Vœux aux membres et agents de la Cour nationale du droit d’asile

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé à l'occasion des vœux à la Cour nationale du droit d’asile le 23 janvier 2018

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Vœux du vice-président du Conseil d’État aux membres et agents de la Cour nationale du droit d’asile

Montreuil, Mardi 23 janvier 2018

Intervention de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’État

 

Madame la présidente de la Cour nationale du droit d’asile,

Monsieur le préfet de la Seine-Saint-Denis,

Monsieur le député,

Monsieur le sénateur,

Messieurs les président et directeur général de l’OFPRA,

Monsieur le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration,

Monsieur le représentant du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés,

Mesdames et Messieurs les présidents des juridictions administratives et judiciaires,

Madame la présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme,

Madame la présidente du Conseil national des barreaux,

Mesdames et Messieurs les bâtonniers et représentants des barreaux,

Mesdames et Messieurs les avocats et les représentants des associations,

Mesdames et Messieurs les membres et les agents de la Cour nationale du droit d’asile,

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de vous retrouver, une nouvelle fois, en compagnie de votre présidente Michèle de Segonzac, pour vous présenter mes vœux de bonne année. En ce début d’année 2018, je souhaite à chacune et chacun d’entre vous le meilleur et, notamment, la réussite dans vos projets professionnels et le bonheur dans votre vie personnelle.

Je salue également la présence des partenaires et des interlocuteurs de la Cour. Votre présence aujourd’hui témoigne de la solidité de notre coopération, si nécessaire pour progresser davantage au service de l’État de droit.

I -L’année 2017 a été, comme vous le savez, marquée par une très forte augmentation des entrées qui a beaucoup sollicité les membres et agents de la Cour.

L’accroissement des flux migratoires constaté en 2015 et 2016 s’est poursuivi en 2017 et les tendances que nous anticipions et redoutions au début de l’année dernière se sont confirmées. La réalité a même excédé nos projections, avec plus de 53 000 nouveaux recours en 2017, soit une progression de 34% par rapport à 2016. Cette pression contentieuse devrait se maintenir en 2018, malgré la décélération anticipée de la progression des entrées.

Tous les membres et agents de la Cour se sont mobilisés, autour de leur présidente, mais la hausse significative et méritoire des sorties n’a, dans ces conditions, pas suffi à égaler les entrées. Le taux de couverture s’est par conséquent dégradé à un peu moins de 90%, mais le délai moyen constaté de jugement a connu une spectaculaire réduction pour s’établir à 5 mois et 6 jours au 31 décembre 2017. La CNDA se rapproche progressivement des délais cibles de jugement de 5 mois en formation collégiale et de 5 semaines en juge unique fixés par la loi du 29 juillet 2015. Mais la hausse spectaculaire des recours en 2017 risque, sinon de compromettre, du moins, de retarder quelque peu ce redressement.

Dans ce contexte difficile, je tiens à rendre hommage à l’engagement de l’ensemble des membres et agents de la CNDA au service de la justice et du droit d’asile. Ce sont des missions exigeantes qui vous sont confiées et le service rendu par votre Cour, sa nature spécifique et la charge de travail considérable que vous assumez vous honorent et honorent notre ordre de juridiction dans son ensemble.

II - Dans la situation actuelle, la Cour nationale du droit d’asile doit maintenir le cap et poursuivre son redressement

Elle doit d’abord pouvoir compter sur le soutien résolu de l’ensemble des pouvoirs publics. Le juge de l’asile exerce une mission délicate et éminente : défendre et faire vivre, jour après jour, le droit d’asile, qui est l’un des principes essentiels de notre Constitution et du droit européen et même international. Il est, par conséquent, indispensable que la Cour bénéficie de moyens en personnel et en locaux adaptés à l’ampleur et à la dignité de sa mission au risque, sinon, de méconnaître à la fois l’exigence de conditions de travail décentes pour ses membres et agents et les principes fondamentaux de l’accès au juge, du droit à un recours effectif et de la garantie juridictionnelle du droit d’asile. Toute réflexion sur le périmètre d’intervention et les moyens de la CNDA doit aussi s’inscrire dans le cadre global de la politique de l’asile en France. En particulier, tous les échelons de la chaîne administrative et juridictionnelle de décision doivent pouvoir bénéficier concomitamment et de manière cohérente des moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une politique d’asile juste, efficace et pleinement conforme à nos principes constitutionnels et aux engagements internationaux de la France.

es renforts humains qui ont été alloués à la Cour en 2017 et en 2018 vont certes dans le bon sens. Ils permettront de créer, en 2018, deux nouvelles chambres après les deux chambres déjà créées en 2017 et d’accroître ainsi notablement la capacité de jugement de la Cour. La création prochaine d’un concours spécifique de recrutement d’attachés d’administration centrale affectés à la Cour nationale du droit d’asile permettra en outre de valoriser les fonctions de rapporteur à la CNDA et d’offrir à ceux qui les exercent des perspectives d’évolution de carrière plus conformes à leurs compétences comme à l’importance de leur mission. Ce concours, qui doit être ouvert cette année, permettra de recruter soixante rapporteurs sur deux ans.

Au-delà des moyens humains, la CNDA doit aussi pouvoir bénéficier des conditions matérielles d’installation et d’accueil lui permettant d’exercer efficacement sa mission. La question des locaux de la Cour est, en effet, un goulot d’étranglement récurrent depuis plusieurs années et absolument inacceptable. Les extensions des années précédentes ont certes été bénéfiques, mais elles n’ont pas suffi à résoudre, il s’en faut de beaucoup,  toutes les difficultés matérielles d’installation : 5 sites pour la Cour, c’est 4 de trop. Il est donc nécessaire de « passer à la vitesse supérieure » pour faire sauter ce facteur de blocage. A cet égard, l’horizon s’éclaircit progressivement. Les réaménagements prévus dans l’immeuble de l’Arborial, en face de ce bâtiment, vont permettre une première amélioration des conditions de travail et le rapprochement d’agents dispersés sur plusieurs sites. Mais il est impératif que l’ensemble des services de la Cour se regroupent sur un site unique. C’est ce qui est prévu  dans le quartier de la mairie de Montreuil, mais seulement à l’horizon 2022-2023. Alors qu’une très belle opportunité s’était présentée à nous en juillet dernier à un jet de pierre d’ici, la situation financière de l’Etat nous a malheureusement interdit de conclure. Quoi qu’il en soit, sachez que les services concernés de votre cour pourront compter, sur ce point comme sur le reste des chantiers, sur l’appui et le soutien vigilant des services du Conseil d’État.

La qualité des conditions de travail des agents et des magistrats de la Cour est également un point de vigilance essentiel. La présidente de la Cour peut être assurée du soutien du Conseil d’État dans les actions qu’elle mettra en œuvre pour tenir compte des enseignements du baromètre social, réalisé en 2017, sur les conditions de travail des membres et agents de la Cour. Le questionnaire qui a permis d’élaborer ce baromètre a suscité un grand intérêt, puisque près de 70% de la communauté de travail de la Cour y a répondu.  Nous sommes d’ores et déjà attentifs aux enseignements de cette enquête et nous veillerons à ce que toutes les conséquences utiles en soient tirées.

Le Conseil d’État continuera également, comme les années précédentes, à seconder la Cour dans la mobilisation de ses ressources propres et la réforme de ses procédures internes au service des justiciables. Le travail que vous menez ensemble, depuis 2015, a notamment permis de renouveler la réflexion et les approches sur des sujets aussi essentiels que la motivation et la rédaction des décisions, la tenue des audiences ou la dématérialisation des procédures. Une importante réflexion a aussi été engagée, en septembre 2017, sur les gains de temps et de sécurité juridique que permettrait une certaine spécialisation des chambres, compte tenu de l’augmentation considérable du nombre de recours et de la diversification des questions géopolitiques soumises à la CNDA. Les débats se poursuivent, mais les premières conclusions devraient en être tirées prochainement. Ces réflexions internes sont essentielles car, au-delà des renforts humains et matériels qui peuvent lui être octroyés, la Cour doit pouvoir compter sur l’investissement de l’ensemble de ses membres et sur une organisation efficiente de ses procédures pour continuer à progresser au service d’un principe essentiel de notre pacte républicain. Je souhaite, par conséquent, que ces réflexions puissent déboucher positivement en 2018.

Mesdames et Messieurs,

Avant de conclure, je souhaite vous faire part de la fierté que j’éprouve au vu du travail accompli au cours des années écoulées. En dépit des difficultés que je viens d’évoquer, votre Cour a su, depuis 2009, se transformer en une véritable juridiction professionnelle, efficace et reconnue. Lorsque l’on connaît l’exigence et la sensibilité des missions de la Cour, qui restent à tort méconnues, cette réussite n’était ni évidente, ni acquise d’avance. Elle doit beaucoup à l’engagement de l’ensemble des membres et agents de la CNDA et de ses présidentes successives, que le secrétariat général du Conseil d’État appuie et continuera d’appuyer.

Je souhaite, à cet égard, profiter de cette cérémonie pour rendre hommage à la présidente de Segonzac pour son engagement au service de votre Cour. Chère Michèle, depuis votre arrivée à la tête de la CNDA en juin 2015, vous n’avez cessé d’œuvrer, avec le secrétariat général de la Cour, à l’amélioration des procédures, à la réduction de ses délais de jugements et à la constante adaptation de son fonctionnement interne. Vous n’avez cessé de veiller à la qualité des décisions rendues, à leur lisibilité et leur intelligibilité. Votre volonté de vous saisir des sujets, même les plus difficiles ou les plus austères, et votre implication personnelle comme votre style direct vous ont permis de faire avancer de nombreux projets et d’inscrire la Cour dans un mouvement de réforme continue et dans une plus grande modernité : la Cour a désormais plus de réactivité et de fiabilité et ses relations avec ses partenaires sont désormais sereines. L’esprit de concertation qui caractérise votre action a également porté ses fruits en permettant à la Cour de s’adapter aux dispositions résultant de la loi du 29 juillet 2015, en particulier l’instauration d’une nouvelle formation de jugement à juge unique avec audience et la fixation par le législateur de délais de jugement. C’est pourquoi je saisis l’occasion de ces vœux pour vous exprimer, devant tous ceux qui font la compétence et la force de cette grande juridiction, ma profonde reconnaissance pour la manière dont vous avez incarné la CNDA, su la faire progresser et améliorer la qualité du service rendu par elle. De nombreux défis demeurent, mais, sur cette base, la Cour doit être en mesure d’y faire face.

C’est donc, en dépit des multiples problèmes engendrés par l’explosion de la demande d’asile, avec confiance dans la capacité de la Cour à relever les défis du futur et à conserver la place qui est la sienne dans la garantie du droit d’asile que je vous renouvelle, Mesdames et Messieurs, mes vœux les plus chaleureux pour la présente année.

[1] Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’État.