Visite du Tribunal administratif de Melun

Par Jean-Marc Sauvé, Vice-président du Conseil d'État
Discours
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Intervention de Jean-Marc Sauvé le 26 juin 2016

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Visite du Tribunal administratif de Melun

Melun, Lundi 26 juin 2017

Intervention de Jean-Marc Sauvé[1], vice-président du Conseil d’Etat

 

Monsieur le préfet de Seine-et-Marne,

Monsieur le membre du Conseil constitutionnel,

Madame et Messieurs les membres du Parlement,

Madame et Messieurs les présidents des juridictions administratives et judiciaires,

Madame et Messieurs les directeurs et chefs de service,

Messieurs les officiers supérieurs,

Mesdames et Messieurs les bâtonniers,

Mesdames et Messieurs les représentants des ordres professionnels et des compagnies d’expert et de commissaires-enquêteurs,

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs les avocats,

Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles et militaires,

Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux de rendre aujourd’hui visite, pour la troisième fois - après mes visites d’avril 2009 et d’octobre 2013 -, aux magistrats et aux agents du tribunal administratif de Melun et de rencontrer, à cette occasion, leurs partenaires et interlocuteurs, dont je salue avec plaisir la présence.

Mes visites de juridiction sont l’occasion de voir comment fonctionnent concrètement nos cours et nos tribunaux, de comprendre leurs attentes et leurs difficultés et d’exposer notre vision, nos projets et nos réformes. Elles conduisent aussi à étudier avec elles les moyens de mieux répondre à leurs missions. Parce que la justice administrative est la gardienne de principes essentiels de notre pacte républicain, elle doit toujours chercher à mieux exercer sa mission d’application de la loi, de protection des droits fondamentaux et, d’une manière plus générale, de régulation des services publics. Elle ne peut faire face à ces éminents devoirs que si elle répond à d’exigeants critères de qualité.

Aujourd’hui, quels sont les « marqueurs » d’une justice de qualité (I) et quels défis devons-nous relever (II) ?

 

I. Ces marqueurs, ce sont, au-delà de la sécurité juridique qui s’impose évidemment à tout juge, la célérité, l’accessibilité et l’impartialité.

Ces trois derniers objectifs appellent quelques remarques de ma part.

A. Le premier de nos principes, la célérité, garantit aux justiciables que leur demande sera traitée dans un délai raisonnable.

1. Le temps de la justice, celui du débat contradictoire, de l’analyse distanciée du dossier et des éventuelles expertises, ne peut se prolonger jusqu’à paralyser les initiatives privées ou publiques.

Bien juger, ce n’est certes pas toujours juger dans l’urgence, mais c’est en tout cas garantir au justiciable un « délai raisonnable » de réponse à sa requête. Nous y sommes particulièrement attachés. Il est, par conséquent, impératif d’aiguiller le plus en amont possible chaque requête vers le « circuit juridictionnel » le mieux adapté à la nature, au degré d’urgence et à la complexité du litige soulevé. C’est pourquoi nous avons développé des procédures d’urgence en référé et instauré des formations de jugement diversifiées. Aujourd’hui, en moyenne, devant les juridictions administratives, en première instance, en appel, comme devant le Conseil d’Etat, le délai prévisible moyen de jugement est inférieur à un an. En outre, la juridiction administrative traite chaque année, en quelques jours, 15 500 référés urgents.

2. Le tribunal administratif de Melun contribue d’une manière positive aux résultats enregistrés au plan national. En dépit du haut niveau des entrées dans ce tribunal, en hausse continue depuis 2014, le nombre des sorties a progressé en 2016 et ce tribunal juge autant d’affaires qu’il n’en reçoit. Les délais de jugement sont en baisse depuis 2010 et ils s’établissent aujourd’hui à un niveau inférieur de deux mois aux moyennes nationales : le délai prévisible était ainsi en décembre dernier de 9 mois et 18 jours à Melun, tandis que le délai constaté pour les affaires jugées au fond y était de 1 an et 7 mois. Le stock des dossiers de plus de deux ans a lui aussi fortement diminué depuis 2010, mais leur nombre et leur pourcentage ont crû à nouveau au cours des toutes dernières années pour représenter aujourd’hui 7,61% du stock global, ce qui reste néanmoins inférieur à la moyenne nationale. Ces bons résultats traduisent, sous l’impulsion de la présidente Sylvie Favier, l’engagement de l’ensemble des magistrats et des agents de greffe de ce tribunal que je remercie.

B. L’accessibilité est notre deuxième principe.

1. Elle implique notamment que les parties puissent échanger rapidement, simplement et sûrement avec les juridictions. Grâce aux efforts déployés par les équipes des greffes, les administrations et les barreaux se sont approprié l’application Télérecours dont l’usage est devenu obligatoire pour les parties éligibles depuis le 1er janvier de cette année. Nous avons également l’ambition d’ouvrir un portail « Citoyens » qui permettra à tous les justiciables, même non représentés par un avocat, d’accéder aux téléprocédures.  

2. Sans renoncer à la rigueur de l’analyse juridique, nous devons aussi apprendre à rédiger nos décisions dans un style plus simple et plus clair pour être mieux compris par les parties, le public et la communauté juridique. Nous avons déjà simplifié les visas de nos décisions. Nous concentrons aujourd’hui nos efforts sur la rédaction de leurs motifs ; notre objectif est de les rendre plus explicites en fait comme en droit. Des expérimentations se poursuivent au sein du Conseil d’État et dans plusieurs tribunaux administratifs et cours administratives d’appel. Ces expérimentations sont en cours d’évaluation et elles seront étendues dans les prochains mois à un nombre significativement supérieur de chambres.

C. Nous avons, enfin – c’est notre troisième principe – une exigence impérieuse d’indépendance et d’impartialité, qui est un gage de confiance dans notre relation avec les justiciables.

1. L’année 2016 a marqué une évolution importante dans la réaffirmation de l’indépendance des magistrats administratifs. L’ordonnance du 13 octobre 2016 a complété leur statut pour en accroître les garanties d’indépendance conformément aux spécificités de leurs missions avec, notamment, la réforme de la composition et des attributions du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel – qui entrera en vigueur lors de l’installation du nouveau conseil supérieur dans les prochains jours – et la reconnaissance de droits et de garanties nouvelles aux magistrats.

2. En outre, la loi du 20 avril 2016 étend aux magistrats administratifs l’obligation, déjà existante pour les parlementaires et nombre de hauts fonctionnaires, d’établir une déclaration exhaustive, exacte et sincère de leurs intérêts. Si cette obligation est nouvelle dans la forme, elle vise à officialiser à la fois la pratique ancienne du déport et celle de l’entretien déontologique institué en 2011 dans l’ensemble de la juridiction administrative.

3. Enfin, notre Charte de déontologie a reçu un statut légal par la loi du 20 avril 2016 et la composition du collège de déontologie a été élargie à un quatrième membre, nommé en qualité de personnalité qualifiée par le Président de la République. Depuis son installation en 2012, ce collège a rendu 41 avis et recommandations[2], qui ont apporté des éclairages utiles sur des questions concrètes que se posent des membres, comme des cadres, de la juridiction administrative. J’ai arrêté, le 14 mars dernier, après l’avis du Collège de déontologie et de nombreuses consultations, la nouvelle version de notre Charte de déontologie, qui remplace celle de 2011. Cette version disponible sur internet a été diffusée à l’ensemble des magistrats.

II. Pour répondre aux exigences de qualité que j’ai rappelées, la justice administrative doit relever de nouveaux défis, qui ne sont pas seulement quantitatifs.

A. Le premier défi réside dans la prise en charge de la croissance du contentieux.

Il s’agit là d’une tendance structurelle :le nombre des affaires nouvelles augmente en effet en moyenne de 5,2 % par an depuis cinquante ans dans les tribunaux administratifs et de 8,2 % dans les cours administratives d’appel depuis leur création en 1989. Plusieurs réformes ayant abouti en 2016 nous permettent de faire face à cette augmentation, sans alourdir à l’excès la charge de travail des magistrats et des agents de greffe

- Pour être en capacité de répondre rapidement aux demandes dont l’issue est certaine, nous avons renforcé les outils dont dispose le juge administratif pour rejeter par ordonnance les requêtes manifestement dépourvues de fondement.

- En cours de procédure juridictionnelle, nous devons aussi promouvoir une instruction plus dynamique des requêtes. C’est ce que permet le décret du 2 novembre 2016 avec, notamment, la possibilité de demander la production d’un mémoire récapitulatif ou la confirmation du maintien de la requête sous peine de désistement d’office en l’absence de réponse ou de procéder d’office à la cristallisation des moyens.

- Nous disposons aussi de moyens nouveaux pour régler les séries contentieuses : c’est la possibilité qu’ouvre la loi du 18 novembre 2016 qui institue devant la juridiction administrative l’action de groupe et l’action en reconnaissance collective de droits dont nous proposions depuis longtemps la création. Le décret du 6 mai 2017 en précise le régime devant le juge administratif.

- Enfin, en amont comme au cours des procédures juridictionnelles, une place plus importante doit être faite aux modes alternatifs de règlement des litiges et, en particulier, à la médiation à l’initiative des parties ou du juge. Un décret a été signé le 18 avril sur ce sujet. Nous allons également expérimenter une procédure de médiation obligatoire, avant la saisine du juge, pour certains litiges relatifs à la situation personnelle des agents publics et pour certains recours relatifs aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi.

Toutes ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie globale visant à réguler la demande de justice et à y répondre avec pertinence et efficacité, dans un contexte budgétaire contraint.

B. Notre deuxième défi est d’assurer une meilleure administration de la justice.  

La qualité de la justice rendue réside aussi dans la qualité de son administration. Nous nous sommes ainsi attachés à améliorer les conditions de désignation et de formation des chefs de juridiction, auxquels sont de plus en plus nécessaires des compétences de gestionnaire et d’animateur d’équipes. Nous avons créé, en 2016, un cycle de préparation à ces fonctions, destiné à nous permettre de détecter, le plus en amont possible, les potentiels chefs de juridiction pour leur dispenser une formation spécifique destinée à éprouver leur motivation et à les préparer à ces nouvelles fonctions. Ce premier cycle en cours d’achèvement a rencontré un réel succès : 4 chefs de juridiction sont déjà issus de cette formation.

C. Notre troisième défi est d’assurer la qualité des conditions de travail des magistrats et agents du greffe.

1. Avec l’appui de la présidente Odile Piérart et de la Mission d’inspection des juridictions administratives, nous menons actuellement une réflexion approfondie sur la charge de travail des magistrats, son évaluation, sa répartition et son évolution dans le temps. Plusieurs pistes sont à l’étude, notamment - et sans les hiérarchiser -, sur le calendrier des audiences, l’organisation de la juridiction, les méthodes de travail des magistrats et les outils informatiques à leur disposition, ainsi que sur la définition d’indicateurs de mesure de la « productivité » intégrant aussi des facteurs, tels que le poids des contentieux de masse, des urgences et des stocks de plus de deux ans, qui contribuent à la charge de travail.

2. Cette réflexion s’appuie sur de nombreux échanges menés avec l’ensemble des magistrats et des agents.  Cette année,  deux questionnaires importants vont nous apporter des enseignements précieux. Le questionnaire adressé en mai aux magistrats sur le travail dématérialisé vient d’être présenté en CHSCT ; 64% des magistrats y ont répondu. Le second questionnaire est plus ambitieux, par son public, puisqu’il s’adresse à la fois aux magistrats et aux agents des greffes, et par son champ, qui est d’établir le premier baromètre social de la juridiction administrative. Il s’est achevé la semaine dernière ; il n’est pas encore exploité, mais je vous livre la primeur de la participation : 71% des magistrats et de 64% des agents de greffe y ont répondu. C’est dire l’intérêt qu’il a suscité.

Questionner les magistrats et les agents de greffe est essentiel pour nous permettre de prendre les bonnes décisions pour gérer la charge de travail de chacun, mais aussi pour garantir à tous le maintien de conditions de travail de qualité.

 

J’ai évoqué les progrès, mais aussi les chantiers de la juridiction administrative. Ces chantiers de modernisation impliquent beaucoup d’efforts pour renouveler le pacte de confiance noué entre les juridictions et nos concitoyens et apporter à ceux-ci un meilleur service, plus diligent, pertinent et sûr. Ces ambitions sont à notre portée. Elles pourront être atteintes par la mobilisation résolue des femmes et des hommes qui rendent la justice administrative partout en France et ici même à Melun. Je remercie les magistrats et les agents de greffe pour leur engagement passé et présent tout en disant combien je compte sur eux pour relever les défis qui restent à surmonter.  

 

 

[1]Texte écrit en collaboration avec Sarah Houllier, magistrat administratif, chargée de mission auprès du vice-président du Conseil d’Etat.

[2]Depuis 2012 : 2 recommandations (en 2012 et 2014), 8 avis en 2012, 9 en 2013, 9 en 2014, 6 en 2015, 4 en 2016 et 3 en 2017.