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Ariane Web: Conseil d'État 508597, lecture du 24 décembre 2025, ECLI:FR:CECHR:2025:508597.20251224

Décision n° 508597
24 décembre 2025
Conseil d'État

N° 508597
ECLI:FR:CECHR:2025:508597.20251224
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Charline Nicolas, rapporteure
SELAS FROGER & ZAJDELA, avocats


Lecture du mercredi 24 décembre 2025
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

La société civile Atlantique Capital, à l'appui de sa requête présentée devant la cour administrative d'appel de Lyon tendant à l'annulation du jugement n° 2405307 du 16 mai 2025 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 6 mars 2024 de la préfète du Rhône autorisant les agents de Sytral Mobilité et les préposés des entreprises mandatées par cet établissement à pénétrer sur les propriétés privées en vue de la réalisation d'études et d'investigations techniques préalables au projet de train express de l'ouest lyonnais, a produit un mémoire, enregistré le l7 juillet 2025 au greffe de cette cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 25LY01847 du 26 septembre 2025, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 4ème chambre de la cour administrative d'appel de Lyon, avant qu'il soit statué sur la requête de la société civile Atlantique Capital, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1er de la loi du 6 juillet 1943 relative à l'exécution des travaux géodésiques et cadastraux et à la conservation des signaux, bornes et repères.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise et un nouveau mémoire, enregistré le 26 octobre 2025, la société civile Atlantique Capital soutient que les dispositions de l'article 1er de la loi du 6 juillet 1943, applicables au litige et qui n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, portent atteinte au droit de propriété, consacré par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi du 29 décembre 1892 relative aux dommages causés à la propriété privée par l'exécution des travaux publics ;
- la loi n° 43-374 du 6 juillet 1943 ;
- la loi n° 57-391 du 28 mars 1957 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de la société civile Atlantique capital et à la SELAS Froger et Zajdela, avocat de Sytral Mobilité ;



Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété (...) ". Aux termes de son article 17 : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. " En l'absence de privation du droit de propriété, il résulte néanmoins de l'article 2 de la Déclaration de 1789 que les limites apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 6 juillet 1943 relative à l'exécution des travaux géodésiques et cadastraux et à la conservation des signaux, bornes et repères : " Nul ne peut s'opposer à l'exécution sur son terrain des travaux de triangulation, d'arpentage ou de nivellement entrepris pour le compte de l'Etat, des départements ou des communes, ni à l'installation de bornes, repères et balises ou à l'établissement d'infrastructures et de signaux élevés, sous réserve de l'application des dispositions du premier paragraphe de l'article 1er de la loi du 29 décembre 1892 et du paiement ultérieur d'une indemnité pour dommages, s'il y a lieu. "

4. D'une part, les dispositions contestées, éclairées par les travaux parlementaires de la loi du 13 avril 1900 dont elles sont originellement issues et ceux de la loi du 28 mars 1957 validant la loi du 6 juillet 1943 et la rendant applicable dans les départements d'outre-mer, ont pour objet de permettre la réalisation de travaux géodésiques et cadastraux pour le compte de l'Etat, des départements ou des communes et, en tant que de besoin, la préservation des éléments de signalisation installés à l'occasion de ces travaux lorsqu'ils revêtent un caractère permanent. Par conséquent, en adoptant les dispositions litigieuses, le législateur a entendu poursuivre un objectif d'intérêt général.

5. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article 1er de la loi du 6 juillet 1943 contestées, citées au point 3, que le législateur a prévu que sont applicables aux travaux exécutés sur le fondement de cette loi les dispositions du premier paragraphe de l'article 1er de la loi du 29 décembre 1892 aux termes duquel : " Les agents de l'administration ou les personnes auxquelles elle délègue ses droits, ne peuvent pénétrer dans les propriétés privées pour y exécuter les opérations nécessaires à l'étude des projets de travaux publics, civils ou militaires, exécutés pour le compte de l'Etat, des collectivités territoriales et de leurs groupements, ainsi que des établissements publics, qu'en vertu d'un arrêté préfectoral indiquant les communes sur le territoire desquelles les études doivent être faites. L'arrêté est affiché à la mairie de ces communes au moins dix jours avant, et doit être représenté à toute réquisition. L'introduction des agents de l'administration ou des particuliers à qui elle délègue ses droits, ne peut être autorisée à l'intérieur des maisons d'habitation ; dans les autres propriétés closes, elle ne peut avoir lieu que cinq jours après notification au propriétaire, ou, en son absence, au gardien la propriété ". Sont en outre applicables les dispositions de l'article 2 de la loi du 6 juillet 1943, qui prévoit que " Tout dommage causé aux propriétés, champs et récoltes par les travaux désignés à l'article précédent est réglé à défaut d'accord amiable entre l'intéressé et l'Administration, par le tribunal administratif dans les formes indiquées par la loi du 22 juillet 1889 ", celles de l'article 3 de la même loi aux termes duquel " Lorsque l'Administration entend donner un caractère permanent à certains des signaux, bornes et repères implantés au cours des travaux visés à l'article 1er, elle notifie sa décision aux propriétaires intéressés. A partir de cette notification, la servitude de droit public qui résulte de la présence de ces signaux, bornes et repères, ne peut prendre fin qu'en vertu d'une décision de l'Administration./ La constitution de cette servitude peut donner lieu, indépendamment de la réparation des dommages causés par les travaux visés à l'article 1er, au versement d'une indemnité en capital ", ainsi que celles de l'article 4 qui dispose que " Les ouvrages auxquels l'Administration entend donner un caractère permanent et qui comportent une emprise qui dépasse un mètre carré ne peuvent être maintenus sur les propriétés bâties, ainsi que dans les cours et jardins y attenant qu'en vertu d'un accord avec le propriétaire. / Dans les autres immeubles, le propriétaire peut requérir de l'Administration l'acquisition de la propriété du terrain soit à l'amiable, soit par voie d'expropriation. / Dans ce cas, l'utilité publique est déclarée par un arrêté du ministre intéressé, à condition, toutefois que la surface expropriée n'excède pas cent mètres carrés ".

6. Il ressort des dispositions citées au point précédent que le législateur a prévu que l'autorisation de pénétrer dans les propriétés privées pour y réaliser les travaux de triangulation, d'arpentage ou de nivellement et y installer des éléments de signalisation est donnée par arrêté du préfet du département et publiée dans les communes intéressées, que cette autorisation ne peut permettre de pénétrer dans les maisons d'habitation et que l'autorisation de pénétrer dans des propriétés closes doit désigner spécialement les terrains auxquels elle s'applique et être notifiée préalablement aux propriétaires concernés . Il a également prévu, à l'article 2 de la loi du 6 juillet 1943, les conditions d'indemnisation de tout dommage causé aux propriétés, champs et récoltes par les travaux désignés à son article 1er, qui sont réglées, à défaut d'accord amiable entre l'intéressé et l'administration, par le tribunal administratif. Enfin, aux articles 3 et 4 de cette même loi, il a assorti la possibilité, pour l'administration, de conférer un caractère permanent à certains des signaux, bornes, repères et ouvrages implantés dans le cadre des travaux visés à l'article 1er d'un certain nombre de garanties pour les propriétaires concernés. Il en résulte que les dispositions contestées, qui n'entraînent en tout état de cause pas une privation du droit de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne portent aux conditions d'exercice de ce droit, protégé par son article 2, que des atteintes justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi.

7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.


D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société civile Atlantique capital.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société civile Atlantique capital, au Premier ministre, à la ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à Sytral Mobilité.


Délibéré à l'issue de la séance du 10 décembre 2025 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Olivier Japiot, M. Alain Seban, présidents de chambre ; M. Pascal Trouilly, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat ; M. Jérôme Goldenberg, conseiller d'Etat en service extraordinaire, Mme Amélie Fort-Besnard, maîtresse des requêtes et Mme Charline Nicolas, maîtresse des requêtes-rapporteure.

Rendu le 24 décembre 2025.



Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Charline Nicolas
La secrétaire :
Signé : Mme Sandrine Mendy