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Décision n° 495899
17 octobre 2025
Conseil d'État

N° 495899
ECLI:FR:CECHR:2025:495899.20251017
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. François-Xavier Bréchot, rapporteur
AARPI ANDOTTE AVOCATS, avocats


Lecture du vendredi 17 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés le 11 juillet 2024 et les 5 février et 5 septembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT demande au Conseil d'Etat, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l'abrogation des articles 1er et 5 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre, dans un délai de six mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 450 euros par jour de retard, d'adopter des dispositions réglementaires prévoyant, d'une part, le droit à l'information des agents quant à la possibilité de bénéficier d'un report de leur droit à congés et, d'autre part, la faculté pour les agents placés en autorisation spéciale d'absence pour raison de santé de bénéficier d'un tel report.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ;
- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;
- le décret n° 2025-564 du 21 juin 2025 ;
- les arrêts C-350/06 du 20 janvier 2009, C-684/16 du 6 novembre 2018, C-518/20 et C-727/20 du 22 septembre 2022 et C-206/22 du 14 décembre 2023 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. François-Xavier Bréchot, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public ;


Considérant ce qui suit :

1. L'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande tendant à l'abrogation des articles 1er et 5 du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat, d'une part en tant que ces dispositions ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel et excluent toute possibilité d'indemnité compensatrice en fin de relation de travail, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, d'un congé de maternité, d'un congé de paternité et d'accueil de l'enfant, d'un congé d'adoption ou d'une autorisation spéciale d'absence pour raison de santé et, d'autre part, en tant que ces dispositions ne subordonnent pas l'extinction des droits aux congés annuels ou leur indemnisation en fin de relation de travail à l'information de l'agent par l'employeur de la possibilité de bénéficier d'un tel report.

2. L'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date. De même, lorsqu'elle est saisie d'une demande tendant à la réformation d'un règlement illégal, l'autorité compétente est tenue d'y substituer des dispositions de nature à mettre fin à cette illégalité.

3. Aux termes de l'article 1er du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat : " Tout fonctionnaire de l'Etat en activité a droit, dans les conditions et sous les réserves précisées aux articles ci-après, pour une année de service accompli du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel d'une durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service. (...) ". Aux termes de l'article 5 du même décret : " Le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par le chef de service. / Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ".

Sur les conclusions à fin de non-lieu présentées par le ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification :

4. Postérieurement à l'introduction de la requête, le décret du 21 juin 2025 relatif aux régimes dérogatoires de report et d'indemnisation des droits à congé annuel dans la fonction publique a inséré dans le décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat un article 5-1 selon lequel : " Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l'article 5, lorsque le fonctionnaire est dans l'impossibilité, du fait d'un congé pour raison de santé, ou du fait d'un congé lié aux responsabilités parentales ou familiales, de prendre son congé annuel au cours de l'année au titre de laquelle il lui est dû, il bénéficie d'une période de report de quinze mois, dont la durée peut être prolongée sur autorisation exceptionnelle du chef de service. / La période de report débute à compter de la date de reprise des fonctions. Pour les congés annuels acquis pendant un congé pour raison de santé ou un congé lié aux responsabilités parentales ou familiales, elle débute, au plus tard, à la fin de l'année au titre de laquelle le congé annuel est dû. / A l'exclusion du cas où le fonctionnaire bénéficie d'un report du fait d'un congé lié aux responsabilités parentales ou familiales, le report est limité aux droits non-utilisés relevant des quatre premières semaines de congé annuel par période de référence. " Ce même décret a également inséré un article 5-2 aux termes duquel : " Par dérogation aux dispositions du second alinéa de l'article 5, lorsque le fonctionnaire n'a pas été en mesure de prendre son congé annuel avant la fin de la relation de travail, les droits non-utilisés donnent lieu à une indemnité compensatrice. / A l'exclusion des droits non-consommés du fait d'un congé lié aux responsabilités parentales ou familiales, cette indemnité ne compense que les droits non-utilisés relevant des quatre premières semaines de congé annuel par période de référence. / (...) ". La demande adressée au Premier ministre et à laquelle a été opposé le refus implicite dont le syndicat requérant demande l'annulation a ainsi été satisfaite en ce qui concerne le report des congés non pris au cours d'une année de service et la possibilité d'obtenir une indemnité compensatrice en fin de relation de travail pour les agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, d'un congé de maternité, d'un congé de paternité et d'accueil de l'enfant ou d'un congé d'adoption. Par suite, le ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification est fondé à soutenir que les conclusions de la requête du syndicat sont, dans cette mesure, devenues sans objet et qu'il n'y a plus lieu d'y statuer.

5. En revanche, ni la demande du syndicat requérant tendant à ce que le décret du 26 octobre 1984 soit modifié afin de subordonner l'extinction des droits aux congés annuels ou leur indemnisation en fin de relation de travail à l'information de l'agent par l'employeur de la possibilité de bénéficier d'un report de ses congés annuels, ni sa demande tendant à ce que le même décret soit modifié afin que soit reconnu un droit au report des congés annuels non pris ou à obtenir une indemnité compensatrice en fin de relation de travail pour les agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'une autorisation spéciale d'absence pour raison de santé n'ont été satisfaites. Par conséquent, contrairement à ce que soutient le ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification, la requête de l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT conserve, dans cette mesure, son objet et il y a toujours lieu d'y statuer.

Sur les conclusions relatives à l'information de l'agent par l'employeur :

6. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ".

7. Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans ses arrêts du 20 janvier 2009, Schultz-Hoff (C-350/06), du 6 novembre 2018, Max Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften (C-684/16) et du 22 septembre 2022, Fraport (C518/20 et C727/20), que, pour ce qui concerne la période minimale de quatre semaines par an qu'elles prévoient, le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période parce qu'il était placé en congé de maladie, en congé de maternité, en congé de paternité et d'accueil de l'enfant ou en congé d'adoption pendant tout ou partie de la période en cause, ne peut s'éteindre à l'expiration de celle-ci et que le travailleur qui n'a pu, pour cette raison, exercer son droit au congé annuel payé a droit à une indemnité financière en fin de relation de travail. En outre, l'extinction de ces droits à l'expiration de la période de référence ou d'une période de report fixée par le droit national n'étant possible qu'à la condition que le travailleur ait effectivement été mis en mesure d'exercer son droit au congé annuel payé, il incombe à l'employeur de l'informer, de manière précise et en temps utile, des conditions dans lesquelles il risque de perdre ses droits à congés.

8. Il suit de là que le syndicat requérant est fondé à soutenir que les dispositions des articles 1er et 5 du décret du 26 octobre 1984 sont incompatibles avec les dispositions de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 en tant qu'elles ne subordonnent pas l'extinction des droits aux congés annuels non pris, ou du droit à leur indemnisation en fin de relation de travail, dans la limite de la période minimale de quatre semaines prévue par cette directive, à l'information de l'agent par son employeur portant, d'une part, sur le nombre de jours de congé dont il dispose au titre des années de service antérieures à la suite de leur report en raison d'un congé de maladie, de maternité, de paternité et d'accueil de l'enfant ou d'adoption, prévus respectivement par les articles L. 631-3, L. 631-9 et L. 631-8 du code général de la fonction publique et, d'autre part, sur la date jusqu'à laquelle ces jours de congés peuvent être pris. Elles sont, par suite, illégales dans cette mesure.

Sur les conclusions relatives au report des congés annuels non pris du fait d'une autorisation spéciale d'absence pour raison de santé :

9. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article 7 de la directive 20003/88/CE du 4 novembre 2003 citées ci-dessus, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 14 décembre 2023, Sparkasse Südpfalz (C 206/22), qu'eu égard à la finalité du droit au congé annuel payé qu'elle prévoient, lequel vise à permettre au travailleur de se reposer par rapport à l'exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, elles ne s'opposent pas à ce qu'une réglementation nationale ne prévoie pas de droit au report des jours de congé annuel payé, à raison d'une période au cours de laquelle un travailleur qui n'est pas malade a été autorisé à rester à son domicile en raison de risques de contamination par un virus. Par suite, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que les autorisations spéciales d'absence qui font l'objet de sa requête, lesquelles étaient accordées lors de la crise sanitaire provoquée par la pandémie de covid-19 aux fonctionnaires considérés comme vulnérables et étant dans l'impossibilité de télétravailler, et qui autorisaient ceux-ci à ne pas accomplir leur service afin de prévenir leur contamination par la maladie, ouvrent droit à un report des droits à congés annuels sur le fondement de ces mêmes dispositions.

10. En second lieu, les agents bénéficiant à titre préventif d'une autorisation spéciale d'absence pour les motifs rappelés au point précédent, qui ne bénéficient pas du droit au report des congés annuels qui n'auraient pas été pris lors de cette période, ne sont pas dans la même situation que ceux qui, étant malades ou accidentés, bénéficient d'un congé pour raison de santé, ouvrant droit, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, au report, dans la limite de quatre semaines, des congés annuels payés qui n'ont pu être pris à raison de ce congé de maladie. La différence de traitement qui en résulte ne méconnaît donc pas le principe d'égalité.

11. Par suite, le syndicat requérant n'est pas fondé à soutenir que le refus d'abroger les dispositions des articles 1er et 5 du décret du 26 octobre 1984, en tant qu'elles ne prévoient pas le droit au report des congés non pris, ou le droit d'obtenir une indemnité compensatrice en fin de relation de travail, lorsque des congés annuels n'ont pu être pris en raison de ce que l'agent bénéficiait d'une autorisation spéciale d'absence mentionnée au point 9, est entaché d'illégalité.

12. Il résulte de tout ce qui précède que l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT n'est fondée à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger les articles 1er et 5 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 qu'en tant que ces dispositions ne subordonnent pas l'extinction des droits aux congés annuels qu'elles prévoient, ou celle de leur indemnisation en fin de relation de travail, dans la limite de quatre semaines par an, à l'information de l'agent par l'employeur dans les conditions énoncées au point 8.

13. Il y a lieu d'enjoindre au Premier ministre de réformer, dans cette même mesure, les articles 1er et 5 du décret no 84-972 du 26 octobre 1984, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT tendant à l'annulation de la décision implicite du Premier ministre en tant que celui-ci a refusé d'abroger les articles 1er et 5 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 en tant que ces dispositions ne prévoient pas le report des congés non pris au cours d'une année de service et la possibilité d'obtenir une indemnité compensatrice en fin de relation de travail pour les agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, d'un congé de maternité, d'un congé de paternité et d'accueil de l'enfant ou d'un congé d'adoption.
Article 2 : La décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d'abroger les articles 1er et 5 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 est annulée en tant que ces dispositions ne subordonnent pas l'extinction de droits aux congés annuels ou celle du droit à leur indemnisation en fin de relation de travail, dans la limite de quatre semaines par an, lorsqu'ils n'ont pu être pris en raison d'un congé de maladie, d'un congé de maternité, d'un congé de paternité et d'accueil de l'enfant ou d'un congé d'adoption, à l'information de l'agent par l'employeur portant sur le nombre de jours de congé dont il dispose à la suite de leur report en raison d'un de ces congés, ainsi que sur la date jusqu'à laquelle ces jours de congés peuvent être pris.
Article 3 : Il est enjoint au Premier ministre de modifier les articles 1er et 5 du décret n° 84-972 du 26 octobre 1984, dans la mesure de l'illégalité énoncée à l'article 2, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT et du ministre de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'Union fédérale des syndicats de l'Etat CGT, à la ministre de l'action et des comptes publics et au Premier ministre