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Ariane Web: Conseil d'État 509393, lecture du 23 décembre 2025, ECLI:FR:CEORD:2025:509393.20251223

Décision n° 509393
23 décembre 2025
Conseil d'État

N° 509393
ECLI:FR:CEORD:2025:509393.20251223
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
M. P Ranquet, rapporteur
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO & GOULET;Cabinet PALMIER & Associé;SCP LE GUERER, BOUNIOL-BROCHIER, LASSALLE-BYHET, avocats


Lecture du mardi 23 décembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

I. Sous le n° 509393, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 31 octobre et 25 novembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat professionnel " Prism'Emploi " et le syndicat professionnel " Syndicat national CFTC du travail temporaire " demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 5 septembre 2025 fixant le montant du plafond des dépenses engagées par un établissement public de santé et par un établissement ou service social et médico-social au titre d'une mission de travail temporaire et le périmètre des qualifications concernées ;

2°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 5 septembre 2025 en tant qu'il s'applique aux contrats conclus entre le 1er juillet 2025 et l'expiration d'un délai de trois mois à compter de sa publication lorsqu'ils le sont dans le cadre de marchés dans lesquels les prix des prestations d'intérim ont été fixés avant le 1er juillet 2025 ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre aux ministres chargés de la santé, des affaires sociales et du budget de prendre et publier dans les meilleurs délais et au plus tard avant une date fixée par l'ordonnance à intervenir, des dispositions modifiant cet arrêté pour en repousser l'entrée en vigueur d'une durée rendant possible la mise en conformité des entreprises de travail temporaire (ETT) avec les plafonds de dépenses d'intérim des personnels non-médicaux, qui ne saurait être inférieure à trois mois à compter de la publication initiale de l'arrêté le 9 septembre 2025 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, le délai de vingt et un jours laissé aux ETT pour intégrer les nouveaux plafonds est insuffisant, en deuxième lieu, l'arrêté contesté menace leur modèle de fonctionnement et leur trésorerie en ce qu'il les expose à prester à perte sur certaines qualifications, en troisième lieu, il place les ETT et les établissements utilisateurs en porte-à-faux vis-à-vis de leurs obligations contractuelles et du droit du travail en ce que, d'une part, le plafonnement produit un effet équivalent à celui d'une modification unilatérale des conditions financières des contrats publics en cours et, d'autre part, les plafonds entrent en conflit avec le principe d'égalité de traitement des salariés intérimaires et permanent, en quatrième lieu, depuis le 1er octobre, les ETT risquent de voir leur paiement rejeté par le trésorier public en cas de dépassement des plafonds, même en exécution de marchés conclus antérieurement, et sont contraintes de prester à perte sous peine de pénalités et, en dernier lieu, l'arrêté contesté conduit à un désengagement des intérimaires dans le secteur médical et paramédical, créant un risque de rupture de la continuité et de la qualité des soins ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;
- le décret n° 2025-612 du 2 juillet 2025, pour l'application duquel a été pris l'arrêté contesté et qui constitue sa base légale, porte atteinte au principe de sécurité juridique en ce qu'il n'est pas assorti de mesures transitoires adéquates et suffisantes eu égard aux implications de la réglementation nouvellement en vigueur ;
- l'arrêté contesté est entaché d'erreurs manifestes d'appréciation en ce que les plafonds qu'il fixe sont, en premier lieu, économiquement intenables pour les ETT, en deuxième lieu, juridiquement incompatibles avec les engagements contractuels en vigueur des ETT et les sujétions résultant du droit du travail et, en dernier lieu, source de désengagement des professionnels de l'intérim, en méconnaissance des articles R. 6146-27 et R. 6146-28 du code de la santé publique et R. 313-30-9 et R. 313-30-10 du code de l'action sociale et des familles ;
- il porte une atteinte manifeste et disproportionnée à la liberté contractuelle, à la liberté d'entreprendre et au droit au maintien des conventions légalement conclues en ce que, d'une part, il prive les opérateurs économiques de leur capacité à fixer leurs tarifs dans l'exercice de leur activité d'intérim médical à l'égard des établissements publics de santé et, d'autre part, il en résulte une modification unilatérale des contrats cadres préalablement conclus ;
- il porte atteinte au principe d'égalité de rémunération entre les salariés intérimaires et permanents de l'entreprise utilisatrice en méconnaissance de l'article 5 de la directive (UE) 2008/104/CE du 19 novembre 2008 ;
- il porte une atteinte injustifiée et disproportionnée au principe de libre concurrence.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2025, la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.



II. Sous le n° 509575, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 et 26 novembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Samsic Medical demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 5 septembre 2025 fixant le montant du plafond des dépenses engagées par un établissement public de santé et par un établissement ou service social et médico-social au titre d'une mission de travail temporaire et le périmètre des qualifications concernées ;

2°) de suspendre l'exécution de l'instruction DGOS/RH4/RH5/2025/110 du 9 septembre 2025 relative au plafonnement des rémunérations des praticiens vacataires et des professionnels intérimaires médicaux, non médicaux et de maïeutique des établissements publics de santé adressée aux agences régionales de santé, notamment pour organiser le contrôle des rémunérations pratiquées en intérim et publiée par la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite en ce que, en premier lieu, l'arrêté contesté est d'application immédiate, en deuxième lieu, les plafonds qu'il fixe s'appliquent aux missions d'intérim en cours et ont un impact financier considérable, en troisième lieu, les plafonds fixés s'appliquent aux marchés publics en cours d'exécution conclus avec les établissements hospitaliers et bouleversent leur équilibre économique et, en dernier lieu, les plafonds fixés la conduiront à vendre à perte ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;
- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;
- il a été pris au terme d'une procédure irrégulière en ce qu'il n'a pas été précédé de l'enquête prescrite par les dispositions du décret du 2 juillet 2025 ;
- l'arrêté contesté est entaché d'un défaut de base juridique dès lors que le décret du 2 juillet 2025, pour l'application duquel il est pris, est affecté de différentes illégalités internes et externes ;
- il porte une atteinte manifeste au principe de sécurité juridique en ce que, d'une part, il est entré en vigueur le lendemain de sa publication et, d'autre part, il ne prévoit aucune mesure transitoire ;
- il porte une atteinte manifeste et excessive à la liberté contractuelle, à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie en ce que, d'une part, il fixe des plafonds de dépenses de manière arbitraire sans motif d'intérêt général suffisant et, d'autre part, il ne prévoit pas de mesure transitoire pour protéger les contrats en cours d'exécution ;
- il porte une atteinte disproportionnée aux droits des établissements de santé à gérer leur budget et à recruter temporairement selon leurs besoins en ce que les plafonds fixés sont manifestement non tenables et trop bas ;
- il porte une atteinte manifeste au droit des travailleurs de choisir librement le mode d'exercice de leurs activités professionnelles ;
- il porte une atteinte manifeste au principe de continuité du service public et des soins en ce qu'il fixe un plafond tenant compte d'une rémunération à l'heure, interdisant ainsi aux intérimaires d'effectuer des heures de travail majorées telles que des heures supplémentaires ou des heures de nuit ;
- il est entaché d'un détournement de procédure ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il ne prend pas en considération, en premier lieu, l'ensemble des coûts réels supportés par les ETT, en deuxième lieu, les contraintes régionales et, en dernier lieu, les contraintes incombant au personnel de santé en termes de continuité des soins ;
- il conduit à interdire le recours à l'intérim sur certains métiers compte tenu de l'obligation de respecter l'égalité de traitement entre les intérimaires et les agents contractuels ;
- il crée une rupture d'égalité entre les intérimaires et les vacataires en ce que les plafonds fixés imposent une rémunération des intérimaires inférieure à celle versée aux agents vacataires pour un travail identique ;
- il prévoit des restrictions au recours à l'intérim qui ne poursuivent ni l'objectif de protection des travailleurs ni celui de la continuité du service, en méconnaissance des dispositions de la directive (UE) 2008/104/CE du 19 novembre 2008 ;
- l'instruction ministérielle contestée est entachée d'illégalité du fait des illégalités affectant l'arrêté du 5 septembre 2025 ;
- l'arrêté contesté et le décret du 2 juillet 2025 sont entachés d'illégalité en ce qu'ils n'ont pas été précédés d'une consultation de l'autorité de la concurrence, en méconnaissance de l'article L. 410-2 du code de commerce ;
- les articles L. 6146-3 et R. 6146-26 du code de la santé publique et l'arrêté contestés causent une entrave injustifiée, disproportionnée et non nécessaire à la liberté de circulation des travailleurs et à la liberté d'établissement :
- l'arrêté contesté est entaché d'illégalité en ce qu'il s'applique rétroactivement aux contrats conclus entre le 1er juillet et le 10 septembre 2025, en méconnaissance de l'article L. 221-4 du code des relations entre le public et l'administration.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 novembre 2025, la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.


III. Sous le n° 509582, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 et 25 novembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Cercle Interim demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 5 septembre 2025 fixant le montant du plafond des dépenses engagées par un établissement public de santé et par un établissement ou service social et médico-social au titre d'une mission de travail temporaire et le périmètre des qualifications concernées ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que, en premier lieu, l'arrêté contesté fixe des plafonds trop restrictifs pour que les agences d'intérim puissent, en toutes circonstances de lieux et d'activités, exercer leurs missions, en deuxième lieu, il impacte directement la continuité du service public hospitalier, l'égal accès au service public, la continuité et la qualité des soins, notamment dans les zones sous tension et, en dernier lieu, il préjudicie directement à sa situation en ce qu'il impacte son chiffre d'affaires et sa capacité à répondre aux besoins de travail temporaire ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté ;
- il est entaché d'incompétence en ce qu'il n'a pas été signé par les ministres désignés par le décret du 2 juillet 2025 ;
- il est entaché d'un défaut de base légale dès lors que, d'une part, le second alinéa de l'article L. 6146-3 du code de la santé publique et l'article L. 313-23-3 du code de l'action sociale et des familles, qui constituent sa base légale, sont inconstitutionnels et, d'autre part, le décret du 2 juillet 2025 dont il procède méconnaît en tout état de cause lui-même ces dispositions législatives ;
- il porte atteinte au principe de continuité du service public, au principe d'égalité et au principe de protection de la santé publique en ce que les plafonds sont trop restrictifs et ne permettent pas de garantir la couverture des besoins en personnel des établissements concernés, notamment dans les territoires en tension ;
- il est entaché d'une erreur de droit dès lors que, d'une part, il a été pris sans qu'une enquête n'ait été préalablement réalisée et, d'autre part, il ne prévoit pas de majorations possibles ou de plafonds spécifiques pour certaines zones, en méconnaissance des dispositions du décret du 2 juillet 2025 ;
- il est entaché d'une erreur de qualification juridique des faits en ce que, d'une part, il ne prévoit pas de majorations possibles ou de plafonds spécifiques pour certaines zones sous tension alors que les besoins en prestations de travail intérimaire y sont nécessairement accrus et que les frais afférents pour les agences d'intérim y sont souvent majorés et, d'autre part, il ne distingue pas suffisamment les différentes spécialités au sein des infirmiers diplômés de l'Etat alors que leurs rémunérations sont différentes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 novembre 2025, la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas satisfaite et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct et un nouveau mémoire, enregistrés le 8 et 25 novembre 2025 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Cercle Interim demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du second alinéa de l'article L. 6146-3 du code de la santé publique et de celles de l'article L. 313-23-3 du code de l'action sociale et des familles, dans leur rédaction issue de l'article 70 de la loi n° 2025-199 du 28 février 2025.

Elle soutient que ces dispositions sont applicables au litige, qu'elles n'ont jamais été déclarées conformes à la Constitution et que la question de leur conformité au principe d'égalité, au principe de continuité du service public et au principe de protection de la santé publique revêt un caractère sérieux.

Par un mémoire, enregistré le 25 novembre 2025, la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 pour le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Cercle Interim ne sont pas remplies, et en particulier, que cette question n'est ni nouvelle ni sérieuse.



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le syndicat professionnel " Prism'Emploi ", le syndicat professionnel " syndicat national CFTC du travail temporaire ", la SAS Samsic Médical et la SAS Cercle Intérim, et d'autre part, la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 27 novembre 2025, à 15 heures :

- Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat des syndicats professionnels " Prism'Emploi " et " Syndicat national CFTC du travail temporaire " ;

- les représentants des syndicats professionnels " Prism'Emploi " et " Syndicat national CFTC du travail temporaire " ;

- Me Melka, avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de la SAS Samsic Médical ;

- le représentant de la SAS Samsic Médical ;
- Me Lassalle-Byhet, au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la SAS Cercle Intérim ;

- les représentants de la SAS Cercle Intérim ;

- les représentants de la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 3 décembre 2025 à 18 heures puis au 4 décembre 2025 à 12 heures ;

Vu les mémoires après audience, enregistrés les 2 et 3 décembre 2025, présentés par le syndicat professionnel " Prism'Emploi " et le syndicat professionnel " syndicat national CFTC du travail temporaire ", par la SAS Samsic Médical et par la SAS Cercle Intérim, tendant au maintien de leurs conclusions ;

Vu les mémoires après audience, enregistrés les 3 et 4 décembre 2025, présentés par la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, tendant au maintien de ses conclusions ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2025-199 du 28 février 2025 ;
- le décret n° 2025-612 du 2 juillet 2025 ;
- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibéré produite par la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées, enregistrée le 4 décembre 2025 après la clôture de l'instruction sous le n° 509575 ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. L'article 70 de la loi du 28 février 2025 de finances pour 2025, d'une part, a modifié l'article L. 6146-3 du code de la santé publique pour préciser certains éléments du dispositif de plafonnement des dépenses susceptibles d'être engagées pour les missions de travail temporaire assurées par des médecins, odontologistes et pharmaciens auxquelles peuvent avoir recours les établissements publics de santé et pour étendre ce dispositif aux missions de travail temporaires assurées dans ces établissements par des sage-femmes et des professionnels relevant du livre III de la quatrième partie du même code et, d'autre part, a rétabli dans le code de l'action sociale et des familles un article L. 313-23-3 instituant le même dispositif de plafonnement des dépenses pour les missions de travail temporaire assurées par des médecins, des infirmiers, des aides-soignants, des éducateurs spécialisés, des assistants de service social, des moniteurs-éducateurs et des accompagnants éducatifs et sociaux auxquelles peuvent avoir recours les établissements et services sociaux et médico-sociaux relevant des 1°, 2°, 4°, 6° et 7° du I de l'article L. 312-1 du même code.

3. Pour l'application de ces dispositions, le décret du 2 juillet 2025 relatif au plafond des dépenses engagées au titre d'une mission de travail temporaire par un établissement public de santé, un établissement ou service social et médico-social a, par des dispositions codifiées aux articles R. 6146-26, R. 6146-27 et R. 6146-28 du code de la santé publique et aux articles R. 313-30-8, R. 313-30-9 et R. 313-30-10 du code de l'action sociale et des familles, défini les conditions dans lesquelles sont déterminés, par arrêté conjoint du ministre chargé de la santé, du ministre chargé des affaires sociales et du ministre chargé du budget, les catégories de professionnels pour lesquelles le plafonnement est mis en oeuvre et le montant des plafonds applicables. Sur ce fondement, le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins, la ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, chargée de l'autonomie et du handicap, et la ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des comptes publics ont pris, le 5 septembre 2025, un arrêté fixant le montant du plafond des dépenses engagées par un établissement public de santé et par un établissement ou service social et médico-social au titre d'une mission de travail temporaire et le périmètre des qualifications concernées.

4. Les syndicats professionnels " Prism'Emploi " et " Syndicat national CFTC du travail temporaire " demandant au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre, à titre principal, l'exécution de l'arrêté du 5 septembre 2025 et, à titre subsidiaire, d'en suspendre l'exécution dans des conditions en reportant l'entrée en vigueur. La SAS Samsic Médical demande au même juge de suspendre l'exécution du même arrêté ainsi que celle de l'instruction DGOS/RH4/RH5/2025/110 du 9 septembre 2025 relative au plafonnement des rémunérations des praticiens vacataires et des professionnels intérimaires médicaux, non médicaux et de maïeutique des établissements publics de santé. La SAS Cercle Intérim demande au même juge de suspendre le même arrêté et, à l'appui de sa requête, que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du second alinéa de l'article L. 6146-3 du code de la santé publique et de celles de l'article L. 313-23-3 du code de l'action sociale et des familles. Il y a lieu de joindre ces trois requêtes pour statuer par une seule décision.

Sur l'office du juge des référés :

5. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, dans sa rédaction issue de la loi organique du 10 décembre 2009 : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. L'article 23-3 de la même ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires " et qu'elle peut statuer " sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence ".

6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge des référés du Conseil d'Etat statuant sur les conclusions à fin de suspension qui lui sont présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 de ce code. Le juge des référés du Conseil d'Etat peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui, rejeter de telles conclusions pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence.

Sur l'urgence :

7. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

8. En premier lieu, pour justifier de l'urgence qu'il y aurait à suspendre l'exécution de l'arrêté et de l'instruction attaqués, les syndicats et sociétés requérants font valoir qu'une part significative des prestations que les entreprises de travail temporaire fournissent aux établissements concernés présentent, pour ces entreprises, un coût de revient dépassant le plafond fixé pour chaque profession dans une telle mesure qu'elles ne pourraient continuer à les assurer qu'à perte, mettant ainsi en péril leur pérennité économique. Il en irait ainsi, particulièrement, lorsque sont dues aux intérimaires des indemnités pour travail de nuit ou les jours fériés ou des indemnités de déplacement, ainsi qu'en raison de la pratique existante de rémunérations horaires plus élevées dans certains territoires comme l'Ile-de-France et pour tenir compte des compétences techniques demandées à de certains professionnels, comme les infirmiers diplômés d'Etat exerçant leur mission en bloc opératoire. Les requérants font par exemple état, en se référant à plusieurs exemples de situation individuelle de professionnels assurant des missions d'intérim dans de telles conditions, de charges totales de rémunération comprises entre 55 et 70 euros par heure pour des infirmiers diplômés d'Etat, alors que le plafond horaire de dépense pour cette profession est fixé par l'arrêté attaqué à 54 euros hors taxe.

9. Selon les requérants, d'une part, de tels coûts ne pourraient être réduits dans les proportions qu'impose le respect des plafonds sans provoquer, chez les salariés assurant les missions, une baisse de leur rémunération telle qu'elle porterait elle-même une atteinte grave et immédiate à leur situation, sans entraîner des refus de missions nombreux de la part de ces mêmes salariés ni sans exposer les entreprises de travail temporaire à un risque de violation de leurs obligations au regard du droit du travail. D'autre part, les entreprises de travail temporaire ne pourraient cependant malgré cela renoncer à fournir les prestations en cause, sous peine de s'exposer aux sanctions en général prévues pour insuffisance de leur service dans les accords-cadres qu'elles ont conclus avec les établissements utilisateurs. Enfin, en toute hypothèse, la plus grande difficulté à fournir ces prestations serait de nature à empêcher les entreprises de travail temporaire de répondre aux besoins des établissements quand ils portent sur les périodes, les territoires et les qualifications pour lesquels la situation est la plus tendue, et ainsi à mettre en danger la continuité des soins.

10. Il résulte toutefois de l'instruction, notamment des pièces produites par la ministre de santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées relatives à l'enquête menée auprès des établissements employeurs concernés avant l'adoption de l'arrêté attaqué, que pour chacune des professions soumises au plafonnement, le plafond a été fixé de telle sorte qu'il soit légèrement inférieur au coût horaire médian hors taxe constaté à l'occasion de cette enquête. Dans ces conditions, s'il n'est pas contesté qu'il existe des situations où les missions d'intérim posent les difficultés décrites au point 8 et que le plafonnement mis en oeuvre puisse dès lors affecter tant l'activité que la rentabilité des entreprises de travail temporaire, en particulier celles qui se sont spécialisées dans les prestations d'intérim pour les professions de santé, il n'est pas établi que les missions en cause représentent une proportion telle de l'activité de ces entreprises que leur pérennité économique soit mise en danger à très brève échéance. Cela ne ressort en particulier pas de la seule production, par la société requérante Cercle Intérim, d'une attestation établie par un expert-comptable constatant une perte de chiffre d'affaires de 33 % sur le mois d'octobre 2025, par rapport au mois d'octobre 2024, et construisant à partir de ce constant, par extrapolation, des projections selon lesquelles son résultat pourrait devenir déficitaire sur les douze mois à venir.

11. Il résulte également de l'instruction que depuis la mise en oeuvre des nouvelles règles de plafonnement et en particulier dans les semaines suivant le 1er octobre 2025, se sont produites dans plusieurs établissements hospitaliers des annulations de missions d'intérim, pouvant atteindre plusieurs centaines par jour pour un établissement comme l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et entraînant dans certains cas le report d'interventions programmées, mais que les établissements hospitaliers n'ont pas alerté les services du ministère chargé de la santé sur des perturbations telles qu'elle seraient susceptibles de remettre en cause la continuité du service ainsi que la qualité et la sécurité des soins.

12. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances, et alors que la 5ème chambre de la section du contentieux sera en mesure d'inscrire les requêtes en annulation au rôle d'une formation de jugement dans un délai de six mois, il n'est pas démontré qu'existerait, en l'état de l'instruction à la date de la présente ordonnance, une urgence justifiant que, sans attendre le jugement des requêtes au fond, l'exécution de l'arrêté et de l'instruction attaqués soit suspendue.

13. En second lieu, pour soutenir qu'il y a à tout le moins lieu de prononcer une suspension temporaire de l'arrêté attaqué, de manière à en reporter l'entrée en vigueur, les syndicats professionnels " Prism'Emploi " et " Syndicat national CFTC du travail temporaire " font valoir que cet arrêté a été pris pour l'application du décret du 2 juillet 2025 dont l'article 4 prévoit une période transitoire, du 1er juillet au 1er octobre 2025, pendant laquelle le plafonnement ne s'applique pas aux missions pour lesquelles les prix des prestations d'intérim ont été fixés avant le 1er juillet 2025, mais qu'il n'a lui-même été publié que le 9 septembre 2025. Il en résulterait qu'alors que la mise en oeuvre des nouvelles règles de plafonnement implique, pour les entreprises de travail temporaire, de lourdes adaptations de leur organisation et de leurs systèmes d'information qui ne pouvaient être entièrement anticipées tant que le montant des plafonds n'était pas connu, la période transitoire indispensable à ces adaptations, dont le pouvoir réglementaire a lui-même estimé qu'elle devait durer trois mois, n'a en réalité duré que trois semaines.

14. Pour regrettable que soit cette circonstance, ainsi que celle, révélée au cours de l'instruction, que la rapidité avec laquelle les établissements et les comptables publics ont dû mettre en oeuvre les nouvelles règles a provoqué des incertitudes et des incohérences quant à leur interprétation, il n'est pas possible au juge des référés, eu égard à la date à laquelle il a été saisi et à celle où il statue, et en tout état de cause, de prononcer utilement une mesure ayant pour effet de reporter de trois mois, à compter du 1er octobre 2025, l'entrée en vigueur de l'arrêté contesté.

15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ni sur l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des actes en litige, que les requêtes du syndicat professionnel " Prism'emploi " et autres doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes des syndicats professionnels " Prism'Emploi " et " Syndicat national CFTC du travail temporaire ", de la SAS Samsic Medical et de la SAS Cercle Interim sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au syndicat professionnel " Prism'Emploi ", au syndicat professionnel " syndicat national CFTC du travail temporaire ", à la SAS Samsic Médical, à la SAS Cercle Intérim, à la ministre de la santé, des familles, de l'autonomie et des personnes handicapées et à la ministre de l'action et des comptes publics.
Fait à Paris, le 23 décembre 2025
Signé : Philippe Ranquet