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Décision n° 497471
6 novembre 2025
Conseil d'État

N° 497471
ECLI:FR:CECHR:2025:497471.20251106
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
M. Bastien Brillet, rapporteur
SARL GURY & MAITRE, avocats


Lecture du jeudi 6 novembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 septembre et 3 décembre 2024 et le 24 avril 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société d'exploitation d'un service d'information (SESI) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision n° 2024-656 du 3 juillet 2024 par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) lui a infligé une sanction pécuniaire d'un montant de 20 000 euros ;

2°) de mettre à la charge de l'Arcom la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 18 avril 2018 relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bastien Brillet, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société d'exploitation d'un service d'information et à la SARL Gury et Maître, avocat de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.


Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de la diffusion de l'émission " Punchline été " le 8 août 2023 sur le service de télévision CNEWS, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui a succédé au CSA à compter du 1er janvier 2022, a par une décision du 3 juillet 2024 infligé à la société d'exploitation d'un service d'information (SESI), exploitante du service CNEWS, une sanction pécuniaire de 20 000 euros. La SESI demande l'annulation de cette décision.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1. " Selon l'article 42-1 de la même loi : " Si la personne faisant l'objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut prononcer à son encontre, compte tenu de la gravité du manquement, et à la condition que celui-ci repose sur des faits distincts ou couvre une période distincte de ceux ayant déjà fait l'objet d'une mise en demeure, une des sanctions suivantes : / (...) 3° Une sanction pécuniaire assortie éventuellement d'une suspension de l'édition ou de la distribution du ou des services ou d'une partie du programme (...) ".

3. Aux termes de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel garantit l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l'article 1er de la présente loi. (...) ". Aux termes de l'article 1er de la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel du 18 avril 2018 relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent : " L'éditeur d'un service de communication audiovisuelle doit assurer l'honnêteté de l'information et des programmes qui y concourent. (...) / Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information. / Il veille au respect d'une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l'expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d'antenne ". Aux termes de l'article 2-3-7 de la convention conclue le 27 novembre 2019 entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel et la société d'exploitation d'un service d'information (SESI) pour l'exploitation du service de télévision dénommé " CNEWS ", diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique : " L'exigence d'honnêteté s'applique à l'ensemble des programmes. L'éditeur respecte la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent. " Aux termes de l'article 2-2-1 de la même convention : " L'éditeur est responsable du contenu des émissions qu'il diffuse. Il conserve en toutes circonstances la maîtrise de son antenne. " Ces stipulations ainsi que les dispositions auxquelles elles renvoient ne font pas obstacle à la définition par l'éditeur du service conventionné d'une ligne éditoriale qui peut le conduire à faire intervenir à l'antenne des personnalités développant les thèses les plus controversées, dont les propos ne sauraient être regardés comme relevant par eux même de la présentation et du traitement de l'information par l'éditeur du service. Elles lui imposent cependant, y compris dans les programmes qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l'information, concourent à son traitement, même sous l'angle de la polémique, de n'aborder les questions prêtant à controverse qu'en veillant à une distinction entre la présentation des faits et leur commentaire et à l'expression de points de vue différents.

4. En premier lieu, la SESI n'allègue pas, et il ne résulte pas davantage de l'instruction, que la sanction qui lui a été infligée reposerait de manière déterminante sur des propos tenus lors de son audition par l'Arcom. Par suite, ne peut qu'être écarté le moyen tiré de ce que cette sanction aurait été prononcée dans des conditions irrégulières faute qu'ait été respectée, lors de cette audition, l'obligation de lui notifier le droit de se taire.

5. En second lieu, au cours de la séquence litigieuse, consacrée à l'information selon laquelle le mois de juillet 2023 avait été le mois le plus chaud jamais enregistré à cette date, M. A..., invité de l'émission présenté comme " économiste ", a, à deux reprises, contesté l'existence d'un réchauffement climatique dû aux activités humaines, niant son caractère scientifiquement établi et la qualifiant de mensonge et d'escroquerie, imputable à un complot destiné à justifier l'intervention de l'Etat dans la vie quotidienne des citoyens et qui s'apparenterait à une forme de totalitarisme. Ni le présentateur ni les autres invités de l'émission n'ont apporté de contradiction à ces propos grossièrement erronés et manifestement non conformes aux données acquises de la science, au surcroît accompagnés de propos de caractère complotiste. En estimant que la diffusion, dans ces conditions, de tels propos caractérisait une méconnaissance par l'éditeur du service des obligations résultant pour lui des stipulations des articles 2-3-7 et 2-2-1 de la convention du 27 novembre 2019, relatifs respectivement à l'exigence d'honnêteté de l'information et à la maîtrise de l'antenne, justifiant l'infliction d'une sanction pécuniaire d'un montant de 20 000 euros, l'Arcom n'a pas fait une inexacte application des pouvoirs qu'elle tient de l'article 42-1 de la loi du 30 septembre 1986, ni retenu une sanction disprioprtionnée, ni porté une atteinte excessive à la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Il résulte de ce qui précède que la SESI n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision qu'elle attaque. Sa requête doit, dès lors, être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SESI la somme de 3 000 euros à verser à l'Arcom au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la SESI est rejetée.
Article 2 : La SESI versera à l'Arcom la somme de 3 000 euros titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société d'exploitation d'un service d'information et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Copie en sera adressée à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 29 septembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Alain Seban, Mme Laurence Helmlinger, M. Laurent Cabrera, M. Stéphane Hoynck, M. Christophe Pourreau, conseillers d'Etat et M. Bastien Brillet, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 6 novembre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Bastien Brillet
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras