Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 508941, lecture du 17 octobre 2025, ECLI:FR:CEORD:2025:508941.20251017

Décision n° 508941
17 octobre 2025
Conseil d'État

N° 508941
ECLI:FR:CEORD:2025:508941.20251017
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du vendredi 17 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 10 octobre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union nationale des syndicats autonomes - Ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne (UNSA-ICNA) et l'Union syndicale de l'aviation civile - Confédération générale du travail (USAC-CGT) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2025-912 du 5 septembre 2025 autorisant la création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " SPS, système de vérification de la présence sur site " des contrôleurs aériens ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, d'une part, le décret contesté, dont la mise en application est imminente, a été publié sans mettre en place l'expérimentation préalable recommandée par la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et, d'autre part, le système de badgeuses biométriques prévu par le décret porte une atteinte grave et immédiate au droit au respect de la vie privée des contrôleurs aériens ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- il a été adopté au terme d'une procédure irrégulière faute pour le pouvoir réglementaire d'avoir régulièrement consulté, d'une part, la section des travaux publics du Conseil d'Etat et, d'autre part, la CNIL ;
- il a été adopté au terme d'une procédure irrégulière en ce qu'il n'a pas été communiqué à la Commission européenne, en méconnaissance de l'article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 ;
- il méconnaît l'article 9.2 du règlement général sur la protection des données (RGPD) et l'article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés en ce qu'aucun motif d'intérêt public avéré ne justifie la mise en place du dispositif de traitement des données biométriques ;
- il méconnaît le droit au respect de la vie privée des contrôleurs aériens en instaurant un dispositif de biométrie dès lors que, en premier lieu, il n'est pas nécessaire en ce que, d'une part, le dispositif antérieur était suffisant et, d'autre part, des solutions alternatives moins intrusives existent, en deuxième lieu, il n'est pas adapté en ce que l'efficacité du dispositif pour répondre aux impératifs de sécurité n'est pas démontrée et, en dernier lieu, il n'est pas proportionné en ce que, d'une part, le risque d'atteinte à la sécurité aérienne justifiant sa mise en place n'est ni réel ni concret et, d'autre part, son efficacité dans la gestion de ce risque n'est pas établie ;
- la durée de conservation des données de cinq ans est disproportionnée au regard des finalités du traitement.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
- la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. Les syndicats UNSA-ICNA et USAC-CGT demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution du décret du 5 septembre 2025 autorisant la création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " SPS, système de vérification de la présence sur site " des contrôleurs aériens.

3. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension de l'exécution d'un acte administratif, en application des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, lorsque cette exécution porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications apportées par le requérant, si les effets de l'acte en litige sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

4. Pour justifier de l'urgence à prononcer la suspension du décret du 5 septembre 2025, les syndicats requérants font valoir, d'une part, que la mise en oeuvre du traitement dont ce décret autorise la création est imminente et intervient sans tenir compte de la recommandation, formulée dans l'avis rendu sur le projet de décret par la Commission nationale de l'informatique et des libertés, de la faire précéder d'une expérimentation et, d'autre part, que dès lors que cette mise en oeuvre conduit à collecter auprès des contrôleurs aériens une donnée d'identification biométrique, en l'espèce le gabarit de l'empreinte digitale de deux doigts, elle porte une atteinte grave et immédiate au respect de la vie privée de ces agents.

5. Toutefois, en se bornant à invoquer ces éléments, et alors que le décret contesté prévoit que la donnée biométrique en cause n'est conservée que sur le badge personnel d'accès de chaque agent, qu'elle n'est utilisée que pour son identification par un dispositif vérifiant la correspondance entre le gabarit enregistré sur le badge et l'empreinte digitale de l'agent et que seul le résultat de ce test de correspondance est ensuite accessible à des tiers, les syndicats requérants ne caractérisent pas en quoi les modalités de recueil, de traitement et d'utilisation de la donnée biométrique exposeraient les intéressés à une atteinte telle au respect de leur vie privée qu'elle justifierait que, sans attendre le jugement au fond, l'exécution du décret soit suspendue. L'urgence ne saurait davantage résulter de la seule circonstance, à la supposer établie, que le recours à cette donnée biométrique méconnaîtrait les normes applicables en matière de protection des données personnelles.

6. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence posée par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'est pas en l'espèce satisfaite. Par suite, la requête de l'UNSA-ICNA et autre doit être rejetée selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
------------------
Article 1er : La requête de l'UNSA-ICNA et autre est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'UNSA-ICNA et l'USAC-CGT.
Copie en sera adressée à la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Fait à Paris, le 17 octobre 2025
Signé : Philippe Ranquet