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Ariane Web: Conseil d'État 499626, lecture du 13 novembre 2025, ECLI:FR:CECHS:2025:499626.20251113

Décision n° 499626
13 novembre 2025
Conseil d'État

N° 499626
ECLI:FR:CECHS:2025:499626.20251113
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
M. Louis d'Humières, rapporteur
SCP OHL, VEXLIARD, avocats


Lecture du jeudi 13 novembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler la décision du 7 septembre 2021 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension de réversion en qualité d'ayant-cause de M. C... B... et d'enjoindre à la ministre de lui verser cette pension et, d'autre part, à titre subsidiaire, d'enjoindre à la ministre de réexaminer sa situation, dans le délai d'un mois à compter du jugement à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard. Par un jugement n° 2103082 du 6 mai 2024, ce tribunal a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 11 décembre 2024, 12 mars 2025 et 18 mars 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme D... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros, à verser à la SCP Ohl-Vexliard, son avocat, au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code civil ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010, notamment son article 211 ;
- le décret n° 2010-1691 du 30 décembre 2010 ;
- l'arrêté du 30 décembre 2010 portant application du décret n° 2010-1691 du 30 décembre 2010 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Louis d'Humières, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de Mme D... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C... B..., ressortissant marocain, rayé des contrôles de l'armée active le 1er novembre 1956, a obtenu le bénéfice d'une pension militaire de retraite proportionnelle et qu'il est décédé le 20 décembre 1996. Mme A... D... se pourvoit en cassation contre le jugement du 6 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 7 septembre 2021 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension de réversion.

Sur la recevabilité du pourvoi :

2. D'une part, il résulte des dispositions des articles R. 821-1, R. 821-2, R. 811-5 et R. 421-7 du code de justice administrative que le délai de recours en cassation, qui est, sauf dispositions contraires, de deux mois, est augmenté de deux mois pour les personnes qui demeurent à l'étranger.

3. D'autre part, aux termes de l'article 44 du décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles : " I. - En matière civile, lorsqu'une demande d'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir devant la Cour de cassation (...) est déposée ou adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration du délai imparti pour le dépôt du pourvoi, (...) ce délai est interrompu. Un nouveau délai de recours court à compter de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné (...) / II. - Les délais de recours sont interrompus dans les conditions prévues au I lorsque l'aide juridictionnelle est sollicitée à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte de ces dispositions que, dans le cas où a été formée une demande d'aide juridictionnelle qui a interrompu le délai de recours applicable devant le Conseil d'Etat, ce délai recommence à courir à compter du jour de la réception par l'intéressé de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.

4. Il ressort des pièces du dossier que le 2 juillet 2024, Mme D..., qui réside au Maroc, a sollicité le bénéfice de l'aide juridictionnelle en vue de se pourvoir en cassation contre le jugement du 6 mai 2024 du tribunal administratif et que, par décision du 30 juillet 2024, lui a été accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Le ministre des armées soutient que cette dernière décision lui a été notifiée le 1er août 2024 et que la SCP Ohl-Vexliard ayant été commise d'office par le président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la cour de cassation par décision du 6 août 2024, le délai de recours en cassation expirait le lundi 9 décembre 2024 à vingt-quatre heures. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la décision du bureau d'aide juridictionnelle a été notifiée à Mme D... par la voie consulaire, par un courrier parvenu au ministère de l'Europe et des affaires étrangères le 9 août 2024. Il en résulte que Mme D... n'a pu matériellement recevoir cette notification au Maroc avant le 10 août 2024, au plus tôt, de sorte que le délai qui lui était imparti pour déposer son pourvoi en cassation n'a pu expirer avant le 11 décembre 2024 à vingt-quatre heures, au plus tôt. Son pourvoi, enregistré à cette dernière date, n'est par suite pas tardif. Il y a dès lors lieu d'écarter la fin de non-recevoir soulevée par le ministre des armées.

Sur le bien-fondé du pourvoi :

5. Aux termes de l'article L. 39 du code des pensions civiles et militaires de retraite, rendu applicable à Mme D..., ayant cause d'un militaire, par l'article L. 47 du même code, le droit à pension de réversion, nonobstant les conditions d'antériorité prévues aux a et b de cet article, " est reconnu : / 1° Si un ou plusieurs enfants sont issus du mariage ; / 2° Ou si le mariage, antérieur ou postérieur à la cessation de l'activité, a duré au moins quatre années ".

6. Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ".

7. Aux termes de l'article 211 de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, applicable aux demandes de pension de réversion : " I. - (...) les pensions civiles et militaires de retraite et les retraites du combattant servies aux ressortissants des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France sont calculées dans les conditions prévues aux paragraphes suivants. (...) / V. - Les demandes de pensions présentées en application du présent article sont instruites dans les conditions prévues par le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et par le code des pensions civiles et militaires de retraite. / (...) / VIII. - Un décret fixe les modalités d'application du présent article, notamment les mesures d'information des bénéficiaires ainsi que les modalités de présentation et d'instruction des demandes mentionnées aux III, IV et V. (...) ". Aux termes de l'article 3 du décret du 30 décembre 2010, pris pour l'application des dispositions de cet article 211 : " Un arrêté conjoint des ministres chargés de la défense, des affaires étrangères, des anciens combattants et du budget énumère les pièces justificatives à produire à l'appui de toute demande visée à l'article 1er ". L'annexe 3 de l'arrêté du 30 décembre 2010 pris pour l'application de ce décret mentionne, parmi les pièces exigées pour une demande de pension d'un ayant cause, " l'acte de mariage mentionnant la date de transcription sur les registres d'état-civil ".

8. S'il résulte des dispositions citées au point 7 que " l'acte de mariage mentionnant la date de transcription sur les registres d'état-civil " fait foi en toutes ses mentions, notamment la date de la célébration, pour l'obtention des pensions régies par ces dispositions, d'autres preuves de l'existence et de la date d'un mariage peuvent être apportées conformément aux dispositions de l'article 47 du code civil. Par suite, en jugeant que les pièces produites par Mme D..., qui incluaient un jugement supplétif prononçant la confirmation du mariage et de sa date ainsi qu'une copie intégrale d'acte de naissance mentionnant ce jugement supplétif, n'établissaient pas la transcription du mariage et ne suffisaient pas à permettre l'octroi à la requérante d'une pension de réversion du chef de M. B..., le tribunal administratif de Poitiers a commis une erreur de droit. Mme D... est dès lors fondée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi, à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque.

9. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que la SCP Ohl-Vexliard, avocat de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à cet avocat.








D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du 6 mai 2024 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Poitiers.

Article 3 : L'Etat versera à la SCP Ohl-Vexliard, avocat de Mme D..., la somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme A... D..., à la ministre des armées et à la ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré à l'issue de la séance du 9 octobre 2025 où siégeaient : Mme Anne Egerszegi, présidente de chambre, présidant ; M. Nicolas Polge, conseiller d'Etat et M. Louis d'Humières, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 13 novembre 2025.


La présidente :
Signé : Mme Anne Egerszegi
Le rapporteur :
Signé : M. Louis d'Humières
Le secrétaire :
Signé : M. Brian Bouquet


La République mande et ordonne à la ministre des armées et à la ministre de l'action et des comptes publics en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :