Histoire du Conseil d'État

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Des origines à l'an VIII (1799)

Au Moyen-Âge, la curia regis, constituée de grands personnages proches du roi, aidait celui-ci dans le gouvernement du royaume et dans l'exercice de la justice. Aux XIIIe et XIVe siècles, elle se subdivisa en diverses instances : notamment le Parlement, chargé d'une partie de la justice, la Chambre des comptes, qui avait une fonction comptable, et surtout le Conseil du roi.

Ce dernier était le lieu où le roi prenait conseil. Mais il y exerçait aussi son pouvoir justicier, si bien qu'on distingua plus tard la justice retenue, au Conseil, et la justice déléguée, au Parlement.

Louis XIV tenant les sceaux en présence des conseillers d’État et des maîtres des requêtes. École française XVIIe siècle. copyright RMN

Sous l'Ancien Régime, le Conseil du roi se réunit en diverses sessions, différentes par le nom, les membres et les affaires traitées. L'expression de « Conseil d'État » apparut en 1578, sous Henri III. Elle désignait le conseil chargé du gouvernement intérieur du royaume et du contentieux administratif. Mais plus tard, elle fut le nom d'autres formations. C'est seulement sous Louis XIV que l'organisation fut clarifiée et que l'on put discerner l'ancêtre du Conseil d'État actuel. Il s'agissait du Conseil d'État privé, finances et direction qui réglait les problèmes administratifs et de contentieux.

Les maîtres des requêtes et les conseillers d'État existaient depuis le XIIIe siècle. Les premiers rapportaient les affaires administratives et judiciaires au Conseil. Les seconds délibéraient avec le roi. Enfin des avocats travaillaient auprès du Conseil et constituèrent leur propre corps à partir du XVIIe siècle.

A la veille de la Révolution, quelques innovations préparèrent la constitution du Conseil d'État. En 1777, fut créé le Comité contentieux des finances, puis en 1789, le Comité contentieux des départements, c'est à dire des différents ministères.

En 1790, l'Assemblée constituante mit en pratique la théorie de la séparation des pouvoirs et fit en sorte que l'administration ne soit plus soumise à l'autorité judiciaire. Elle gardait par contre de l'Ancien Régime l'idée que la puissance publique devait être jugée par une juridiction particulière. Celle-ci fut instituée par le Consulat en 1799 : ce fut le Conseil d'État.

Genèse de l’institution moderne (1799 – 1848)

« Sous la direction des consuls, un Conseil d'État est chargé de rédiger les projets de lois et les règlements d'administration publique, et de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière administrative. » Article 52 de la Constitution du 22 Frimaire An VIII (13 décembre 1799)

L’article 52 de la Constitution de l’An VIII, qui établit le Consulat, marque la naissance du Conseil d’État. Son premier rôle est alors éminemment politique : il est chargé de rédiger les projets de loi et les règlements, avant leur adoption par un Parlement alors tricaméral : le Tribunat (supprimé en 1807), qui délibère sur les projets de loi sans les voter, le Corps législatif (supprimé en 1814), qui vote les lois sans délibérer, et le Sénat conservateur (supprimé en 1814), qui s’assure de la constitutionnalité des lois.

Les conseillers d’État, nommés par le Premier consul, ont donc un rôle important dans la rédaction des lois et participeront notamment à la rédaction du Code civil.

Le deuxième rôle du Conseil d’État est de « résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative ». Si ce rôle prendra une importance grandissante puisqu’elle permettra au Conseil d’État de devenir le juge administratif suprême, il ne confère alors qu’une mission simplement consultative à l’institution. Le Conseil d’État est en effet consulté par le Premier consul en cas de difficulté, c’est-à-dire de contentieux, mais ce dernier détient le pouvoir de décision. C’est ce qu’on appelle alors la « justice retenue », car retenue dans la main du chef de l’État.

Installation du Conseil d’État au Palais du Petit-Luxembourg le 25 décembre 1799. Les trois consuls : Bonaparte, Cambacérès et Lebrun reçoivent le serment des présidents

Avec la fin de l’Empire et la chute de Napoléon, le rôle du Conseil d’État s’efface peu à peu. En effet, la monarchie restaurée regarde cette institution fondée par l’Empereur avec une certaine méfiance. La Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, qui remplace la Constitution de l’an XII (qui instaure le Premier Empire à la place du Consulat), ne mentionne plus le Conseil d’État, qui continue pourtant d’exister.

L’institution se recentre alors sur son activité contentieuse. Ses avis seront toutefois mieux considérés par la Monarchie de Juillet (1830-1848).

Retour en grâce de l’institution (1848 – 1870)

Avec la chute de la Monarchie de Juillet et la renaissance de la République (1848 – 1852), le Conseil d’État voit sa place réaffirmée dans les institutions.

« Le Conseil d'État est consulté sur les projets de loi du Gouvernement qui, d'après la loi, devront être soumis à son examen préalable, et sur les projets d'initiative parlementaire que l'Assemblée lui aura renvoyés. Il prépare les règlements d'administration publique ; il fait seul ceux de ces règlements à l'égard desquels l'Assemblée nationale lui a donné une délégation spéciale. Il exerce, à l'égard des administrations publiques, tous les pouvoirs de contrôle et de surveillance qui lui sont déférés par la loi. La loi règlera ses autres attributions. » Article 75 de la Constitution du 4 novembre 1848

Le Conseil d’État est en effet mentionné dans la constitution du 4 novembre 1848, dans un chapitre VI qui lui est entièrement dédié. Les articles 71 à 75 définissent son activité et ses contours. L’article 71 marque la naissance du poste de vice-président du Conseil d’État, qui est « de droit président ». Les membres du Conseil d’État sont nommés pour six ans par l’Assemblée nationale et révocables uniquement par l’Assemblée, sur proposition du président de la République.

A noter que l’article 89 de cette même Constitution crée « un tribunal spécial de membres de la Cour de cassation et de conseillers d'État » pour statuer sur « les conflits d'attributions entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire ». C’est la naissance du Tribunal des conflits, organisée par un règlement du 28 octobre 1849 et une loi du 4 février 1850.

Surtout, la loi du 3 mars 1849 met en place le principe de la « justice déléguée » à la place de la « justice détenue » : Cela signifie que le Conseil d’État juge souverainement, « au nom du peuple français », et rend des arrêts exécutoires, contraignantes pour l’administration.

L’avènement du Second Empire marque le rétablissement de la « justice retenue » dans les mains de l’Empereur Napoléon III. La Constitution du 14 janvier 1852 mentionne toujours le Conseil d’État, qui est cette fois-ci présidée par le chef de l’État, et, en son absence, par le vice-président du Conseil d’État. Pour autant, l'institution, sous son règne, gagna en prestige, et sa jurisprudence alimenta le droit administratif, créant, en particulier, le recours pour excès de pouvoir.

L’avènement d’une justice administrative indépendante (1870 - 1958)

La IIIe République revient sur les pas de son prédécesseur et, par la loi du 24 mai 1872, rétablit la justice déléguée. Désormais, les décisions du Conseil d’État seront exécutoires dès leur lecture, le chef de l'État, ni aucune autre personne extérieure à la juridiction, n'étant appelé à les signer. Cette loi met également en place les sections du Conseil d’État, organisation que l’on retrouve encore aujourd’hui.

Dès lors, le Conseil d’État, tout comme le Tribunal des conflits, va tracer les contours d’un juge administratif indépendant et d’un droit administratif dérogatoire au droit commun (droit privé régi par le Code civil), qui s’applique spécifiquement à l’Administration. Un droit qui a la particularité d’être jurisprudentiel, c’est-à-dire défini par le juge à travers ses décisions. Ainsi, lorsqu’une question est statuée par le Conseil d’État, sa réponse peut être reprise par un autre juge dans une affaire soulevant les mêmes questions de droit.

Deux grandes décisions vont alors définir rapidement les contours de l’action du juge administratif, notamment s’agissant de la responsabilité de l’État :

  • Dans son arrêt Blanco (8 février 1873), le Tribunal des conflits estime que l’État est responsable en cas de dommages causés par des services publics et qu’il revient au juge administratif (et non au juge judiciaire) de statuer sur ces affaires. Une décision qui consacre pour la première fois la responsabilité de l’État et qui fonde le droit administratif.

  • Dans sa décision Cadot du 19 décembre 1889, le Conseil d’État se déclare pour la première fois compétent en premier ressort pour juger directement un recours demandant l’annulation d’une action de l’administration. Auparavant, le Conseil d’État n’intervenait qu’en appel, après la décision du ministre concerné (théorie du « ministre-juge »).

Entre les deux guerres mondiales, le Conseil d’État continue de rendre des décisions jurisprudentielles, qui vont marquer l’action de l’administration. Ainsi, en 1918, par la décision Heyriès, le Conseil d’État développe la théorie des circonstances exceptionnelles, admettant qu’en période de crise comme ce fut le cas lors de la Première guerre mondiale, la puissance publique dispose de pouvoirs exceptionnellement étendus pour assurer la continuité des services publics. Avec la décision Benjamin de 1933, le Conseil d’État renforce son contrôle des mesures de police administrative et la proportionnalité des mesures prises face aux risques.  

Jusqu'à la Seconde guerre mondiale, deux phénomènes marquèrent l'histoire du Conseil d'État. D'une part, le mode de recrutement favorisa la promotion interne des membres et permit de constituer un corps plus professionnel en même temps que plus indépendant. Par ailleurs, le Conseil d'État vit sa jurisprudence ordonnée par Edouard Laferrière et connut d'importantes avancées jurisprudentielles grâce aux conclusions de commissaires du gouvernement tels que Jean Romieu.

En 1940, le Conseil d'État en formation restreinte s'installa à Monségur puis à Royat, près de Clermont-Ferrand, où il tenta de maintenir son activité juridictionnelle. A la fin de 1942, il revint à Paris.

Parallèlement, la France libre se dota également d'un conseil juridique. Un décret du 15 décembre 1941 créa à Londres une Commission de législation qui fonctionna quelques mois, tandis qu'un Comité du contentieux s'inspirait des fonctions juridictionnelles du Conseil d’État. Succédant à la Commission de législation, le Comité juridique fut créé à Alger par une ordonnance du 6 août 1943. Présidé à la Libération par René Cassin, il continua à fonctionner parallèlement au Conseil d’État, auquel il se substitua pour l'examen des textes législatifs. En août 1945, le Comité juridique disparut sous cette forme pour donner naissance à une nouvelle formation consultative restreinte intégrée à part entière au Conseil d’État, et qui en reprit la plupart des membres, la Commission permanente.

René Cassin fut nommé vice-président en novembre 1944 et favorisa le renouveau du Conseil d'État. Si l’institution n’est pas mentionnée dans la Constitution du 27 octobre 1946 établissant la IVe République, celui-ci fut réorganisé par l'ordonnance du 31 juillet 1945 qui consolida sa fonction consultative en posant le principe de sa consultation obligatoire sur tout projet de loi. A la même époque fut créée l’École nationale d'administration, d'où sortirent les nouvelles promotions d'auditeurs.

Le Conseil d’État actuel (1958 à nos jours)

La Constitution du 4 octobre 1958, inspirée par les idées du Général de Gaulle et rédigée par Michel Debré, donne une place importante au Conseil d’État dans sa fonction de conseil au Gouvernement. Les articles 37, 38 et 39 définissent les cas où il est obligatoirement consulté pour avis sur les textes réglementaires (projets de loi, ordonnances et décrets).

Toutefois, les rapports avec le général de Gaulle ne furent pas toujours sereins. Deux épisodes rapprochés provoquèrent une crise en 1962. Lorsque le général de Gaulle décida de soumettre au référendum (article 11 de la Constitution) l'instauration de l'élection du président de la République au suffrage universel direct, le Conseil d'État émit un avis défavorable. Cet avis du 1er octobre 1962, par lequel il estimait que ce moyen ne pouvait être utilisé pour réviser la Constitution, fut diffusé dans la presse à la suite d'une indiscrétion. Le 19 octobre, c'est par sa plus haute formation de jugement, l'Assemblée du contentieux, que le Conseil d'État annula l'ordonnance créant la cour militaire de justice, qui avait condamné à mort un dirigeant de l'OAS nommé Canal. La décision Canal déclarait illégale la cour militaire, au motif que l'absence de possibilité d'appel était « contraire aux principes généraux du droit ».

A l'issue de ces deux contradictions apportées à son action par le Conseil d'État, à la fois en tant que son conseil et juge administratif suprême, le gouvernement annonça son intention de le réformer rapidement.

Sous la présidence de Léon Noël, une commission comptant plusieurs membres du Conseil d'État fut alors chargée de formuler des propositions. Contrairement aux craintes initiales, les décrets du 30 juillet 1963 renforcèrent le rôle consultatif et d'expert juridique du Conseil d'État, en créant une Commission du rapport et des études, chargée de réaliser le rapport annuel et des études sur des thèmes spécifiques. Elle sera remplacée par la section du rapport et des études par décret du 24 janvier 1985. Mais l'innovation essentielle fut la « double affectation » des membres, à la fois à une section administrative et à la section du contentieux, afin d'éviter que les juges souffrent d'une méconnaissance des réalités de l'administration.

Cette double affectation ne fut pas remise en cause depuis lors, quels que soient les aménagements successifs apportés au fonctionnement de l'institution.

Si la mission consultative est donc bien inscrite dans la Constitution, celle de juge ne l’est pas. Le Conseil d’État continue toutefois d’exercer cette mission. La création des tribunaux administratifs en 1953 puis celle des cours administratives d’appel en 1987 placeront l’institution au plus haut échelon de l’ordre administratif.

C’est la révision constitutionnelle de 2008 qui confirmera le rôle du Conseil d’État comme plus haute juridiction administrative. En effet, l’article 61-1, qui donne naissance à la question prioritaire de constitutionnalité, permet à tout justiciable de saisir le Conseil constitutionnel s’il estime qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, après renvoi de l’affaire par le Conseil d’État (pour l’ordre administratif) et la Cour de cassation (pour l’ordre judiciaire).  

De plus, cette révision constitutionnelle permet désormais aux présidents des deux assemblées parlementaires (Assemblée nationale et Sénat) de saisir le Conseil d’État pour avis sur une proposition de loi élaborée par les parlementaires.