Conseil d'État
N° 504857
ECLI:FR:CECHS:2025:504857.20251023
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
Mme Charline Nicolas, rapporteure
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats
Lecture du jeudi 23 octobre 2025
Vu la procédure suivante :
Le préfet du Bas-Rhin a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner l'expulsion sans délai de M. C... A..., de Mme B... A... et des autres occupants du logement géré par l'association Coallia situé à Geispolsheim (Bas-Rhin), qu'ils occupent sans droit ni titre, avec, en tant que de besoin, le concours de la force publique et, d'autre part, de l'autoriser à donner toutes instructions utiles au gestionnaire du lieu d'hébergement afin de débarrasser les lieux des biens meubles s'y trouvant.
Par une ordonnance n° 2500975 du 27 mars 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juin et 16 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, rejeter la demande du préfet ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Boré, Salve de Bruneton et Mégret, leur avocat, au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Megret, avocat de M. et Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence d'une décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Les mesures ainsi sollicitées ne doivent pas être manifestement insusceptibles de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative.
2. Aux termes de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sont des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile : / 1° Les centres d'accueil pour demandeurs d'asile définis à l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles ; / 2° Toute structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l'asile pour l'accueil de demandeurs d'asile et soumise à déclaration, au sens de l'article L. 322-1 du même code ". Aux termes de l'article L. 552-15 du même code : " Lorsqu'il est mis fin à l'hébergement dans les conditions prévues aux articles L. 551-11 à L. 551-14, l'autorité administrative compétente ou le gestionnaire du lieu d'hébergement peut demander en justice, après mise en demeure restée infructueuse, qu'il soit enjoint à cet occupant sans titre d'évacuer ce lieu. / La demande est portée devant le président du tribunal administratif, qui statue sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'après la présentation de leurs demandes d'asile auprès de l'Office français des réfugiés et des apatrides, M. et Mme A... ont été hébergés dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile situé à Bourg-lès-Valence. A la suite du rejet de leurs demandes d'asile et alors qu'après avoir été mis en demeure de le quitter, ils s'étaient maintenus dans leur logement, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, saisi par le préfet de la Drôme sur le fondement des dispositions citées au point 1, leur a enjoint, par une ordonnance du 17 février 2021, de quitter ce logement et, à défaut, autorisé leur expulsion. A la suite de cette ordonnance, M. et Mme A... ont quitté le centre d'accueil pour demandeurs d'asile et, depuis le 23 mai 2023, étaient hébergés à l'hôtel Holiday Inn, géré par l'association Coallia et situé 3 rue de l'Ill à Geispolsheim, dans le cadre, non du dispositif d'hébergement pour demandeurs d'asile prévu aux articles L. 551-11 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais du dispositif d'hébergement d'urgence prévu à l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles. Par suite, la demande du 7 février 2025 par laquelle le préfet du Bas-Rhin, après que les époux A... ont refusé de quitter ce logement, a demandé que soit ordonnée leur expulsion n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions citées aux points 1 et 2.
4. Il résulte de ce qui précède que la demande du préfet du Bas-Rhin était manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, dès lors qu'en dehors du cas prévu par l'article L. 552-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le cadre d'un hébergement d'urgence, il n'appartient qu'à la juridiction judiciaire de statuer sur une demande d'expulsion d'un occupant d'un immeuble appartenant à une personne morale de droit privé. Par suite, en statuant sur cette demande, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a méconnu les règles de compétence entre les deux ordres de juridiction. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi, son ordonnance doit être annulée.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Ainsi qu'il a été exposé au point 4, il n'appartient qu'à la juridiction judiciaire de statuer sur la demande d'expulsion de M. et Mme A.... Par suite, la demande du préfet du Bas-Rhin doit être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
7. M. et Mme A... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Boré, Salve de Bruneton et Mégret, leur avocat, au titre de ces dispositions, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 27 mars 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.
Article 2 : La demande présentée par le préfet du Bas-Rhin devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : L'Etat versera à la société Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme A..., une somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C... A... et Mme B... épouse A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2025 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 23 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
La rapporteure :
Signé : Mme Charline Nicolas
Le secrétaire :
Signé : M. Guillaume Auge
N° 504857
ECLI:FR:CECHS:2025:504857.20251023
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
Mme Charline Nicolas, rapporteure
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats
Lecture du jeudi 23 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Le préfet du Bas-Rhin a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner l'expulsion sans délai de M. C... A..., de Mme B... A... et des autres occupants du logement géré par l'association Coallia situé à Geispolsheim (Bas-Rhin), qu'ils occupent sans droit ni titre, avec, en tant que de besoin, le concours de la force publique et, d'autre part, de l'autoriser à donner toutes instructions utiles au gestionnaire du lieu d'hébergement afin de débarrasser les lieux des biens meubles s'y trouvant.
Par une ordonnance n° 2500975 du 27 mars 2025, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a fait droit à cette demande.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juin et 16 juin 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, rejeter la demande du préfet ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Boré, Salve de Bruneton et Mégret, leur avocat, au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de Mme Dorothée Pradines, rapporteure publique,
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Megret, avocat de M. et Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence d'une décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Les mesures ainsi sollicitées ne doivent pas être manifestement insusceptibles de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative.
2. Aux termes de l'article L. 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sont des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile : / 1° Les centres d'accueil pour demandeurs d'asile définis à l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles ; / 2° Toute structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l'asile pour l'accueil de demandeurs d'asile et soumise à déclaration, au sens de l'article L. 322-1 du même code ". Aux termes de l'article L. 552-15 du même code : " Lorsqu'il est mis fin à l'hébergement dans les conditions prévues aux articles L. 551-11 à L. 551-14, l'autorité administrative compétente ou le gestionnaire du lieu d'hébergement peut demander en justice, après mise en demeure restée infructueuse, qu'il soit enjoint à cet occupant sans titre d'évacuer ce lieu. / La demande est portée devant le président du tribunal administratif, qui statue sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'après la présentation de leurs demandes d'asile auprès de l'Office français des réfugiés et des apatrides, M. et Mme A... ont été hébergés dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile situé à Bourg-lès-Valence. A la suite du rejet de leurs demandes d'asile et alors qu'après avoir été mis en demeure de le quitter, ils s'étaient maintenus dans leur logement, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, saisi par le préfet de la Drôme sur le fondement des dispositions citées au point 1, leur a enjoint, par une ordonnance du 17 février 2021, de quitter ce logement et, à défaut, autorisé leur expulsion. A la suite de cette ordonnance, M. et Mme A... ont quitté le centre d'accueil pour demandeurs d'asile et, depuis le 23 mai 2023, étaient hébergés à l'hôtel Holiday Inn, géré par l'association Coallia et situé 3 rue de l'Ill à Geispolsheim, dans le cadre, non du dispositif d'hébergement pour demandeurs d'asile prévu aux articles L. 551-11 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, mais du dispositif d'hébergement d'urgence prévu à l'article L. 345-2-2 du code de l'action sociale et des familles. Par suite, la demande du 7 février 2025 par laquelle le préfet du Bas-Rhin, après que les époux A... ont refusé de quitter ce logement, a demandé que soit ordonnée leur expulsion n'entrait pas dans le champ d'application des dispositions citées aux points 1 et 2.
4. Il résulte de ce qui précède que la demande du préfet du Bas-Rhin était manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de la juridiction administrative, dès lors qu'en dehors du cas prévu par l'article L. 552-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le cadre d'un hébergement d'urgence, il n'appartient qu'à la juridiction judiciaire de statuer sur une demande d'expulsion d'un occupant d'un immeuble appartenant à une personne morale de droit privé. Par suite, en statuant sur cette demande, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a méconnu les règles de compétence entre les deux ordres de juridiction. Dès lors, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi, son ordonnance doit être annulée.
5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.
6. Ainsi qu'il a été exposé au point 4, il n'appartient qu'à la juridiction judiciaire de statuer sur la demande d'expulsion de M. et Mme A.... Par suite, la demande du préfet du Bas-Rhin doit être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.
7. M. et Mme A... ayant obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, leur avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Boré, Salve de Bruneton et Mégret, leur avocat, au titre de ces dispositions, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'ordonnance du 27 mars 2025 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.
Article 2 : La demande présentée par le préfet du Bas-Rhin devant le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est rejetée comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 3 : L'Etat versera à la société Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. et Mme A..., une somme de 3 000 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C... A... et Mme B... épouse A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré à l'issue de la séance du 25 septembre 2025 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, président de chambre, présidant ; M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat et Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 23 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Nicolas Boulouis
La rapporteure :
Signé : Mme Charline Nicolas
Le secrétaire :
Signé : M. Guillaume Auge