Conseil d'État
N° 490409
ECLI:FR:CECHR:2025:490409.20251015
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Sophie Delaporte, rapporteure
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats
Lecture du mercredi 15 octobre 2025
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 décembre 2023, 21 mars 2024 et 25 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 octobre 2023 du ministre de la santé et de la prévention, pris en application de l'article R. 1111-46 du code de la santé publique, fixant les règles de gestion des droits d'accès au dossier médical partagé des professionnels mentionnés à l'article L. 1111-15 et au III de l'article L. 1111-17 du même code ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le code pénal ;
- le code de la santé publique ;
- la décision n° 2024-1101 QPC du 12 septembre 2024 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Leila Derouich, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du conseil national de l'ordre des médecins ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique et l'objet du litige :
1. D'une part, aux termes de l'article L. 1111-14 du code de la santé publique : " Afin de favoriser la prévention, la coordination, la qualité et la continuité des soins, chaque personne dispose, dans les conditions et sous les garanties prévues aux articles L. 1110-4 et L. 1470-5 et dans le respect du secret médical, d'un dossier médical partagé ". Le III de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique dispose que : " Tout professionnel participant à la prise en charge d'une personne en application des articles L. 1110-4 et L. 1110-12 peut accéder, sous réserve du consentement de la personne préalablement informée, au dossier médical partagé de celle-ci et l'alimenter. L'alimentation ultérieure de son dossier médical partagé par ce même professionnel est soumise à une simple information de la personne prise en charge ".
2. D'autre part, l'article L. 1110-4 du code de la santé publique dispose que : " I. - Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. / Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes, et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. / (...) / III. - Lorsque ces professionnels appartiennent à la même équipe de soins, au sens de l'article L. 1110-12, ils peuvent partager les informations concernant une même personne qui sont strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social. Ces informations sont réputées confiées par la personne à l'ensemble de l'équipe. / Le partage, entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins, d'informations nécessaires à la prise en charge d'une personne requiert son consentement préalable, recueilli par tout moyen, y compris de façon dématérialisée, dans des conditions définies par décret pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-12 du même code : " (...) l'équipe de soins est un ensemble de professionnels qui participent directement au profit d'un même patient à la réalisation d'un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d'autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes, et qui : 1° Soit exercent dans le même établissement de santé, au sein du service de santé des armées, dans le même établissement ou service social ou médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles ou dans le cadre d'une structure de coopération, d'exercice partagé ou de coordination sanitaire ou médico-sociale figurant sur une liste fixée par décret ; / 2° Soit se sont vu reconnaître la qualité de membre de l'équipe de soins par le patient qui s'adresse à eux pour la réalisation des consultations et des actes prescrits par un médecin auquel il a confié sa prise en charge ; / 3° Soit exercent dans un ensemble, comprenant au moins un professionnel de santé, présentant une organisation formalisée et des pratiques conformes à un cahier des charges fixé par un arrêté du ministre chargé de la santé ".
3. Enfin, aux termes de l'article R. 1111-46 du code de la santé publique : " L'accès au dossier médical partagé des professionnels mentionnés à l'article L. 1111-15 et au III de l'article L. 1111-17 ainsi que des établissements de santé, établissements ou services sociaux ou médico-sociaux est subordonné au consentement préalable du titulaire selon les modalités prévues aux alinéas suivants. / Lorsque le professionnel est membre d'une équipe de soins, telle que définie à l'article L. 1110-12, l'accès au dossier médical partagé est autorisé dans le cadre de la prise en charge effective de la personne et dans les conditions prévues au premier alinéa du III de l'article L. 1110-4. Il est réputé autorisé à l'ensemble des professionnels membres de l'équipe de soins. / Lorsque le professionnel ne fait pas partie de l'équipe de soins définie à l'article L. 1110-12, le consentement est recueilli dans les conditions prévues au deuxième alinéa du III de l'article L. 1110-4. / (...) / L'accès des professionnels au dossier médical partagé est, dans tous les cas, réalisé dans le respect des règles de confidentialité précisées au I de l'article L. 1110-4 et des référentiels d'interopérabilité et de sécurité mentionnés à l'article L. 1470-5. / Ces professionnels ont accès aux seules données strictement nécessaires à la prise en charge du titulaire du dossier médical partagé dans le respect des règles de gestion des droits d'accès fixées par un arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de la Caisse nationale de l'assurance maladie, des conseils nationaux des ordres des professionnels de santé, de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé mentionnée à l'article L. 1114-6 et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. / (...) ".
4. Le conseil national de l'ordre des médecins demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 26 octobre 2023 du ministre de la santé et de la prévention, pris en application des dispositions de l'article R. 1111-46 du code de la santé publique citées au point 3, fixant les règles de gestion des droits d'accès des professionnels au dossier médical partagé.
Sur la légalité de l'arrêté du 26 octobre 2023 :
En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté attaqué :
5. L'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'une décision doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par cette décision. Par suite, dans le cas où, après avoir recueilli son avis, l'autorité compétente pour prendre cette décision envisage d'apporter à son projet des modifications qui posent des questions nouvelles, elle doit le consulter à nouveau.
6. Il résulte des dispositions citées au point 3 que l'arrêté attaqué fixant les règles de gestion des droits d'accès des professionnels au dossier médical partagé doit être pris après avis de la Caisse nationale de l'assurance maladie, des conseils nationaux des ordres des professionnels de santé, de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
7. Il ressort des pièces du dossier que le projet d'arrêté a été soumis à l'avis de ces différents organismes et que, si des modifications lui ont été ultérieurement apportées, dans le sens d'une réduction de l'étendue des habilitations prévues au bénéfice des différentes catégories de professionnels susceptibles d'intervenir dans la prise en charge d'un patient, celles-ci n'ont pas porté sur des questions nouvelles. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure d'adoption de l'arrêté attaqué serait entachée d'irrégularité, faute pour le ministre chargé de la santé d'avoir soumis le projet modifié à une nouvelle consultation de ces organismes, notamment de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté attaqué :
8. En premier lieu, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2024-1101 QPC du 12 septembre 2024, déclaré conformes à la Constitution les dispositions du III de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique dans leur rédaction, applicable au litige, résultant de la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par ces dispositions, des droits et libertés que la Constitution garantit ne peut qu'être écarté.
9. En deuxième lieu, le conseil national de l'ordre des médecins soutient, par la voie de l'exception, que l'article R. 1111-46 du code de la santé publique serait illégal en tant qu'il autorise, sans que soit requis au cas par cas le consentement préalable du patient, un professionnel qui ne relève pas de la catégorie des professionnels de santé à accéder à son dossier médical partagé du seul fait qu'il est membre de l'équipe de soins. Il résulte toutefois des termes mêmes des dispositions législatives citées aux points 1 et 2 que, dès lors qu'une personne prise en charge par une équipe de soins a consenti initialement à l'accès à son dossier médical partagé, ce consentement vaut pour l'ensemble des professionnels membres de cette équipe, qu'ils soient professionnels de santé ou non. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité de l'article R. 1111-46 du code de la santé publique doit être écarté.
10. En troisième lieu, il résulte des dispositions du III de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique citées au point 1 et de celles de l'article R. 1111-46 du même code citées au point 3 que le premier accès au dossier médical partagé d'un patient, tant par l'équipe de soins qui le prend en charge que par un professionnel non membre d'une équipe de soins, nécessite le consentement préalable du patient, dûment informé.
11. Il ressort des pièces du dossier que la matrice d'habilitation annexée à l'arrêté attaquée est précédée d'une présentation des " Règles d'accès aux données du dossier médical du patient (DMP) ", ainsi rédigées : " - L'accès au DMP d'un patient est réservé aux professionnels qui le prennent effectivement en charge. / - Les professionnels membres de l'équipe de soins du patient sont réputés autorisés à accéder au DMP du patient préalablement informé et qui n'a pas formulé d'opposition. / - Les professionnels non-membres de l'équipe de soins du patient doivent recueillir le consentement explicite du patient à chaque consultation de son DMP par tout moyen, y compris de façon dématérialisée. / (...) ".
12. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 qu'en présentant les règles d'accès au dossier médical partagé d'un patient sans mentionner l'exigence de recueil d'un consentement initial de celui-ci, préalablement à l'ouverture de l'accès à son dossier médical partagé à l'ensemble des membres de l'équipe de soins qui le prend en charge, l'auteur de l'arrêté a commis une erreur de droit. Par suite, l'arrêté attaqué doit être annulé dans cette mesure.
13. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué définit la matrice des habilitations des professionnels susceptibles de concourir à la prise en charge d'un patient. Cette matrice distingue treize catégories de professionnels de santé, selon leurs professions, et six catégories de professionnels des secteurs social et médico-social, selon leurs fonctions. Elle définit les droits d'accès de ces différentes catégories de professionnels à plus de quatre-vingts " types de documents ". D'une part, l'élaboration d'une matrice d'habilitation a pour objet de faciliter la prise en charge du patient, en permettant aux professionnels qui y concourt d'accéder aux types de données susceptibles de leur être nécessaires, eu égard à leur métier ou à leur fonction. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la matrice annexée à l'arrêté attaqué autorise l'accès de l'une des catégories de professionnels à un type de documents qui ne serait jamais nécessaire à aucun des professionnels relevant de cette catégorie. Enfin, si l'arrêté attaqué mentionne que les droits d'accès sont applicables de plein droit, sauf si le titulaire du dossier médical partagé en décide autrement, il résulte des dispositions de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, auxquelles renvoie le III de l'article L. 1111-17 et ainsi que le rappelle l'annexe de l'arrêté, qu'un professionnel ne doit accéder effectivement, parmi les types de documents qui lui sont ouverts par la matrice d'habilitation, qu'aux seules données strictement nécessaires à la prise en charge du patient. Ainsi que l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2024-1101 QPC, la méconnaissance de cette exigence est susceptible de donner lieu à l'application des peines prévues au paragraphe V de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique et à l'article 226-13 du code pénal, et, le cas échéant, de sanctions disciplinaires ; en outre, chaque patient peut, à tout moment, clore son dossier médical partagé, rendre certaines de ses informations inaccessibles ou modifier la liste des professionnels pouvant y accéder. Par suite, les moyens tirés de ce que l'auteur de l'arrêté aurait commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation, en raison de l'existence d'un droit d'accès par défaut et de l'étendue de l'accès aux données de santé accordé à des professionnels ne relevant pas des catégories de professionnels de santé, doivent être écartés.
14. En dernier lieu, si les dispositions législatives citées aux points 1 et 2 prévoient une ingérence dans les données à caractère personnel du patient, l'arrêté attaqué ne méconnaît pas, sous la réserve mentionnée au point 12, les règles relatives au respect du consentement du patient pour l'accès à son dossier médical partagé, et met en place un dispositif qui contribue au respect du principe de minimisation des données et de confidentialité des données à caractère personnel concernant le patient le temps de sa prise en charge. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au respect de la vie privée et familiale doit être écarté. Pour les mêmes motifs, doivent être également écartés les moyens tirés de ce que les données auxquelles ont accès les professionnels membres d'une équipe de soins ne seraient pas pertinentes ni suffisamment limitées, en méconnaissance du principe de minimisation des données édicté par l'article 5, c) du règlement général sur la protection des données et de ce que l'arrêté ne fixe pas de limitation dans le temps à l'accès à ces données, en méconnaissance du principe édicté par le e) du même article, selon lequel des données à caractère personnel ne doivent pas être conservées pour une durée excédant celle nécessaire au regard de leurs finalités. En tout état de cause, les règles relatives à la conservation des données issues du dossier médical partagé sont fixées non par l'arrêté contesté mais par l'arrêté du 26 octobre 2023 portant approbation du référentiel de sécurité et d'interopérabilité relatif à l'accès des professionnels au dossier médical partagé.
15. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêté attaqué doit être annulé en tant seulement qu'il omet de mentionner l'obligation de recueil du consentement initial du patient, préalablement à l'ouverture de l'accès à son dossier médical partagé à l'ensemble des membres de l'équipe de soins qui le prend en charge.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêté du 26 octobre 2023 fixant les règles de gestion des droits d'accès au dossier médical partagé des professionnels mentionnés à l'article L. 1111-15 et au III de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique est annulé en tant seulement qu'il omet de mentionner l'obligation de recueil du consentement initial du patient, préalablement à l'ouverture de l'accès à son dossier médical partagé à l'ensemble des membres de l'équipe de soins qui le prend en charge.
Article 2 : L'Etat versera au conseil national de l'ordre des médecins une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au conseil de l'ordre national des médecins et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2025 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 15 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie Delaporte
La secrétaire :
Signé : Mme Thamila Mouloud
N° 490409
ECLI:FR:CECHR:2025:490409.20251015
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Sophie Delaporte, rapporteure
SARL MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, RAMEIX, avocats
Lecture du mercredi 15 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 décembre 2023, 21 mars 2024 et 25 février 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le conseil national de l'ordre des médecins demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 octobre 2023 du ministre de la santé et de la prévention, pris en application de l'article R. 1111-46 du code de la santé publique, fixant les règles de gestion des droits d'accès au dossier médical partagé des professionnels mentionnés à l'article L. 1111-15 et au III de l'article L. 1111-17 du même code ;
2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le code pénal ;
- le code de la santé publique ;
- la décision n° 2024-1101 QPC du 12 septembre 2024 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat,
- les conclusions de Mme Leila Derouich, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat du conseil national de l'ordre des médecins ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique et l'objet du litige :
1. D'une part, aux termes de l'article L. 1111-14 du code de la santé publique : " Afin de favoriser la prévention, la coordination, la qualité et la continuité des soins, chaque personne dispose, dans les conditions et sous les garanties prévues aux articles L. 1110-4 et L. 1470-5 et dans le respect du secret médical, d'un dossier médical partagé ". Le III de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique dispose que : " Tout professionnel participant à la prise en charge d'une personne en application des articles L. 1110-4 et L. 1110-12 peut accéder, sous réserve du consentement de la personne préalablement informée, au dossier médical partagé de celle-ci et l'alimenter. L'alimentation ultérieure de son dossier médical partagé par ce même professionnel est soumise à une simple information de la personne prise en charge ".
2. D'autre part, l'article L. 1110-4 du code de la santé publique dispose que : " I. - Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d'exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. / Excepté dans les cas de dérogation expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel, de tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes, et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. / (...) / III. - Lorsque ces professionnels appartiennent à la même équipe de soins, au sens de l'article L. 1110-12, ils peuvent partager les informations concernant une même personne qui sont strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social. Ces informations sont réputées confiées par la personne à l'ensemble de l'équipe. / Le partage, entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins, d'informations nécessaires à la prise en charge d'une personne requiert son consentement préalable, recueilli par tout moyen, y compris de façon dématérialisée, dans des conditions définies par décret pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. / (...) ". Aux termes de l'article L. 1110-12 du même code : " (...) l'équipe de soins est un ensemble de professionnels qui participent directement au profit d'un même patient à la réalisation d'un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d'autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes, et qui : 1° Soit exercent dans le même établissement de santé, au sein du service de santé des armées, dans le même établissement ou service social ou médico-social mentionné au I de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles ou dans le cadre d'une structure de coopération, d'exercice partagé ou de coordination sanitaire ou médico-sociale figurant sur une liste fixée par décret ; / 2° Soit se sont vu reconnaître la qualité de membre de l'équipe de soins par le patient qui s'adresse à eux pour la réalisation des consultations et des actes prescrits par un médecin auquel il a confié sa prise en charge ; / 3° Soit exercent dans un ensemble, comprenant au moins un professionnel de santé, présentant une organisation formalisée et des pratiques conformes à un cahier des charges fixé par un arrêté du ministre chargé de la santé ".
3. Enfin, aux termes de l'article R. 1111-46 du code de la santé publique : " L'accès au dossier médical partagé des professionnels mentionnés à l'article L. 1111-15 et au III de l'article L. 1111-17 ainsi que des établissements de santé, établissements ou services sociaux ou médico-sociaux est subordonné au consentement préalable du titulaire selon les modalités prévues aux alinéas suivants. / Lorsque le professionnel est membre d'une équipe de soins, telle que définie à l'article L. 1110-12, l'accès au dossier médical partagé est autorisé dans le cadre de la prise en charge effective de la personne et dans les conditions prévues au premier alinéa du III de l'article L. 1110-4. Il est réputé autorisé à l'ensemble des professionnels membres de l'équipe de soins. / Lorsque le professionnel ne fait pas partie de l'équipe de soins définie à l'article L. 1110-12, le consentement est recueilli dans les conditions prévues au deuxième alinéa du III de l'article L. 1110-4. / (...) / L'accès des professionnels au dossier médical partagé est, dans tous les cas, réalisé dans le respect des règles de confidentialité précisées au I de l'article L. 1110-4 et des référentiels d'interopérabilité et de sécurité mentionnés à l'article L. 1470-5. / Ces professionnels ont accès aux seules données strictement nécessaires à la prise en charge du titulaire du dossier médical partagé dans le respect des règles de gestion des droits d'accès fixées par un arrêté du ministre chargé de la santé, pris après avis de la Caisse nationale de l'assurance maladie, des conseils nationaux des ordres des professionnels de santé, de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé mentionnée à l'article L. 1114-6 et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. / (...) ".
4. Le conseil national de l'ordre des médecins demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 26 octobre 2023 du ministre de la santé et de la prévention, pris en application des dispositions de l'article R. 1111-46 du code de la santé publique citées au point 3, fixant les règles de gestion des droits d'accès des professionnels au dossier médical partagé.
Sur la légalité de l'arrêté du 26 octobre 2023 :
En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté attaqué :
5. L'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'une décision doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par cette décision. Par suite, dans le cas où, après avoir recueilli son avis, l'autorité compétente pour prendre cette décision envisage d'apporter à son projet des modifications qui posent des questions nouvelles, elle doit le consulter à nouveau.
6. Il résulte des dispositions citées au point 3 que l'arrêté attaqué fixant les règles de gestion des droits d'accès des professionnels au dossier médical partagé doit être pris après avis de la Caisse nationale de l'assurance maladie, des conseils nationaux des ordres des professionnels de santé, de l'Union nationale des associations agréées d'usagers du système de santé et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
7. Il ressort des pièces du dossier que le projet d'arrêté a été soumis à l'avis de ces différents organismes et que, si des modifications lui ont été ultérieurement apportées, dans le sens d'une réduction de l'étendue des habilitations prévues au bénéfice des différentes catégories de professionnels susceptibles d'intervenir dans la prise en charge d'un patient, celles-ci n'ont pas porté sur des questions nouvelles. Par suite, le moyen tiré de ce que la procédure d'adoption de l'arrêté attaqué serait entachée d'irrégularité, faute pour le ministre chargé de la santé d'avoir soumis le projet modifié à une nouvelle consultation de ces organismes, notamment de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, doit être écarté.
En ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté attaqué :
8. En premier lieu, le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 2024-1101 QPC du 12 septembre 2024, déclaré conformes à la Constitution les dispositions du III de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique dans leur rédaction, applicable au litige, résultant de la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance, par ces dispositions, des droits et libertés que la Constitution garantit ne peut qu'être écarté.
9. En deuxième lieu, le conseil national de l'ordre des médecins soutient, par la voie de l'exception, que l'article R. 1111-46 du code de la santé publique serait illégal en tant qu'il autorise, sans que soit requis au cas par cas le consentement préalable du patient, un professionnel qui ne relève pas de la catégorie des professionnels de santé à accéder à son dossier médical partagé du seul fait qu'il est membre de l'équipe de soins. Il résulte toutefois des termes mêmes des dispositions législatives citées aux points 1 et 2 que, dès lors qu'une personne prise en charge par une équipe de soins a consenti initialement à l'accès à son dossier médical partagé, ce consentement vaut pour l'ensemble des professionnels membres de cette équipe, qu'ils soient professionnels de santé ou non. Par suite, le moyen tiré de l'illégalité de l'article R. 1111-46 du code de la santé publique doit être écarté.
10. En troisième lieu, il résulte des dispositions du III de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique citées au point 1 et de celles de l'article R. 1111-46 du même code citées au point 3 que le premier accès au dossier médical partagé d'un patient, tant par l'équipe de soins qui le prend en charge que par un professionnel non membre d'une équipe de soins, nécessite le consentement préalable du patient, dûment informé.
11. Il ressort des pièces du dossier que la matrice d'habilitation annexée à l'arrêté attaquée est précédée d'une présentation des " Règles d'accès aux données du dossier médical du patient (DMP) ", ainsi rédigées : " - L'accès au DMP d'un patient est réservé aux professionnels qui le prennent effectivement en charge. / - Les professionnels membres de l'équipe de soins du patient sont réputés autorisés à accéder au DMP du patient préalablement informé et qui n'a pas formulé d'opposition. / - Les professionnels non-membres de l'équipe de soins du patient doivent recueillir le consentement explicite du patient à chaque consultation de son DMP par tout moyen, y compris de façon dématérialisée. / (...) ".
12. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 qu'en présentant les règles d'accès au dossier médical partagé d'un patient sans mentionner l'exigence de recueil d'un consentement initial de celui-ci, préalablement à l'ouverture de l'accès à son dossier médical partagé à l'ensemble des membres de l'équipe de soins qui le prend en charge, l'auteur de l'arrêté a commis une erreur de droit. Par suite, l'arrêté attaqué doit être annulé dans cette mesure.
13. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué définit la matrice des habilitations des professionnels susceptibles de concourir à la prise en charge d'un patient. Cette matrice distingue treize catégories de professionnels de santé, selon leurs professions, et six catégories de professionnels des secteurs social et médico-social, selon leurs fonctions. Elle définit les droits d'accès de ces différentes catégories de professionnels à plus de quatre-vingts " types de documents ". D'une part, l'élaboration d'une matrice d'habilitation a pour objet de faciliter la prise en charge du patient, en permettant aux professionnels qui y concourt d'accéder aux types de données susceptibles de leur être nécessaires, eu égard à leur métier ou à leur fonction. D'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la matrice annexée à l'arrêté attaqué autorise l'accès de l'une des catégories de professionnels à un type de documents qui ne serait jamais nécessaire à aucun des professionnels relevant de cette catégorie. Enfin, si l'arrêté attaqué mentionne que les droits d'accès sont applicables de plein droit, sauf si le titulaire du dossier médical partagé en décide autrement, il résulte des dispositions de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, auxquelles renvoie le III de l'article L. 1111-17 et ainsi que le rappelle l'annexe de l'arrêté, qu'un professionnel ne doit accéder effectivement, parmi les types de documents qui lui sont ouverts par la matrice d'habilitation, qu'aux seules données strictement nécessaires à la prise en charge du patient. Ainsi que l'a relevé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2024-1101 QPC, la méconnaissance de cette exigence est susceptible de donner lieu à l'application des peines prévues au paragraphe V de l'article L. 1110-4 du code de la santé publique et à l'article 226-13 du code pénal, et, le cas échéant, de sanctions disciplinaires ; en outre, chaque patient peut, à tout moment, clore son dossier médical partagé, rendre certaines de ses informations inaccessibles ou modifier la liste des professionnels pouvant y accéder. Par suite, les moyens tirés de ce que l'auteur de l'arrêté aurait commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation, en raison de l'existence d'un droit d'accès par défaut et de l'étendue de l'accès aux données de santé accordé à des professionnels ne relevant pas des catégories de professionnels de santé, doivent être écartés.
14. En dernier lieu, si les dispositions législatives citées aux points 1 et 2 prévoient une ingérence dans les données à caractère personnel du patient, l'arrêté attaqué ne méconnaît pas, sous la réserve mentionnée au point 12, les règles relatives au respect du consentement du patient pour l'accès à son dossier médical partagé, et met en place un dispositif qui contribue au respect du principe de minimisation des données et de confidentialité des données à caractère personnel concernant le patient le temps de sa prise en charge. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté méconnaîtrait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatives au respect de la vie privée et familiale doit être écarté. Pour les mêmes motifs, doivent être également écartés les moyens tirés de ce que les données auxquelles ont accès les professionnels membres d'une équipe de soins ne seraient pas pertinentes ni suffisamment limitées, en méconnaissance du principe de minimisation des données édicté par l'article 5, c) du règlement général sur la protection des données et de ce que l'arrêté ne fixe pas de limitation dans le temps à l'accès à ces données, en méconnaissance du principe édicté par le e) du même article, selon lequel des données à caractère personnel ne doivent pas être conservées pour une durée excédant celle nécessaire au regard de leurs finalités. En tout état de cause, les règles relatives à la conservation des données issues du dossier médical partagé sont fixées non par l'arrêté contesté mais par l'arrêté du 26 octobre 2023 portant approbation du référentiel de sécurité et d'interopérabilité relatif à l'accès des professionnels au dossier médical partagé.
15. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêté attaqué doit être annulé en tant seulement qu'il omet de mentionner l'obligation de recueil du consentement initial du patient, préalablement à l'ouverture de l'accès à son dossier médical partagé à l'ensemble des membres de l'équipe de soins qui le prend en charge.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 26 octobre 2023 fixant les règles de gestion des droits d'accès au dossier médical partagé des professionnels mentionnés à l'article L. 1111-15 et au III de l'article L. 1111-17 du code de la santé publique est annulé en tant seulement qu'il omet de mentionner l'obligation de recueil du consentement initial du patient, préalablement à l'ouverture de l'accès à son dossier médical partagé à l'ensemble des membres de l'équipe de soins qui le prend en charge.
Article 2 : L'Etat versera au conseil national de l'ordre des médecins une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au conseil de l'ordre national des médecins et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées.
Copie en sera adressée au Premier ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2025 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et Mme Sophie Delaporte, conseillère d'Etat-rapporteure.
Rendu le 15 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Christophe Chantepy
La rapporteure :
Signé : Mme Sophie Delaporte
La secrétaire :
Signé : Mme Thamila Mouloud