Journée internationale des droits des femmes

Par Par Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d'État
Discours
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Journée internationale du droit des femmes
« Carrières des femmes : y a-t-il un plafond de verre dans la juridiction administrative ? »

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Palais-Royal, Vendredi 6 mars 2020

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Intervention de Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d’Etat

Mesdames et Messieurs,

Chers collègues,

Le temps est venu de conclure cette conférence organisée à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes – qui aura lieu dimanche –, et je tiens à remercier très chaleureusement Mme Françoise Milewski pour son exposé particulièrement fin et instructif, ainsi que Catherine Bobo, secrétaire générale adjointe du Conseil d’Etat et l’ensemble des participants et intervenants qui ont contribué à enrichir notre réflexion sur ce sujet fondamental.

Lorsque je dis « fondamental », croyez bien que je pèse mes mots. Il n’est plus question de s’enorgueillir de la prestigieuse jurisprudence du Conseil d’Etat qui, de longue date, a reconnu l’égalité des droits entre les hommes et les femmes et combattu les discriminations dans la fonction publique. Cette jurisprudence a évidemment permis d’avancer : mais l’égalité des droits est désormais acquise, et ce qui compte maintenant, c’est de parvenir à une égalité de fait entre les femmes et les hommes. En commençant, si je puis dire, par balayer devant notre porte, c’est-à-dire en commençant par la juridiction administrative elle-même.
    
Il est vrai que beaucoup a été fait depuis l’accueil, en 1953, des deux premières femmes qui accédèrent au Conseil d’Etat.  L’une d’entre elles, Jacqueline Bauchet, décrivait avec humour ce moment : « Les collègues qui [nous] accueillirent furent charmants, courtois, amusés, curieux, étonnés, intrigués, réservés, voire ironiques, un brin sceptiques pour quelques-uns : que diables venaient-elles faire dans ce temple du droit administratif ? ». Beaucoup de chemin a été parcouru depuis que Nicole Questiaux fut la première femme à prendre le pupitre en 1963.

Mais il faut bien reconnaître que la situation de la juridiction administrative est encore contrastée : au Conseil d’Etat, les sections sont présidées par 28 % de femmes et jamais notre institution – pour l’instant – n’a eu de vice-présidente ni de présidente du contentieux. A la section du contentieux, 7 des 10 postes de président de chambre sont occupés par des hommes, et les trois présidents adjoints sont… des présidents. Les cours administrative d’appel sont présidées, pour 63 % d’entre elles par des hommes et ces chiffres ne sont guère plus joyeux dans les tribunaux, puisque 35 % seulement des chefs de juridiction sont des femmes.

Ces chiffres, nous devons les avoir à l’esprit, non pour nous adonner à un exercice de contrition que je crois stérile, mais pour réfléchir à ce que nous sommes et aller de l’avant.

Car il faut faire mieux ; il faut faire plus fort et plus vite.

Ceci étant entendu, le redoutable question posée par Lénine en 1901 s’impose à nous : « Que faire ? ».

J’entends et je comprends parfaitement celles et ceux qui, aujourd’hui, se disent : on ne peut plus attendre ; celles et ceux qui voient d’un œil suspicieux les discours consistant à dire : « le changement prend du temps, nous devons avancer pas à pas ». Je les comprends mais je crois malheureusement qu’un changement du jour au lendemain n’est pas possible.

D’abord, il n’existe pas de solutions clés en main pour régler une telle question.

Ensuite, le combat pour l’égalité de fait implique nécessairement de composer avec ce qu’est la réalité des esprits et des représentations qui structurent notre société. Or on ne change pas les esprits comme on change les lois : cela prend du temps et requiert des actions coordonnées, des actions qui agissent en profondeur sur chacun d’entre nous.

Enfin, notre Constitution et les lois admettent, voire prescrivent dorénavant des actions spécifiques en faveur d’une « représentation équilibrée » des hommes et des femmes dans la fonction publique, mais elles interdisent toujours une véritable politique de quotas, qui seule permettrait une parité parfaite dès demain. Et à vrai dire, je suis convaincu que l’égalité entre les hommes et les femmes sera d’autant plus solide qu’elle sera fondée sur les principes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, selon lequel : « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

Il faut asseoir l’égalité pour laquelle nous nous battons de manière pérenne – et les retours en arrière, souvent brutaux : car ce qui est institué sur des fondements fragiles peut être défait aussi vite qu’on l’a construit.

A cet égard, en dépit du tableau contrasté que j’ai brossé il y a quelques instants, je crois que la juridiction administrative est engagée sur la bonne voie.

Une voie qui doit passer par la constitution de viviers où les deux sexes sont également représentés et desquels émergeront, bientôt, autant d’hommes que de femmes compétents pour occuper les postes à responsabilités de la juridiction. C’est dans ces viviers que se constitue la parité de demain.

Il est aussi permis d’espérer en constatant que les récentes promotions d’auditeurs sont globalement paritaires. Les promotions de magistrats administratifs sont quant à elles majoritairement féminines depuis plusieurs années. Il est en outre significatif que les postes de rapporteurs publics – fonctions particulièrement prestigieuses généralement occupés par de jeunes maîtres des requêtes – sont à ce jour également distribués entre de hommes et des femmes. Enfin, le vivier des chefs de juridictions pour les tribunaux et les cours est lui aussi paritaire, et davantage de femmes que d’hommes ont été nommées, cette année, à un premier poste de président de tribunal.

Un important travail a, dans le même temps, été engagé dans le sens de la parité pour la promotion, en interne, des agents du Conseil d’Etat.

Tout en constituant ces viviers, la juridiction administrative s’est également impliquée dans de nombreuses actions visant à changer les esprits. A cet égard, le processus de labélisation dans laquelle nous nous sommes engagées, avec l’obtention récente du label « diversité » et celle, prochaine, du label « égalité » est une bonne chose : il témoigne des très importants efforts entrepris sous la houlette du secrétariat général. Mais ne nous y trompons pas : ce label n’est qu’une étape. Il n’est pas question de nous reposer sur nos lauriers. Nous continuons donc à réfléchir et à engager des actions pour sensibiliser encore davantage les membres et agents de la juridiction à ces problématiques.

Je peux en effet vous assurer, Mesdames et Messieurs, que nous ne cesserons pas en si bon chemin : car l’égalité ne s’acquiert jamais, elle reste toujours un idéal pour lequel il faut se battre jour après jour, inlassablement, avec ténacité et conviction.

Voilà pourquoi je conclurai cette conférence en disant les choses suivantes : la juridiction administrative doit mieux faire ; elle a les moyens de ses ambitions ; à nous de jouer. Vive les femmes, vive les femmes de la juridiction administrative !

Je vous remercie.