Conseil d'État
N° 497065
ECLI:FR:CECHR:2025:497065.20251114
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Benoît Chatard, rapporteur
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats
Lecture du vendredi 14 novembre 2025
Par une décision du 28 février 2025, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. et Mme C... et B... A... dirigées contre l'arrêt du 13 juin 2024 de la cour administrative d'appel de Douai, en tant que cet arrêt s'est prononcé sur les indemnités kilométriques réintégrées dans les résultats de l'EURL B... A... Agency et réputées distribuées entre les mains de Mme A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,
- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. et Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de l'EURL B... A... Agency, soumise à l'impôt sur les sociétés, ayant notamment conduit à la réintégration de diverses charges dans les résultats imposables des exercices clos en 2014 et 2015, Mme A..., associée unique et gérante, a été regardée comme la bénéficiaire de revenus réputés distribués sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts. M. et Mme A... ont été assujettis en conséquence à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties de pénalités. Par un jugement du 17 novembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté la demande de M. et Mme A... tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. Par un arrêt du 13 juin 2024, la cour administrative d'appel de Douai a constaté un non-lieu à statuer à hauteur d'un dégrèvement intervenu en cours d'instance, prononcé une réduction partielle des impositions restant en litige au titre de l'année 2014 et rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel formée par les contribuables contre ce jugement. Par une décision du 28 février 2025, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. et Mme A... dirigées contre cet arrêt, en tant seulement qu'il s'est prononcé sur les distributions, au titre des années 2014 et 2015, procédant de la réintégration d'indemnités kilométriques dans les résultats de l'EURL.
2. Aux termes de l'article 62 du code général des impôts : " Les traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations sont soumis à l'impôt sur le revenu au nom de leurs bénéficiaires s'ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés par application de l'article 211, même si les résultats de l'exercice social sont déficitaires, lorsqu'ils sont alloués : / Aux gérants majoritaires des sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) ". Aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'oeuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire. / Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. Cette disposition s'applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais / (...) ". Aux termes de l'article 109 de ce code : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices / (...) ". Aux termes de l'article 111 de ce code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes ; / d. La fraction des rémunérations qui n'est pas déductible en vertu du 1° du 1 de l'article 39 / (...) ".
3. Il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 2 que les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements forfaitaires de frais perçus par un gérant majoritaire de société à responsabilité limitée constituent, en principe, un élément de sa rémunération imposable, en application de l'article 62 du code général des impôts. Il en va différemment si l'administration fiscale établit que ces sommes et avantages sont insusceptibles d'être rattachés aux fonctions de gérant et, par suite, sont étrangers à l'intérêt de l'entreprise, ou s'ils n'ont pas fait l'objet d'une comptabilisation explicite, ou si leur montants, ajouté aux autres éléments de la rémunération, ont pour effet de porter celle-ci à un niveau excessif. Dans ces hypothèses, les montants correspondants sont imposés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement, respectivement, du 1 de l'article 109 du code général des impôts, du c ou du d de l'article 111 du même code.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que l'administration fiscale a admis la déduction des résultats imposables de l'EURL B... A... Agency, au titre des exercices clos en 2014 et 2015, d'indemnités kilométriques versées à Mme A... à raison de l'utilisation de véhicules pour ses déplacements à concurrence de 40 000 kms par an mais a réintégré le surplus des sommes versées à ce titre, pour des montants s'établissant respectivement, au titre des deux exercices vérifiés, à 10 450 euros et 9 596 euros. Pour juger que ces sommes n'étaient pas déductibles des résultats de l'EURL et devaient être regardées comme des revenus distribués à Mme A..., taxables entre ses mains sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, la cour administrative d'appel de Douai s'est fondée sur ce qu'il ne résultait pas de l'instruction que les déplacements effectués par Mme A... au-delà de 40 000 kms par an présentaient un rapport avec ses fonctions, de sorte que l'administration fiscale devait être regardée comme démontrant leur caractère personnel.
5. En statuant ainsi alors que la prise en charge par une société des frais afférents au véhicule utilisé par son dirigeant à des fins personnelles constitue en principe un avantage en lien avec les fonctions de l'intéressé, imposable en tant qu'élément de sa rémunération, sauf si le montant correspondant, ajouté aux autres éléments de celle-ci, a pour effet de la porter à un niveau excessif ou s'il n'a pas fait l'objet d'une comptabilisation explicite par la société, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi concernant ce chef de rectification, que M. et Mme A... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent dans cette mesure.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 13 juin 2024 est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur les distributions correspondant aux indemnités kilométriques réintégrées dans les résultats de l'EURL B... A... Agency au titre des exercices clos en 2014 et 2015.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme C... et B... A... et à la ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.
Rendu le 14 novembre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Chatard
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne à la ministre de l'action et des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :
N° 497065
ECLI:FR:CECHR:2025:497065.20251114
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Benoît Chatard, rapporteur
SCP PIWNICA & MOLINIE, avocats
Lecture du vendredi 14 novembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Par une décision du 28 février 2025, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. et Mme C... et B... A... dirigées contre l'arrêt du 13 juin 2024 de la cour administrative d'appel de Douai, en tant que cet arrêt s'est prononcé sur les indemnités kilométriques réintégrées dans les résultats de l'EURL B... A... Agency et réputées distribuées entre les mains de Mme A....
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Benoît Chatard, auditeur,
- les conclusions de M. Bastien Lignereux, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. et Mme A... ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité de l'EURL B... A... Agency, soumise à l'impôt sur les sociétés, ayant notamment conduit à la réintégration de diverses charges dans les résultats imposables des exercices clos en 2014 et 2015, Mme A..., associée unique et gérante, a été regardée comme la bénéficiaire de revenus réputés distribués sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts. M. et Mme A... ont été assujettis en conséquence à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales, assorties de pénalités. Par un jugement du 17 novembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté la demande de M. et Mme A... tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires. Par un arrêt du 13 juin 2024, la cour administrative d'appel de Douai a constaté un non-lieu à statuer à hauteur d'un dégrèvement intervenu en cours d'instance, prononcé une réduction partielle des impositions restant en litige au titre de l'année 2014 et rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel formée par les contribuables contre ce jugement. Par une décision du 28 février 2025, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de M. et Mme A... dirigées contre cet arrêt, en tant seulement qu'il s'est prononcé sur les distributions, au titre des années 2014 et 2015, procédant de la réintégration d'indemnités kilométriques dans les résultats de l'EURL.
2. Aux termes de l'article 62 du code général des impôts : " Les traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations sont soumis à l'impôt sur le revenu au nom de leurs bénéficiaires s'ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés par application de l'article 211, même si les résultats de l'exercice social sont déficitaires, lorsqu'ils sont alloués : / Aux gérants majoritaires des sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) ". Aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'oeuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire. / Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. Cette disposition s'applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais / (...) ". Aux termes de l'article 109 de ce code : " 1. Sont considérés comme revenus distribués : / 1° Tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital ; / 2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices / (...) ". Aux termes de l'article 111 de ce code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes ; / d. La fraction des rémunérations qui n'est pas déductible en vertu du 1° du 1 de l'article 39 / (...) ".
3. Il résulte de la combinaison des dispositions citées au point 2 que les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements forfaitaires de frais perçus par un gérant majoritaire de société à responsabilité limitée constituent, en principe, un élément de sa rémunération imposable, en application de l'article 62 du code général des impôts. Il en va différemment si l'administration fiscale établit que ces sommes et avantages sont insusceptibles d'être rattachés aux fonctions de gérant et, par suite, sont étrangers à l'intérêt de l'entreprise, ou s'ils n'ont pas fait l'objet d'une comptabilisation explicite, ou si leur montants, ajouté aux autres éléments de la rémunération, ont pour effet de porter celle-ci à un niveau excessif. Dans ces hypothèses, les montants correspondants sont imposés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement, respectivement, du 1 de l'article 109 du code général des impôts, du c ou du d de l'article 111 du même code.
4. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que l'administration fiscale a admis la déduction des résultats imposables de l'EURL B... A... Agency, au titre des exercices clos en 2014 et 2015, d'indemnités kilométriques versées à Mme A... à raison de l'utilisation de véhicules pour ses déplacements à concurrence de 40 000 kms par an mais a réintégré le surplus des sommes versées à ce titre, pour des montants s'établissant respectivement, au titre des deux exercices vérifiés, à 10 450 euros et 9 596 euros. Pour juger que ces sommes n'étaient pas déductibles des résultats de l'EURL et devaient être regardées comme des revenus distribués à Mme A..., taxables entre ses mains sur le fondement du 1° du 1 de l'article 109 du code général des impôts, la cour administrative d'appel de Douai s'est fondée sur ce qu'il ne résultait pas de l'instruction que les déplacements effectués par Mme A... au-delà de 40 000 kms par an présentaient un rapport avec ses fonctions, de sorte que l'administration fiscale devait être regardée comme démontrant leur caractère personnel.
5. En statuant ainsi alors que la prise en charge par une société des frais afférents au véhicule utilisé par son dirigeant à des fins personnelles constitue en principe un avantage en lien avec les fonctions de l'intéressé, imposable en tant qu'élément de sa rémunération, sauf si le montant correspondant, ajouté aux autres éléments de celle-ci, a pour effet de la porter à un niveau excessif ou s'il n'a pas fait l'objet d'une comptabilisation explicite par la société, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen du pourvoi concernant ce chef de rectification, que M. et Mme A... sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt qu'ils attaquent dans cette mesure.
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. et Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 13 juin 2024 est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur les distributions correspondant aux indemnités kilométriques réintégrées dans les résultats de l'EURL B... A... Agency au titre des exercices clos en 2014 et 2015.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Douai.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme A... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme C... et B... A... et à la ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 20 octobre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, M. Didier Ribes, conseillers d'Etat et M. Benoît Chatard, auditeur-rapporteur.
Rendu le 14 novembre 2025.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
Le rapporteur :
Signé : M. Benoît Chatard
La secrétaire :
Signé : Mme Fehmida Ghulam
La République mande et ordonne à la ministre de l'action et des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :