La jeune doctrine au Conseil d’État

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'Etat
Discours
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Introduction de Jean-Marc Sauvé le 21 juin 2013 lors de la 2e édition du concours "Décrochez la Une" des éditions Lexis Nexis

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2e édition du concours « Décrochez la Une » des éditions Lexis Nexis

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Conseil d’Etat, Vendredi 21 juin 2013

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 Introduction de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’Etat

 

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs les représentants des éditions Lexis Nexis,

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux d’accueillir aujourd’hui au Conseil d’Etat la remise des prix de la deuxième édition du concours « Décrochez la Une » organisé par les éditions Lexis Nexis. Ce concours promeut et met en lumière la très jeune doctrine, puisqu’il s’adresse aux étudiants inscrits en Master 2 de droit, en dernière année de filière droit d’une grande école ou en diplôme de juriste conseil d’entreprise. Doctrine encore un peu verte, sans doute, mais dont les qualités sont telles que les pages des cinq éditions de La Semaine Juridique [2] et celles du Petit Juriste lui sont ouvertes pour accueillir les études sélectionnées, écrites à 2 ou 4 mains. Cette très jeune doctrine prouve, s’il en était besoin, que l’aphorisme de Pierre Dac selon lequel « sur les bancs de la faculté, il faut bien que jeunesse se tasse »[3] est souvent erroné ; cette jeunesse-là, en tout cas, ne se tasse pas d’ennui et ne se lasse pas des enseignements qui lui sont dispensés ; elle s’en sert même pour raisonner clair, haut et fort et je ne peux que l’en féliciter.

Le Conseil d’Etat se réjouit donc d’accueillir aujourd’hui des membres de la doctrine, jeune comme confirmée, et des éditeurs. Ces relations sont de fait essentielles. Le doyen Vedel, dans son étude demeurée célèbre sur les bases constitutionnelles du droit administratif, terminait son article par cette phrase : « Le dialogue entre la doctrine et la jurisprudence est nécessaire et bienfaisant »[4]. René Cassin, issu de l’Alma Mater avant de devenir vice-président du Conseil d’Etat, avait parfaitement saisi ce besoin, qu’il mit en œuvre avec la création de la revue Etudes et documents du Conseil d’Etat en 1947 et aussi celle du centre de documentation, il y a 60 ans en 1953, qui a été et reste une passerelle entre l’institution et la doctrine. La juridiction administrative a encore aujourd’hui un besoin impérieux de poursuivre ce dialogue approfondi et multiforme. Elle a besoin, pour faire évoluer sa jurisprudence, pour progresser, d’entendre les critiques et les exhortations, de puiser aux meilleures sources, de se nourrir de constructions doctrinales critiques et innovantes. La juridiction administrative parle à la doctrine – notre jurisprudence, nos avis, les diverses manifestations que nous organisons le prouvent – mais la juridiction administrative est surtout à l’écoute de la doctrine ; elle la lit, entend ses arguments, y répond aussi.

Elle le fait moins « à la cantonade » qu’en aparté, il est vrai, lorsque « le juge, faisant un écho inavoué aux critiques de la doctrine, introduit, entre cuir et chair si l’on peut dire, quelques mots ou une phrase de réfutation »[5]. Elle le fait aussi par les conclusions de ses rapporteurs publics, dont je ne peux que me réjouir que l’institution ait très récemment été confortée par la décision de la Cour européenne des droits de l’homme en date du 4 juin dernier. Elle le fait encore hors du prétoire dans de multiples rencontres, à l’occasion des Entretiens et des conférences du Conseil d’Etat, dans les réunions annuelles du Conseil d’Etat avec les universités  de Pau, Paris, Lille et Aix-en-Provence, au travers des enseignements des professeurs associés issus du Palais-Royal ou encore lors des nombreux colloques organisés sous l’égide des universités, de leurs centres de recherche, des Barreaux, des administrations et des autres juridictions nationales ou européennes. C’est aussi l’apostrophe qui est parfois utilisée dans ce dialogue ; qu’on en juge par les questions pertinemment dérangeantes que de très grands auteurs ont posées à la juridiction administrative. Jean Rivero : « Etrangère au pouvoir du juge, l’injonction, pourquoi le serait-elle ? »[6] ; Georges Vedel : « Le droit administratif peut-il rester indéfiniment jurisprudentiel ? »[7] ; Prosper Weil : « Le Conseil d’Etat statuant au contentieux : politique jurisprudentielle ou jurisprudence politique ? »[8]. Ces questions ont parfois marqué, pour longtemps, la juridiction administrative et l’ont forcée à s’interroger, à se remettre en question pour, finalement, évoluer.

C’est dire s’il importe au Conseil d’Etat et à la juridiction administrative dans son ensemble de continuer sur la voie d’un dialogue avec la doctrine qui soit, non pas glacial ou surchauffé, mais tempéré et serein ; non pas révérencieux, mais simple et direct ; non pas dogmatique, mais pratique. Je suis heureux que, par des occasions comme celle qui nous réunit aujourd’hui, ce dialogue se construise au quotidien.

Le dernier point que je veux évoquer devant vous n’est dicté par aucune qualité et pas, en particulier, celle du vice-président du Conseil d’Etat, mais par le discernement qui, comme chacun le sait, est supposé être l’apanage des années vécues et donc de l’âge – chacun sait également tout ce qu’il y peut y avoir de faux, parfois, dans cette corrélation. Aux jeunes auteurs aujourd’hui présents, permettez-moi de dire simplement qu’il n’y a rien de plus stimulant, ni de plus engageant que d’être au départ de nombreux voyages, au seuil d’expériences enrichissantes ou à la croisée de nouveaux chemins. Ces voyages vous feront assurément progresser sur la voie de vos projets professionnels et de votre propre humanité. Ces années d’apprentissage, où tous les choix sont encore ouverts et les routes encore à parcourir, sont parmi les plus belles d’un parcours que vous pouvez et devez construire et qui, je n’en doute pas, vous sera favorable. Je vous souhaite donc le meilleur dans chacune de ces expériences à venir et je vous félicite à nouveau pour votre présence ici, signe d’une participation réussie au concours lancé par les éditions Lexis Nexis.

[1]Texte écrit en collaboration avec M. Olivier Fuchs, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.

[2]Administrations et collectivités territoriales, Entreprises et affaires, Générale, Notariale et Sociale.

[3]Arrière-pensées, Le Cherche Midi, 1998.

[4]EDCE, 1954, p. 21.

[5]G. Vedel, « Jurisprudence et doctrine : deux discours », Deuxième centenaire du Conseil d’Etat, La revue Administrative, 2001, volume 1, p. 7.

[6]J. Rivero, « Le Huron au Palais-Royal ou réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir », D., 1962, chron. 37.

[7]G. Vedel, EDCE, 1979-1980, n° 31, p. 31.

[8]P. Weil, Annales de la faculté de droit d’Aix, 1959, p. 281.