'article 23-3 de cette ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires " et qu'elle peut statuer " sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence ".
6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance comme en appel, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Le juge des référés peut cependant, lorsqu'il rejette la demande qui lui est soumise pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence, décider de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée.
Sur les conclusions relatives au placement à l'isolement et à l'accès aux soins :

7. Si, eu égard à son objet et à ses effets sur les conditions de détention, la décision plaçant d'office à l'isolement une personne détenue ainsi que les décisions prolongeant éventuellement un tel placement, prises sur le fondement de l'article L. 213-8 du code pénitentiaire, créent en principe, sauf à ce que l'administration pénitentiaire fasse valoir des circonstances particulières, une situation d'urgence justifiant que le juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, puisse ordonner la suspension de leur exécution s'il estime remplie l'autre condition posée par cet article, il appartient, en revanche, à la personne détenue qui saisit le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du même code de justifier de circonstances particulières caractérisant, au regard notamment de son état de santé ou des conditions dans lesquelles elle est placée à l'isolement, la nécessité, pour elle, de bénéficier à très bref délai, du prononcé d'une mesure de sauvegarde sur le fondement de ce dernier article.
8. Pour justifier de l'urgence qu'il y aurait à suspendre à très bref délai, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du 5 septembre 2025 qui a prolongé le placement à l'isolement dont il fait l'objet, M. B... soutient que les conditions de son placement à l'isolement, ainsi que la durée de celui-ci, affectent gravement son état de santé physique et psychique. Il résulte toutefois de l'instruction qu'alors que l'intéressé est examiné sur place par le médecin de l'unité sanitaire de l'établissement au moins deux fois par semaine, conformément aux dispositions de l'article R. 213-19 du code pénitentiaire, et qu'il n'est fait état d'aucun obstacle qui aurait été opposé à ses demandes de consultations dans les locaux de l'unité sanitaire, aucun avis médical ne vient mettre en doute la compatibilité de son régime d'incarcération avec son état de santé. Il résulte également de l'instruction que ces conditions n'empêchent pas M. B... de maintenir les liens avec ses proches par de fréquentes visites au parloir et de nombreux échanges téléphoniques, ni d'avoir accès à la promenade et à des activités culturelles et sportives.
9. M. B... n'établit ainsi pas l'existence de circonstances particulières justifiant qu'il soit ordonné à très bref délai, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, une mesure de sauvegarde d'une liberté fondamentale, qu'elle consiste en une suspension de son placement à l'isolement ou, comme il le demande à titre subsidiaire, en un réexamen de la nécessité de ce placement ainsi que de sa compatibilité avec son état de santé, ou en l'organisation de deux consultations hebdomadaires dans les locaux de l'unité sanitaire. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses conclusions relatives à son placement à l'isolement et à son accès aux soins.
Sur les conclusions relatives aux fouilles intégrales :

10. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521 2 du code de justice administrative. Lorsque la carence de l'autorité publique expose les personnes détenues à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté fondamentale, et lorsque la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.
11. Aux termes de l'article L. 225-1 du code pénitentiaire : " (...) les fouilles intégrales des personnes détenues doivent être justifiées par la présomption d'une infraction ou par des risques que leur comportement fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre dans l'établissement. / Leur nature et leur fréquence sont strictement adaptées à ces nécessités et à la personnalité des personnes détenues. / Elles peuvent être réalisées de façon systématique lorsque les nécessités de l'ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire l'imposent. Dans ce cas, le chef de l'établissement pénitentiaire doit prendre une décision pour une durée maximale de trois mois renouvelable après un nouvel examen de la situation de la personne détenue ". Aux termes de l'article L. 225-3 du même code : " Les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou l'utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ". Il résulte de ces dispositions que, dans les établissements pénitentiaires, les fouilles intégrales ne peuvent présenter de caractère systématique que dans les hypothèses et sous les conditions particulières prévues par la loi, notamment celles énoncées au troisième alinéa de l'article L. 225-1, et qu'elles sont soumises à une triple condition de nécessité, de proportionnalité et de subsidiarité.
12. Il résulte de l'instruction que M. B..., arrivé au centre pénitentiaire de Troyes-Lavau en novembre 2024, a été soumis au régime dérogatoire de fouilles intégrales systématiques prévu au troisième alinéa de l'article L. 225-1 du code pénitentiaire par une décision du 28 février 2025, produisant effet jusqu'au 28 mai 2025, qui n'a pas été renouvelée. Il en résulte également que depuis son arrivée dans ce centre pénitentiaire, M. B... a subi une fouille intégrale à plus de 80 reprises, soit en moyenne 9 fois par mois, et qu'y compris après l'expiration du régime dérogatoire, ces mesures de fouilles correspondent, à de très rares exceptions près, à toutes les visites reçues par l'intéressé en parloir familial ou en unité de vie familiale.
13. L'administration soutient que chaque fouille pratiquée sur M. B... après le 28 mai 2025 fait suite à une décision individuelle, prise en considération de la situation à la date où elle est intervenue, et consultable, avec l'énoncé de ses motifs, dans le système informatique Genesis, dont elle a produit, postérieurement à l'audience devant le juge des référés du Conseil d'Etat, une extraction correspondant aux décisions prises à compter du mois de juin 2025. Elle fait valoir les risques d'introduction dans l'établissement, à l'occasion de visites au parloir, de petits objets échappant tant à la surveillance visuelle des gardiens qu'à la détection par palpation ou par des moyens électroniques, ainsi que le profil pénal et pénitentiaire de l'intéressé, caractérisé, d'une part, par deux condamnations pour des faits commis en bande organisée, en dernier lieu des faits d'enlèvement et séquestration en vue d'obtenir l'exécution d'un ordre ou d'une condition, et une mise en accusation, depuis le 11 avril 2025, pour des faits de meurtre qui auraient également été commis en bande organisée et, d'autre part, par une série d'incidents survenus entre février et novembre 2024, jusqu'à l'arrivée de M. B... au centre pénitentiaire de Troyes-Lavau, consistant en l'introduction dans l'établissement où il était alors détenu d'objets prohibés dont des appareils permettant des communications avec l'extérieur puis, depuis son arrivée dans ce centre pénitentiaire, par trois nouveaux incidents survenus entre janvier et avril 2025 à l'occasion de visites au parloir, de moindre gravité que les incidents précédents mais pouvant faire craindre, notamment quand le détenu a échangé une paire de chaussures avec son visiteur, qu'il ait entendu " tester " l'efficacité de la surveillance à laquelle il est soumis. La combinaison de ces éléments fait ressortir, selon l'administration, un risque persistant d'introduction d'objets dans l'intention d'établir des communications non contrôlées avec l'extérieur et en particulier avec d'autres personnes susceptibles d'être impliquées dans les mêmes faits commis en bande organisée, risque qui a au demeurant justifié l'inscription de M. B... au répertoire des détenus particulièrement signalés (DPS), et dont elle soutient avoir constaté le caractère actuel à chaque décision de pratiquer une fouille intégrale, motivée, selon les termes figurant sur les pièces produites, soit par " l'inscription au répertoire DPS ", soit par des " observations réalisées par le personnel ", soit par des " suspicions fondées sur un signalement ou un recueil d'informations ".
14. Toutefois, si les considérations invoquées ci-dessus sont de nature à justifier légalement le recours à des fouilles intégrales, il ne ressort ni des pièces produites ni d'aucune explication fournie par l'administration qu'elles imposeraient toujours, à la date de la présente décision, que ces fouilles présentent dans les faits un caractère systématique, alors qu'il n'a pas été estimé nécessaire de prolonger après le 28 mai 2025 le régime dérogatoire prévu au troisième alinéa de l'article L. 225-1 du code pénitentiaire, qu'aucun nouvel incident n'a été relevé depuis cette date et qu'il n'est pas établi, compte tenu de l'ensemble des mesures de surveillance dont fait par ailleurs l'objet M. B... dont son placement à l'isolement et les fouilles régulières de sa cellule, que les impératifs de sécurité et de bon ordre dans l'établissement ne puissent pas être satisfaits par le recours à des fouilles inopinées ne survenant pas après chaque visite au parloir. Dans ces conditions, la persistance de la situation décrite au point 12 présente, pour M. B..., le caractère d'une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, qu'il y a lieu de prévenir, eu égard à la fréquence des fouilles intégrales constatées en l'espèce et à la forte probabilité que de nouvelles fouilles soient pratiquées à bref délai, en prescrivant des mesures de nature à faire cesser cette situation au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
15. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté ses conclusions relatives aux fouilles intégrales. Il y a lieu, aux fins énoncées au point précédent, d'enjoindre au directeur du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau de prendre sans délai toutes mesures nécessaires pour que M. B... cesse de faire systématiquement l'objet d'une fouille intégrale après chaque visite au parloir, sauf à ce qu'une circonstance nouvelle justifie l'instauration d'un régime dérogatoire de fouille systématique dans les conditions définies à l'article L. 225-1 du code pénitentiaire.
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, à verser à M. B..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de M. C... B... est admise.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A... B....
Article 3 : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 25 septembre est annulée en tant qu'elle a rejeté les conclusions de M. A... B... relatives aux fouilles intégrales.
Article 4 : Il est enjoint au directeur du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau de prendre sans délai toutes mesures nécessaires pour que M. A... B... cesse de faire systématiquement l'objet d'une fouille intégrale après chaque visite au parloir, sauf à ce qu'une circonstance nouvelle justifie l'instauration d'un régime dérogatoire de fouille systématique dans les conditions définies à l'article L. 225-1 du code pénitentiaire.
Article 5 : L'Etat versera à M. A... B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... B... est rejeté.
Article 7 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B..., au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, au directeur du centre pénitentiaire de Troyes-Lavau et à M. C... B....
Fait à Paris, le 10 octobre 2025
Signé : Philippe Ranquet