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Ariane Web: Conseil d'État 498104, lecture du 23 octobre 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:498104.20251023

Décision n° 498104
23 octobre 2025
Conseil d'État

N° 498104
ECLI:FR:CECHS:2025:498104.20251023
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
Mme Charline Nicolas, rapporteure
SAS BOUCARD, CAPRON, MAMAN, avocats


Lecture du jeudi 23 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 25 septembre 2024 et le 24 décembre 2024, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 2 février 2024 rapportant le décret du 15 octobre 2020 lui accordant la nationalité française ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boucard, Capron, Maman, avocat de M. B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 27-2 du code civil : " Les décrets portant acquisition, naturalisation ou réintégration peuvent être rapportés sur avis conforme du Conseil d'Etat dans le délai de deux ans à compter de leur publication au Journal officiel si le requérant ne satisfait pas aux conditions légales ; si la décision a été obtenue par mensonge ou fraude, ces décrets peuvent être rapportés dans le délai de deux ans à partir de la découverte de la fraude ".

2. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., ressortissant bangladais, a déposé une demande de naturalisation auprès de la préfecture du Bas Rhin le 7 septembre 2018, par laquelle il a indiqué être célibataire et sans enfant. Il a été naturalisé par décret le 15 octobre 2020. Par un bordereau du 2 février 2022, reçu le 15 février suivant, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères a informé le ministre chargé des naturalisations que M. B... avait épousé à Moglabazar (Bangladesh), Mme C... A..., ressortissante bangladaise, résidant habituellement à l'étranger, le 28 janvier 2018, soit antérieurement à sa naturalisation et qu'un enfant est issu de cette union est né le 23 novembre 2018. Par décret du 2 février 2024, le Premier ministre a rapporté le décret du 15 octobre 2020 prononçant la naturalisation de M. B... au motif qu'il avait été pris au vu d'informations mensongères délivrées par l'intéressé quant à sa situation familiale. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret.

3. En premier lieu, le décret du 2 février 2024 mentionne les considérations de fait et de droit sur lesquelles il se fonde et est ainsi suffisamment motivé.

4. En deuxième lieu, l'article 21-16 du code civil dispose que : " Nul ne peut être naturalisé s'il n'a en France sa résidence au moment de la signature du décret de naturalisation ". Il résulte de ces dispositions que la demande de naturalisation n'est pas recevable lorsque l'intéressé n'a pas fixé en France de manière durable le centre de ses intérêts. Pour apprécier si cette condition est remplie, l'autorité administrative prend notamment en compte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la situation personnelle et familiale en France de l'intéressée à la date du décret lui accordant la nationalité française.

5. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a contracté un mariage avec Mme C... A..., ressortissante bangladaise, résidant habituellement à l'étranger, le 28 janvier 2018 à Moglabazar (Bangladesh). Un enfant est né de cette union le 23 novembre 2018. Ce mariage, intervenu antérieurement au dépôt de sa demande de naturalisation, ainsi que la naissance de l'enfant, au cours de l'instruction de sa demande de naturalisation, auraient dû être portés à la connaissance des services instruisant sa demande, comme il s'y était engagé lors du dépôt de celle-ci. L'intéressé, dont la maîtrise de la langue française est attestée par le compte-rendu de l'entretien d'assimilation du 25 juillet 2019 ainsi que par le fait qu'il est titulaire d'un certificat d'aptitude professionnelle, ne pouvait se méprendre ni sur la teneur des indications devant être portées à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande, ni sur la portée de la déclaration sur l'honneur qu'elle a signée. Dans ces conditions, M. B... doit être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale. Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le ministre de l'intérieur n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil.

6. D'autre part, la circonstance alléguée que l'intéressé satisferait à la condition de résidence en France posée par l'article 21-16 du code civil est par elle-même sans incidence sur la mise en oeuvre de la faculté ouverte par les dispositions de l'article 27-2 du code civil de retirer un décret de naturalisation en cas de mensonge ou fraude.

7. En dernier lieu, un décret qui rapporte un décret ayant conféré la nationalité française est, par lui-même, dépourvu d'effet sur la présence sur le territoire français de celui qu'il vise, comme sur ses liens avec les membres de sa famille, et n'affecte pas, dès lors, le droit au respect de sa vie familiale. En revanche, un tel décret affecte un élément constitutif de l'identité de la personne concernée et est ainsi susceptible de porter atteinte au droit au respect de sa vie privée. En l'espèce, toutefois, eu égard à la date à laquelle il est intervenu et aux motifs qui le fondent, le décret attaqué ne peut être regardé comme ayant porté en tout état de cause une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de M. B... garanti par l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et l'article 9 du code civil.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 2 février 2024 par lequel le Premier ministre a rapporté le décret du 15 octobre 2020. Ses conclusions présentées au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. D... B... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2025 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 23 octobre 2025.


Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
La rapporteure :
Signé : Mme Charline Nicolas
Le secrétaire :
Signé : M. Guillaume Auge