Conseil d'État
N° 506620
ECLI:FR:CECHR:2025:506620.20251024
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Muriel Deroc, rapporteure
SAS HANNOTIN AVOCATS, avocats
Lecture du vendredi 24 octobre 2025
Vu la procédure suivante :
Le département des Yvelines, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation partielle de l'arrêté du 16 avril 2024 portant notification des attributions individuelles de dotation globale de fonctionnement aux collectivités territoriales et aux établissements publics de coopération intercommunale au titre de l'exercice 2024 en application de l'article L. 1613-5-1 du code général des collectivités territoriales et du tableau des attributions individuelles des départements annexé, en tant qu'il limite l'attribution individuelle du département des Yvelines à la somme de 19 307 829 euros, a produit un mémoire, enregistré le 28 mai 2025 au greffe du tribunal administratif de Versailles, par lequel il soulève, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2405526 du 22 juillet 2025, enregistrée le 25 juillet suivant au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Versailles, avant qu'il soit statué sur la demande du département des Yvelines, a décidé, en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des collectivités territoriales, notamment son article L. 3334-3 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin, avocat du département des Yvelines ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. L'article L. 3334-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit qu'au titre des concours financiers de l'Etat, les départements perçoivent une dotation globale de fonctionnement composée d'une dotation forfaitaire, d'une dotation de péréquation et d'une dotation de compensation. Aux termes de l'article L. 3334-3 du même code, dans sa rédaction en cause : " Chaque département reçoit une dotation forfaitaire. / I. - A compter de 2015, la dotation forfaitaire de chaque département est égale au montant perçu l'année précédente au titre de cette dotation. Pour chaque département, à l'exception du département de Paris, cette dotation est majorée ou minorée du produit de la différence entre sa population constatée au titre de l'année de répartition et celle constatée au titre de l'année précédant la répartition par un montant de 74,02 ? par habitant. / II. - Cette dotation forfaitaire est minorée d'un montant fixé par le comité des finances locales afin de financer l'accroissement de la dotation forfaitaire mentionnée au deuxième alinéa et, le cas échéant, l'accroissement de la dotation prévue à l'article L. 3334-4 ainsi que les majorations prévues au dernier alinéa des articles L. 3334-6-1 et L. 3334-7. Cette minoration est effectuée dans les conditions suivantes : / 1° Les départements dont le potentiel financier par habitant est inférieur à 0,95 fois le potentiel financier moyen par habitant constaté au niveau national bénéficient d'une attribution au titre de leur dotation forfaitaire, calculée en application du I ; / 2° La dotation forfaitaire des départements dont le potentiel financier par habitant est supérieur ou égal à 0,95 fois le potentiel financier moyen par habitant constaté au niveau national est minorée en proportion de leur population et du rapport entre le potentiel financier par habitant du département et le potentiel financier moyen par habitant constaté au niveau national. Pour chaque département concerné, cette minoration ne peut être supérieure à 1 % des recettes réelles de fonctionnement de son budget principal, constatées dans le compte de gestion afférent au pénultième exercice. La minoration ne peut excéder le montant de la dotation forfaitaire calculée pour le département en application du I. (...) ".
3. Il résulte de ces dernières dispositions qu'à population constante, le montant de la dotation forfaitaire allouée aux départements dont le potentiel financier par habitant est supérieur ou égal à 0,95 fois le potentiel financier moyen par habitant constaté au niveau national, est égal à celui de la dotation qui leur a été allouée au titre de l'année 2014 diminuée du total cumulé des minorations calculées chaque année, depuis 2015, conformément au 2° du II.
4. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, le département des Yvelines soutient que les dispositions de l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales porteraient atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, aux principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales énoncés aux articles 72 et 72-2 de la Constitution, ainsi qu'à un objectif de valeur constitutionnelle " d'équilibre des comptes des collectivités territoriales ". Il soutient également que les règles de détermination de la dotation de compensation au titre de l'année 2024, autre composante de la dotation globale de fonctionnement, porteraient atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques.
5. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, aux termes de l'article 13 de la Déclaration du 26 août 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. " Si cet article n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, le législateur doit se fonder sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose et il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Enfin, aux termes du dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution : " La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. " Il est loisible au législateur de mettre en oeuvre une péréquation financière entre collectivités territoriales en les regroupant par catégories, dès lors que la définition de celles-ci repose sur des critères objectifs et rationnels.
6. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faire contribuer les départements à la couverture du besoin de financement lié à l'évolution de la population française et à l'accroissement recherché du poids des dotations de péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement. En répartissant cette contribution entre les départements à raison de leur potentiel financier par habitant respectif, le législateur s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. Si les dispositions contestées sont susceptibles de conduire, pour certains départements, à la suppression de leur dotation forfaitaire, il n'en résulte pas, compte tenu de l'objet de cette dotation, de méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, ni de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Eu égard à l'objet de ces dispositions, le département des Yvelines ne peut utilement soutenir que le calcul de la dotation forfaitaire d'un département, qui tient compte de l'évolution de sa population, devrait tenir compte d'une éventuelle évolution à la hausse de l'ensemble de ses charges.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 72 de la Constitution : " (...) Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences (...) ". Aux termes de son article 72-2 : " Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. (...) Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ".
8. Les dispositions contestées conduisent à des modifications de la répartition, entre les départements, de la dotation globale de fonctionnement. Elles n'ont pas pour effet de réduire la part des ressources propres dans les ressources totales de cette catégorie de collectivités. Elles ne portent donc pas atteinte à leur autonomie financière. Si les dispositions contestées peuvent se traduire, pour certains départements, par la suppression de leur dotation forfaitaire, il n'en résulte pas une baisse de leur dotation globale de fonctionnement d'une ampleur telle qu'elle entraverait leur libre administration. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales est dépourvu de caractère sérieux.
9. En troisième lieu, à supposer même que l'équilibre des comptes des collectivités territoriales puisse être regardé comme un objectif de valeur constitutionnelle, sa méconnaissance ne saurait, en tout état de cause, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.
10. En dernier lieu, le département des Yvelines, qui conteste la conformité à la Constitution des seules dispositions de l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales citées au point 2, ne peut utilement faire valoir à l'appui de la présente question prioritaire de constitutionnalité que les règles de détermination de la dotation de compensation, prévues à l'article L. 3334-7-1 du même code, méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la question de constitutionnalité soulevée par le département des Yvelines, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le département des Yvelines.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au département des Yvelines et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, à la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, et au tribunal administratif de Versailles.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 octobre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte et Mme Emilie Bokdam-Tognetti, présidents de chambre ; M. Pierre Boussaroque, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, conseillers d'Etat, Mme Juliette Amar-Cid, maîtresse des requêtes et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 24 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Muriel Deroc
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Meaulle
N° 506620
ECLI:FR:CECHR:2025:506620.20251024
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Muriel Deroc, rapporteure
SAS HANNOTIN AVOCATS, avocats
Lecture du vendredi 24 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Le département des Yvelines, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation partielle de l'arrêté du 16 avril 2024 portant notification des attributions individuelles de dotation globale de fonctionnement aux collectivités territoriales et aux établissements publics de coopération intercommunale au titre de l'exercice 2024 en application de l'article L. 1613-5-1 du code général des collectivités territoriales et du tableau des attributions individuelles des départements annexé, en tant qu'il limite l'attribution individuelle du département des Yvelines à la somme de 19 307 829 euros, a produit un mémoire, enregistré le 28 mai 2025 au greffe du tribunal administratif de Versailles, par lequel il soulève, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 2405526 du 22 juillet 2025, enregistrée le 25 juillet suivant au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 1ère chambre du tribunal administratif de Versailles, avant qu'il soit statué sur la demande du département des Yvelines, a décidé, en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des collectivités territoriales, notamment son article L. 3334-3 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes,
- les conclusions de M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Hannotin, avocat du département des Yvelines ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. L'article L. 3334-1 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit qu'au titre des concours financiers de l'Etat, les départements perçoivent une dotation globale de fonctionnement composée d'une dotation forfaitaire, d'une dotation de péréquation et d'une dotation de compensation. Aux termes de l'article L. 3334-3 du même code, dans sa rédaction en cause : " Chaque département reçoit une dotation forfaitaire. / I. - A compter de 2015, la dotation forfaitaire de chaque département est égale au montant perçu l'année précédente au titre de cette dotation. Pour chaque département, à l'exception du département de Paris, cette dotation est majorée ou minorée du produit de la différence entre sa population constatée au titre de l'année de répartition et celle constatée au titre de l'année précédant la répartition par un montant de 74,02 ? par habitant. / II. - Cette dotation forfaitaire est minorée d'un montant fixé par le comité des finances locales afin de financer l'accroissement de la dotation forfaitaire mentionnée au deuxième alinéa et, le cas échéant, l'accroissement de la dotation prévue à l'article L. 3334-4 ainsi que les majorations prévues au dernier alinéa des articles L. 3334-6-1 et L. 3334-7. Cette minoration est effectuée dans les conditions suivantes : / 1° Les départements dont le potentiel financier par habitant est inférieur à 0,95 fois le potentiel financier moyen par habitant constaté au niveau national bénéficient d'une attribution au titre de leur dotation forfaitaire, calculée en application du I ; / 2° La dotation forfaitaire des départements dont le potentiel financier par habitant est supérieur ou égal à 0,95 fois le potentiel financier moyen par habitant constaté au niveau national est minorée en proportion de leur population et du rapport entre le potentiel financier par habitant du département et le potentiel financier moyen par habitant constaté au niveau national. Pour chaque département concerné, cette minoration ne peut être supérieure à 1 % des recettes réelles de fonctionnement de son budget principal, constatées dans le compte de gestion afférent au pénultième exercice. La minoration ne peut excéder le montant de la dotation forfaitaire calculée pour le département en application du I. (...) ".
3. Il résulte de ces dernières dispositions qu'à population constante, le montant de la dotation forfaitaire allouée aux départements dont le potentiel financier par habitant est supérieur ou égal à 0,95 fois le potentiel financier moyen par habitant constaté au niveau national, est égal à celui de la dotation qui leur a été allouée au titre de l'année 2014 diminuée du total cumulé des minorations calculées chaque année, depuis 2015, conformément au 2° du II.
4. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, le département des Yvelines soutient que les dispositions de l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales porteraient atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, aux principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales énoncés aux articles 72 et 72-2 de la Constitution, ainsi qu'à un objectif de valeur constitutionnelle " d'équilibre des comptes des collectivités territoriales ". Il soutient également que les règles de détermination de la dotation de compensation au titre de l'année 2024, autre composante de la dotation globale de fonctionnement, porteraient atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques.
5. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, aux termes de l'article 13 de la Déclaration du 26 août 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. " Si cet article n'interdit pas de faire supporter, pour un motif d'intérêt général, à certaines catégories de personnes des charges particulières, le législateur doit se fonder sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose et il ne doit pas en résulter de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Enfin, aux termes du dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution : " La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales. " Il est loisible au législateur de mettre en oeuvre une péréquation financière entre collectivités territoriales en les regroupant par catégories, dès lors que la définition de celles-ci repose sur des critères objectifs et rationnels.
6. En adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faire contribuer les départements à la couverture du besoin de financement lié à l'évolution de la population française et à l'accroissement recherché du poids des dotations de péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement. En répartissant cette contribution entre les départements à raison de leur potentiel financier par habitant respectif, le législateur s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objectif d'intérêt général poursuivi. Si les dispositions contestées sont susceptibles de conduire, pour certains départements, à la suppression de leur dotation forfaitaire, il n'en résulte pas, compte tenu de l'objet de cette dotation, de méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, ni de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Eu égard à l'objet de ces dispositions, le département des Yvelines ne peut utilement soutenir que le calcul de la dotation forfaitaire d'un département, qui tient compte de l'évolution de sa population, devrait tenir compte d'une éventuelle évolution à la hausse de l'ensemble de ses charges.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 72 de la Constitution : " (...) Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences (...) ". Aux termes de son article 72-2 : " Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. (...) Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ".
8. Les dispositions contestées conduisent à des modifications de la répartition, entre les départements, de la dotation globale de fonctionnement. Elles n'ont pas pour effet de réduire la part des ressources propres dans les ressources totales de cette catégorie de collectivités. Elles ne portent donc pas atteinte à leur autonomie financière. Si les dispositions contestées peuvent se traduire, pour certains départements, par la suppression de leur dotation forfaitaire, il n'en résulte pas une baisse de leur dotation globale de fonctionnement d'une ampleur telle qu'elle entraverait leur libre administration. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales est dépourvu de caractère sérieux.
9. En troisième lieu, à supposer même que l'équilibre des comptes des collectivités territoriales puisse être regardé comme un objectif de valeur constitutionnelle, sa méconnaissance ne saurait, en tout état de cause, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.
10. En dernier lieu, le département des Yvelines, qui conteste la conformité à la Constitution des seules dispositions de l'article L. 3334-3 du code général des collectivités territoriales citées au point 2, ne peut utilement faire valoir à l'appui de la présente question prioritaire de constitutionnalité que les règles de détermination de la dotation de compensation, prévues à l'article L. 3334-7-1 du même code, méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la question de constitutionnalité soulevée par le département des Yvelines, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le département des Yvelines.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au département des Yvelines et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, à la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation, et au tribunal administratif de Versailles.
Délibéré à l'issue de la séance du 15 octobre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte et Mme Emilie Bokdam-Tognetti, présidents de chambre ; M. Pierre Boussaroque, M. Jonathan Bosredon, M. Philippe Ranquet, Mme Sylvie Pellissier, conseillers d'Etat, Mme Juliette Amar-Cid, maîtresse des requêtes et Mme Muriel Deroc, maîtresse des requêtes-rapporteure.
Rendu le 24 octobre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Muriel Deroc
La secrétaire :
Signé : Mme Magali Meaulle