La subsidiarité : une médaille à deux faces ?

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Intervention lors du Séminaire organisé par la Cour européenne des droits de l’Homme "La subsidiarité : une médaille à deux faces ?", Strasbourg, le vendredi 30 janvier 2015

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La subsidiarité : une médaille à deux faces ?

Séminaire organisé par la Cour européenne des droits de l’Homme

Le rôle des autorités nationales

Strasbourg, le vendredi 30 janvier 2015

Intervention de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’État

 

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les juges,

Mesdames et Messieurs,

 

« Ce qui domine le paysage juridique, en ce début du XXIe siècle, c’est l’imprécis, l’incertain, l’instable (…). Ordonner le multiple sans le réduire à l’identique, admettre le pluralisme sans renoncer à un droit commun, à une commune mesure du juste et de l’injuste, peut dès lors sembler un objectif inaccessible (…) »[2]. Ainsi s’exprimait en 2006 Madame la professeure Delmas-Marty. Mais comme elle nous y engage, il faut, sans céder au pessimisme, s’efforcer « d’explorer les voies et moyens d’un droit qui réussirait à ordonner la complexité sans la supprimer, apprenant à la transformer en un ‘pluralisme ordonné’ »[3]. Au sein du Conseil de l’Europe, tel semble bien être, au-delà des épineuses questions techniques et des légitimes et parfois virulents débats politiques, l’enjeu fondamental d’un partage des responsabilités entre la Cour européenne des droits de l’Homme et les autorités nationales sous l’égide du principe de subsidiarité[4]. Selon ce principe, l’autorité centrale, en l’occurrence la Cour européenne des droits de l’Homme, doit n’exécuter que les tâches qui ne peuvent être accomplies de manière pertinente à un échelon inférieur, c'est-à-dire au niveau national. Ce principe fonctionnel, qui est ancré depuis 1968 dans la jurisprudence[5] de la Cour, garantit une application décentralisée mais aussi pluraliste, convergente mais non uniforme, des droits fondamentaux, dans le respect des standards européens.

Le principe de subsidiarité et le principe d’effectivité sont bien les deux faces d’une même médaille, celle dont la devise est inscrite au frontispice de la Convention européenne des droits de l’Homme : assurer « la « sauvegarde et le développement »[6] des droits fondamentaux[7]. Les autorités nationales - les organes administratifs, la justice, mais aussi le Gouvernement et le Parlement – assurent les premiers cette mission et ils se sont eux-mêmes soumis, en cas de défaillance, à un contrôle externe européen, celui opéré par la Cour européenne des droits de l’Homme. Dans ce cadre, la subsidiarité renvoie à l’idée d’un contrôle qui est mutualisé entre la Cour et les autorités nationales. Ce terme qui souligne, selon son étymologie, le caractère supplétif et auxiliaire du contrôle de la Cour met en lumière, en même temps, son caractère ultime et même suprême, lorsqu’il est exercé par la Grande chambre. Il en découle pour les Etats, comme pour la Cour, des devoirs réciproques de coopération loyale.

Le thème de notre séminaire de rentrée, « La subsidiarité, une médaille à deux faces ? », nous invite ainsi à évaluer et à proposer des moyens de perfectionner les mécanismes de cette loyauté, sans laquelle la Convention perdrait son caractère effectif et vivant. Je reviendrai sur les composantes de ce principe du point de vue des autorités nationales, avant de proposer des pistes d’amélioration.

I. La subsidiarité permet, par la combinaison de contrôles complémentaires, une application concrète et effective des garanties européennes.

Au sein du Conseil de l’Europe, la mise en œuvre de ces garanties revient « au premier chef »[8] aux autorités nationales. Le principe de subsidiarité ne définit pas un partage de compétences exclusives et concurrentes, comme dans les organisations fédérales ou quasi-fédérales[9], mais il organise le séquençage d’un contrôle interne décentralisé avec, par défaut, un contrôle externe mutualisé. L’application de la Convention est ainsi une compétence partagée, quoique séquentielle. Cette organisation répond à un double objectif d’efficacité et de pluralisme. « Grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays »[10], les États restent, en effet, les mieux placés pour adopter les mesures de mise en œuvre adaptées et, le cas échéant, les restrictions qu’exige le contexte local. Le principe de subsidiarité s’adresse, dès lors, à l’ensemble des autorités nationales, suivant des modalités différentes, selon qu’elles ont ou non un caractère juridictionnel.

A. Pour une bonne application de la convention, les États doivent s’abstenir de toute ingérence injustifiée ou disproportionnée dans l’exercice des droits et libertés garantis par elle (1), mais ils sont aussi tenus d’adopter toute mesure nécessaire à leur mise en œuvre concrète et effective (2).

1. En dehors des droits absolus et intangibles, comme ceux garantis à l’article 3[11], les États peuvent soumettre, pour des motifs légitimes, l’exercice des droits conventionnels à des restrictions et ils disposent, pour ce faire, de marges d’appréciation.

L’ampleur de ces marges n’est ni uniforme, ni illimitée, et elle varie suivant un double critère. D’une part, selon un critère matériel, portant sur la nature des droits, des intérêts et des enjeux en cause, ces marges sont d’autant plus restreintes que les droits protégés sont « d’ordre intime »[12], ou que l’intérêt lésé touche à « un aspect essentiel de l’identité des individus », comme par exemple la filiation[13], ou encore affecte un « fort intérêt pour une société démocratique », comme la liberté d’expression lorsqu’elle porte sur des débats d’intérêt public[14]. Ces marges sont, en revanche, d’autant plus larges que sont en jeu des choix de société, « des questions de politiques générales (…), [touchant notamment aux] relations entre l’État et les religions »[15] ou encore à des questions délicates de morale ou de bioéthique[16]. Dans de tels cas, la Cour, selon sa propre jurisprudence, « se doit de faire preuve de réserve dans l’exercice de son contrôle de conventionnalité, dès lors qu’il la conduit à évaluer l’arbitrage effectué selon des modalités démocratiques au sein de la société en cause »[17]. D’autre part, selon un critère contextuel, les marges d’appréciation sont d’autant plus larges qu’il n’existe pas de « dénominateur commun »[18], ni de « consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger »[19]. Dans ces domaines, le principe de subsidiarité implique une prudence et une retenue judiciaires à l’égard des autorités nationales, comparables, dans son principe, à celles que respectent aussi les juges nationaux à l’égard des choix opérés par le Parlement de leur État.

Quelle que soit son étendue, le territoire des marges nationales ne saurait être une zone de non droit conventionnel. « Les choix opérés par les États, même dans [leurs] limites, n’échappent pas au contrôle de la Cour »[20], c’est-à-dire au respect des standards européens, et les restrictions imposées ne sauraient « porter atteinte à [leur] essence même »[21][Par conséquent, lorsque les Parlements légifèrent ou les autorités exécutives réglementent, ces organes doivent s’efforcer de décentrer leur regard et d’observer leurs traditions nationales d’un point de vue extérieur.En d’autres termes, on ne saurait opposer ou distinguer d’une manière organiquement étanche le point de vue des États et celui de la Cour.] Le principe de subsidiarité implique, en effet, que les Etats intériorisent une double perspective dans l’usage de leurs marges d’appréciation : celles des spécificités et traditions nationales et celle des standards et du consensus européens. Ces deux composantes doivent être incorporées dans le paramétrage des équilibres démocratiques et cette tâche incombe, au premier lieu, aux législateurs nationaux.

2. La subsidiarité n’organise donc pas le primat des garanties nationales sur les garanties européennes : elle les rend, au contraire, complémentaires et elle les entremêle.

Ce faisant, elle n’opère pas que d’une manière statique et négative, elle est aussi un principe dynamique et positif. D’une part, la composante contextuelle des marges d’appréciation ouvre la voie à une élévation progressive et concertée des standards européens, faisant de la Convention un instrument vivant au service d’une conception exigeante de l’Etat de droit. D’autre part, les autorités nationales sont tenues de prendre positivement les mesures réglementaires et législatives nécessaires à la jouissance concrète et effective des droits fondamentaux, notamment afin d’éviter que des tiers n’y portent atteinte[22]. La théorie des « obligations positives »[23] innerve désormais tout le champ conventionnel[24], tant à un niveau substantiel – notamment dans le domaine de la protection de la vie privée, comme l’a rappelé la Cour dans son arrêt Von Hannover de juin 2004[25] – mais aussi à un niveau procédural -  en imposant par exemple de procéder à des enquêtes officielles, approfondies et effectives, lorsque sont allégés d’une manière « défendable » des traitements inhumains et dégradants[26].

Par ailleurs, les autorités nationales s’engagent, comme le stipule l’article 46 de la Convention, « à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels [elles] sont parties ». Ces arrêts n’ayant qu’une portée déclaratoire, il en résulte pour les États une triple « obligation de résultat »[27], lorsqu’est constatée une violation : réparer ses conséquences dommageables ; la faire cesser lorsqu’elle perdure ; et prévenir sa répétition à l’avenir. [Doit être, en effet, rétablie « autant que faire se peut la situation antérieure à une violation »[28] par l’édiction de mesures individuelles et, le cas échéant, doivent être versées au requérant les sommes allouées par la Cour au titre de la « satisfaction équitable » prévue à l’article 41. Cette réparation n’est décidée, conformément au principe de subsidiarité, que lorsque le droit interne « ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences d’une violation ». En outre, sous le contrôle du Comité des ministres, doivent être adoptées des mesures individuelles ou générales, afin de mettre un terme à la violation constatée et d’éviter sa répétition[29]. Certes, les autorités nationales demeurent libres quant aux choix des moyens les plus adaptés[30] et la Cour ne saurait les leur imposer - même si elle peut leur proposer certaines options, d’une manière parfois assez précise, notamment en cas de violation structurelle[31], voire très précise, lorsqu’un seul moyen lui apparaît adapté[32], mais, en tout cas, jamais de manière impérative. Cependant, s’ils disposent ainsi de marges d’exécution, les États ne sauraient laisser lettre morte les arrêts de la Cour, ni conférer à leur nature déclaratoire un caractère seulement « incantatoire »[33]. Ils sont, en effet, tenus de les « prendre en considération », sans automatisme, ni indifférence. A ce titre, comme l’a expressément jugé le Conseil d’État dans un arrêt de juillet 2014, lorsqu’une violation constatée par la Cour concerne une sanction administrative, l’autorité nationale compétente est tenue, si elle est saisie en ce sens et à condition que la violation se poursuive, d’interrompre[34], en tout ou en partie, l’exécution de cette sanction, en tenant compte, non seulement, des « intérêts dont elle a la charge, [de ses] motifs (…) et [de] la gravité de ses effets », mais aussi, de « la nature et [de] la gravité des manquements constatés par la Cour »[35]. En cela, le principe de « loyauté conventionnelle »[36], qui est sous-jacent au principe de subsidiarité, trouve sa traduction dans l’hybridation des protections nationales et européennes des droits fondamentaux.]

B. Parmi les autorités nationales auxquelles s’adresse le principe de subsidiarité, les juges nationaux occupent une place spéciale.

1. Chargés de faire vivre le droit à un recours effectif, consacré à l’article 13 de la Convention, les juges nationaux contribuent au respect effectif des garanties européennes, mais aussi à leur diffusion et à leur approfondissement.

Au jour le jour, ils assurent, les premiers et à tous les niveaux, un contrôle approfondi de la compatibilité du droit interne avec les droits et libertés garantis par la Convention. Ils veillent, en particulier, à ce que la conciliation opérée par le législateur entre des intérêts concurrents n’excède pas les marges nationales d’appréciation, dont l’ampleur est appréciée au regard des critères posés par la Cour. C’est ainsi que le Conseil d’État a, notamment, examiné la conventionnalité des règles particulières d’accès aux données permettant d’identifier l’auteur d’un don de gamètes[37]. Lorsque la Cour constate une violation, les juges nationaux vérifient aussi, grâce à leur pouvoir d’injonction, que les autorités administratives mettent tout en œuvre pour la faire cesser, au besoin en procédant à l’abrogation d’une disposition de droit interne[38]. En outre, dans l’élaboration de leur jurisprudence, les juges nationaux sont tenus de « prendre en considération »[39] les arrêts de la Cour, bien que ceux-ci n’aient pas, dans la plupart des traditions juridiques, l’autorité absolue de chose jugée[40]. Mais ils revêtent une réelle force persuasive et même une assez claire autorité interprétative dans la plupart de ces traditions. C’est le cas devant le Conseil d’État de France depuis 1996, même si cette inflexion majeure mais implicite est largement passée inaperçue.[41] Cette juridiction a encore eu très récemment l’occasion de contrôler, en tenant compte de la jurisprudence pertinente de la Cour et des obligations positives qu’elle a dégagées, la légalité d’une circulaire ministérielle relative à la délivrance de certificats de nationalité à des enfants nés à l’étranger de Français ayant eu recours à une convention de gestation pour le compte d’autrui[42]. [Grâce à cette prise en compte loyale et attentive, les critères d’interprétation de la Convention se clarifient ainsi d’une manière homogène, alors que son champ d’application couvre parfois, de manière transversale, des situations appelant en droit interne des qualifications juridiques variées. C’est, en particulier, le cas du droit à un procès équitable[43] et de la notion de « bien » au sens de l’article 1er du premier protocole[44], qui ont reçu tous deux une définition extensive. Le principe de subsidiarité a, dès lors, accompagné une intensification des contrôles opérés par le juge national - notamment en matière de droit des étrangers et de « mesures d’ordre intérieur » au sein d’établissements pénitentiaires[45] - , mais aussi un développement de ses pouvoirs d’injonction – notamment en référé, lorsqu’existe un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes[46].]

2. Cette autorité de la jurisprudence de la Cour vis-à-vis des juridictions suprêmes nationales repose sur la qualité du dialogue qu’elle entretient avec celles-ci.

Comme le stipule le premier paragraphe de l’article 35 de la Convention, la Cour ne peut en effet être saisie qu’après épuisement des voies de recours internes. Le cas échéant, elle ne saurait, sauf à « s’ériger en juge de troisième ou quatrième instance »[47], « connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention »[48]. Pour des mêmes faits, si les critères établis par la jurisprudence de la Cour ont été respectés, il faut des « raisons sérieuses pour qu’elle substitue son avis à celui des juridictions internes »[49]. En tout état de cause, l’exécution de ses arrêts ne saurait priver les décisions de justice nationales de leur caractère exécutoire, ni ouvrir un droit à leur réexamen[50]. [Il existe, en effet, une « asymétrie entre les décisions administratives, susceptibles d’être remises en cause et les décisions de justice, [qui, elles,] sont intangibles »[51], en l’absence de procédure ad hoc. En France, si une telle procédure a été instaurée en matière pénale par une loi du 15 juin 2000[52], tel n’est pas le cas en matière civile[53], ni en matière administrative[54]. En outre, lorsqu’il est prévu, le réexamen doit, comme le recommande[55] le Comité des ministres, n’être activé que dans des « circonstances exceptionnelles » et à condition d’être « le moyen le plus efficace, voire le seul, pour réaliser la restitutio in integrum »[56].]

Mais si le principe de subsidiarité régule depuis ses origines le système européen de protection des droits fondamentaux, il ne saurait induire une complexité telle que son efficacité en serait amoindrie, voire compromise. Cet impératif requiert des États parties et de la Cour une réflexion commune permanente sur le perfectionnement de ses modalités de mise en œuvre.

II. Mettre davantage le principe de subsidiarité au service du principe d’efficacité est devenu un objectif commun prioritaire et, pour y parvenir, plusieurs leviers doivent être actionnés.

Dans le droit fil des déclarations d’Interlaken en 2010, d’Izmir en 2011 et de Brighton en 2012, le système européen de protection des droits fondamentaux est entré dans une nouvelle phase de son histoire, alors que s’ouvre, ce qui a pu être appelé, l’« ère de la subsidiarité »[57]. Celle-ci appelle une recherche concertée et aboutie sur de nouveaux outils de mise en œuvre du principe de subsidiarité, qui figurera explicitement dans le préambule de la Convention lors de l’entrée en vigueur du protocole n°15[58]. [L’articulation des protections nationales et européennes, au surplus évolutives, est nécessaire au maintien d’un équilibre entre unité et diversité, mais elle ne saurait conduire de facto, du fait de sa complexité, à la neutralisation du droit de recours individuel, ni à l’abandon des standards européens.] Dans le dialogue qu’entretiennent les autorités nationales et la Cour, la loyauté ne signifie, dès lors, ni alignement mécanique, ni méfiance systématique ; elle suppose, au contraire, un art de la convergence concertée et un esprit de bienveillance mutuelle. Ce dialogue doit être dialectique, c’est-à-dire constructif grâce à des avancées de part et d’autre, mais aussi conclusif, en reconnaissant aux arrêts rendus en Grande chambre une autorité persuasive maximale et même une véritable autorité interprétative. Rien ne serait plus préjudiciable à la garantie des droits et à leur sécurité juridique qu’un désaccord exacerbé, durable et irréductible entre les juridictions nationales et la Cour européenne des droits de l’Homme. C’est pourquoi nous avons besoin de procédures et de règles plus claires et plus efficaces dans la conduite de ce dialogue, et cela à plusieurs niveaux.

A. En premier lieu, en amont et à titre préventif, les autorités nationales doivent intégrer, dans leur processus d’élaboration de normes nouvelles, une analyse systématique, formalisée et approfondie de leur compatibilité avec les garanties européennes. Cette analyse préalable peut figurer dans des documents préparatoires ou dans des études d’impact assortissant les projets de loi et de règlement, et elle doit apparaître nettement dans la motivation des décisions individuelles. C’est à cette aune que la Cour évalue, le cas échéant, la qualité des procédures et des choix législatifs sous-jacents, comme elle a pu le faire dans l’affaire Animal Defenders[59]. Ce test de robustesse requiert des États une connaissance fine et actualisée de la jurisprudence de la Cour. Mais, il implique aussi, en retour, un effort d’explicitation et de continuité dans l’interprétation de la Convention. Les autorités nationales, à cet égard, attendent de la Cour des prises de position stables et cohérentes, des repères jurisprudentiels solides, pour purger avec sûreté les situations qui leur sont soumises, sans s’exposer à un risque de désaveu. Elles doivent aussi pouvoir s’approprier, sans hésitation, ni auto-censure, leurs marges d’appréciation. Dans quels domaines ces marges existent-elles ? En particulier, lesquels sont-elles exclues ou très limitées ? Les juridictions nationales ont des attentes très claires sur ces sujets.

B. En deuxième lieu, lorsque se présente une épineuse question d’interprétation, les autorités nationales doivent effectuer, par elles-mêmes, un effort d’ouverture, je dirais même d’extraversion, en intégrant, dans leurs réflexions, le contenu des standards européens et des éléments de droit comparé à l’échelle des 47 États parties. Elles doivent, en effet, étayer par des analyses documentées l’existence ou l’absence d’un consensus européen, car ce sont ces analyses qui sont au cœur du raisonnement des juges nationaux et de la Cour. Ces analyses ne sauraient  conduire à l’abandon systématique de spécificités nationales, ni à l’adoption automatique de standards majoritaires ou, à plus forte raison, minoritaires. Le plus souvent, compte tenu de la multiplicité des critères d’appréciation, ces analyses se traduisent par une évaluation du degré de convergence entre les différents dispositifs nationaux. Sur ce point, les États attendent de la Cour un usage transparent des données disponibles de droit comparé et l’explicitation d’une échelle de mesure dans l’évaluation d’un consensus et la constatation de son émergence : à partir de quand et comment un consensus apparaît-il ? Quelle en est la teneur ? Si ces questions sont délicates et évolutives, les repères les plus précis seraient bien sûr appréciés.

C. En troisième lieu, les autorités nationales doivent assurer, dans le respect de leurs obligations positives, une protection concrète et effective des garanties conventionnelles contre toute forme d’inertie publique ou contre toute ingérence de tiers dans l’exercice d’un droit. Les États sont, à ce titre, particulièrement attentifs à la manière dont la Cour précise la nature et l’ampleur de ces obligations positives, en les conciliant avec le principe de subsidiarité et, le cas échéant, avec l’existence d’une marge nationale d’appréciation ou d’un consensus européen. Au regard de quels critères la Cour dégage-t-elle une obligation positive ? De quelle latitude disposent les États dans la mise en œuvre de leurs obligations positives ? Quels contrôles opère la Cour selon qu’elle relève une ingérence ou un manquement à une obligation positive ? Ces points gagneraient à être précisés.

D. En quatrième lieu, en cas de divergence d’appréciation entre une juridiction nationale et la Cour, les autorités nationales doivent s’engager dans un dialogue loyal et constructif. Lorsque cette divergence est le fait d’une juridiction subordonnée, la Cour suprême nationale compétente doit exercer pleinement son office régulateur, en s’appropriant explicitement les critères d’interprétation dégagés par la jurisprudence établie de la Cour de Strasbourg. Ce débat interne, entre juridictions subordonnées et suprêmes, offre parfois l’occasion de préciser les critères pertinents de mise en balance d’intérêts divergents, comme l’ont illustré les arrêts Von Hannover contre Allemagne[60]. Cependant, dans des cas exceptionnels, la cour suprême nationale peut elle-même décider de ne pas se conformer à un arrêt de chambre et inviter, par là, les autorités nationales à saisir la Grande chambre sur le fondement de l’article 43 de la Convention. C’est ainsi qu’un dialogue a pu, par exemple, s’engager quant à la compatibilité d’un dispositif national de preuve par ouïe-dire avec les paragraphes 1 et 3 de l’article 6[61]. En tout état de cause, lorsque la Cour se prononce par un arrêt de la Grande chambre, le débat doit alors être clos.

E. En quatrième lieu, les autorités nationales doivent s’efforcer de promouvoir un tel dialogue de haut niveau avec célérité et de manière préventive. A cet égard, le protocole n°16 prévoit l’instauration d’une procédure d’avis consultatif auprès de la Grande chambre, afin de clarifier les stipulations de la Convention et de fournir ainsi des orientations supplémentaires dans la prévention de leur violation. [Cette procédure facultative, activée à l’initiative des « plus hautes juridictions » nationales à l’occasion d’une affaire pendante devant elles, s’inspire directement du mécanisme de l’article 43. Elle porte en effet sur des « questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles ». Si ces avis n’ont pas de portée contraignante, l’interprétation dont ils sont le support sera toutefois « analogue dans ses effets aux éléments interprétatifs établis par la Cour dans ses arrêts et décisions »[62]. Pour en tirer les bénéfices escomptés et, en particulier, une fluidité plus grande dans le dialogue entre juges, une double condition devra être satisfaite. D’une part, les « plus hautes juridictions nationales » devront mettre la Cour en mesure de saisir l’utilité de leur demande et d’y répondre, en indiquant d’une manière précise et circonstanciée les éléments pertinents du contexte juridique et factuel[63]. D’autre part, la Cour, qui dispose[64] d’un pouvoir discrétionnaire pour accepter ou non une demande d’avis, devra ne pas opérer un filtrage trop strict, motiver, en cas de refus, toute décision de ne pas traiter au fond une demande et, en cas d’admission, l’examiner en priorité.]

Enfin, si mon propos n’a porté que sur le rôle des autorités nationales et sur leurs attentes, il m’apparaît crucial de coupler leurs initiatives avec la poursuite d’une réforme du fonctionnement interne de la Cour. Comme l’a souligné la Déclaration de Brighton[65], des progrès considérables ont d’ores et déjà été réalisés pour hiérarchiser le traitement des affaires et pour rationaliser les procédures, en particulier dans le cas de recours irrecevables ou répétitifs. Grâce à ces efforts, les requêtes pendantes ont été réduites de 22% en 2013 et de 28% entre janvier et novembre 2014. Toutefois, d’autres avancées devront être enregistrées dans les prochaines années, afin de « renforcer la capacité du système [européen] à garantir un traitement rapide et efficace des violations graves »[66]. Sans doute faudrait-il, à cet égard, ouvrir la voie, sous le contrôle de la Cour et du Comité des ministres, à un renvoi des requêtes aux juridictions nationales, lorsqu’a été méconnue une jurisprudence claire et constante de la Cour. Une telle procédure permettrait d’alléger le rôle de la Cour et de responsabiliser ces juridictions. Une modification de la convention devrait sur ce point être envisagée.

 

La subsidiarité, est-elle une « médaille à deux faces » ? Elle l’est, si l’on entend par là qu’elle repose sur un partage de responsabilité global et dialogique entre les autorités nationales et la Cour. Elle ne l’est pas, si l’on cherche par là à opposer deux points de vue, l’un national et l’autre européen, sur les droits fondamentaux, car il ne saurait y avoir de standards communs qu’enracinés dans des pratiques nationales et, en retour, de protection effective et dynamique sans un contrôle externe, placé entre les mains d’une Cour internationale. En réalité, ces deux figures de la subsidiarité s’inscrivent ensemble sur la même face de la médaille des droits fondamentaux, l’une, la figure nationale, au premier plan d’une manière saillante, l’autre, la figure européenne, dans l’arrière-plan, non pas en retrait, mais d’une manière tutélaire, comme une ultime corde de rappel.

[1] Texte écrit en collaboration avec Stéphane Eustache, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d’appel, chargé de mission auprès du vice-président du Conseil d’État. Les passages entre crochets n’ont pas été prononcés.

[2]M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (III), Le pluralisme ordonné, éd. du Seuil, 2006, pp. 7-8.

[3]M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit (III), Le pluralisme ordonné, éd. du Seuil, 2006, p. 28.

[4]Voir not. le débat entre Lord Hoffmann et Robert Spano : Lord Hoffmann, « The Universality of Human Rights », Judicial Studies Board Annual Lecture, 19 March 2009, et Robert Spano “Universality or Diversity of Human Rights?, Strasbourg in the Age of Subsidiarity”, Human Rights Law Review, 2014, 0, 1-16, Oxford University Press.

[5]CEDH, Cour plénière, 23 juillet 1968, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l'enseignement en Belgique », n°1474/62, série A n°6, I. B. §10 : « En recherchant si, dans un cas d'espèce, il y a eu ou non distinction arbitraire, la Cour ne saurait ignorer les données de droit et de fait caractérisant la vie de la société dans l'État qui, en qualité de Partie Contractante, répond de la mesure contestée. Ce faisant, elle ne saurait se substituer aux autorités nationales compétentes, faute de quoi elle perdrait de vue le caractère subsidiaire du mécanisme international de garantie collective instauré par la Convention. Les autorités nationales demeurent libres de choisir les mesures qu'elles estiment appropriées dans les domaines régis par la Convention. Le contrôle de la Cour ne porte que sur la conformité de ces mesures avec les exigences de la Convention. ».

[6]Préambule de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

[7]« La Convention a pour but de protéger des droits non pas théorique ou illusoires, mais concrets et effectifs », CEDH 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, n°6289/73, § 24.

[8]CEDH 29 mars 2006, Scordino c/ Italie, n°36813/97, § 140.

[9]Voir, not. Le principe de subsidiarité au sens du droit de la Convention européenne des droits de l’Homme, F. Sudre (dir.), éd. Anthemis, 2014, p. 24 : « la spécificité « fonctionnelle » du principe conventionnel en comparaison des autres applications rencontrées en droit positif » ; voir également Suivi d’Interlaken, principe de subsidiarité, note du jurisconsulte de la Cour européenne des droits de l’Homme, juillet 2010, p. 2.

[10]CEDH, Cour plénière, 7 décembre 1976,  Handyside c/ Royaume-Uni, n°5493/72, § 48.

[11]Voir, not. CEDH 15 novembre 1996, Chahal c/ Royaume-Uni, n°22414/93, § 79.

[12]CEDH 18 septembre 2014, Brunet c/ France, n°21010/10, § 34.

[13]CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n°65192/11, § 80.

[14]CEDH, Grande chambre, 22 avril 2013, Animal Defenders c/ Royaume-Uni, n°48876/08, §102.

[15]Voir, par ex. en ce qui concerne l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public : CEDH 1er juillet 2014, Grande chambre, SAS c/ France, n°43835/11, § 129 ; en ce qui concerne l’exposition de crucifix dans les salles de classe de l’école publique : CEDH 18 mars 2011, Grande Chambre, Lautsi c/ Italie, n°30814/06 ; en ce qui concerne le port du foulard islamique dans des établissements d’enseignement supérieur : CEDH 10 novembre 2005, Grande chambre, Leyla Sahin c/ Turquie, n°447774/98, §109-110.

[16]Voir, par ex. en ce qui concerne la réglementation du droit à l’avortement : CEDH, Grande chambre, 16 décembre 2010, A., B., C. c. Irlande, n°25579/05 ; en ce qui concerne les conditions de recours à la fécondation in vitro : CEDH, Grande chambre, 3 novembre 2011, S.H. c/ Autriche, n°57813/00 ; en ce qui concerne le recours au suicide assisté : CEDH 20 janvier 2011, Haas c/ Suisse, n°31322/07.

[17]CEDH, Grande chambre, 1er juillet 2014, SAS c/ France, n°43835/11, § 154.

[18]CEDH 28 novembre 1984, Rasmussen c/ Danemark, n°8777/79, § 40.

[19]CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n°65192/11, § 77.

[20]CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n°65192/11, § 81.

[21]CEDH 2 octobre 2014, Matelly c/ France, n°10609/10, § 57.

[22]En application de « l’effet horizontal » de la Convention, qui consiste en une « extension de l’opposabilité des droits de l’Homme aux rapports interindividuels » (J.-P. Marguénaud, La Convention européenne des droits de l’Homme et le droit privé, éd. La documentation française, 2001, p. 77, cité par F. Sudre, Droit européen et international des droits de l’Homme, éd. PUF, 11e édition, 2012, p. 265).

[23]CEDH 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, n°6289/73 ; CEDH 13 juin 1979, Marckx c/ Belgique, n°6833/74.

[24]Voir, sur ce point, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, éd. PUF, 5e éd., 2003, p. 24.

[25]CEDH 24 juin 2004, Von Hannover c/ Allemagne, n°59320/00, § 57 : « Or la Cour réitère que si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent nécessiter l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (voir, mutatis mutandis, X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, série A no 91, p. 11, § 23, Stjerna c. Finlande, arrêt du 25 novembre 1994, série A no 299-B, pp. 60-61, § 38, et Verliere c. Suisse (déc.), no 41953/98, CEDH 2001-VII). Cela vaut également pour la protection du droit à l’image contre des abus de la part de tiers (décision Schüssel précitée) ».

[26]CEDH 28 octobre 1998, Assenov c/ Bulgarie, n°90/1997/874/1086, § 102.

[27]Voir, sur ce point F. Sudre, « A propos de l’obligation d’exécution d’un arrêt de condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme », RFDA, 2013, p. 103. 

[28]CEDH 31 octobre 1995, Papamichalopoulos et autres c/ Grèce, n°14556/89, §34.

[29]Voir CEDH, Grande chambre, 13 juillet 2000, Scozzari et Giunta c/ Italie, n°39221/98, § 249 ; voir, pour une reprise quasi-littérale de cette motivation : CE, Sect., 4 octobre 2012, Baumet, n°328502, pt. 7.

[30]CEDH, Cour plénière, 13 juin 1979, Marckx c/ Belgique, n°6833/74, §58.

[31]CEDH, Grande chambre, 22 juin 2004, Broniowski c/ Pologne, n°31443/96, § 194.

[32]CEDH 12 mai 2005, Grande chambre, Öcalan c/ Turquie, n°46221/99, § 210.

[33]« Déclaratoire ne signifie pas incantatoire », ccls de S. van Coester sur CE, Ass., 30 juillet 2014, Vernes, n°358564.

[34]Voir sur ce point, J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, « Première encoche de la chose inconventionnellement décidée », AJDA, 2014, p. 1929.

[35]CE, Ass., 30 juillet 2014, V., n°358564, pt. 5.

[36]F. Sudre, « A propos de l’obligation d’exécution d’un arrêt de condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme », RFDA, 2013, p. 103.

[37]CE, Avis, 13 juin 2013, M. M., n°362981.

[38]Voir en ce qui concerne l’annulation de la décision implicite de rejet d’abroger le décret-loi du 6 mai 1939 relatif au contrôle de la presse étrangère, modifiant l’article 14 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et l’injonction faite au Premier ministre d’abroger ce décret-loi : CE 7 février 2003, GISTI, n°243634 ; cet arrêt a permis de faire évoluer la jurisprudence du Conseil d’Etat, favorable à un renforcement de son contrôle juridictionnel en la matière (CE, Ass., 2 novembre 1973, SA Librairie Maspero, n°82590 ; CE, Sect., 9 juillet 1997, Association Ekin, n°151064), à la suite de l’arrêt CEDH 17 juillet 2001, Association Ekin c/ France, constatant la violation par ces dispositions internes des articles 10 et 14 de la Convention. Telle avait été l’analyse du commissaire du Gouvernement, Martine Denis-Linton, dans ses conclusions dans l’affaire Association Ekin précitée.

[39]Voir, not. en ce qui concerne le droit constitutionnel allemand : l’obligation de due prise en compte des arrêts de la Cour (« Berücksichtigungspflicht »), BVerfGE, 2 BvR 1481/04, 14 octobre 2004, Görgülü, à la suite de l’arrêt CEDH 24 février 2004, Görgülü c/ Allemagne, n°74969/01 ; en ce qui concerne le droit constitutionnel français : voir l’article 55 tel qu’interprété par CC n°86-216 DC du 3 septembre 1986, Loi relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, cons. 6 (voir sur ce point, les conclusions de S. von Coester sur CE, Sect., 4 octobre 2012, Baumet, précité).

[40]Les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme n’ont qu’une autorité relative de chose jugée : CE 24 novembre 1997, Ministre de l’économie et des finances c/ société Amibu, n°171929.

[41] CE, Ass., 14 février 1996,  Maubleu n° 132369, en ce qui concerne l’application de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme à  la publicité des audiences devant le Conseil de l’Ordre des avocats. Par son arrêt d’Assemblée plénière du 15 avril 2011, relative au régime de la garde à vue, la Cour de cassation française a explicitement reconnu l’autorité interprétative des arrêts de la Cour de Strasbourg.

[42]CE 12 décembre 2014, Association juristes pour l’enfance, n°367324, ccls X. Domino.

[43]Voir, not. en ce qui concerne le fonctionnement des chambres régionales des comptes : CE 30 décembre 2003, M. Beausoleil et Mme Richard, n°251120, à la suite de l’arrêt CEDH 7 octobre 2003, Mme Richard-Dubarry c/ France, n°53929/00 (décision de recevabilité) ; en ce qui concerne le fonctionnement des juridictions disciplinaires ordinales : CE, Ass., 14 février 1996, Maubleu, n°132369, à la suite de l’arrêt CEDH 26 septembre 2005, Diennet c/ France, n°25/1994/472/553 ; en ce qui concerne le fonctionnement et l’organisation des autorités administratives indépendantes : CE, Ass., 3 décembre 1999, Didier, n°207434. Voir, sur ce point, GAJA, 19e éd., éd . Dalloz, n°101. Voir, également, en ce qui concerne la compatibilité avec l’art. 6 § 1 de la Convention des lois de validation législative : CE 23 juin 2004, Société Laboratoires Genevrier, n°257797 ; CE, avis, 27 mai 2005, Provins, n°277975 et, désormais, CC n°2013-366 QPC, du 14 février 2014.

[44]Voir not. en ce qui concerne l’interprétation extensive de cette notion en matière fiscale : CE 19 novembre 2008, Société Getecom, n°292948. Les créances constituées (CEDH 9 décembre 1994, Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis contre Grèce, n°13427/87), mais aussi celles qui ne le sont pas mais qui constituent une « espérance légitime » (CEDH 6 octobre 2005, Draon contre France, n°1513/03) sont comprises sous cette notion à condition que leur valeur patrimoniale ait « une base suffisante en droit interne » (CEDH 28 septembre 2004, Kopecky contre Slovaquie, n°44912/98). Voir, dans la lignée de cette jurisprudence, en ce qui concerne  le caractère définitivement acquis de sommes versées à une victime d’une faute médicale, sur le fondement d’une règle jurisprudentielle qui n’est plus en vigueur : CE 22 octobre 2014, Centre hospitalier de Dinan, n°368904.

[45]Voir, sur ce point : en ce qui concerne un changement d’affectation d’un détenu d’une maison centrale à une maison d’arrêt : CE, Ass., 14 décembre 2007, B., n°310100 ; en ce qui concerne un déclassement d’emploi : CE, Ass., 14 décembre 2007, P., n°290420 ; en ce qui concerne le placement d’un détenu sous le régime des rotations de sécurité : CE, Ass., 14 décembre 2007, P., n°306432 ; en ce qui concerne une mesure de placement d’un détenu à l’isolement : CE 17 décembre 2008, Section française de l’observatoire international des prisons, n°293786 ; en ce qui concerne une décision de changement d’affectation entre des établissements pénitentiaires de même nature, sous réserve que soient en cause des libertés et des droits fondamentaux des détenus : CE 27 mai 2009, M., n°322148 et CE 13 novembre 2013, P..., n°355742 ; en ce qui concerne une demande d’un détenu de changement d’établissement, sous réserve que soient en cause ses libertés et ses droits fondamentaux : CE 13 novembre 2013, Agamemnon, n°3378720 ; en ce qui concerne le droit de visite des détenus : CE 26 novembre 2010, Ministre d’Etat, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ B., n°329564 ; en ce qui concerne la décision de placer un détenu du régime différencié dans un secteur de détention dit « portes fermées » : CE 28 mars 2011, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ B..., n°316977.

[46]Voir, not. en ce qui concerne le droit des détenus : CE, ord., 22 décembre 2012, Section française de l'observatoire international des prisons, n°364584.

[47]CEDH 24 novembre 1994, Kemmache c/ France, n°12325/86, § 44.

[48]CEDH 22 février 2007, Perlala c/ Grèce, n°17721/04, § 25.

[49]CEDH 7 février 2012, Grande chambre, Von Hannover c/ Allemagne, n°40660/08, § 107.

[50]CEDH, Grande Chambre, 30 juin 2009, VGT c/ Suisse, (n°2), n032772/02, §89. Voir également : CE 11 février 2004, Chevrol, n°257682.

[51]J. Lessi et L. Dutheillet de Lamothe, « Première encoche de la chose inconventionnellement décidée », AJDA, 2014, p. 1929.

[52]Voir sur ce point R. de Gouttes, « La procédure de réexamen des décisions pénales après un arrêt de condamnation de la CEDH », Mélanges G. Cohen-Jonathan, éd. Bruylant, 2004, p. 563.

[53]Cour de cassation, chambre sociale, 30 septembre 2005, n°04-47130.

[54]CE, Section, 4 octobre 2012, M. B., n°328502.

[55]Recommandation n° R (2000) 2 du comité des ministres aux États membres sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne suite à des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, adoptée par le comité des ministres le 19 janvier 2000.

[56]Une double condition est envisagée par la recommandation du 19 janvier 2000 : d’une part, la partie lésée doit continuer de souffrir de conséquences négatives très graves à la suite de la décision nationale, conséquences qui ne peuvent être compensées par la satisfaction équitable et qui ne peuvent être modifiées que par le réexamen ou la réouverture, d’autre part, il résulte de l’arrêt de la Cour que (a) la décision interne attaquée est contraire sur le fond à la Convention, ou que (b) la violation constatée est causée par des erreurs ou défaillances de procédure d’une gravité telle qu’un doute sérieux est jeté sur le résultat de la procédure interne attaquée.

[57]Robert Spano “Universality or Diversity of Human Rights?, Strasbourg in the Age of Subsidiarity”, Human Rights Law Review, 2014, 0, 1-16, Oxford University Press.

[58]Le protocole n°15 a été ouvert à la signature des Hautes Parties contractantes à la convention le 24 juin 2013. Un projet de loi autorisant la ratification de ce protocole a été enregistré à la Présidence du Sénat français, le 2 juillet 2014. A cette date, 23 Etats parties l’avaient signé. « Le présent Protocole entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date à laquelle toutes les Hautes Parties contractantes à la Convention auront exprimé leur consentement à être liées par le Protocole (…) » (art. 7 du protocole).

[59]CEDH, Grande chambre, 22 avril 2013, Animal Defenders c/ Royaume-Uni, n°48876/08, §116.

[60]Par un arrêt du 24 juin 2004, Von Hannover c/ Allemagne (n°59320/00), la Cour a déclaré que les juridictions allemandes n’ont pas opéré une juste mise en balance entre la protection de la vie privée et la liberté d’expression, au motif, notamment, que les photographies litigieuses ne portaient pas sur un débat d’intérêt général et que le critère de l’isolement spatial utilisé par ces juridictions n’était pas suffisant pour assurer une protection effective de la vie privée de la requérante. De nouvelles photographies ayant été publiées, la Cour fédérale de justice, par un arrêt du 6 mars 2007 (n°VI ZR 51/06), puis la Cour constitutionnelle fédérale, par un arrêt du 26 février 2008 (n°1 BvR 1606/07), se sont appropriées les critères d’appréciation dégagés par la Cour de Strasbourg dans son arrêt du 24 juin 2004. Par un arrêt de Grande chambre du 7 février 2012, Von Hannover c/ Allemagne (n°2, n°40660/08), la Cour de Strasbourg a ainsi constaté « qu’en conformité avec sa jurisprudence, les juridictions nationales ont procédé à une mise en balance circonstanciée du droit des sociétés d’édition à la liberté d’expression avec le droit des requérants au respect de leur vie privée » (§124). La Cour a, en outre, relevé « que les juridictions nationales ont explicitement pris en compte [sa] jurisprudence en la matière » (§125). Cet arrêt du 7 février 2012 a, ensuite, été confirmé par un arrêt du 17 février 2014, Von Hannover c/ Allemagne (n°3), n°8772/10.

[61]Par un arrêt de chambre (CEDH, arrêt de chambre, 20 janvier 2009, Al-Khawaja c/ Royaume-Uni, n°26766/05), la Cour européenne des droits de l’Homme a déclaré que les condamnations prononcées à l’encontre du requérant se fondaient exclusivement ou dans une mesure déterminante sur les dépositions de témoins que le requérant n’avait pas pu interroger ou faire interroger et, par suite, qu’avait été violé l’article 6 § 1, combiné avec l’article 6 § 3 d) de la Convention. Par un arrêt du 22 mai 2009, R. v. Horncastle ([2009] EWCA Crim 964), la Cour d’appel (The Court of Appeal) a rejeté à l’unanimité les recours de quatre justiciables condamnés sur la base de déclarations de victimes non comparantes, au motif, notamment, que la Convention ne conférait pas aux accusés un droit absolu à faire interroger les témoins et que la loi de 2003 sur la justice pénale ménageait un juste équilibre, respectueux de la Convention. Par un arrêt du 9 décembre 2009, R. v. Horncastle ([2009] UKSC 14), la Cour suprême du Royaume-Uni confirma à l’unanimité la décision mentionnée ci-dessus de la Cour d’appel. Dans cet arrêt, Lord Phillips déclara que, si la loi de 1998 sur les droits de l’homme imposait aux juridictions internes britanniques de « tenir compte » de la jurisprudence de Strasbourg s’agissant des principes bien établis, dans les rares cas où la Cour de Strasbourg pouvait sembler ne pas avoir bien compris ou suffisamment pris en compte telle ou telle particularité du droit anglais dans l’un de ses arrêts, il leur était loisible de ne pas se conformer à la solution retenue par elle. Il considéra que l’arrêt rendu par la Cour le 20 janvier 2009 relevait de ce cas de figure. A la suite de l’ensemble de ces arrêts, l’affaire Al-Khawaja c/ Royaume-Uni fut renvoyée devant la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme. Par un arrêt du 15 décembre 2011, la Grande chambre a précisé que « l’admission à titre de preuve d’un témoignage par ouï‑dire constituant l’élément à charge unique ou déterminant n’emporte pas automatiquement violation de l’article 6 § 1, lorsqu’une condamnation repose exclusivement ou dans une mesure déterminante sur les dépositions de témoins absents ». Toutefois, « étant donné les risques inhérents aux témoignages par ouï-dire, le caractère unique ou déterminant d’une preuve de ce type admise dans une affaire est (…) un facteur très important à prendre en compte dans l’appréciation de l’équité globale de la procédure et il doit être contrebalancé par des éléments suffisants, notamment par des garanties procédurales solides ». « Dans chaque affaire où le problème de l’équité de la procédure se pose en rapport avec une déposition d’un témoin absent, il s’agit de savoir s’il existe des éléments suffisamment compensateurs des inconvénients liés à l’admission d’une telle preuve pour permettre une appréciation correcte et équitable de la fiabilité de celle-ci ». La Grande chambre a considéré que les garanties procédurales contenues dans les lois de 1988 et 2003 sont, en principe, « des garde-fous solides » et qu’en l’espèce, les droits de M. Al-Khawaja n’ont pas été violés.

[62]Rapport explicatif sur le protocole n°16, p. 6.

[63]Le rapport explicatif relatif au protocole n°16 mentionne les éléments suivants : « L’objet de l’affaire interne et les faits pertinents révélés par la procédure interne, ou au moins un résumé des questions factuelles pertinentes ; les dispositions juridiques internes pertinentes ; les questions pertinentes relatives à la Convention, en particulier les droits ou libertés en jeu ; si cela est pertinent, un résumé des arguments des parties à la procédure interne sur la question ; si cela est possible et opportun, un exposé de son propre avis sur la question, y compris toute analyse qu’elle a pu faire de la question ».

[64]Un collège de cinq juges de la Grande chambre se prononce sur l’acceptation de la demande d’avis.

[65]Conférence sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’Homme, Déclaration de Brighton, avril 2012, p. 5.

[66]Conférence sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’Homme, Déclaration de Brighton, avril 2012, p. 8.