L’eau en France : quels usages, quelle gouvernance ?

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, lors du colloque "L’eau en France : quels usages, quelle gouvernance ?", organisé conjointement par Conseil d’État et le Conseil économique, social et environnemental le mercredi 19 janvier 2011.

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L’eau en France : quels usages, quelle gouvernance ?

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 Colloque organisé conjointement par Conseil d’Etat et

le Conseil économique, social et environnemental

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 Mercredi 19 janvier 2011

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Intervention de Jean-Marc Sauvé[1]

Vice-président du Conseil d’Etat

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Le Conseil d’Etat, comme conseiller juridique du Gouvernement et du Parlement et comme juge suprême de l’ordre administratif, et le Conseil économique, social et environnemental, qui « représente les principales activités du pays » et « assure leur participation à la politique économique, sociale et environnementale de la Nation »[2], contribuent tous deux, par l’exercice de leurs missions, à la qualité et à l’évaluation des politiques publiques.

Ces deux institutions partagent également –je le crois- une même conviction que reflètent leurs méthodes de travail respectives. Cette conviction est que la recherche de l’intérêt public, de l’intérêt général, ne peut découler que d’un échange, d’un dialogue, d’une confrontation entre des points de vue et des acteurs différents ; autrement dit, d’un débat éclairé et ouvert.

De cette mission et de cette conviction communes, l’organisation conjointe de ce colloque sur le thème de l’eau en France est une expression évidente.

Si la gestion des usages de l’eau s’est affirmée très tôt comme une activité relevant par nature des collectivités publiques, la prise de conscience contemporaine de l’importance et de la rareté de cette ressource conduit en effet aujourd’hui à une responsabilité accrue des pouvoirs publics dans ce domaine  (I).

Cette responsabilité ne pourra être pleinement et efficacement assumée que si les enjeux liés à la gestion de la ressource en eau, comme l’organisation et le fonctionnement de la gouvernance de l’eau, font l’objet d’un débat d’ensemble entre tous les acteurs concernés  - débat auquel ce colloque a vocation à contribuer- (II).

I. Si la gestion des usages de l’eau s’est affirmée très tôt comme une activité relevant par nature des collectivités publiques, la prise de conscience récente de l’importance et de la rareté de la ressource en eau conduit à une responsabilité accrue des pouvoirs publics dans ce domaine. 

A.- 1.- L’eau a toujours été au cœur de la civilisation. Composante essentielle de notre environnement, elle a contribué à structurer, en particulier avec l’émergence de notre « civilisation de l’eau » depuis le XIXème siècle, les évolutions sociales, économiques et technologiques.

De fait, tout autant qu’une ressource domestique essentielle, l’eau est indispensable à des activités qui sont au cœur de la création de richesse. Les exemples de l’agriculture et de l’industrie qui seront évoqués ce matin l’attestent : l’eau, par l’irrigation notamment, est un facteur d’augmentation des rendements, mais aussi de qualité de la production et elle contribue, plus largement, à l’aménagement du territoire et au développement de l’économie agricole. L’eau est également essentielle au fonctionnement et au développement de secteurs importants de l’industrie : l’on peut penser par exemple au secteur de l’énergie, mais aussi à la métallurgie, ou aux industries papetière, pharmaceutique et agroalimentaire[3].

2.- L’importance de cette ressource et la nécessité d’en développer et maîtriser les usages a conduit très tôt à reconnaître une responsabilité essentielle à la puissance publique dans ce domaine.

L’affirmation du caractère communal de la distribution de l’eau potable, puis de l’assainissement, en sont des exemples, de même que le rôle prépondérant des départements dans le financement des équipements d’adduction d’eau potable et d’assainissement dans les zones rurales[4].

Le nombre des administrations centrales disposant d’une compétence sur certains aspects de la ressource en eau, tout comme le développement de services territoriaux – comme les agences de bassin[5], devenues les agences de l’eau – ou encore les nombreuses police de l’eau illustrent également le rôle central de la puissance publique –et de l’Etat en particulier- dans ce domaine [6].

B.-A bien des égards, pourtant, l’affirmation de l’importance sociale, économique et environnementale de l’eau et, surtout, de la nécessité de protéger la disponibilité et la qualité de cette ressource, sont des évolutions récentes. Ces évolutions procèdent de la conscience accrue du caractère limité et fragile de cette ressource et d’une meilleure compréhension scientifique des différents cycles de l’eau. Elles conduisent à un renforcement de la responsabilité de la puissance publique dans la gestion de cette ressource.

1.- En témoigne le rattachement de plus en plus étroit de l’eau à la chose publique. L’eau, qualifiée de « patrimoine commun de la nation » par l’article L. 210-1 du code de l’environnement[7], est ainsi regardée de manière croissante comme une res communis, c’est-à-dire l’une de ces choses utiles au public, qui se distinguent de celles utiles aux particuliers, selon la distinction qui résultait déjà du droit romain, que l’on retrouve dans le Digeste de Justinien. La protection et la défense de ce patrimoine reposent donc par nature sur la puissance publique. 

L’émergence progressive d’un « droit à » l’eau conduit à une évolution analogue : composante du droit à « un environnement équilibré et respectueux de la santé » affirmé par la Charte de l’environnement[8], mais aussi du droit au logement, le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous est aujourd’hui expressément affirmé par le code de l’environnement[9], mais aussi par de nombreux instruments juridiques internationaux[10]. Ce rattachement croissant de l’accès à l’eau aux droits fondamentaux, là encore, conduit à accroître la responsabilité de la puissance publique dans la gestion et, surtout, dans la préservation de cette ressource.

2.- Les objectifs qui sont aujourd’hui assignés à la politique de l’eau témoignent eux aussi de la responsabilité accrue de la puissance publique dans la gestion de cette ressource. Alors que le droit de l’eau s’est initialement construit sur une réglementation sectorielle et fragmentée des différents usages, l’objectif des politiques de l’eau est aujourd’hui celui d’une gestion dite « intégrée », c’est-à-dire d’une gestion qui prenne en considération l’ensemble des utilisations de cette ressource, de manière globale, selon une démarche de conciliation qui relève par essence du droit public. En témoigne, notamment, l’objectif de « gestion équilibrée et durable de la ressource en eau » affirmé par l’article L. 211-1 du code de l’environnement[11].

II.- La responsabilité accrue des pouvoirs publics ne pourra être pleinement et efficacement assumée que si les enjeux liés à gestion de la ressource en eau, comme l’organisation et le fonctionnement de la gouvernance de l’eau, font l’objet d’une débat d’ensemble auquel contribuent tous les acteurs concernés.

Le colloque de ce jour, qui va permettre aux représentants des administrations, des secteurs économiques concernés, de la doctrine et de la société civile, de débattre des travaux menés par le Conseil d’Etat et le Conseil économique, social et environnemental, dans ce domaine, a vocation à contribuer à un tel débat.

A.- Les deux premières tables rondes, consacrées, d’une part, aux usages agricoles et industriels et, d’autre part, aux usages domestiques de l’eau, permettront de mettre en évidence et de débattre des principaux enjeux auxquels doit aujourd’hui faire face la gestion de la ressource en eau.

1.- Parmi ces enjeux, celui de la responsabilisation effective des usagers et des acteurs de l’eau occupe une place importante. Il implique, à l’égard des usagers, de réfléchir et de débattre des questions liées, notamment, à la tarification de l’eau : le principe de récupération des coûts des services liés à l’utilisation de l’eau[12] doit-il et peut-il être effectivement appliqué à l’ensemble des usagers de l’eau ? Comment améliorer la transparence de la facture d’eau[13] ? Pour les particuliers, convient-il de poursuivre l’installation de compteurs individuels ?

La responsabilisation des usagers de l’eau implique également de réfléchir et de débattre de l’application effective, dans le domaine de l’eau, des principes constitutionnels d’information et de participation du public en matière d’environnement : comment améliorer l’information des usagers ? Comment accroître leur participation à la gestion des services publics dans ce domaine ?

Tout autant qu’en direction des usagers de l’eau, la dynamique de responsabilisation doit également s’appliquer à l’ensemble des collectivités publiques. C’est le principe de responsabilité des collectivités publiques qui a ainsi conduit le Conseil d’Etat à proposer, dans son rapport public de 2010, la création d’une action en coresponsabilité entre Etat et collectivités territoriales ou d’une action récursoire de l’Etat contre ces collectivités de manière à instaurer une réelle incitation à respecter le droit de l’Union[14], qui trouverait à s’appliquer notamment dans le domaine de l’eau et de l’environnement.

2.- Parallèlement à cette dynamique de responsabilité collective dans la gestion de l’eau, l’enjeu de la gestion de l’eau est également de résoudre et, si possible, d’anticiper les difficultés liées à la disponibilité et à la qualité de la ressource en eau.

La synthèse réalisée par l’ONEMA (Office national de l’eau et des milieux aquatiques) sur l’état des masses d’eau souterraines et superficielles a ainsi mis en évidence les grandes difficultés, voire l’impossibilité, qu’il y aura à atteindre en 2015 l’objectif de bon état des eaux souterraines fixé par la directive cadre sur l’eau. Le renforcement de la protection des captages, mais aussi une meilleure anticipation des nouvelles normes et, peut-être, l’intensification des recherches scientifiques sur la qualité des eaux, constituent à cet égard des pistes sérieuses dont la mise en œuvre effective pourra faire l’objet des débats de ce jour.

S’agissant de la disponibilité de la ressource en eau, des voies telles que l’amélioration des réseaux mais aussi la recherche de nouvelles ressources en eau, à partir des eaux pluviales ou du recyclage des eaux usées notamment, doivent être poursuivies : mais selon quelles modalités ? Avec quelle organisation ? Par quelles personnes et à quel prix ?

B.- Répondre de manière efficace et appropriée aux enjeux actuels de gestion de la ressource en eau, c’est-à-dire y répondre en tenant compte de l’objectif de gestion intégrée, suppose également d’analyser et de débattre de la pertinence de l’organisation et du fonctionnement de la gouvernance de l’eau. Tel sera l’objet des deux tables-rondes de cet après-midi.

1.- A cet égard, le modèle qu’ont dessiné en France les grandes lois sur l’eau depuis celle du 16 décembre 1964, présente indéniablement des atouts pour faire face aux défis que représente aujourd’hui la disponibilité et la qualité de l’eau.

Ce modèle se fonde essentiellement sur une gestion planifiée de l’ensemble de la ressource en eau par bassin, sous la coordination d’une agence financière. A cette organisation s’ajoute une gestion décentralisée du service public local de l’eau par les collectivités territoriales, qui fait largement appel à la délégation.

De fait, le principe de la gestion par bassin est aujourd’hui assez largement répandu  dans le monde et il est expressément recommandé, notamment, par la directive-cadre sur l’eau. En outre, l’expérience acquise par les entreprises françaises dans la gestion de l’eau, au travers de la délégation de service public, leur permet aujourd’hui de disposer d’une expérience et d’une technicité qui font d’elles des leaders mondiaux dans ce domaine.   

2.- Pourtant, à certains égards, l’application effective de ce modèle ne s’est pas encore traduite, en France, par une véritable gestion intégrée de la ressource en eau. En outre, ce modèle connaît des variantes, que mettront en évidence les comparaisons internationales qui feront l’objet de la quatrième table-ronde. La gestion de l’eau en Angleterre et au pays de Galles, par exemple, est essentiellement fondée sur une organisation centralisée autour des Water Services Companies, qui sont des compagnies privées. 

Conviendrait-il, à l’aune de ces comparaisons, de créer une autorité de régulation sectorielle dans le domaine de l’eau ? Ou, à tout le moins, renforcer le rôle de coordination, d’expertise et de planification de l’ONEMA et du Conseil de l’eau, ainsi que le suggère le rapport du Conseil d’Etat ? Comment répartir également de manière efficace les compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales et, entre ces dernières, par les établissements publics de coopération intercommunale ? Comment favoriser une liberté de choix éclairée, pour les collectivités, entre les différents modes de régie et la délégation de service public ?

Il appartiendra aux intervenants des tables rondes consacrées à ces sujets d’en débattre entre eux et avec le public.

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            Le défi que représente aujourd’hui, pour les collectivités publiques, la préservation de la disponibilité et de la qualité de l’eau est un défi majeur et, surtout, un défi qui ne peut être relevé qu’en tenant compte de l’interdépendance étroite qui existe entre tous les usagers et les acteurs de l’eau et en les amenant à réfléchir, échanger et débattre entre eux des solutions qui peuvent être envisagées. Ce colloque a vocation à y contribuer et je m’en félicite. Je remercie le Conseil économique, social et environnemental de nous accueillir et la Section du rapport et des études du Conseil d’Etat, en la personne de son président, Olivier Schrameck, d’avoir organisé, ce colloque avec nos hôtes. Comme je remercie Frédéric Tiberghien d’avoir été le rapporteur général du rapport sur l’eau. Je remercie enfin l’ensemble des intervenants d’avoir accepté d’y participer et je forme le vœu que vos échanges et vos débats permettent d’éclairer les questions qui se posent et d’y apporter des éléments de réponse.

 

[1] Texte écrit en collaboration avec M. Timothée Paris, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.

[2]Ordonnance n°58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social, article 1.

[3] Sur ces deux points, voir notamment Conseil d’Etat, L’eau et son droit (précité), pp. 28 et 29 et l’avis adopté par le Conseil économique et social au cours de sa séance du 15 novembre 2000, « la réforme de la politique de l’eau ».

[4] Conseil d’Etat, L’eau et son droit (précité),  pp. 61-63.

[5] Créées par la loi n°64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution.

[6] Pour un bilan du rôle de l’Etat dans la gestion et la préservation de la ressource en eau, voir notamment Conseil d’Etat, L’eau et son droit (précité), pp. 24 et 25.

[7] Le premier considérant liminaire de la directive 2000/60/CE du Parlement  européen et du Conseil du 23 octobre 2000, établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, désigne également l’eau comme «  un patrimoine qu'il faut protéger, défendre et traiter comme tel ».

[8] Charte de l’environnement de 2004, article 1er : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

[9] Code de l’environnement, article L. 210-1 : « Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

[10] L’on peut penser, par exemple, au rapport de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement de Rio ou encore à la résolution de la Commission des droits de l’homme des Nations unies de 2001  intitulée «  Promotion de la réalisation du droit à l’eau potable et à l’assainissement ». Sur ce point, voir notamment C. de Albuquerque, Water and Sanitation as Human Rights, in l’Eau et son droit, Conseil d’Etat, rapport public 2010, précité, pp. 479 et sq.

[11] La directive cadre  du 23 octobre 2000 est également motivée par la nécessité « d'élaborer une politique communautaire intégrée dans le domaine de l'eau » (Considérant liminaire n° 9)

[12] Prévu, notamment, par l’article 9 de la directive cadre du 23 octobre 2000 et par l’article L. 210-1 du code de l’environnement.

[13] Dont le défaut a été souligné tant par le rapport du Conseil d’Etat de 2010 que par l’avis du Conseil économique, social et environnemental de 2009 sur les usages domestiques de l’eau Voir sur ce point Conseil d’Etat, rapport public 2010 (précité), p. 79 ; voir également l’avis du CESE de 2009, « les usages domestiques de l’eau », pp. 52 et sq. 

[14] Conseil d’Etat, rapport public 2010 (précité) p. 199.