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Ariane Web: Conseil d'État 494928, lecture du 10 décembre 2025, ECLI:FR:CEASS:2025:494928.20251210

Décision n° 494928
10 décembre 2025
Conseil d'État

N° 494928
ECLI:FR:CEASS:2025:494928.20251210
Publié au recueil Lebon
Assemblée
Mme Nejma Benmalek, rapporteure
MACOUILLARD, avocats


Lecture du mercredi 10 décembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 juin et 20 novembre 2024 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services - Force Ouvrière (FEETS-FO) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'accord du 20 octobre 2023 relatif à la protection sociale complémentaire en matière de couverture des frais occasionnés par une maternité, une maladie ou un accident des agents du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, du ministère de la transition énergétique et du secrétariat d'Etat chargé de la mer, ainsi que ceux des établissements publics et autorités administratives indépendantes qui ont donné leur mandat à cet effet ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 9 mai 2024 par laquelle le secrétaire général du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, du ministère de la transition énergétique et du secrétariat d'Etat chargé de la mer a refusé de tirer des conséquences de son courrier du 30 avril 2024 l'informant du " retrait de la signature de FO " et lui indiquant " dénoncer en totalité l'accord signé " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- le code général de la fonction publique ;
- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;
- l'ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nejma Benmalek, auditrice,
- les conclusions de M. Thomas Janicot, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Thouvenin, Coudray, Grévy, avocat de la Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services - Force Ouvrière ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier qu'un accord relatif à la protection sociale complémentaire a été conclu le 20 octobre 2023 par le secrétaire général du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, du ministère de la transition énergétique et du secrétariat d'Etat chargé de la mer, au nom des autorités qu'il représente, et par quatre organisations syndicales représentatives des agents publics de ces administrations et de certains des établissements publics et autorités administratives indépendantes s'y rattachant, puis publié au Journal officiel de la République française du 8 mai 2024. La Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services - Force Ouvrière (FEETS-FO), signataire de cet accord le 20 octobre 2023, en demande l'annulation pour excès de pouvoir ainsi que celle de la décision du 9 mai 2024 par laquelle le secrétaire général a refusé de tirer des conséquences de son courrier du 30 avril 2024 l'informant du " retrait de la signature de FO " et lui indiquant " dénoncer en totalité " l'accord qu'elle avait signé.

Sur le cadre juridique :

2. Aux termes du huitième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel se réfère le préambule de la Constitution : " Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils de l'Etat et détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales.

3. En vertu de son article L. 1, le code général de la fonction publique, qui définit les règles générales applicables aux fonctionnaires civils, constitue le statut général des fonctionnaires, qui sont, vis-à-vis de l'administration, dans une situation statutaire et réglementaire. Le premier alinéa de l'article L. 9 dispose que, sauf dispositions contraires, les modalités d'application de ce code sont déterminées par décret en Conseil d'Etat.

4. L'article 14 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, " toutes dispositions relevant du domaine de la loi afin de favoriser, aux niveaux national et local, la conclusion d'accords négociés dans la fonction publique : (...) 3o En définissant les cas et conditions dans lesquels les accords majoritaires disposent d'une portée ou d'effets juridiques et, le cas échéant, en précisant les modalités d'appréciation du caractère majoritaire des accords, leurs conditions de conclusion et de résiliation et en déterminant les modalités d'approbation qui permettent de leur conférer un effet juridique. (...) " Sur le fondement de cette habilitation a été prise l'ordonnance du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique, dont les dispositions sont désormais codifiées aux articles L. 221-1 à L. 227-4 du code général de la fonction publique.

5. Aux termes de l'article L. 221-2 du code général de la fonction publique : " Les organisations syndicales représentatives et les autorités administratives et territoriales compétentes ont qualité au niveau national, au niveau local ou à l'échelon de proximité pour conclure et signer des accords portant sur les domaines mentionnés aux articles L. 222-3 ou dans les conditions prévues à l'article L. 222-4. " Aux termes de l'article L. 222-1 du même code : " Les accords portant sur les domaines mentionnés à l'article L. 222-3 peuvent comporter des dispositions édictant des mesures réglementaires ainsi que des clauses par lesquelles l'autorité administrative s'engage à entreprendre des actions déterminées n'impliquant pas l'édiction de mesures réglementaires. / Lorsque ces accords comportent des clauses dont la mise en oeuvre implique des mesures réglementaires, l'autorité compétente fait connaître aux organisations syndicales le calendrier dans lequel elle envisage de prendre ces mesures. / Les mesures réglementaires incluses dans les accords portant sur un des domaines mentionnés à l'article L. 222-3 ne peuvent porter sur des règles que la loi a chargé un décret en Conseil d'Etat de fixer, ni modifier des règles fixées par un décret en Conseil d'Etat ou y déroger. / Ces mesures réglementaires ne sont pas soumises à la consultation préalable des organismes consultatifs le cas échéant compétents. " Aux termes de l'article L. 222-3 de ce code : " Les accords mentionnés à l'article L. 221-2 peuvent porter sur les domaines relatifs : / (...) / 13o A la protection sociale complémentaire ; (...) ". Aux termes de l'article L. 222-4 de ce code : " Les organisations syndicales représentatives et les autorités administratives et territoriales compétentes ont également qualité pour participer à des négociations portant sur tout autre domaine que ceux mentionnés à l'article L. 222-3. / Les dispositions de l'article L. 222-1 ne s'appliquent pas à ces négociations. "

6. Par ces dispositions, le législateur a entendu habiliter les organisations syndicales représentatives des agents publics et les autorités administratives et territoriales qui les emploient à conclure et signer des accords qui, lorsqu'ils remplissent les conditions de validité qu'il a fixées, peuvent comporter, dans les seuls domaines mentionnés à l'article L. 222-3 du code général de la fonction publique, d'une part, des dispositions édictant des mesures réglementaires, à condition que celles-ci ne portent pas sur des règles que la loi a chargé un décret en Conseil d'Etat de fixer ni ne modifient des règles fixées par un décret en Conseil d'Etat ou y dérogent, et, d'autre part, des clauses par lesquelles l'autorité administrative ou territoriale s'engage à entreprendre des actions déterminées n'impliquant pas l'édiction de mesures réglementaires. Lorsque les organisations syndicales représentatives et les autorités compétentes négocient sur un autre domaine que ceux mentionnés à l'article L. 222-3 du code général de la fonction publique, l'accord qui en résulte le cas échéant constitue en revanche une déclaration d'intention dépourvue de valeur juridique et de force contraignante, ne pouvant dès lors faire grief.

Sur le moyen tiré de la dénonciation de l'accord par la fédération requérante :

7. Aux termes de l'article L. 223-1 du code général de la fonction publique : " Les accords mentionnés aux articles (...) L. 221-2 et L. 222-2 sont valides s'ils sont signés par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli, à la date de la signature de l'accord, au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur des organisations habilitées à négocier lors des dernières élections professionnelles organisées au niveau auquel l'accord est négocié. " L'article L. 226-1 du même code prévoit que les accords mentionnés à l'article L. 223-1 entrent en vigueur le lendemain de leur publication ou à une date postérieure qu'ils fixent. Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 227-4 de ce code : " Les accords mentionnés à l'article L. 223-1 peuvent faire l'objet d'une dénonciation totale ou partielle par les parties signataires. / Lorsqu'elle émane d'une des organisations syndicales signataires, la dénonciation doit répondre aux conditions de majorité prévues à cet article. / Les clauses réglementaires que, le cas échéant, comporte un accord faisant l'objet d'une telle dénonciation restent en vigueur jusqu'à ce que le pouvoir réglementaire ou un nouvel accord les modifie ou les abroge. "

8. Il résulte de ces dispositions que les accords mentionnés à l'article L. 223-1 du code général de la fonction publique doivent, pour entrer en vigueur, être valides et avoir fait l'objet d'une publication. Un accord est valide si, à la date à laquelle il est conclu, il est signé par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur des organisations habilitées à négocier lors des dernières élections professionnelles organisées au niveau auquel l'accord est négocié. Un accord valide peut, dès sa signature, faire l'objet d'une dénonciation totale ou partielle des parties signataires, sous réserve, pour qu'elle puisse produire des effets lorsqu'elle émane des organisations syndicales, de satisfaire alors aux mêmes conditions de majorité que celles requises pour la validité de l'accord.

9. Il ressort des pièces du dossier que la FEETS-FO, qui a recueilli 24,90 % des suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales représentatives aux dernières élections professionnelles dans le périmètre du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, du ministère de la transition énergétique et du secrétariat d'Etat chargé de la mer, a indiqué par un courrier du 30 avril 2024, reçu le 3 mai 2024 par le secrétaire général de ces ministères et de ce secrétariat d'Etat, " dénoncer en totalité " l'accord du 20 octobre 2023 en demandant à être informée " des suites " du " retrait " de sa signature, puis, par un courriel du 8 mai suivant, demandé que cet accord fasse l'objet d'une nouvelle publication ne comportant plus sa signature. Contrairement à ce que soutient la fédération requérante, cette dénonciation était insusceptible d'affecter la validité de l'accord, acquise à la date de sa signature. N'ayant pas de caractère majoritaire, elle n'a pas davantage pu produire d'effets en application de l'article L. 227-4 du code général de la fonction publique. Par suite, la fédération requérante n'est fondée à soutenir ni que l'accord du 20 octobre 2023 n'était plus valide à la date de son entrée en vigueur, intervenue le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française le 8 mai 2024, ni que la décision de l'autorité administrative refusant de tirer des conséquences de cette dénonciation serait entachée d'illégalité.

Sur le moyen contestant la clause relative au choix de la procédure de passation du marché :

10. Aux termes de l'article L. 827-1 du code général de la fonction publique : " Les personnes publiques mentionnées à l'article L. 2 participent au financement des garanties de protection sociale complémentaire destinées à couvrir les frais occasionnés par une maternité, une maladie ou un accident auxquelles souscrivent les agents que ces personnes publiques emploient. / (...) / Ces personnes publiques peuvent également participer au financement des garanties de protection sociale complémentaire destinées à couvrir les risques d'incapacité de travail, d'invalidité, d'inaptitude ou de décès auxquelles souscrivent les agents qu'elles emploient. " Aux termes de l'article L. 827-2 du même code : " Lorsqu'un accord valide au sens de l'article L. 223-1 prévoit la souscription par un employeur public mentionné à l'article L. 2 d'un contrat collectif pour la couverture complémentaire de tout ou partie des risques mentionnés au premier alinéa de l'article L. 827-1, cet accord peut prévoir la participation obligatoire de l'employeur au financement des garanties destinées à couvrir tout ou partie des risques mentionnés au quatrième alinéa de ce dernier article. / Il peut également prévoir la souscription obligatoire des agents à tout ou partie des garanties que le contrat collectif comporte. "

11. La clause de l'accord du 20 octobre 2023 par laquelle l'autorité administrative s'engage à recourir à un marché à procédure adaptée pour sélectionner l'organisme avec lequel elle entend souscrire le contrat collectif de protection sociale complémentaire prévu à l'article L. 827-2 du code général de la fonction publique ne relève pas, par elle-même, de l'un des domaines mentionnés à l'article L. 222-3 de ce code. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier qu'elle présente un lien suffisant avec le domaine de la protection sociale complémentaire sur lequel porte l'accord, compte tenu de son objet. Il résulte dès lors de l'article L. 222-4 de ce code, et ainsi qu'il a été dit au point 6, que cette clause est dépourvue de valeur juridique et de force contraignante. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle est entachée d'illégalité est inopérant.

12. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées en défense, la fédération requérante n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de l'accord du 20 octobre 2023 et de la décision du 9 mai 2024 qu'elle attaque.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la FEETS-FO est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services - Force Ouvrière et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité et des négociations internationales sur le climat et la nature.
Copie en sera adressée au Premier ministre et à la ministre de l'action et des comptes publics.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 novembre 2025 où siégeaient : M. Didier-Roland Tabuteau, vice-président, présidant ; M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux ; M. Edmond Honorat, M. Thierry Tuot, M. Francis Lamy, M. Philippe Josse, Mme Christine Maugüé, M. Rémy Schwartz, présidents de section ; M. Jacques-Henri Stahl, M. Pierre Collin, M. Denis Piveteau, présidents adjoints de la section du contentieux ; Mme Isabelle de Silva, M. Bertrand Dacosta, Mme Gaëlle Dumortier, M. Olivier Japiot, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre et Mme Nejma Benmalek, auditrice-rapporteure.

Rendu le 10 décembre 2025.


Le président :
Signé : M. Didier-Roland Tabuteau
La rapporteure :
Signé : Mme Nejma Benmalek
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Vella