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Ariane Web: Conseil d'État 502192, lecture du 29 octobre 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:502192.20251029

Décision n° 502192
29 octobre 2025
Conseil d'État

N° 502192
ECLI:FR:CECHS:2025:502192.20251029
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
M. Mathieu Guibard, rapporteur
AARPI SCHMITT AVOCATS, avocats


Lecture du mercredi 29 octobre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 mars et 31 juillet 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la délibération n° 2024-334 du 3 décembre 2024 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique relative à son projet de mobilité professionnelle visant à être recruté par la société Thales Alenia Space France en tant que cette autorité a assorti son avis de compatibilité d'une réserve relative à l'ensemble de la direction générale des entreprises, ainsi que la délibération n° 2025-36 du 28 janvier 2025 rejetant son recours gracieux contre cet avis ;

2°) d'enjoindre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de formuler un avis de compatibilité sur son projet de mobilité professionnelle assorti d'une réserve limitée à certains services ou sous-directions de la direction générale des entreprises, à l'exclusion de ceux en charge du secteur spatial ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans un délai maximum d'un mois à compter de la décision à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les éventuels dépens de l'instance ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 ;
- le décret n° 2022-1016 du 20 juillet 2022 ;
- le décret n° 2022-1061 du 29 juillet 2022 ;
- le décret n° 2024-28 du 24 janvier 2024 ;
- le décret n° 2024-179 du 6 mars 2024 ;
- l'arrêté du 18 décembre 2019 portant organisation de la direction générale des entreprises ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Guibard, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Labrune, rapporteur public

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que M. B..., ingénieur des mines, a notamment exercé, du 24 juillet 2022 au 8 janvier 2024, les fonctions de directeur adjoint de cabinet du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie puis, du 16 février 2024 au 3 mars 2024, les fonctions de directeur adjoint de cabinet du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie et, enfin, du 4 mars 2024 au 19 mai 2024, les fonctions de conseiller spécial auprès de ce même ministre délégué. Il a informé le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de son projet de mobilité professionnelle tendant à rejoindre, en janvier 2025, la société Thales Alenia Space France en tant que vice-président chargé des relations institutionnelles. Le ministre a saisi pour avis, sur le fondement des articles L. 124-4 et L. 124-5 du code général de la fonction publique, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de ce projet. Par une délibération du 3 décembre 2024, la Haute Autorité a émis un avis de compatibilité entre les fonctions envisagées par M. B... et ses précédentes fonctions sous réserve qu'il s'abstienne, dans le cadre de sa nouvelle activité professionnelle, de réaliser toute démarche, y compris de représentation d'intérêts, auprès du ministre délégué auprès duquel il a exercé des fonctions en cabinet ministériel, de ses anciens collègues au sein de ces cabinets et de la direction générale des entreprises. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette délibération en tant qu'elle lui interdit de réaliser toute démarche auprès de l'ensemble de la direction générale des entreprises, ainsi que de la délibération du 28 janvier 2025 rejetant son recours gracieux.

2. Aux termes de l'article L. 124-4 du code général de la fonction publique : " L'agent public cessant ou ayant cessé ses fonctions depuis moins de trois ans, définitivement ou temporairement, saisit à titre préalable l'autorité hiérarchique dont il relève ou a relevé dans son dernier emploi afin d'apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé ou de toute activité libérale avec les fonctions exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité ". Aux termes de l'article L. 124-5 de ce même code : " Lorsque la demande prévue au premier alinéa de l'article L. 124-4 émane d'un agent public occupant ou ayant occupé au cours des trois dernières années un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, l'autorité hiérarchique soumet cette demande à l'avis préalable de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ". Aux termes de l'article L. 124-10 de ce même code : " La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique émet un avis : / (...) 2° Sur le projet d'activité privée lucrative présenté par un agent public qui souhaite cesser temporairement ou définitivement ses fonctions, en application des articles L. 124-4 et L. 124-5 ". Enfin, en application de l'article 1er du décret du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique, ces dispositions sont applicables aux agents publics ayant exercé des fonctions de membre de cabinet ministériel.

Sur la légalité externe de la délibération du 3 décembre 2024 :

3. En premier lieu, la délibération du 3 décembre 2024 comporte l'exposé des circonstances de droit et de fait que la Haute Autorité a pris en considération pour se prononcer. Elle est, dès lors, suffisamment motivée. Par ailleurs, cette première délibération ayant satisfait à l'obligation de motivation, M. B... ne peut utilement soutenir, en tout état de cause, que la seconde délibération rejetant son recours gracieux serait, elle aussi, insuffisamment motivée.

Sur la légalité interne de la délibération du 3 décembre 2024 :

4. Lorsqu'elle exerce l'attribution prévue à l'article L. 124-10 du code général de la fonction publique, la Haute Autorité examine, en application de l'article L. 124-12 de ce même code, si l'activité envisagée présente un risque déontologique, c'est-à-dire " si l'activité exercée par l'agent public risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe déontologique mentionné aux articles L. 121-1 et L. 121-2 ". Aux termes de l'article L. 121-1 de ce même code : " L'agent public exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité ". Aux termes de l'article L. 121-2 de ce même code : " Dans l'exercice de ses fonctions, l'agent public est tenu à l'obligation de neutralité. Il exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il s'abstient notamment de manifester ses opinions religieuses. Il est formé à ce principe. L'agent public traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité ".

5. En premier lieu, d'une part, l'article 1er des décrets d'attribution successifs du ministre délégué auprès duquel M. B... a travaillé en tant que directeur adjoint de cabinet, en dates du 29 juillet 2022 et du 6 mars 2024, ont prévu, notamment, que le ministre " assure la mise en oeuvre de la politique industrielle et le suivi du secteur industriel et des services et filières associés ", qu'il " est associé au déploiement de la cinquième génération de réseaux de communication mobiles, s'agissant de ses applications industrielles " et qu'il est associé " à la politique d'innovation et à la politique de l'espace ". Aux termes de l'article 2 de ces mêmes décrets : " le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie, dispose des services placés sous l'autorité du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ou dont il dispose ". Aux termes des articles 2 puis 5 des décrets d'attribution successifs du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, du 20 juillet 2022 et du 24 janvier 2024 : " Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a autorité sur : / (...) / - la direction générale des entreprises ".

6. D'autre part, l'article 1er de l'arrêté du 18 décembre 2019 portant organisation de la direction générale des entreprises dispose que : " La direction générale des entreprises comprend : / - le service de l'industrie ; / - le service de l'économie numérique (...) ". Aux termes de l'article 6 de ce même arrêté : " Le service de l'économie numérique propose, met en oeuvre et évalue les politiques de l'Etat dans les technologies numériques, l'électronique, les industries spatiales, les communications électroniques et les activités postales en veillant au développement de leurs usages ainsi qu'à l'intérêt des utilisateurs ". Aux termes de l'article 8 de ce même arrêté : " La sous-direction du spatial, de l'électronique et du logiciel propose, met en oeuvre et évalue la politique industrielle française dans les secteurs de l'électronique, du logiciel et de l'économie de la donnée, en vue d'accroître leur compétitivité. ".

7. Eu égard à ce qui précède et compte tenu du niveau et de la nature des responsabilités exercées antérieurement par M. B..., la fonction de directeur adjoint de cabinet le mettant en position de connaître de l'ensemble des sujets relevant du ministre délégué, et alors même que le directeur de cabinet du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a attesté de ce qu'en pratique, la politique de l'espace était attribuée en propre au ministre de l'économie sans délégation effective au ministre délégué auprès duquel M. B... travaillait, la Haute Autorité n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que l'avis de compatibilité formulé à l'égard du projet de mobilité professionnelle du requérant vers la société Thales Alenia Space France en tant que vice-président chargé des relations institutionnelles, fonctions qui l'exposent à des interactions avec des agents sur lesquels il a pu antérieurement avoir une autorité, devait être accordé sous réserve de ce qu'il s'abstienne de réaliser toute démarche, y compris de représentation d'intérêts, auprès de l'ensemble de la direction générale des entreprises et non du seul service de l'industrie de cette même direction.

8. En second lieu, la circonstance, à la supposer établie, que d'autres membres de cabinets ministériels ou d'autres fonctionnaires auraient fait l'objet d'avis différents de la part de la Haute Autorité n'est pas de nature à établir que celle-ci aurait méconnu le principe d'égalité dès lors qu'il est constant que les intéressés se trouvaient dans des situations différentes de celle de M. B.... Ce moyen doit par suite, et en tout état de cause, être écarté.

9. Il résulte de ce qui précède que la requête de M. B... doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction, celles demandant la mise à la charge de la Haute Autorité des entiers dépens et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Copie en sera adressée à la ministre de l'action et des comptes publics et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique.