La fonction régulatrice des juridictions administratives suprêmes

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Introduction de Jean-Marc Sauvé lors du colloque de l’Association des juges administratifs français, italiens et allemands (AJAFIA) le 30 septembre 2016

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Association des juges administratifs français, italiens et allemands (AJAFIA)

La fonction régulatrice des juridictions administratives suprêmes

Introduction

30 septembre 2016

Allocution de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’État

 

Monsieur le Président du Tribunal administratif régional de Lombardie, Président de l’association des juges administratifs français, italiens et allemands (AJAFIA),

Messieurs les vice-présidents de l’AJAFIA,

Mesdames et Messieurs les magistrats d’Allemagne, d’Autriche, d’Italie, du Luxembourg, et de Suisse,

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs les avocats,

Mesdames et Messieurs,

Mes chers collègues,

Je suis honoré de pouvoir ouvrir, dans la salle de l’assemblée générale du Conseil d’État, les débats de ce colloque de l’Association des juges administratifs français, italiens et allemands (AJAFIA) consacré aujourd’hui à la fonction régulatrice des juridictions administratives suprêmes.

Créée lors d’une première rencontre fondatrice à Weimar, en 1994, dans le but d’approfondir les liens entre juges administratifs allemands, italiens et français, l’AJAFIA a remarquablement contribué, depuis plus de deux décennies, au rythme de deux réunions par an, à faire vivre le dialogue des juges et à donner corps, au-delà des frontières et des différences linguistiques, à ce sentiment d’appartenance commune que ressentent aujourd’hui si fortement celles et ceux qui, où qu’ils soient et quelle que soit la juridiction à laquelle ils appartiennent, ont fait le choix de rendre la justice au service de l’État de droit en Europe.

Au cours de son existence, les colloques thématiques de l’AJAFIA ont passé en revue les grandes questions relatives à l’office du juge administratif et à son rôle dans nos sociétés. Organisés avec le plus grand soin, sans pour autant négliger la dimension festive des rencontres, ils permettent aux participants de s’enrichir, chaque fois davantage, de l’expérience de leurs collègues étrangers tout en mesurant à quel point, au-delà des différences observées dans les procédures et les techniques de jugement, ils partagent les mêmes principes et les mêmes valeurs et ils poursuivent les mêmes buts.

La tenue d’un colloque dans l’enceinte du Conseil d’État de France relève, à vrai dire, de l’évidence, tant ce Conseil s’est vigoureusement engagé dans une politique de coopération internationale et d’échanges, dont la participation à des associations régionales et mondiales, l’organisation de rencontres bilatérales régulières avec les juridictions administratives suprêmes d’autres pays ou la traduction et la diffusion en plusieurs langues des décisions les plus marquantes de la Section du contentieux ne constituent que quelques exemples. Qu’il me soit, en particulier, permis de dire ici, à l’adresse de mes collègues allemands et italiens, toute la fierté et la joie que j’ai ressenties, à titre personnel, en prenant part, au cours de ces dernières années, à des évènements aussi prestigieux que la présentation, en 2015, aux côtés de mon homologue allemand, Klaus Rennert, d’un ouvrage de droit constitutionnel comparé, à la Faculté de droit de l’université Humboldt de Berlin, ou encore la célébration, en 2011, du 180ème anniversaire du Conseil d’État d’Italie, au Palais du Quirinal, en présence du Président de la République italienne, Giorgio Napolitano, pour ne citer que deux illustrations des relations particulièrement étroites que nous entretenons. Le sujet de notre rencontre d’aujourd’hui, consacrée à la fonction régulatrice des juridictions administratives suprêmes, est, une fois encore, l’occasion de croiser les regards et de confronter les expériences lors de débats qui permettront de recueillir aussi le point de vue de membres des juridictions autrichienne, luxembourgeoise et suisse.

A une époque où la régulation économique est devenue une notion banale, presque galvaudée tant l’utilisation qui en est faite dépasse ce qu’elle signifiait initialement, il est intéressant de remarquer que l’idée d’une action régulatrice des juridictions suprêmes n’est pas une nouveauté et a, d’ailleurs, précédé l’émergence de son pendant économique[2]. Si la définition que l’on peut donner de la régulation économique se révèle vite complexe – et à laquelle je ne me risquerai pas au risque d’excéder très largement les limites de mon exposé –, la régulation exercée par les juridictions administratives suprêmes désigne assez simplement la fonction qui est la leur, « d’assurer l’ordre » dans l’ordre de juridiction administrative à la tête duquel elles sont placées[3]. Organisés en plusieurs niveaux de juridiction, parfois avec des juridictions spécialisées dès la première instance, parfois avec une spécialisation qui ne se fait qu’aux stades ultérieurs, les ordres juridictionnels administratifs sont inévitablement complexes compte tenu de la multitude des juridictions qui les composent et des règles de compétence et de procédure qui régissent leurs relations. A cette complexité doit être opposée la simplicité d’un régulateur unique : la juridiction administrative suprême. C’est à elle qu’il revient de coordonner les juridictions et les actions au sein de l’ordre juridictionnel et d’assurer leur bon fonctionnement. Cette coordination est d’autant plus nécessaire qu’en Europe les juridictions administratives suprêmes n’exercent leur suprématie que sur une partie de l’ordre juridique national, ce dernier étant le plus souvent divisé en plusieurs ordres juridictionnels distincts : judiciaire, constitutionnel et administratif à tout le moins. Leur suprématie dans l’ordre juridictionnel administratif est cependant tout à fait réelle, dès lors qu’en relèvent, par la voie de l’appel ou de la cassation, l’ensemble des cours et des tribunaux composant cet édifice et qu’elles exercent, en conséquence, la fonction de régulation que cette multiplicité implique. C’est le cas du Conseil d’État français qui, depuis la loi du 24 mai 1872, « statue souverainement sur les recours en matière administrative » et devant lequel toutes les décisions juridictionnelles peuvent faire au moins l’objet d’un recours en cassation[4]. C’est aussi le cas du Conseil d’État italien ou de la Cour administrative fédérale d’Allemagne.

Je commencerai ce propos liminaire en rappelant que les juridictions administratives suprêmes contribuent, par leur action, à réguler le fonctionnement de l’ordre juridictionnel à la tête duquel elles sont placées tout autant qu’à unifier le droit qu’elles appliquent (I). Je montrerai, ensuite, que dans cette fonction les juridictions administratives suprêmes sont confrontées à plusieurs défis qu’il leur appartient de relever (II).

I. La régulation de l’ordre juridictionnel par les juridictions administratives suprêmes.

L’action régulatrice des juridictions administratives suprêmes est polymorphe et elle ne saurait être réduite à sa seule fonction d’unification du droit ou de gestion d’un ordre juridictionnel. Une juridiction suprême exerce tout à la fois un rôle juridictionnel, jurisprudentiel et institutionnel[5].

A. Placées à la tête d’un ordre juridictionnel, les juridictions administratives suprêmes assurent sa régulation juridictionnelle (1) et institutionnelle (2).

1. Elles définissent d’abord les principes qui régissent l’organisation et les modalités de fonctionnement de leur ordre.

Ainsi, par leur jurisprudence, mais aussi par les orientations qu’elles définissent hors des prétoires, les juridictions administratives suprêmes précisent, dans le respect des lois et des règlements en vigueur, la procédure applicable devant elles et devant les juridictions inférieures. Il en est ainsi lorsque la juridiction administrative suprême détermine les modalités d’instruction des dossiers[6] et l’étendue des pouvoirs des juges dans ce domaine, les modes d’administration de la preuve, mais aussi le rôle de chacun des membres de la juridiction, notamment pendant l’instruction des dossiers et lors de l’audience. Pour ne donner qu’un exemple concernant la juridiction administrative française, la jurisprudence du Conseil d’État a précisé qu’il appartenait au rapporteur public de faire connaître aux parties le sens de ses conclusions dans un délai raisonnable avant l’audience[7], avec un degré de précision suffisant pour que les parties puissent utilement préparer leurs observations[8]. Elle a aussi déterminé les conditions dans lesquelles un rapporteur public pouvait modifier le sens de ses conclusions avant l’audience[9]. Les juridictions administratives suprêmes ont également pour mission de déterminer la nature de l’office et l’étendue des pouvoirs du juge saisi de la légalité d’un acte administratif, par exemple lorsqu’il module dans le temps les effets d’une décision d’annulation ou lorsqu’il soulève d’office un moyen d’ordre public.

2. Les juridictions administratives suprêmes doivent aussi assurer un fonctionnement harmonieux et rationnel de l’ordre juridictionnel administratif.

Cette fonction est, là encore, assurée de multiples façons. Soucieuse d’éviter les conflits de compétences qui pourraient aboutir à un déni de justice[10], il appartient à la juridiction administrative suprême de régler la répartition des compétences entre juridictions et d’attribuer, le cas échéant, les affaires délicates[11]. En France, le Conseil d’État assure ce pilotage et il a développé des méthodes d’attribution des dossiers et de suivi des affaires, notamment dans les cas où certains litiges soulevant des questions similaires sont susceptibles d’être portés au même moment devant des juridictions distinctes[12].

Dans certains cas, la juridiction suprême peut aussi être chargée d’assurer la gestion du corps des magistrats et le fonctionnement matériel et logistique de l’ordre juridictionnel. C’est le modèle retenu, en France, pour la juridiction administrative, le secrétaire général du Conseil d’État assurant, sous l’autorité du vice-président et avec l’aide d’un Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA), la gestion du corps des magistrats administratifs[13] et, notamment, leur promotion et leur affectation.

B. Les juridictions administratives suprêmes assurent également un rôle de régulation jurisprudentielle.

Évoquant la fonction régulatrice des juridictions administratives suprêmes, il vient immédiatement à l’esprit la fonction d’unification et de mise en cohérence du droit qui leur incombe naturellement. Conséquence tout autant que motif de leur suprématie, cette unification du droit s’opère principalement par le contrôle de cassation ou d’appel qui permet aux juridictions administratives suprêmes de veiller à la régularité, à la cohérence et à la correction en droit des décisions rendues par les juridictions de premier ressort ou d’appel. Cette fonction est d’ailleurs la fonction commune à toutes les juridictions administratives suprêmes. Elle n’est pas nécessairement la seule fonction des juridictions suprêmes – les Conseils d’État français et italien, mais aussi d’autres Conseils d’État non représentés aujourd’hui disposent également d’attributions consultatives – mais elle est le plus petit dénominateur commun. Concentré sur des questions de droit et excluant en principe de son orbite les questions de fait déjà appréciées en première instance et, le cas échéant, en appel, le juge suprême assure la « conformité des jugements à la loi (…) et, par là-même, l’unité dans l’identification et l’interprétation des normes juridiques par les diverses juridictions »[14]. Le plus souvent saisies en cassation, les juridictions administratives suprêmes tranchent les questions de principe et elles adaptent, le cas échéant, leurs solutions jurisprudentielles aux évolutions du contexte juridique qui les a fait naître. Une fois affirmées, ces solutions jurisprudentielles ont vocation à être appliquées par les juridictions de première instance et d’appel. En France, comme ailleurs en Europe, une certaine déférence de la part des tribunaux de première instance et des cours d’appel suffit le plus souvent à assurer l’unité de la jurisprudence. Elle est moins hiérarchique que significative de l’attachement de tous à l’autorité de la jurisprudence du Conseil d’État, y compris au sein du Conseil d’État de la part de ceux qui n’ont pas voté en faveur de cette jurisprudence : de ce point de vue, le Conseil d’État est la plus britannique des institutions françaises.

Si le contrôle de cassation est l’outil privilégié de l’unification et de la mise en cohérence du droit, d’autres instruments permettent aux juridictions administratives suprêmes de trancher des questions de principe. En France, par exemple, la réforme de 1987 a instauré la possibilité pour les juridictions de première instance et d’appel de demander l’avis du Conseil d’État, lorsqu’une affaire soulève « une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges »[15]. La réponse donnée par le Conseil d’État à la demande d’avis préfigure bien souvent la solution qu’il aurait retenue s’il avait été saisi d’une telle affaire au stade de la cassation et elle permet d’éclairer précocement les juridictions subordonnées sur la solution à adopter[16].

Les juridictions administratives suprêmes contribuent également à créer un cadre juridique clair et moderne dans lequel s’inscrit l’action de l’administration. Elles n’ont certes pas pour fonction de réguler l’action de l’administration au sens premier, mais, en assurant l’unité et la cohérence du droit, elles contribuent à définir le régime de l’action administrative. Il en est ainsi lorsque la jurisprudence administrative permet notamment de préciser les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État ou le régime des actes administratifs.

La fonction de régulation des juridictions administratives suprêmes est essentielle, mais elle est confrontée à des défis majeurs au nombre desquels se trouve celui posé par le pluralisme juridique en Europe.

II. Les défis de la régulation de l’ordre juridictionnel et du droit.

A. Les juridictions administratives suprêmes sont confrontées à un défi quantitatif et qualitatif qui les conduit à restreindre les conditions d’accès au juge suprême.

Bien que les juridictions administratives connaissent en  général une augmentation significative du nombre des affaires qu’elles reçoivent, les cours suprêmes se trouvent dans une situation différente qui est marquée, sauf en Italie et, dans une moindre mesure en France, par le nombre limité des affaires qu’elles traitent. Les juridictions suprêmes sont en principe épargnées par la pression statistique car, pour des raisons tenant à la conception même de leur fonction de juge suprême, elles ont mis en place des procédures de filtrage des recours. Ce filtrage leur permet de se concentrer sur quelques centaines à quelques milliers d’affaires[17], 2 000 ou 3 000 au maximum, soulevant des questions de droit ou de principe nouvelles ou qui permettent d’adapter ou de faire évoluer le droit applicable. L’existence d’une telle procédure d’admission des pourvois fondée sur des critères variés – l’unification de la jurisprudence, la correction juridique de la dernière décision des juges du fond, l’importance, voire le caractère constitutionnel, des questions à trancher - est essentielle pour garantir la fonction régulatrice des cours suprêmes qui doivent pouvoir se concentrer sur leur office de juge de dernier ressort et s’épargner l’encombrement lié au traitement de trop nombreux dossiers sans intérêt juridique particulier[18].

La sélection des affaires traitées par les juridictions administratives suprêmes permet par conséquent d’en approfondir l’instruction, l’étude, la délibération et la motivation et de donner ainsi aux décisions rendues une autorité et une portée accrues.

En France, devant le Conseil d’État, une telle procédure de sélection ou de filtrage existe : indépendamment du rejet par ordonnance des recours irrecevables, la procédure d’admission des pourvois en cassation permet de ne pas admettre les pourvois qui ne sont fondés sur aucun moyen sérieux[19] : cela permet de limiter à  3 000 le nombre des affaires jugées, alors que le Conseil d’Etat enregistre entre 9 000 et  10 000 recours par an. D’autres juridictions en Europe ont mis en place des filtres similaires, principalement fondés sur deux critères : un critère financier et l’importance de la question de droit à juger. Par exemple, l’Espagne a instauré un critère financier : à l’exception de certains contentieux, seuls les litiges dont le montant atteint 150 000 euros sont admis ; d’autres pays se fondent sur l’intérêt objectif de la question posée : ainsi, devant la Cour fédérale de justice d’Allemagne, seules les affaires soulevant une question de principe ou nécessitant une prise de position sur l’évolution du droit ou la garantie d’une jurisprudence unitaire sont admises ; au Royaume-Uni, un comité de trois juges examine les demandes de permission to appeal au regard de l’existence, ou non, d’un « point de droit d’importance publique générale ».

B. Les juridictions administratives sont aussi confrontées au défi du pluralisme juridique.

Dans une sphère géographique caractérisée par la diversité des normes et des juges et leur imbrication croissante, les juridictions administratives suprêmes doivent assurer une articulation claire, concertée et cohérente entre les systèmes juridiques nationaux et les ordres juridiques européens – celui de l’Union européenne et celui de la Convention européenne des droits de l’homme.

S’agissant du droit de l’Union européenne, cette collaboration est institutionnalisée par la pratique des questions préjudicielles[20]. Les juridictions administratives suprêmes des États européens se sont pleinement saisies de cet outil[21] et elles en font usage dès que l’affaire qui leur est soumise le justifie. Sous l’impulsion d’une jurisprudence du Conseil d’État de France – dite de l’acte clair[22] -, que la Cour de justice de l’Union s’est ensuite appropriée[23], les juridictions suprêmes ne sont toutefois pas tenues de saisir la Cour de justice de l’Union, lorsque la question posée ne soulève aucune difficulté sérieuse d’interprétation et ne « laisse place à aucun doute raisonnable »[24]. S’agissant du droit de la Convention européenne des droits de l’homme, le protocole 16 de la Convention, actuellement en cours de ratification, prévoit la possibilité pour les juridictions suprêmes des États parties d’adresser à la Cour une demande d’avis consultatif « sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles »[25].

Jusqu’à présent, l’absence de procédure formalisée n’a pas fait obstacle à une coopération harmonieuse entre la Cour européenne des droits de l’homme et les juridictions administratives suprêmes ici représentées, notamment grâce au maniement mesuré, mais efficace, de la marge d’appréciation conférée aux États parties sur des questions de société ou mettant en cause des principes traditionnels ou historiques[26]. Une même volonté de coopération se retrouve en droit de l’Union européenne avec l’application du principe de protection équivalente qui contribue à prévenir les contradictions éventuelles entre les garanties nationales et européennes des droits, en faisant primer sur une logique de hiérarchie des ordres juridiques celle de la nécessaire protection des droits fondamentaux. En témoigne en France la décision Arcelor du Conseil d’État[27] par laquelle pour juger si une ordonnance ou un décret qui assure la transposition d’une directive précise et inconditionnelle méconnaît un principe de valeur constitutionnelle, le juge national doit d’abord rechercher si un principe similaire existe et se trouve effectivement protégé en droit de l’Union, auquel cas il lui revient de faire contrôler par la Cour de justice de l’Union la conformité de la directive à ce principe. Si, en revanche, le principe constitutionnel invoqué ne fait pas l’objet d’une protection effective en droit de l’Union, le juge administratif accepte de contrôler directement la conformité à la Constitution de l’acte contesté de transposition. Cette solution est inspirée du raisonnement développé dans les décisions Solange[28] de la cour constitutionnelle allemande.

En ce qui le concerne, le Conseil d’État de France veille, chaque jour, par son contrôle de cassation, à la régularité et la cohérence des décisions rendues par les juges du fond. Il garantit, en tant que juge suprême, l’unité et l’intelligibilité de la jurisprudence qu’il façonne continûment. Il assure aussi, depuis plus de vingt-cinq ans, la gestion des juridictions administratives de droit commun et du corps des magistrats administratifs. Par conséquent, il mesure parfaitement le sens et la portée de la notion de régulation exercée par les juridictions administratives suprêmes. Le président Stirn, à qui je vais donner la parole dans un instant, ainsi que les autres intervenants de cette journée – que je remercie vivement de leur présence et de leur participation – vont développer ce concept de régulation et les pratiques nationales de leurs pays respectifs en la matière. Ce sera à coup sûr une source d’enrichissement précieux pour chacun d’entre nous.

Il ne me plus reste, à présent, qu’à vous souhaiter à toutes et à tous de profiter pleinement de cette journée, nourrie de débats et d’échanges qui promettent d’être passionnants, tout en formant le vœu que l’AJAFIA contribue encore longtemps, avec tout l’enthousiasme qu’on lui connaît, à la coopération entre les juridictions administratives en Europe.

[1]Texte écrit en collaboration avec Bruno Bachini, maître des requêtes au Conseil d’État, et Sarah Houllier, magistrat administratif.

[2] P. Delvolvé, « Le Conseil d’Etat, régulateur de l’ordre juridictionnel administratif », in Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Dalloz, 2007, p.260.

[3] P. Delvolvé, « Le Conseil d’Etat, régulateur de l’ordre juridictionnel administratif », in Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Dalloz, 2007, p.260.

[4] CE Ass., 7 février 1947, D’Aillières, Rec. 50.

[5] P. Delvolvé, « Le Conseil d’Etat, régulateur de l’ordre juridictionnel administratif », in Mélanges en l’honneur de Daniel Labetoulle, Dalloz, 2007, p.261.

[6] Par exemple, le respect du principe du contradictoire et la communication des pièces (CE Ass., 6 novembre 2002, M. Moon, n° 194295).

[7] CE Sect., 21 juin 2013, Communauté d’agglomération du pays de Martigues, n° 352427.

[8] CE, 30 mai 2016, Rollet c. Ministère des affaires sociales et de la santé, n° 381274.

[9] CE, 1er octobre 2015, M. et Mme Gauchot, n° 366538 ; CE, 4 mai 2016, Delay c. Ministère de la ville, de la jeunesse et des sports, n° 380548.

[10] P. Delvolvé, « Le Conseil d’État, cour suprême de l’ordre administratif », Pouvoirs, 2007, n° 4, p. 52.

[11] Voir par exemple, en France, le rôle du président de la section du contentieux du Conseil d’État (article R. 351-3 du code de justice administrative qui permet aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d’appel de renvoyer un dossier au président de la section du contentieux lorsqu’il pose des difficultés particulières de compétence).

[12] Par exemple, lorsque sont repérées des séries, une juridiction pilote est désignée et les autres juridictions doivent attendre qu’elle statue avant de statuer elles-mêmes. Certaines affaires soulevant des questions similaires peuvent aussi être attribuées à une seule juridiction en dérogation des règles de compétence territoriale. Par exemple, les recours contre la liste des exploitants auxquels sont affectés des quotas d’émission de gaz à effet de serre sont affectés au tribunal administratif de Montreuil en dépit du lieu d’exploitation de l’entreprise.

[13] Article R. 231-3 du code de justice administrative.

[14] R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 12ème édition, Montchrestien, 2006, p. 1235.

[15] Article L. 113-3 du code de justice administrative.

[16]Par exemple, l’avis du Conseil d’État du 6 juillet 2016, M. Napol et M. Thomas, n° 398234 et 399135, éclaire les juridictions de première instance sur la nature de leur contrôle en matière de perquisitions administratives et sur les possibilités d’engager la responsabilité de l’État à raison des conditions d’exécution matérielle de la perquisition.

[17] Le Club des Juristes, La régulation des contentieux devant les cours suprêmes, Octobre 2014, http://www.leclubdesjuristes.com/mwg-internal/de5fs23hu73ds/progress?id=IE0SDU-4z5WjOwt8zH1HHIcXU6QMrGMe6NmrJY4X0aA,, p. 177.

[18] Ibid.

[19] Article L. 822-1 du code de justice administrative

[20] Article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

[21] Depuis l’introduction de la première question préjudicielle en 1961, la CJUE a été destinataire d’une centaine de questions par an jusqu’en 1990 et depuis 2011, elle reçoit plus de 400 questions préjudicielles par an (toutes juridictions et tous pays confondus). Pour sa part, le Conseil d’État a renvoyé 103 questions à la Cour de justice de l’Union, de 1970 à 2015, et, depuis le début de l’année 2016, il en a déjà transmis six ; le Conseil d’État italien a transmis 126 questions préjudicielles à la CJUE de 1952 à 2015 ; la Cour suprême administrative allemande (Bundesverwaltungsgericht) en a renvoyé 117 sur cette même période.

[22] CE Ass., 19 juin 1964, Société des pétroles Shell-Berre, Rec. 344.

[23] CJCE, 6 octobre 1982, CILFIT, aff. C-283/81.

[24] CJCE, 6 octobre 1982, CILFIT, aff. C-283/81, pt. 21.

[25] Article 1er du Protocole 16 de la Convention européenne des droits de l’homme, adopté le 2 octobre 2013, actuellement en cours de ratification.

[26] Par exemple, sur la présence de crucifix dans les écoles publiques italiennes (CEDH, 18 mars 2011, Lautsi c. Italie, aff. n°30814/06).

[27] CE Ass., 8 février 2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine, n° 287110.

[28] Cour constitutionnelle allemande, 29 mai 1974, Solange I ; 22 octobre 1986, Solange II ; 7 juin 2000, Solange III.