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Ariane Web: Conseil d'État 467982, lecture du 24 octobre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:467982.20251024

Décision n° 467982
24 octobre 2025
Conseil d'État

N° 467982
ECLI:FR:CECHR:2025:467982.20251024
Publié au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
M. Cédric Fraisseix, rapporteur
SCP GUÉRIN - GOUGEON, avocats


Lecture du vendredi 24 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision n° 427301 du 1er juillet 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, d'une part, annulé pour excès de pouvoir le refus implicite opposé par le Président de la République, le Premier ministre et la ministre de la transition écologique et solidaire à la commune de Grande-Synthe de prendre toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et à l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les Etats membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris, d'autre part, enjoint au Premier ministre de prendre de telles mesures avant le 31 mars 2022.

Par une décision n° 467982 du 10 mai 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a, sur les demandes de la commune de Grande-Synthe, de la Ville de Paris et des associations Notre affaire à tous, Oxfam France, Fondation pour la nature et l'homme et Greenpeace France, d'une part, enjoint à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 en vue d'atteindre les objectifs de réduction fixés par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024, et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et, d'autre part, rejeté les conclusions à fin d'astreinte.

Par un courrier du 27 décembre 2023, le délégué à l'exécution des décisions de justice de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat a demandé au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de lui transmettre tous éléments de nature à justifier des mesures supplémentaires prises pour exécuter les décisions du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023 et à permettre leur évaluation.

Par des observations, enregistrées les 30 et 31 décembre 2023 et les 29 juin et 8 juillet 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a précisé les mesures prises à cette fin.

La section des études, de la prospective et de la coopération du Conseil d'Etat a exécuté les diligences qui lui incombent en vertu du code de justice administrative et la présidente de cette section a adressé à la présidente de la 6ème chambre de la section du contentieux, le 20 novembre 2024, une note faisant état des mesures prises par l'Etat et portant une appréciation sur l'exécution des décisions du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023.

La note du 20 novembre 2024 de la présidente de la section des études, de la prospective et de la coopération a été communiquée aux parties en application des dispositions de l'article R. 931-5 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 5 mars 2025, les associations Notre affaire à tous, Oxfam France et Greenpeace France demandent au Conseil d'Etat :

1°) de constater que la décision n° 467982 du 10 mai 2023 du Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas été pleinement exécutée à la date du 30 juin 2024 ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre les mesures complémentaires nécessaires pour assurer l'exécution complète de la décision n° 467982 du 10 mai 2023, dans un délai de six mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 75 millions d'euros par semestre de retard, dont le versement sera réparti entre le Haut Conseil pour le climat, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), l'Office français de la biodiversité, l'Agence nationale de l'habitat et l'Agence de financement des infrastructures de France ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par les décisions du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023 ;

Vu :
- la convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques du 9 mai 1992 et son protocole signé à Kyoto le 11 décembre 1997 ;
- l'accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015 ;
- le règlement (UE) 2018/842 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 ;
- le règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 ;
- le règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 ;
- le règlement (UE) 2023/857 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2023 ;
- le code de l'énergie ;
- le code de l'environnement ;
- le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la commune de Grande-Synthe et autre, et à la SCP Guérin-Gougeon, avocat de l'association Notre affaire à tous et autres ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 octobre 2025, présentée par la commune de Grande-Synthe ;



Considérant ce qui suit :

1. Par une décision n° 427301 du 1er juillet 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, d'une part, annulé le refus implicite opposé par le Président de la République, le Premier ministre et la ministre de la transition écologique et solidaire à la demande de la commune de Grande-Synthe de prendre toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et à l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les Etats membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris et, d'autre part, enjoint au Premier ministre de prendre de telles mesures avant le 31 mars 2022.

2. Par une décision n° 467982 du 10 mai 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi par la commune de Grande-Synthe, la Ville de Paris et les associations Notre Affaire à Tous, Oxfam France, Fondation pour la nature et l'Homme et Greenpeace France de trois demandes d'exécution de la décision n° 427301, présentées sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 931-2 du code de justice administrative, a enjoint à la Première ministre de prendre toutes mesures supplémentaires utiles pour assurer la cohérence du rythme de diminution des émissions de gaz à effet de serre avec la trajectoire de réduction de ces émissions retenue par le décret n° 2020-457 du 21 avril 2020 en vue d'atteindre les objectifs de réduction fixés par l'article L. 100-4 du code de l'énergie et par l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 avant le 30 juin 2024 et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Par cette même décision, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a rejeté les conclusions à fin d'astreinte dont il était saisi.

3. La section des études, de la prospective et de la coopération a exécuté les diligences qui lui incombent en application du code de justice administrative et la présidente de cette section a transmis au président de la section du contentieux une note faisant état des mesures prises par l'Etat pour assurer l'exécution des décisions précitées du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023. La commune de Grande-Synthe et les associations Notre affaire à tous, Oxfam France et Greenpeace France, estimant que ces décisions n'ont pas été pleinement exécutées à la date du 30 juin 2024, demandent qu'il soit enjoint au Premier ministre de prendre, sous astreinte, les mesures complémentaires nécessaires pour assurer cette exécution.

Sur les objectifs d'émissions applicables à la France et les procédures prévues pour évaluer l'atteinte de ces objectifs :

4. D'une part, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 précité : " 1. Chaque État membre limite ses émissions de gaz à effet de serre, en 2030, en respectant au moins le pourcentage fixé pour cet État membre à l'annexe I par rapport au niveau de ses émissions de gaz à effet de serre en 2005 (...) ". Pour l'application de cet article, l'annexe I du règlement a fixé à 37 % l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2030, par rapport à leurs niveaux de 2005, qui s'impose à la France. D'autre part, aux termes de l'article L. 100-4 du code de l'énergie : " I. - Pour répondre à l'urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs : / 1° De réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. La trajectoire est précisée dans les budgets carbone mentionnés à l'article L. 222-1 A du code de l'environnement (...) ". Il résulte de ces dispositions que le législateur français a fixé un objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport aux niveaux de 1990.

5. Aux termes de l'article L. 222-1 A du code de l'environnement : " Pour la période 2015-2018, puis pour chaque période consécutive de cinq ans, un plafond national des émissions de gaz à effet de serre dénommé " budget carbone " est fixé par décret ". Aux termes de l'article L. 222-1 B du même code : " I. - La stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone, dénommée " stratégie bas-carbone ", fixée par décret, définit la marche à suivre pour conduire la politique d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions soutenables sur le plan économique à moyen et long termes afin d'atteindre les objectifs définis par la loi prévue à l'article L. 100-1 A du code de l'énergie. (...) / II. - Le décret fixant la stratégie bas-carbone répartit le budget carbone de chacune des périodes mentionnées à l'article L. 222-1 A par grands secteurs, notamment ceux pour lesquels la France a pris des engagements européens ou internationaux, par secteur d'activité ainsi que par catégorie de gaz à effet de serre. (...) / Il répartit également les budgets carbone en tranches indicatives d'émissions annuelles. / (...) La stratégie bas-carbone décrit les orientations et les dispositions d'ordre sectoriel ou transversal qui sont établies pour respecter les budgets carbone (...) ". L'article L. 222-1 C du même code prévoit les dates de publication des budgets carbone des périodes 2015-2018, 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033.

6. En vertu de l'article L. 110-1 A du code de l'énergie : " I.- Avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique. / Chaque loi prévue au premier alinéa du présent I précise : / 1° Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour trois périodes successives de cinq ans ; (...) ; / 7° La programmation des moyens financiers nécessaires à l'atteinte des objectifs (...). / I bis. - Le Gouvernement transmet chaque année au Parlement (...) une stratégie pluriannuelle qui définit les financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale. Cette stratégie est compatible avec les objectifs mentionnés aux 1° à 6° du I du présent article ainsi qu'avec la programmation des moyens financiers mentionnée au 7° du même I. (...) / II.-Sont compatibles avec les objectifs mentionnés au I : / 1° La programmation pluriannuelle de l'énergie mentionnée à l'article L. 141-1 ; / 2° Le plafond national des émissions de gaz à effet de serre, dénommé " budget carbone ", mentionné à l'article L. 222-1 A du code de l'environnement ; / 3° La stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone, dénommée " stratégie bas-carbone " (...) ; / 4° Le plan national intégré en matière d'énergie et de climat et la stratégie à long terme, mentionnés respectivement aux articles 3 et 15 du règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat (...) ".

7. L'article 2 du décret du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas-carbone fixe les budgets carbone des périodes 2019-2023, 2024-2028 et 2029-2033, respectivement, à 422, 359 et 300 Mt éqCO2 par an, hors émissions et absorptions associées à l'utilisation des terres, aux changements d'affectation des terres et à la foresterie, dit secteur " UTCATF ". Ses articles 3 à 5 définissent les modalités de répartition de ces budgets carbone par grands secteurs, par domaines d'activité et par catégories de gaz à effet de serre. Son article 6 précise des tranches indicatives d'émissions annuelles, arrondies à 1 Mt éqCO2 près, pour chacun des deuxième, troisième et quatrième budgets carbone. Il en résulte, s'agissant du deuxième budget carbone, que cette part annuelle indicative, hors secteur UTCATF, est de 443 Mt éqCO2 pour 2019, de 436 Mt éqCO2 pour 2020, de 423 Mt éqCO2 pour 2021, de 410 Mt éqCO2 pour 2022 et de 397 MT éqCO2 pour 2023. En application de l'article D. 222-1 B du code de l'environnement, cette part a été réajustée en 2025 à 445 Mt éqCO2 pour 2019, 439 Mt éqCO2 pour 2020, 426 Mt éqCO2 pour 2021, 413 Mt éqCO2 pour 2022 et 400 Mt éqCO2 pour 2023. S'agissant du troisième budget carbone, cette part s'établit à 384 Mt éqCO2 pour 2024, 370 Mt éqCO2 pour 2025, 358 Mt éqCO2 pour 2026, 347 Mt éqCO2 pour 2027 et 335 Mt éqCO2 pour 2028. Enfin, s'agissant des deux premières années du quatrième budget carbone, elle s'établit à 323 Mt éqCO2 pour 2029 et 310 Mt éqCO2 pour 2030.

8. Par ailleurs, par l'article 4 du règlement (UE) 2021/1119 du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique, entré en vigueur le 30 juillet 2021, soit postérieurement à la décision n° 427301 du 1er juillet 2021 du Conseil d'Etat, l'Union européenne a approuvé un nouvel objectif de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre, après déduction des absorptions, à échéance 2030, l'objectif fixé désormais étant de réduire ces émissions d'au moins 55 % en 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Les modalités selon lesquelles ce nouvel objectif global est décliné, notamment en nouveaux objectifs applicables à chacun des Etats-membres, ont été définies par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne dans le cadre du " paquet " réglementaire dit " B... for 55 " ou " Ajustement à l'objectif - 55 ". Dans ce cadre, le règlement (UE) 2023/857 du 19 avril 2023 amende le règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 précité fixant les objectifs nationaux contraignants pour chaque Etat membre, notamment son annexe I. Il en résulte que l'objectif de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre assigné à la France qui était de 37 % pour la période 2005-2030 est désormais porté à 47,5 % pour cette même période. Pour satisfaire cet objectif, le Gouvernement a élaboré un projet de troisième stratégie nationale bas-carbone, non adoptée à la date de la présente décision, visant une réduction des émissions de 50 % entre 1990 et 2030. Toutefois, la décision n° 427301 du 1er juillet 2021 du Conseil d'Etat ayant examiné la légalité des décisions de refus implicite attaquées aux regards des objectifs applicables à la date de son intervention, soit le 1er juillet 2021, le nouvel objectif européen et ses déclinaisons nationales ne peuvent être regardés comme applicables au présent contentieux d'exécution des décisions du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023.

Sur l'exécution des décisions du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023 :

9. Il appartient au Conseil d'Etat, lorsqu'il statue dans le cadre de ses pouvoirs de juge de l'exécution des décisions contentieuses en application des articles L. 911-5 et R. 931-2 du code de justice administrative, d'office, ou à la demande d'une partie, de déterminer si la décision contentieuse a été correctement exécutée et, si tel n'est pas le cas, d'ordonner toutes mesures d'injonction ou d'astreinte de nature à assurer l'exécution effective de sa décision. Au cas d'espèce, le Gouvernement doit, pour démontrer la correcte exécution des décisions du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023, justifier que les mesures prises, ainsi que les mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national soit compatible avec l'atteinte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre précédemment mentionnés, fixés à l'échéance 2030, tels qu'ils étaient arrêtés au 1er juillet 2021, soit avant l'adoption du " paquet " dit " B... for 55 " et des mesures qui sont destinées à le décliner au niveau national pour assurer sa mise en oeuvre. Pour déterminer si tel est le cas, le juge de l'exécution prend en considération tous les éléments recueillis lors de l'instruction contradictoire permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que les objectifs fixés par le législateur pourront être atteints. Il lui appartient, en particulier, en premier lieu, d'examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints à la date à laquelle il statue et dans quelles conditions, en tenant compte, le cas échéant, des évènements exogènes qui ont pu affecter de manière sensible le niveau des émissions constatées. En deuxième lieu, il lui appartient de prendre en compte les mesures adoptées ou annoncées par le Gouvernement et présentées comme de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre mais également, le cas échéant, les mesures susceptibles d'engendrer au contraire une augmentation notable de ces émissions. En troisième lieu, il doit prendre en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l'efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des différentes méthodes d'évaluation ou d'estimation disponibles, y compris les avis émis par les experts, notamment le Haut Conseil pour le climat, pour apprécier la compatibilité de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre avec les objectifs assignés à la France. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il appartient, en dernier lieu, au juge de déterminer, dans une perspective dynamique et sans se limiter à l'atteinte des objectifs intermédiaires, mais en prenant en compte les objectifs fixés à la date de sa décision d'annulation, si, au vu des effets déjà constatés, des mesures annoncées et des caractéristiques des objectifs à atteindre ainsi que des modalités de planification et de coordination de l'action publique mises en oeuvre, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l'échéance de 2030 peuvent, à la date de sa décision, être regardés comme raisonnablement atteignables. Si au terme de cette analyse, le juge de l'exécution estime que des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d'atteinte de ces objectifs comme respectée, il peut clore le contentieux lié à l'exécution de sa décision.

10. En premier lieu, il résulte de l'instruction, en particulier du rapport annuel, dit " C... ", publié en juin 2025 par le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (CITEPA), que les émissions de gaz à effet de serre nationales, hors secteur UTCATF, se sont élevées à 436 Mt éqCO2 en 2019, à comparer à l'objectif indicatif réajusté de 445 Mt éqCO2, à 396 Mt éqCO2 en 2020, à comparer à l'objectif de 439, à 420 Mt éqCO2 en 2021, à comparer à l'objectif de 426, à 403 Mt éqCO2 en 2022, à comparer à l'objectif de 413 et à 376 Mt éqCO2 en 2023, à comparer à l'objectif de 400. Le niveau d'émissions brutes moyennes pour la période 2019-2023 s'établit à 406 Mt éqCO2, traduisant ainsi le respect, avec une marge favorable, du deuxième budget carbone qui prévoyait, après ajustement, une moyenne annuelle de 425 Mt éqCO2. Il résulte également du rapport C... précité, ainsi que du dernier baromètre prévisionnel publié par le CITEPA, que le niveau des émissions de gaz à effet de serre, hors secteur UTCATF, est estimé, en 2024, à 369 Mt éqCO2, soit un niveau inférieur à la part indicative annuelle du troisième budget carbone fixée à 384 Mt éqCO2 et, en 2025, à 366 Mt éqCO2, soit un niveau également inférieur à la part annuelle indicative fixée à 370 Mt éqCO2. Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'à la date de la présente décision, les objectifs intermédiaires de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tels qu'ils résultent du deuxième et du troisième budget carbone de la deuxième stratégie nationale bas-carbone, ont été respectés.

11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction et notamment de la séance orale d'instruction du 11 juillet 2025, à laquelle les parties et le Haut Conseil pour le climat ont participé, que le Gouvernement a, postérieurement à l'intervention des décisions du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023 du Conseil d'Etat statuant au contentieux, adopté ou engagé un ensemble significatif et diversifié de mesures dans l'objectif d'accélérer le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, de l'industrie, de l'énergie et des déchets, qu'il a accompagnées de la mise en oeuvre d'une territorialisation de la planification écologique. Il résulte également de l'instruction que des financements conséquents ont été alloués à l'ensemble de ces mesures, l'ensemble des investissements en faveur du climat ayant connu une hausse continue, passant d'environ 100 milliards d'euros en 2022 à 105 milliards d'euros en 2025. Si les requérantes soutiennent, en sens inverse, que les dispositions de la loi du 11 août 2025 visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur ou d'autres dispositions en cours d'examen au Parlement, telles que la suppression des zones à faible émission (ZFE) ou l'assouplissement de la règle dite du " zéro artificialisation nette " (ZAN), favoriseraient une hausse des émissions ou remettraient en cause les mesures de réduction adoptées par le Gouvernement, il ne résulte pas de l'instruction que l'entrée en vigueur de ces dispositions, à supposer même qu'elles soient toutes adoptées, aurait un effet significatif de nature à faire obstacle au respect des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre en cause dans le présent litige.

12. Les requérantes soutiennent également qu'un retard important a été pris dans l'entrée en vigueur de plusieurs textes destinés au pilotage des politiques publiques, en vue d'atteindre les objectifs qui, sans être applicables au présent litige, doivent être fixés au niveau national en application du règlement (UE) 2023/857 du 19 avril 2023. Ainsi, il résulte de l'instruction que, si l'Etat a adopté en mars 2025 le troisième plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC), ni la loi de programmation prévue à l'article L. 110-1 A du code de l'énergie, ni les troisièmes éditions de la stratégie nationale bas-carbone et de la programmation pluriannuelle de l'énergie ne sont, en revanche, à la date de la présente décision, promulguées ou publiées, alors pourtant que la stratégie nationale bas-carbone et la programmation pluriannuelle de l'énergie ont fait l'objet d'une concertation commune sous l'égide de la Commission nationale du débat public entre le 4 novembre et le 16 décembre 2024 et que la seconde a été soumise à deux procédures de consultation du public, du 22 novembre au 22 décembre 2023 et du 7 mars au 5 avril 2025. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que l'absence d'adoption, à la date de la présente décision, de ces différents textes visant à l'atteinte des nouveaux objectifs imposés par le règlement (UE) 2023/857 du 19 avril 2023 serait, par elle-même, de nature à remettre en question la complète exécution des décisions du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023.

13. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que, selon le scénario prospectif de projection dit " avec mesures existantes " (A...), qui est réalisé par le Gouvernement et transmis à la Commission européenne au titre de l'article 18 du règlement (UE) 2018/1999 du 11 décembre 2018, les émissions de gaz à effet de serre des six secteurs émetteurs devraient, en tenant compte des mesures adoptées jusqu'au 31 décembre 2023, atteindre 326 Mt éqCO2 en 2030, correspondant ainsi à une baisse de 39,5 % par rapport à l'année 1990, soit un niveau de réduction qui approche l'objectif fixé, en droit national, à l'article L. 100-4 du code de l'énergie. Compte tenu, d'une part, de ce que cette baisse des émissions en 2030 dans le scénario " A... 2024 " est plus importante que celle évaluée à - 37 % dans le scénario précédent, dit " A... 2023 ", qui prenait en compte les mesures existantes jusqu'au 31 décembre 2021 et, d'autre part, de l'incidence des mesures nouvelles adoptées ou annoncées depuis le 31 décembre 2023, la réduction des émissions devrait ainsi être supérieure à 39,5 % à l'horizon de 2030.

14. En quatrième et dernier lieu, il résulte notamment de la séance orale d'instruction tenue, ainsi qu'il a été dit, le 11 juillet 2025, ainsi que des avis d'experts disponibles et en particulier des travaux du Haut Conseil pour le climat, que le rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national est, sous réserve qu'il se poursuive, estimé compatible avec l'atteinte des objectifs de réduction fixés à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et à l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 précités. S'il est vrai que, dans ses rapports annuels pour 2024 et 2025, le Haut Conseil pour le climat souligne, au regard de l'atteinte des objectifs 2030 du paquet européen " B... for 55 ", l'insuffisante coordination de certains dispositifs mis en oeuvre par le Gouvernement, s'il note que le rythme de réduction des émissions tend à diminuer et regrette les délais constatés dans l'adoption des différents documents de planification, il conclut néanmoins qu'il reste possible d'atteindre ces objectifs, plus exigeants que ceux en cause dans le présent litige, eu égard à l'évolution du cadre d'action des politiques publiques, à la réduction des émissions constatée et à la contribution, dans cette réduction, des principaux secteurs émetteurs.

15. Il résulte de tout ce qui précède qu'à la date de la présente décision, compte tenu des différentes mesures adoptées par le Gouvernement, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés, pour 2030, à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et à l'annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur du règlement (UE) 2023/857 du 19 avril 2023 à, respectivement, - 40 % par rapport à 1990 et - 37 % par rapport à 2005, peuvent être regardés comme raisonnablement atteignables. Par suite, dès lors qu'à la date de la présente décision des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d'atteinte de ces objectifs comme respectée, les décisions du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023 doivent être regardées comme entièrement exécutées.



Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

16. Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la commune de Grande-Synthe et la somme globale de 3 000 euros à verser aux associations Notre affaire à tous, Oxfam France et Greenpeace France, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Les décisions du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du 1er juillet 2021 et du 10 mai 2023 sont entièrement exécutées.
Article 2 : L'Etat versera à la commune de Grande-Synthe la somme de 3 000 euros et aux associations Notre affaire à tous, Oxfam France et Greenpeace France, une somme globale de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la commune de Grande-Synthe et des associations Notre affaire à tous, Oxfam France et Greenpeace France est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Commune de Grande-Synthe, à la ville de Paris, aux associations Oxfam France, Greenpeace France et Notre affaire à tous, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature.
Copie en sera adressée à la section des études, de la prospective et de la coopération.
Délibéré à l'issue de la séance du 10 octobre 2025 où siégeaient : M. Denis Piveteau, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, M. Jean-Luc Matt, conseillers d'Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 24 octobre 2025.


Le président :
Signé : M. Denis Piveteau
Le rapporteur :
Signé : M. Cédric Fraisseix
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain


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