Avis sur un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets

CONSEIL D’ETAT
         
Section de l’intérieur,
Section des finances,
Section des travaux publics,
Section sociale,
Section de l’administration
_________    

Séance du 4 février 2021        
N° 401933
EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS       

 


AVIS SUR UN PROJET DE LOI

portant lutte contre le dérèglement climatique et
ses effets

 

1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 8 janvier 2021 d’un projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Ce projet a été modifié par quatre saisines rectificatives reçues les 12 et 21 janvier ainsi que les 3 et 4 février 2021.

2. Ce projet de loi regroupe les dispositions législatives proposées par le Gouvernement au vu du résultat des travaux menés pendant neuf mois par les cent cinquante personnes tirées au sort constituant la Convention citoyenne pour le climat, sur la question suivante : « Comment réduire d’au moins 40 % par rapport à 1990 les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans le respect de la justice sociale ? ». Le Conseil d’Etat examine le texte qui lui est soumis selon les méthodes qu’il adopte usuellement pour tout autre projet de loi issu des arbitrages du Gouvernement.

3. Le projet est organisé en six titres reprenant les thématiques auxquelles le rapport approuvé en juin 2020 par la Convention citoyenne rattache ses différentes propositions (Consommer ; Produire et travailler ; Se déplacer ; Se loger ; Se nourrir ; Renforcer la protection judiciaire de l’environnement), subdivisés en chapitres.

Le projet de loi comporte à la fois des dispositions relevant d’un projet de loi de programmation et des dispositions normatives relevant d’un projet de loi ordinaire. Eu égard à la grande diversité de ces dispositions, le Conseil d’Etat considère que le respect de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi implique, en l’espèce, que les dispositions de programmation soient isolées dans une première section du chapitre thématique auquel elles sont rattachées et non pas regroupées dans un titre Ier de la loi comme il est habituel.

La structure du projet de loi, qui correspond au contenu de ses dispositions, n’appelle pas de remarques. Le Conseil d’Etat propose toutefois une simplification du titre de la loi et la modification de quelques intitulés de chapitres pour plus de clarté.

4. L’étude d’impact du projet de loi, parvenue le 12 janvier 2021, complétée les 20 et 26 janvier, et qui a fait l’objet d’une nouvelle version prenant en compte les observations émises par les sections administratives du Conseil d’Etat, parvenue le 1er février et complétée le 3 février, répond pour la plus grande partie de ses dispositions, quoique l’analyse des impacts soit trop souvent superficielle, aux exigences de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

Le Conseil d’Etat constate toutefois des insuffisances notables de cette étude d’impact en ce qui concerne certaines mesures du projet de loi.

En premier lieu, il appelle l’attention du Gouvernement sur la nécessité de prendre en compte les dernières modifications apportées au projet de loi par voie de saisine rectificative. Ainsi, s’agissant de la mesure mentionnée au point 23 destinée à améliorer la disponibilité dans le temps des pièces détachées, il invite le Gouvernement à compléter l’étude d’impact pour justifier le choix des catégories d’équipements pour lesquels des pièces détachées doivent rester disponibles pendant une durée minimale. De même l’étude d’impact devra-t-elle être mise en cohérence avec le texte du projet de loi, s’agissant des trois articles du titre III (« Se déplacer ») substantiellement modifiés par la dernière saisine rectificative. S’agissant du titre VI du projet de loi (dispositions pénales), les modifications importantes apportées à ce titre par la dernière saisine rectificative doivent être expliquées.

En deuxième lieu, s’agissant des dispositions, mentionnées au point 25, relatives à la prise en compte des considérations environnementales dans les marchés publics, l’absence de leur extension aux concessions, qui ne va pas de soi, doit, à tout le moins, être justifiée dans l’étude d’impact.

En troisième lieu, dans le chapitre relatif au transport aérien, aucune analyse du caractère soutenable des mesures projetées dans le contexte de la crise sanitaire, dont l’impact est pourtant majeur pour ce secteur, n’apparaît.

S’agissant de la mesure d’interdiction des vols intérieurs sur toute liaison également assurée par voie ferrée en moins de 2h30, l’étude ne justifie pas la possibilité de s’appuyer sur le régime de dérogation temporaire au principe de liberté du trafic aérien intracommunautaire prévu par l’article 20 du règlement (CE) n°1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l'exploitation de services aériens dans la Communauté. Les conséquences économiques et concurrentielles de l’interdiction sont trop succinctement abordées.

S’agissant de l’interdiction de déclarer d’utilité publique les travaux de création ou d’extension des aéroports entraînant une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, l’étude d’impact devrait mentionner les projets qui pourront continuer à être autorisés ou devront au contraire être arrêtés. L’étude d’impact est en outre silencieuse sur les modalités d’application envisagées, pourtant déterminantes pour apprécier les conséquences de la mesure.

S’agissant de l’obligation de compensation par les compagnies aériennes des émissions de gaz à effet de serre des vols intérieurs, il convient que l’étude d’impact précise les perspectives de réalisation de projets d’absorption du carbone réalisés sur le territoire français, dont le projet de loi, dans la rédaction du Gouvernement, prévoit qu’ils doivent être « privilégiés ».

5. L’ensemble du projet de loi, à l’exception du titre VI, a été soumis pour avis au Conseil national de la transition écologique, au Conseil économique social et environnemental, dont l’avis était obligatoire sur les dispositions de programmation et au Conseil national de l’évaluation des normes, dont l’avis était obligatoire sur les dispositions applicables aux collectivités territoriales.
L’avis du Conseil économique, social et environnemental a été publié et celui du Conseil national de la transition écologique a été reçu le 27 janvier 2021. L’avis du Conseil national de l’évaluation des normes est parvenu au Conseil d’Etat le 2 février.

Comme le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de le souligner, si la brièveté des délais impartis peut être sans incidence sur les avis recueillis lorsqu’ils portent sur un nombre limité de dispositions, il n’en va pas de même lorsque la consultation porte sur l’ensemble du projet de loi, ou une partie substantielle de celui-ci, surtout lorsque son volume est important. Compte tenu de la date à laquelle les avis ont été rendus, la possibilité de les prendre en compte est extrêmement réduite : aussi bien pour permettre au Gouvernement d’intégrer dans son projet, le cas échéant, les modifications recommandées par ces avis que pour garantir au Conseil d’Etat, dont la consultation trouve son fondement dans l’article 39 de la Constitution, les conditions de nature à examiner, de manière approfondie et pleinement informée, l’ensemble des questions soulevées.

6. Les objectifs poursuivis à long terme en vue de lutter contre le dérèglement climatique doivent se traduire par des mesures volontaristes visant le changement des comportements et impliquant éventuellement la modification de dispositions législatives récentes, voire de dispositions non encore entrées en vigueur, ce qui est le cas de nombreuses dispositions du projet de loi et requiert de préciser le texte dont est issue la version modifiée, afin d’éviter des erreurs. Si cette réitération de dispositions législatives est sans doute inévitable pour le moment eu égard aux spécificités de la transition écologique, elle ne doit toutefois pas dispenser de mettre en œuvre les bonnes pratiques de l’action publique : anticiper autant que possible et évaluer les effets des mesures prises. Le Conseil d’Etat appelle l’attention du Gouvernement sur le fait que la prévisibilité de la norme est essentielle pour modifier les comportements à long terme.

7. D’autres dispositions exigent la modification de documents d’urbanisme ou de planification, récemment approuvés ou modifiés ; en particulier, deux articles différents exigent l’engagement de la révision ou de la modification, dans les six mois de l’intervention d’un décret d’application de la loi, des schémas régionaux d’aménagement et de développement durable des territoires adoptés pour la plupart en 2020 (un ne le sera qu’en 2021), pour les mettre en compatibilité avec leurs dispositions. Le Conseil d’Etat recommande le regroupement des obligations de modification ou révision des documents d’urbanisme et de planification à des dates fixes, par exemple, pour les schémas régionaux après chaque élection régionale et, en cas d’urgence, à mi-parcours. A tout le moins, il convient de préparer les textes d’application de la loi de telle sorte que l’ensemble des modifications dont celle-ci prévoit qu’elles doivent être apportées à un même document d’urbanisme ou de planification puissent faire l’objet d’une même procédure de révision ou de modification, eu égard à la complexité de ces procédures.

8. Au-delà de ces remarques liminaires, et outre de nombreuses améliorations de rédaction qui s’expliquent d’elles-mêmes, ce projet de loi appelle, de la part du Conseil d’Etat, les observations suivantes.

En ce qui concerne le titre intitulé « Consommer »

Dispositions tendant à informer, former et sensibiliser (chapitre Ier)

Information du consommateur sur les caractéristiques environnementales des biens et services

9.  Le projet de loi prévoit de généraliser, à un horizon de cinq ans, pour certaines catégories de biens et services, un affichage destiné à l’information du consommateur sur les caractéristiques environnementales de ces biens et services, notamment leur impact sur le climat, ainsi, le cas échéant, que sur le respect de critères sociaux. Après une phase d’expérimentation volontaire mise à profit pour élaborer les décrets déterminant la méthodologie et les modalités de cet affichage par catégories de biens et services, un autre décret, en Conseil d’Etat, dressera la liste des catégories de biens et services obligatoirement assortis de cet affichage. Enfin, un second décret en Conseil d’Etat, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, permettra de déterminer quels sont les biens et services présentant l’impact sur le climat le plus important de leur catégorie.

Le Conseil d’Etat prend acte de la conception très large de l’affichage environnemental que reflète ce texte, allant bien au-delà par exemple d’une approche fondée sur la seule mesure d’un équivalent carbone. Il estime que ce choix gouvernemental n’est pas manifestement inapproprié au but poursuivi, à savoir mettre en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, lequel justifie l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre que constituent ces obligations nouvelles imposées aux producteurs de biens et services. Il invite toutefois le Gouvernement à préciser un élément essentiel de l’affichage envisagé, en substituant à la notion d’impact sur le climat celle d’impact en termes d’émission de gaz à effet de serre.

Le Conseil d’Etat estime par ailleurs que, si les dispositions rendant l’affichage obligatoire ou organisant une forme de stigmatisation de certains types de biens ou services, qui constituent le cœur des obligations nouvelles imposées par le texte, relèvent bien du domaine de la loi, il n’en va pas de même des dispositions relatives à la méthodologie et aux modalités de cet affichage environnemental au terme d’une phase d’expérimentation. Pour autant, il considère que le choix du Gouvernement, de présenter en un seul article de loi l’ensemble du dispositif, de sa mise en œuvre expérimentale jusqu’à sa généralisation, peut se justifier en l’espèce pour des motifs tenant au caractère étroitement solidaire des dispositions en cause.

Il convient en outre de préciser que, conformément à une pratique constante, le Conseil d’Etat considère que la mesure n’a pas, à ce stade, à être notifiée à la Commission européenne sur le fondement de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques. La notification peut être reportée jusqu’au moment de la mise au point de la mesure réglementaire sans laquelle le dispositif ne peut entrer en vigueur, et intervenir alors simultanément pour les dispositions législatives et réglementaires d’application.

Enfin, le Conseil d’Etat suggère de ne pas conserver les dispositions par lesquelles le Gouvernement entend rappeler la nécessaire prise en compte, dans la mise en œuvre de l’affichage environnemental, des particularités des collectivités d’outre-mer. Le principe constitutionnel d’adaptation des lois et règlements aux spécificités de ces collectivités trouvera en effet à s’appliquer si nécessaire, sous le contrôle du juge, sans qu’il soit besoin de le rappeler dans la loi.

Education à l’environnement et au développement durable

10. Le projet de loi crée dans le code de l’éducation un article L. 121-8 consacré à l’éducation à l’environnement et au développement durable. Ce nouvel article trouve sa place parmi d’autres dispositions de même nature relatives aux principes généraux de l’éducation et à la définition des objectifs et missions du service public de l’enseignement.

Malgré leur caractère très général, les dispositions de cet article ne sont pas sans portée normative : elles impliquent des aménagements des programmes par le pouvoir réglementaire afin que l’éducation à l’environnement et au développement durable soit dispensée tout au long de la formation scolaire et que l’ensemble des disciplines y concourent.

Le Conseil d’Etat propose néanmoins de retenir une rédaction plus resserrée que celle du projet initial, insistant sur la transmission des compétences et des connaissances permettant aux élèves de comprendre les enjeux environnementaux, sociaux et économiques du développement durable et de se préparer à l’exercice de leurs responsabilités de citoyens plus que sur la modification attendue de leurs comportements.

Elargissement des missions du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté constitué au sein de chaque collège et lycée

11. Le projet de loi comporte des dispositions ayant pour objet d’élargir à l’environnement et au développement durable les missions du comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté constitué au sein de chaque collège et lycée en application de l’article L. 421-8 du code de l’éducation.

Ces dispositions n’appellent pas d’objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel ni d’autres remarques de la part du Conseil d’Etat.

Encadrement et régulation de la publicité (chapitre II)

Interdiction de la publicité sur les énergies fossiles

12. Le projet de loi interdit la publicité pour les énergies fossiles.

Le Conseil d’Etat observe que la notion de publicité désigne « tout moyen d’information destiné à permettre au client potentiel de se faire une opinion sur les caractéristiques des biens ou services qui lui sont proposés », ainsi que cela résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation. A ce titre, toute restriction qui est apportée à la publicité est susceptible de porter atteinte à la liberté d’entreprendre, au droit de propriété ainsi qu’à la liberté d’expression et de constituer une entrave à la libre circulation des marchandises ou à la libre prestation de services.

Il résulte toutefois de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme ; décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, Loi de modernisation de notre système de santé), de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêt du 5 mars 2009, requête n° 13353/05, Hachette Filipacchi Presse Automobile et Dupuy c. France) et de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt du 4 mai 2017, affaire C-339/15, Luc Vanderborght) que le droit des professionnels à faire la publicité des biens et services qu’ils proposent peut faire l’objet de restrictions, voire d’interdictions, à la condition que ces mesures soient justifiées par un objectif d’intérêt général et qu’elles soient adaptées et proportionnées à cet objectif. En outre, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, Loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme) que de telles restrictions doivent être prévues par la loi.

A cette aune, le Conseil d’Etat relève, d’une part, que le Conseil constitutionnel a reconnu que la protection de l’environnement, qu’il a érigée en objectif de valeur constitutionnelle dans sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, peut justifier des atteintes à des principes de valeur constitutionnelle, tels que la liberté d’entreprendre, et, d’autre part, que la France est tenue par des engagements précis en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pris notamment dans le cadre de l’accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015, et déclinés en objectifs chiffrés contraignants édictés au niveau de l’Union européenne. Il relève également que l’exploitation et la consommation d’énergies fossiles contribuent aux émissions de gaz à effet de serre. Il en déduit qu’une mesure tendant à restreindre ou à interdire la publicité pour des biens ou des produits fortement consommateurs d’énergies fossiles, voire pour la consommation de telles énergies, pourrait être justifiée par le respect de ces engagements et objectifs, dès lors qu’elle permettrait de diminuer de manière significative l’émission de gaz à effet de serre.

Il relève cependant que les dispositions du projet énoncent un principe général d’interdiction de « la publicité en faveur des énergies fossiles » et renvoient le champ de cette interdiction au pouvoir réglementaire. Faute de précision sur le périmètre ou les effets attendus des mesures, l’étude d’impact se bornant à indiquer que la mesure permettrait de viser « l’essence, le gaz, les stations-services, les produits pétroliers, etc. », il regrette de n’avoir pu disposer d’éléments pour préciser le champ de l’interdiction envisagée. L’expression très générale utilisée par le projet de loi ne permet pas de savoir si l’interdiction vise uniquement des publicités directes pour une source d’énergie, n’incluant pas de référence à un produit utilisant l’énergie, ou si elle concerne aussi des publicités se référant à la fois à une énergie et à un produit consommateur d’énergie. Le Conseil d’Etat estime que faute de désigner les modes de publicité et les biens et énergies visés par une mesure d’interdiction, les dispositions du projet de loi pourraient être regardées comme entachées d’incompétence négative, mais également, dès lors que le dispositif prévoit des sanctions pénales, de méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.

Si le champ de l’interdiction devait être interprété comme ne visant que la publicité directe pour des sources d’énergie, et elles seules, le caractère peu fréquent de ces publicités directes et l’absence de référence à des modes de consommation ne permettent pas de considérer cette mesure d’interdiction comme adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi, qui est de diminuer la consommation des produits les plus fortement émetteurs de gaz à effet de serre.

Pour l’ensemble de ces motifs, le Conseil d’Etat ne peut retenir ces dispositions.

Codes de bonne conduite publicitaire sous l’égide du Conseil supérieur de l’audiovisuel

13. Le projet de loi introduit à l’article 14 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la communication audiovisuelle, relatif au contrôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) sur les émissions publicitaires, une disposition donnant compétence à l’autorité de régulation pour promouvoir des codes de bonne conduite ayant notamment pour objet de réduire les communications commerciales audiovisuelles relatives à des produits ayant un impact négatif sur l’environnement et à prévenir celles présentant favorablement l’impact environnemental de ces produits. Très directement inspirés de ceux dont le principe a été introduit, au même article 14, par l’ordonnance n° 2020-1642 du 21 décembre 2020 pour les communications commerciales à destination des enfants portant sur des données alimentaires ou des boissons, ces codes ont vocation à intégrer tout ou partie des engagements volontaires pris dans le cadre d’un « Contrat Climat » en cours de négociation entre opérateurs et annonceurs. Ces dispositions n’appellent aucune remarque particulière du Conseil d’Etat qui veille, dans la rédaction qu’il adopte, à ce que ces codes puissent inclure d’autres actions que celles expressément prévues par le projet de loi et propose de déplacer à l’article 18 de la loi du 30 décembre 1986 les dispositions relatives au bilan annuel des engagements pris dans le cadre de ces codes afin que ce bilan figure dans le rapport annuel du CSA.

Publicité dite « extérieure »

14. Le projet de loi comporte plusieurs dispositions relatives à la publicité dite « extérieure », régie par les articles L. 581-1 et suivants du code de l’environnement qui fixent, pour assurer la protection du cadre de vie, les règles applicables à la publicité et aux enseignes visibles de toute voie ouverte à la circulation publique.

15. Il fait du maire, agissant au nom de la commune, la seule autorité de police compétente en matière de publicité extérieure, alors qu’en l’état du droit, ce pouvoir de police est exercé alternativement par le préfet ou par le maire, au nom de la commune, lorsqu’y a été établi un règlement local de publicité pour adapter ou renforcer les prescriptions du règlement national, comme le permet l’article L. 581-14 du code de l’environnement. Il permet également le transfert de ce pouvoir de police au président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme ou de règlement local de publicité, selon les modalités prévues à l’article L. 5211-9-2 du code général des collectivités territoriales

Le Conseil d’Etat relève qu’aucune disposition ni aucun principe ne fait obstacle à ce que le maire devienne dans tous les cas, même en l’absence d’un règlement local de publicité, l’autorité chargée de veiller au respect des règles applicables en matière de police de la publicité extérieure, lesquelles, destinées à protéger le cadre de vie, présentent un intérêt local et n’interférent avec aucune prérogative régalienne. Il observe au demeurant que le projet maintient un pouvoir d’intervention du préfet en matière de publicité sur les immeubles présentant un caractère esthétique, historique ou pittoresque (article L. 581-4 du code de l’environnement) ou en matière d’affichage d’opinion et de publicité relative aux activités des associations sans but lucratif (article L. 581-13 du code de l’environnement).

Il relève en outre qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que ni le principe de la séparation des pouvoirs, ni aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle ne font obstacle à ce qu’une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission, dès lors que l’exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis (décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances, § 36 ; décision n° 2013-341 QPC du 27 septembre 2013, sur la majoration de la redevance d'occupation du domaine public fluvial pour stationnement sans autorisation, § 10). Il en déduit que le transfert au maire de la possibilité, aujourd’hui reconnue au préfet par l’article L. 581-26 du code de l’environnement, de prononcer une sanction administrative de 1 500 euros en cas de méconnaissance des dispositions prévues aux articles L. 581-4, L. 581-5, L. 581-6 et L. 581-24 de ce code ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel, dès lors, notamment, que cet article assortit cette possibilité de sanction de garanties pour la personne en cause.

16. Le projet du Gouvernement supprime la possibilité conférée au préfet par l’article L. 581 14 2 du code de l’environnement de se substituer au maire en cas d’inaction de ce dernier. Cette suppression ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel. S’il appartient au législateur de prévoir l’intervention du représentant de l’Etat pour remédier, sous le contrôle du juge, aux difficultés résultant de l’absence de décision de la part des autorités décentralisées compétentes en se substituant à ces dernières lorsque cette absence de décision risque de compromettre le fonctionnement des services publics et l’application des lois (décision n° 2007-559 DC du 6 décembre 2007, Loi organique tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, § 17 à 19 ; décision n° 2013-309 QPC du 26 avril 2013, § 3), le Conseil d’Etat relève en effet que le préfet disposerait de la possibilité de demander au maire de prendre une décision ou d’agir dans un sens déterminé, et, en cas de silence gardé sur cette demande, de déférer à la juridiction administrative la décision de rejet implicite en résultant, ainsi que l’a reconnu la décision de Section Commune du Port n° 167483 du 28 février 1997 du Conseil d’Etat statuant au contentieux. Cette voie de droit présente cependant moins de souplesse que le pouvoir de substitution que le droit en vigueur reconnaît au préfet pour remédier aux effets que pourrait avoir l’inaction du maire sur la protection du cadre de vie. Le Conseil d’Etat estime inopportun de supprimer cette faculté dont dispose aujourd’hui le préfet, au rebours de l’objectif même du projet de loi qui vise à renforcer la protection du cadre de vie. Il propose de modifier la rédaction du projet de loi afin de prévoir que le pouvoir de substitution du préfet ne pourra être mis en œuvre, le cas échéant, qu’après mise en demeure du maire restée sans résultat.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat constate qu’en faisant du maire l’autorité de police sur ces questions, le projet de loi procède, à l’égard des communes ou établissements publics de coopération intercommunale non dotés d’un règlement local de publicité, à un transfert de compétences au sens de l’article 72-2 de la Constitution, qui doit être compensé par un transfert de ressources équivalentes. Il propose de compléter le projet d’une disposition renvoyant la détermination de ces ressources à la loi de finances, ainsi que le permet la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui fait de cette compensation l’une des conditions de l’entrée en vigueur des dispositions en cause (décision n° 2003-487 DC du 18 décembre 2003, Loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, § 10 à 14).

Enfin, le Conseil d’Etat suggère, pour laisser le temps nécessaire aux collectivités concernées de s’y préparer, de reporter l’entrée en vigueur de ces dispositions au 1er janvier 2024.

17. Le projet de loi prévoit que les règlements locaux de publicité pourront réglementer les publicités et enseignes situées à l’intérieur des vitrines ou des baies d’un local à usage commercial, lorsque celles-ci sont destinées à être visibles d’une voie ouverte à la circulation publique.

Comme il a été dit au point 12, il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que des restrictions peuvent être apportées par la loi à la liberté d’entreprendre et à l’exercice du droit de propriété, à condition cependant que ces mesures soient justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Le Conseil d’Etat relève que les dispositions envisagées par le projet ont pour objectif d’assurer la protection du cadre de vie, objectif dont le Conseil constitutionnel a reconnu qu’il était d’intérêt général dans sa décision n° 2012-282 QPC du 23 novembre 2012, en relevant notamment qu’il ne permet pas à l’autorité administrative compétente d’exercer un contrôle préalable sur le contenu des messages publicitaires affichés.

Il estime toutefois qu’en étendant le champ de la police de la publicité dite « extérieure », pour permettre d’encadrer, par un règlement local, les publicités et enseignes situées à l’intérieur d’un local commercial, ces dispositions sont susceptibles de porter une atteinte disproportionnée notamment au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre, sauf à ce qu’elles soient précisément encadrées par la loi et adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Dès lors que, par cette mesure, le Gouvernement entend limiter le recours aux écrans lumineux, qui sont une importante source de pollution visuelle, ainsi que cela ressort de l’exposé des motifs du projet de loi et de l’étude d’impact, le Conseil d’Etat propose de resserrer le champ des publicités et enseignes qui pourront être réglementées aux seules publicités et enseignes lumineuses, en précisant que les prescriptions édictées par le règlement local de publicité porteront sur l’emplacement, la dimension et la puissance lumineuse de ces dispositifs. Il suggère d’exempter de formalité préalable le respect de ces prescriptions, seuls les dispositifs les plus susceptibles de porter atteinte au cadre de vie pouvant être soumis à l’autorisation préalable du maire. Enfin, il complète la rédaction du projet en renvoyant la définition des modalités d’application de ces dispositions à un décret en Conseil d’Etat, lequel devra notamment veiller à l’articulation entre ces dispositions et celles, prévues aux articles L. 583-1 et suivants du code de l’environnement, relatives à la prévention des nuisances lumineuses.

Le Conseil d’Etat estime qu’ainsi précisées, ces dispositions du projet de loi ne portent pas par elles-mêmes une atteinte disproportionnée aux droits et libertés constitutionnels.

18. Enfin, le projet de loi prévoit de permettre à l’autorité de police compétente de prononcer une sanction administrative de 1 500 euros en cas de méconnaissance des dispositions prises sur le fondement de l’article L. 581-15 du code de l’environnement, qui permet de réglementer la publicité sur les véhicules terrestres, sur l’eau ou dans les airs.

Le Gouvernement envisage d’interdire par voie réglementaire sur le fondement de cet article la publicité opérée au moyen d’une banderole tractée par un aéronef et les dispositions du projet visent à assortir cette interdiction d’une sanction administrative.

Le Conseil d’Etat relève que le pouvoir réglementaire peut légalement, en application de l’article L. 581-15 du code de l’environnement, réglementer ces modes de publicité particuliers, à la condition que les mesures ainsi prévues soient justifiées par un objectif d’intérêt général et soient adaptées et proportionnées à cet objectif. Il estime qu’à ce titre l’interdiction d’une pratique publicitaire est susceptible d’être justifiée au regard de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement.

Il observe que la méconnaissance des règlementations édictées sur le fondement de l’article L. 581-15 du code de l’environnement est passible de l’amende pénale prévue à l’article L. 581 34 du même code. La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative au principe « non bis in idem » ne fait cependant pas obstacle à ce que le législateur prévoie qu’un même manquement puisse être sanctionné d’une amende administrative et d’une sanction pénale, sous réserve que le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l’une des sanctions (décision n° 2012-266 QPC du 20 juillet 2012, sur la perte de l’indemnité prévue en cas de décision administrative d’abattage d’animaux malades ; décision n° 2019-783 QPC du 17 mai 2019, sur le cumul de poursuites et de sanctions en cas de dépassement du plafond de dépenses par un candidat à l’élection présidentielle). Pour répondre à l’intention du Gouvernement, il suggère de modifier la rédaction des dispositions du projet pour en resserrer le champ d’application aux publicités réalisées dans des lieux, sur des emplacements ou selon des procédés interdits en application de l’article L. 581-15 du code de l’environnement. Il estime qu’ainsi précisée, la sanction envisagée ne présente pas un caractère disproportionné par rapport aux manquements qu’elle a pour objet de sanctionner.

Expérimentation de l’interdiction de distribuer des imprimés publicitaires non adressés

19. Le projet de loi permet d’expérimenter, sur une partie du territoire national et pendant trois ans, un dispositif d’interdiction de la distribution dans les boîtes aux lettres d’imprimés publicitaires non adressés, afin de réduire le volume de déchets papiers associés.

Le Conseil d’Etat relève que depuis 2004, dans le cadre du premier Plan national de prévention des déchets, a été mis en place le dispositif, dénommé « Stop Pub », mettant à la disposition des personnes qui souhaitent manifester leur refus de recevoir les publicités non adressées un autocollant à apposer sur leur boîte aux lettres. Depuis le 1er janvier 2021, la méconnaissance de ce refus peut être sanctionnée d’une amende de 1 500 euros, en vertu de l’article L. 541-15-15 du code de l’environnement, introduit par la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

Pour aller plus loin en interdisant la distribution de tels imprimés, sauf chez les personnes ayant expressément indiqué par une mention apposée sur leur boîte aux lettres leur souhait d’en recevoir, le Gouvernement souhaite, compte tenu des incertitudes dont fait état l’étude d’impact quant aux conséquences économiques et sociales d’une telle mesure, l’expérimenter sur une partie du territoire avant d’envisager son éventuelle généralisation.

En premier lieu, comme il a été dit précédemment, le droit des professionnels à faire la publicité des biens et services qu’ils proposent peut faire l’objet de restrictions, à la condition que ces restrictions soient justifiées par un objectif d’intérêt général et qu’elles soient adaptées et proportionnées à cet objectif. Le Conseil d’Etat relève que la mesure envisagée répond à l’objectif prioritaire de prévention des déchets, énoncé par l’article 4 de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets, introduit en droit interne à l’article L. 541-1 du code de l’environnement, et que le Conseil constitutionnel a qualifié d’objectif d’intérêt général dans sa décision n° 2015-718 DC du 13 août 2015. En outre, il relève que cette mesure n’interdit pas toute distribution d’imprimés publicitaires non adressés, mais la réserve aux personnes qui souhaitent expressément recevoir de tels imprimés, et ne restreint pas davantage les autres possibilités ouvertes aux professionnels pour faire connaître les biens et services qu’ils proposent, tels que la publicité adressée par courrier ou par voie numérique par exemple. Il estime, par suite, que cette mesure présente un caractère justifié, adapté et proportionné.

En second lieu, il relève que le recours à une expérimentation est opportun pour évaluer les effets d’une telle mesure. Dès lors que sa mise en œuvre sur une partie du territoire est de nature à entraîner une rupture d’égalité entre les professionnels concernés, et que la réglementation des obligations reposant sur les professionnels en matière de publicité relève des compétences de l’Etat, et non des collectivités territoriales, le Conseil d’Etat estime que cette expérimentation relève du cadre fixé à l’article 37-1 de la Constitution, qui dispose : « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».

Il s’assure donc que les dispositions du projet de loi respectent les conditions fixées par le Conseil constitutionnel pour recourir à une expérimentation sur ce fondement (décision n°2004 503 DC du 12 août 2004, Loi relative aux libertés et responsabilités locales, § 9), en vérifiant notamment que l’objet et les conditions de cette expérimentation sont précisément définis. A cette fin, il propose de modifier la rédaction pour préciser les finalités de l’expérimentation et prévoir qu’un rapport devra être remis au Parlement six mois avant le terme fixé, afin que celui-ci puisse décider, le cas échéant, de la pérennisation de la mesure. S’agissant du champ territorial de la mesure, il propose de préciser que l’expérimentation sera conduite dans des collectivités territoriales ou groupements de collectivités territoriales ayant défini un programme local de prévention des déchets ménagers et assimilés, qui seront désignés par décret, afin de permettre la définition de territoires pertinents au regard de l’expérimentation.

Enfin, le Gouvernement ne prévoyant pas d’assortir la mesure d’interdiction expérimentée d’une sanction, le Conseil d’Etat n’estime pas nécessaire d’exclure l’application concomitante de la mesure expérimentée et de la sanction prévue à l’article L. 541-15-15 du code de l’environnement.

Interdiction de la distribution d’échantillons

20. Pour atteindre l’objectif d’une réduction substantielle de la distribution gratuite d’échantillons dans le cadre d’une démarche commerciale, le projet de loi prévoit l’interdiction, dans un délai de six mois après la publication de la loi, d’une telle distribution en l’absence de demande expresse du consommateur, en réservant la possibilité pour ce dernier de recueillir le contenu de l’échantillon dans un contenant lui appartenant. À cette fin, le projet procède à l’inscription de la distribution non sollicitée d’échantillon au nombre des pratiques commerciales agressives dont la liste figure à l’article L. 121-7 du code de la consommation.

Le Conseil d’Etat estime que, s’il est loisible au Gouvernement de prévoir le principe d’une telle interdiction, dans la mesure où elle relève d’une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la poursuite de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre, la qualification juridique retenue ne convient pas. En effet, d’une part, la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, laquelle est d’harmonisation maximale, fait obstacle à un allongement de la liste des pratiques agressives dans le sens du projet du Gouvernement ; d’autre part et en tout état de cause, la fourniture d’échantillons non sollicités ne peut être assimilée à une pratique commerciale agressive, au vu de la définition qu’en donne l’article L. 121-6 du code de la consommation et de la liste constituée par les sept items de l’article L. 121-7.

Aussi le Conseil d’Etat suggère-t-il, pour atteindre l’objectif recherché, d’inscrire plutôt l’interdiction en cause dans le code de l’environnement, en la rattachant à la politique de prévention des déchets. Pourrait ainsi être complété l’article L. 541-15-10 de ce code, où figurent des dispositions récentes d’interdiction relatives aux pailles en plastique, aux agitateurs pour boissons ou aux tickets de caisse. Cette solution, au demeurant, ne serait pas en contradiction avec les objectifs poursuivis par la directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets et la directive 94/62/CE du 20 décembre 1994 relative aux emballages et aux déchets d’emballage.

Développement de la vente en vrac et de la consigne du verre (chapitre III)

Développement de la vente en vrac

21. Dans le prolongement de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire du 10 février 2020, dont l’article 41 a introduit aux articles L. 120-1 et L. 120-2 du code de la consommation tout à la fois une définition de la vente en vrac et des dispositions de nature à en encourager le développement, le Gouvernement souhaite, par un article présenté comme à caractère programmatique, afficher un objectif de 20 % de la surface de vente des commerces de détail ayant au moins la taille d’un supermarché consacré à la vente en vrac au 1er janvier 2030. Les détails de la poursuite de cet objectif seraient définis par décret.

Le Conseil d’Etat observe que la possibilité de faire figurer dans la loi un tel article dépourvu de portée normative est subordonnée au respect, s’agissant des lois de programmation, de l’antépénultième alinéa de l’article 34 de la Constitution, aux termes duquel : « Des lois de programmation déterminent les objectifs de l’action de l’Etat. ». Or l’objectif énoncé par le projet du Gouvernement ne concerne pas l’action de l’Etat mais il est assigné aux acteurs privés du secteur de la grande distribution. Par conséquent, le Conseil d’Etat ne peut qu’écarter cet article.

Généralisation, à partir de 2025, d’un système de consigne pour les emballages en verre à des fins de réemploi ou de réutilisation

22. Le projet de loi habilite le Gouvernement à rendre obligatoire, à partir de 2025, un dispositif de consigne pour tous les emballages en verre, à des fins de réemploi ou de réutilisation.

En complétant le II de l’article L. 541-10-11 du code de l’environnement, qui habilite déjà le Gouvernement à imposer aux producteurs et aux éco-organismes auxquels ils appartiennent la mise en place de dispositifs de consigne lorsque ceux-ci sont nécessaires à l’atteinte des objectifs nationaux ou européens de prévention ou de gestion des déchets, ces dispositions ont pour objet de préciser que le Gouvernement pourra imposer la généralisation d’un dispositif de consigne du verre en vue de sa réutilisation, et de fixer ainsi un objectif et un calendrier au pouvoir réglementaire pour la mise en œuvre éventuelle de cette obligation, sans présenter un caractère programmatique. Le recours à la consigne pour les emballages en verre à des fins de réemploi ou de réutilisation supposant la réorganisation de la filière, le Conseil d’Etat estime réaliste de n’en prévoir la généralisation qu’à partir de 2025, alors qu’en vertu de l’article 130 de la loi n° 2020 105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, les dispositions du II de l’article L. 541-10-11 du code de l'environnement permettent au Gouvernement d’imposer aux producteurs et éco-organismes agréés un dispositif de consigne à compter du 1er janvier 2023. A cette fin, il suggère d’indiquer plus clairement dans la loi, d’une part, que cette obligation ne pourra être mise en œuvre que si elle est nécessaire à l’atteinte des objectifs nationaux ou européens de prévention des déchets et sous réserve que son bilan environnemental global soit positif, et, d’autre part, que sa généralisation ne pourra pas entrer en vigueur avant le 1er janvier 2025.

En ce qui concerne le titre intitulé « Produire et travailler»

Dispositions tendant à « verdir » l’économie (chapitre Ier)

Disponibilité des pièces détachées

23. Un article du projet de loi apporte un complément à ce qu’a déjà prévu l’article 19 de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire au 1er janvier 2022 pour améliorer la disponibilité dans le temps des pièces détachées concernant les équipements électroménagers, les petits équipements informatiques et de télécommunications ainsi que les écrans et moniteurs, mentionnés à l’article L. 114-1 du code de la consommation, de même que le matériel médical mentionné à l’article L. 224-110 du même code. Seraient également concernés, à la même date et sous réserve de l’établissement d’une liste précise par décret en Conseil d’État, les outils de bricolage et de jardinage motorisés, les bicyclettes, y compris à assistance électrique, et les engins de déplacement personnels motorisés.

Le Conseil d’Etat ne voit aucun obstacle de principe à l’accroissement, à la fois dans le temps et en nombre de produits concernés, de la disponibilité de pièces détachées, dans l’objectif qu’à la mise au rebut – polluante et source de gaspillage – soit plus souvent substituée la réparation, ce qui reflète sur ce point également une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et la liberté d’entreprendre. Il observe d’ailleurs que des règlements d’exécution de la directive 2009/125/CE du 21 octobre 2009 sur l’écoconception prévoient des dispositions, applicables à partir du 1er mars 2021, allant dans le même sens, s’agissant par exemple des lave-linge, lave-vaisselle et réfrigérateurs.

Le Conseil d’Etat note que le Gouvernement, par saisine rectificative, accède à sa demande consistant à préciser, d’une part, les catégories d’équipements concernées et, d’autre part, la durée minimale de disponibilité des pièces détachées en cause. Il n’a plus, dès lors, que des suggestions rédactionnelles de précision à formuler, outre le souhaitable complément de l’étude d’impact mentionné ci-dessus.

Concours de la recherche aux objectifs de préservation de l’environnement et de réduction des émissions de gaz à effet de serre

24. Afin de s’assurer du concours de la recherche aux objectifs de préservation de l’environnement et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le projet comporte des dispositions ayant pour objet d’imposer la cohérence de la stratégie nationale de recherche prévue par l’article L. 111-6 du code de la recherche avec la stratégie bas-carbone mentionnée à l’article L. 222-1 B du code de l’environnement.

Ces dispositions n’appellent pas d’objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel ni d’autres remarques de la part du Conseil d’Etat.

Prise en compte de considérations environnementales dans les marchés publics

25. Le projet modifie le code de la commande publique afin que l’environnement soit mieux pris en compte dans les conditions de passation et d’exécution des marchés publics.

La modification du second alinéa de l’article L. 2112-2 de ce code impose la prise en compte des considérations environnementales dans les conditions d’exécution des marchés précisées par leurs clauses, ce qui n’est actuellement qu’une faculté. Néanmoins, cette obligation, alors que la prise en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, au domaine social, à l’emploi ou à la lutte contre les discriminations demeure facultative, ne crée pas de hiérarchie entre ces différentes considérations ni n’instaure une prééminence de celles tirées de la protection de l’environnement sur les autres. Elle impose simplement que l’environnement soit pris en compte lors de la rédaction des clauses du marché, sans empêcher que d’autres considérations, notamment sociales ou économiques, le soient au même titre.

La modification du premier alinéa de l’article L. 2152-7 du code de la commande publique a pour objet d’imposer la prise en compte des caractéristiques environnementales de l’offre par l’un au moins des critères d’attribution du marché. Le Conseil d’Etat souligne que ces nouvelles dispositions ne sauraient avoir pour effet de déroger à l’exigence du choix de l’offre économiquement la plus avantageuse ni à la condition que les critères d’attribution soient objectifs, précis et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution, le respect de ces règles étant imposé par les directives européennes (article 67 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014 et article 82 de la directive 2014/25/UE du 26 février 2014) et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland, aff. C-513/99, point 69).

Le Gouvernement souhaitant que ces nouvelles exigences ne s’appliquent pas aux marchés de défense ou de sécurité, la rédaction est complétée en ce sens, cette exclusion n’appelant pas d’objection d’ordre juridique. Il en va de même de l’absence d’extension des dispositions aux concessions, qui toutefois soulève plus d’interrogations en termes d’opportunité et de cohérence. En effet, le recours à ce type de contrats de la commande publique, qui sont en outre généralement d’une durée longue voire très longue, est fréquent dans des secteurs, tels ceux du transport ou de l’assainissement, où la prise en compte des considérations environnementales est particulièrement pertinente. Par ailleurs, l’exclusion des concessions a pour effet de ne pas appliquer les nouvelles obligations à des contrats dont un risque d’exploitation est certes transféré à l’opérateur économique, mais dont l’objet peut être similaire à celui de marchés publics qui, eux, y seront soumis.

Il est vrai cependant, comme le fait valoir le Gouvernement, que, le plus souvent, des réglementations particulières imposent le respect de l’environnement dans les secteurs précités et que la réforme pourra être étendue aux concessions après qu’en auront été mesurés les effets sur les marchés publics. Comme indiqué au point 4, il conviendrait toutefois que l’étude d’impact évoque ces questions et justifie le choix du Gouvernement.

Le projet prévoit une entrée en vigueur des dispositions relatives aux marchés publics à une date fixée par décret et au plus tard à l’issue d’un délai de cinq ans. Le Conseil d’Etat relève la durée particulièrement longue de ce délai mais l’admet cependant, le Gouvernement faisant valoir que ces cinq ans sont en cohérence avec la durée du prochain plan national d’action pour les achats publics durables, qu’ils laissent le temps aux acheteurs publics de se former à la prise en compte des considérations environnementales dans les marchés publics et que, en tout état de cause, une entrée en vigueur plus précoce est permise.

 Adaptation de l’emploi à la transition écologique (chapitre II)

26. Le projet de loi comprend quatre mesures modifiant le code du travail et tendant à renforcer l’accompagnement des salariés et des entreprises dans la transition écologique ainsi qu’à encourager le dialogue social et territorial sur ces enjeux.

En premier lieu, le projet de loi prévoit que l’adaptation des emplois et des conditions de travail aux enjeux de la transition écologique devient un sujet de négociation collective dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) au niveau de la branche, au sein des entreprises de plus de 300 salariés ainsi que des entreprises et groupes d’entreprises de dimension communautaire comprenant une entreprise ou un établissement d’au moins 150 salariés en France. L’objectif poursuivi est d’anticiper les effets de la transition écologique sur l’évolution de la structure des emplois et sur les besoins de formation futurs des salariés.

En deuxième lieu, le projet de loi élargit le champ des attributions des comités sociaux et économiques (CSE). Il prévoit que ces comités seront informés et consultés sur les conséquences environnementales, d’une part, des mesures qui leur sont présentées et, d’autre part, de l’activité de l’entreprise.

En troisième lieu, le projet de loi complète la composition des comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (CREFOP), en prévoyant la désignation de deux représentants des acteurs de la transition écologique sur le territoire, par le représentant de l’Etat après avis du président du conseil régional et du conseil économique, social et environnemental régional. Le projet de loi cherche ainsi à renforcer la prise en compte au sein de cette instance des métiers et formations de la transition écologique.

En quatrième et dernier lieu, le projet de loi confie aux opérateurs de compétences (OPCO) une nouvelle mission, d’une part, d’information des entreprises sur les enjeux liés à l’environnement et au développement durable, et, d’autre part, d’accompagnement dans leurs projets d’adaptation à la transition écologique, notamment en ce qui concerne leurs besoins en compétences.

27. Le Conseil d’Etat estime qu’aucun principe juridique ne fait obstacle à l’adoption de ces dispositions. Il rappelle, toutefois, que la GPEC couvre un champ de négociation collective portant sur des questions plus générales que la seule adaptation aux enjeux de la transition écologique. Il considère ensuite que les termes « d’acteurs de la transition écologique sur le territoire » ne définissent pas de manière suffisamment précise les personnes susceptibles d’être désignées au sein du CREFOP et privilégie ceux de « personnes qualifiées dans le domaine de la transition écologique ». Il ne retient pas, enfin, la disposition fixant leur nombre et leurs modalités de désignation au sein du CREFOP, la fixation de ce nombre et de ces modalités relevant du pouvoir réglementaire dès lors que la loi a fixé le principe d'une telle représentation.

Ecosystèmes et diversité biologique (chapitre III)

28. Le chapitre III intitulé « Protéger les écosystèmes et la biodiversité » comporte, dans la version de la saisine, deux articles. Le second ayant lui-même deux objets distincts, le Conseil d’Etat préfère le scinder en deux articles. Il en modifie l’intitulé par souci de cohérence avec la terminologie suggérée par le Conseil d’Etat lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement.

29 Le premier des trois articles de ce chapitre, ainsi réorganisé par le Conseil d’Etat, d’une part, modifie l’article L. 210-1 du code de l’environnement pour y préciser la définition des principes généraux mis en œuvre en matière de protection de l’eau et, d’autre part, ajoute à la définition générale des zones humides figurant déjà à l’article L. 211-1 du même code, une liste de grands types d’écosystèmes répondant à cette définition. Si le Conseil d’Etat admet la première de ces modifications dans la mesure où, bien que peu normative, elle éclaire la notion de « respect des équilibres naturels » figurant déjà à l’article L. 210-1 de ce code, en revanche, il estime ne pas pouvoir conserver la seconde : l’introduction dans la loi d’une énumération, qui plus est non exhaustive, à visée purement illustrative n’est pas justifiée.

30. Le deuxième article apporte des modifications substantielles à plusieurs articles du code minier relatifs aux travaux miniers, notamment à l’arrêt des travaux. Le Conseil d’Etat constate qu’à cette occasion, le projet de loi soit acclimate au droit minier des principes applicables en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement (le principe général de la prescription trentenaire dégagée par la décision de l’assemblée du contentieux du Conseil d'Etat du 8 juillet 2005, Société Alusuisse-Lonza-France, en matière d’extinction de l’obligation de remise en état pesant sur les exploitants d’ICPE), soit importe dans le code minier, sans modification, des dispositions actuelles du code de l’environnement (la possibilité d’ouvrir, aux fins d’obtenir la prise en charge financière des obligations de remise en état, une action en responsabilité à l’encontre de sociétés mères en cas d’insuffisance de l’actif des filiales figurant à l’article L. 512-17 du code de l’environnement). Il attire l’attention du Gouvernement sur l’intérêt qu’il y aurait à envisager des mesures complémentaires afin de couvrir d’autres hypothèses que celles envisagées par ces dispositions ou de prendre en compte certaines spécificités minières. Il réaménage à cette fin, dans la version qu’il adopte, certaines des habilitations figurant à l’article suivant.

31. Enfin, le dernier de ces trois articles habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, les mesures législatives nécessaires à une réforme du droit minier. Le Conseil d’Etat ne peut que se féliciter de l’engagement d’une réforme devenue indispensable. Il ne formule pas d’autres observations sur la rédaction des objectifs et du champ d’application des ordonnances, nécessairement détaillée et précise s’agissant d’une habilitation à modifier certaines dispositions de ce code et non à procéder à sa recodification.

Encouragement des énergies renouvelables (chapitre IV)

Déclinaison de la programmation pluriannuelle de l’énergie en objectifs régionaux

32. Le projet de loi prévoit la déclinaison en objectifs régionaux des objectifs nationaux fixés par la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L 141-1 du code de l’énergie en matière de développement des énergies renouvelables et des énergies de récupération. Il prévoit que les objectifs et les règles générales des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) mentionnés à l’article L. 4251-1 du code général des collectivités territoriales et, en Ile–de–France, les objectifs du schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie mentionné à l’article L. 222-1 du code de l’environnement, doivent être compatibles avec ces objectifs régionaux. Afin d’assurer cette compatibilité, leur modification ou leur révision devra être engagée dans les six mois de l’intervention du décret fixant ces objectifs régionaux. Le but de ces dispositions est de faire en sorte que la somme des objectifs de ces schémas en matière de développement des énergies renouvelables et de récupération permette d’atteindre au moins l’objectif fixé au niveau national par la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Le projet du Gouvernement prévoit que ces objectifs régionaux sont des objectifs minimaux, qui peuvent être dépassés par les schémas régionaux. Le Conseil d’Etat relève que cette mention a pour conséquence d’exiger la conformité des objectifs des schémas régionaux aux objectifs régionaux fixés par décret, ce qui est incohérent avec le rapport de compatibilité prévu entre ces schémas et ces objectifs régionaux. Il ne retient donc pas cette précision, qui n’est d’ailleurs pas nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par les dispositions du projet. En effet, eu égard à l’objectif général de développement des énergies renouvelables, le rapport de compatibilité implique qu’un schéma peut fixer des objectifs de développement de telles énergies supérieurs aux objectifs régionaux fixés par décret, mais ne peut fixer un objectif inférieur à l’objectif régional que pour des motifs sérieux cohérents avec les objectifs généraux de la programmation pluriannuelle de l’énergie.

Le Conseil d’Etat considère que ces dispositions, qui sont justifiées par l’objectif constitutionnel de préservation de l’environnement, ne méconnaissent pas le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales. Toutefois, il suggère, afin de mieux encadrer le décret fixant les objectifs régionaux, de compléter la rédaction de ces dispositions afin de préciser que les objectifs régionaux fixés par le décret tiennent compte des ressources régionales mobilisables.

Ces dispositions n’appellent pas d’autre remarque du Conseil d’Etat, sous réserve des observations formulées au point 7.

Autres dispositions

33. Le chapitre prévoit par ailleurs que le volet de la programmation pluriannuelle de l'énergie traitant notamment du développement équilibré du pilotage de la demande d'énergie a pour but de favoriser non seulement comme actuellement la production locale d'énergie, mais aussi le développement de communautés d’énergie renouvelable et de communautés énergétiques citoyennes. Il modifie en outre l’article L. 111-18-1 du code de l’urbanisme, modifié en dernier lieu par la loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, qui prévoit que les nouveaux entrepôts, supermarchés et parkings couverts de plus de 1 000 m2 au sol doivent avoir 30 % de leur surface de toiture ou d’ombrières, soit recouverte de panneaux solaires, soit végétalisée. Il abaisse le seuil, de 1000 m2 actuellement, à 500 m2 et étend cette obligation aux extensions de bâtiments existants créant plus 500 m2 de surfaces supplémentaires, ainsi qu’aux constructions destinées au commerce de gros.

Ces dispositions n’appellent pas d’objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel ni d’autres observations de la part du Conseil d’Etat.

En ce qui concerne le titre intitulé « Se déplacer »

Solutions alternatives à la voiture individuelle et transition vers un parc de véhicules plus respectueux de l’environnement (chapitre Ier)

34. Le projet précise à l’article L. 1214-2 du code des transports les indications devant figurer dans les plans de mobilité relatives aux caractéristiques des parcs de rabattement destinés à accueillir les véhicules près des gares ou entrées de villes. Il prévoit par ailleurs, à l’article L. 2213-2 du code général des collectivités territoriales, que des places de stationnement peuvent être réservées dans ces parkings aux véhicules des usagers des transports en commun. Si cette catégorie est très large, le Conseil d’Etat estime judicieux, comme le prévoit le projet, de ne pas renvoyer au décret le soin de préciser quelles personnes seront effectivement concernées. Il appartiendra aux autorités de police compétentes de fixer des règles au cas par cas, en fonction des circonstances locales.

35. L’article L. 2213-4-1 du code général des collectivités territoriales prévoit la création de zones à faible émission mobilité (ZFE) dans les zones exposées à des dépassements de normes de qualité de l’air. Elles permettent d’édicter des mesures de restriction de circulation pour les véhicules les plus polluants. Le projet de loi rend obligatoires ces zones dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants. Comme d’autres actions prévues par le projet de loi, cette mesure tend à mieux respecter les obligations découlant de la législation de l’Union européenne en matière de normes de qualité de l’air, compte tenu de la décision d’Assemblée du Conseil d’Etat du 10 juillet 2020, Association Les amis de la Terre France et autres, n° 428409. Le Conseil d’Etat estime qu’il est opportun, comme le prévoit le projet, en sortant d’une logique de seuils trop rigide, de permettre de dispenser de création de ZFE des zones de faible population, pour lesquelles d’autres mesures s’avèrent plus appropriées, et celles où peuvent être mises en œuvre des solutions alternatives.
Le projet prévoit également que, dans les ZFE rendues obligatoires où sont constatés des dépassements réguliers de ces normes, l’autorité locale compétente doit adopter des mesures progressives de restriction de la circulation de certaines catégories de véhicules particulièrement polluants. Dès le 1er janvier 2023, seront exclus les véhicules diesel antérieurs au 31 décembre 2000 et les véhicules à essence antérieurs au 31 décembre 1996 (vignette Crit’Air 5). Ceux disposant des vignettes Crit’Air 3, 4, 5 et NC seront tous interdits de circulation en 2025.
Si les conséquences pour les propriétaires des véhicules concernés sont potentiellement lourdes, le Conseil d’Etat, compte tenu du caractère progressif du dispositif proposé, fondé sur des éléments objectifs et rationnels tirés de l’ancienneté et du type de motorisation des véhicules, qui sont en rapport direct avec la finalité d’intérêt général poursuivie, du rythme d’obsolescence des voitures au regard de normes européennes de plus en plus exigeantes et des mesures fiscales d’accompagnement, n’identifie pas d’obstacle constitutionnel à cette mesure, qui n’est pas disproportionnée au regard des motifs impérieux de santé publique et de protection de l’environnement qui la justifient.

36. Le projet prévoit la création à titre expérimental, pendant trois ans, de voies réservées sur les autoroutes et routes express du réseau routier national et du réseau routier départemental hors agglomération desservant les ZFE pour les véhicules de transport en commun, les taxis, ainsi que les véhicules servant au covoiturage ou à très faibles émissions. Le Conseil d’Etat n’identifie pas, notamment au regard du principe d’égalité, d’objection de principe à cette mesure qui est déjà possible sur certaines voies et est au demeurant pratiquée avec succès dans un certain nombre de pays. Elle ne fait pas double emploi avec l’article L. 411-8 du code de la route, qui ne prévoit qu’une simple faculté de créer des voies réservées sur les voies du réseau routier national et départemental hors agglomération et ne vise pas spécifiquement les voies desservant les ZFE.

37. Le projet prévoit à l’article L. 2121-3 du code des transports que les régions, autorités organisatrices des services de transport ferroviaire de voyageurs d'intérêt régional, doivent proposer des tarifs permettant de favoriser l’usage des transports collectifs par rapport aux transports individuels. Cette mesure, qui laisse une grande liberté aux régions pour fixer le niveau de cette incitation tarifaire et ne porte donc pas atteinte à leur libre administration, n’appelle pas d’objections. Le Conseil d’Etat relève cependant que la rédaction du projet n’inclut pas l’Ile-de-France, ce qui pourrait soulever des difficultés au regard du principe d’égalité. Il propose donc de modifier l’article L. 1241-2 du même code pour étendre cette mesure à Ile-de-France Mobilités.

38. L’article 73 de la loi d’orientation des mobilités énonce que la France se fixe, d'ici à 2050, un objectif de décarbonation complète du secteur des transports terrestres. S’y ajoutent divers objectifs intermédiaires tendant à réduire la part des véhicules polluants. Le projet issu de la quatrième saisine rectificative modifie cet article afin de prévoir que l’action des pouvoirs publics tend à ce que, d’ici le 1er janvier 2030, les voitures particulières émettant moins de 95 gCO2/km selon la norme NEDC ou moins de 123 gCO2/km selon la norme WLTP représentent au minimum 95% des ventes de voitures particulières neuves. Cette disposition assigne un objectif à l’action de l’Etat en vue de l’adoption de mesures destinées à les mettre en œuvre, telles que celles qui tendent à accélérer le rythme de renouvellement du parc automobile au profit de véhicules plus respectueux de l’environnement (« bonus-malus » écologique sur l’achat des véhicules, restrictions de circulation des véhicules anciens fortement émetteurs…). Elle revêt donc bien un caractère programmatique.  Comme indiqué au point 4, il appartiendra au Gouvernement de modifier l’étude d’impact pour tenir compte de la nouvelle rédaction.

Transport routier de marchandises et réduction de ses émissions (chapitre II)

Trajectoire de suppression du remboursement partiel de TICPE sur le gazole routier

39. En matière de taxation du carburant utilisé par le secteur du transport routier de marchandises, le projet de loi se démarque de la proposition chiffrée adoptée par la Convention citoyenne sur le climat, qui consistait en une réduction annuelle, à hauteur de 3 centimes d’euros par hectolitre de gazole, du remboursement partiel de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) prévu à l’article 265 septies du code des douanes en faveur du secteur du transport routier de marchandises, jusqu’à sa suppression en 2030.

En lieu et place de cette proposition, le projet de loi prévoit, dans un article présenté comme étant de nature programmatique, que le Gouvernement présente au Parlement, à l’issue de la présidence française du Conseil de l’Union européenne du premier semestre 2022, un rapport dessinant une trajectoire de suppression en 2030 de ce remboursement partiel de TICPE, tenant compte d’éléments tels que le développement de l’offre de poids lourds fonctionnant sans gazole, la convergence en matière de fiscalité énergétique à l’échelon européen, ou encore le soutien budgétaire à la transition énergétique du secteur.

Le Conseil d’Etat prend acte du choix du Gouvernement de procéder par la voie du dépôt d’un rapport. Ses observations se bornent, par conséquent, à proposer une rédaction de l’article du projet de loi qui distingue mieux entre l’objectif poursuivi et les moyens que le Gouvernement se propose d’explorer pour l’atteindre.

40. Le projet habilite le Gouvernement, en s’inspirant d’une disposition similaire récente (article 13 de la loi n° 2019-816 du 2 août 2019 relative aux compétences de la Collectivité européenne d’Alsace), à légiférer par ordonnance afin de permettre la mise en place par les régions, dans le cadre d’une expérimentation, de contributions spécifiques assises sur les véhicules de transport routier de marchandises circulant sur les voies du domaine public routier national mises à leur disposition. Ces contributions peuvent également être perçues sur le trafic empruntant les voies du domaine public routier départemental qui supportent un report significatif de trafic en provenance de ces voies du fait de l’instauration de cette contribution. L’objectif est ainsi de mieux prendre en compte les coûts réels du transport de marchandises.
Le Conseil d’Etat relève que cette mesure ne soulève pas d’objections constitutionnelles ou conventionnelles dans son principe. Toutefois, s’il est envisageable d’instituer ces contributions sur des voies du domaine public routier départemental qui supportent un report significatif de trafic, conférer cette compétence aux régions est de nature à soulever des difficultés au regard du principe de libre administration et de l’interdiction énoncée à l’article 72 de la Constitution qu’une collectivité territoriale exerce une tutelle sur une autre. Cet article dispose certes que « lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune », ce qui peut être le cas quand par exemple une région exerce ses prérogatives d’autorité organisatrice de la mobilité. Mais la mesure ne semble pas pouvoir s’inscrire dans ce cadre. Il serait en outre paradoxal que la région bénéficie des contributions perçues sur les voies départementales, alors que ce sont les départements qui doivent assumer la charge des infrastructures dégradées par le report du trafic. Le Conseil d’Etat estime donc nécessaire de prévoir que la décision d’étendre ces contributions à leur voirie est prise par les départements.
Les mesures envisagées pouvant prendre des formes très différentes qui, à ce jour, ne sont pas arrêtées et seront tributaires des résultats des discussions avec les collectivités territoriales, le Conseil d’Etat veille à ce que l’habilitation consentie, tout en répondant aux exigences de l’article 38 de la Constitution, préserve des marges de manœuvre suffisantes au Gouvernement, notamment en matière fiscale, et indique sa finalité.

41. Le projet prévoit que la déclaration de performance extra-financière incluse dans le rapport de gestion des sociétés prévue par l’article L. 225-102-1 du code de commerce comporte des informations sur les postes significatifs d’émissions de gaz à effet de serre générées par leur activité et le plan d’action visant à les réduire. Cette mesure n’appelle pas d’observations du Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat n’estime pas devoir écarter la disposition prévoyant la réalisation d’un bilan national annuel des plans d’action, même s’il déplore la pratique consistant à introduire ce genre de mesure dans la loi. Il propose toutefois de modifier la rédaction pour indiquer, dans le respect de la séparation des pouvoirs, que ce bilan est rendu public non par le ministre chargé du climat mais par le Gouvernement.

Association des habitants aux actions des autorités organisatrices de la mobilité (chapitre III)

42. L’article L. 1231-5 du code des transports institue auprès des autorités organisatrices de la mobilité un comité des partenaires, associant des représentants des employeurs et des associations d'usagers ou d'habitants, qui est consulté sur différents sujets concernant la mobilité. Siègeront également dans ce comité, selon le projet de loi, des habitants tirés au sort. Cette mesure n’appelle pas d’observations du Conseil d’Etat.

Limitation des émissions du transport aérien et intermodalité entre le train et l’avion (chapitre IV)

Evolution de la taxe de solidarité sur les billets d’avion

43. S’agissant de la taxation du secteur du transport aérien de passagers sous la forme d’une « écocontribution », le Gouvernement ne reprend pas la proposition de barème chiffré substantiellement rehaussé pour la taxe de solidarité sur les billets d’avion, prévue à l’article 302 bis K du code général des impôts, émanant de la Convention citoyenne pour le climat. Il y substitue, après saisine rectificative, la présentation d’un rapport au Parlement, dans un délai d’un an après la publication de la loi, sur la mise en place d’un prix du carbone pour les opérateurs du transport aérien qui soit au moins équivalent, en 2025, au prix moyen constaté sur le marché du carbone pertinent. Ce rapport devra privilégier la piste d’un « dispositif européen », et à défaut explorer des mesures nationales telles que la hausse de la taxe de solidarité sur les billets d’avion.

Sur ce point également, le Conseil d’Etat prend acte du choix gouvernemental de procéder par voie de dépôt d’un rapport. Il se borne par conséquent à formuler des suggestions rédactionnelles tendant à mieux distinguer entre l’objectif poursuivi et les moyens dont la mise en œuvre est à étudier pour l’atteindre.

Interdiction de certains services réguliers de transport aérien intérieurs

44. L’article L. 6412-3 du code des transports est modifié afin de prévoir que les services réguliers de transport aérien public intérieurs sont interdits sur toute liaison également assurée sans correspondance et en moins de deux heures trente par voie ferrée, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’Etat.

Cet article appelle les observations suivantes du Conseil d’Etat.

La mesure, qui déroge au principe de liberté du trafic aérien intra-européen, est fondée sur l’article 20 du règlement (CE) n° 1008/2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l'exploitation de services aériens dans la Communauté, qui soumet les restrictions apportées par les Etats à cette liberté à des conditions de procédure et de fond exigeantes.

Le Conseil d’Etat relève, en premier lieu, que l’entrée en vigueur différée de cette mesure permettra au Gouvernement de respecter l’obligation de notification préalable à la Commission européenne et aux autres Etats membres de l’Union européenne prescrite par cet article.

En deuxième lieu, le Conseil d’Etat appelle l’attention du Gouvernement sur le fait que l’article 20 précité, qui n’a jamais reçu application, semble avoir été conçu afin de permettre aux Etats de faire face à des problèmes graves d’environnement présentant un caractère local et temporaire, ce qui n’est pas le cas des émissions de gaz à effet de serre. Il estime toutefois qu’il ne peut être exclu, compte tenu du changement de contexte depuis l’adoption du règlement, marqué par le constat largement partagé d’une urgence climatique, par nos engagements internationaux, tels que ceux résultant de l’accord de Paris, et par les positions récemment prises par la Commission européenne (Pacte vert pour l’Europe), que cet article puisse fonder cette dérogation. Il appartiendra à la Commission européenne d’apprécier, au vu des éléments d’information qui lui seront transmis lors de la notification, si ses conditions d’application sont remplies.

Le Conseil d’Etat estime, en troisième lieu, que ces dispositions ne soulèvent pas d’autre difficulté, constitutionnelle ou conventionnelle de principe, dès lors que la mesure est limitée au territoire français et qu’elle ne semble pas disproportionnée au regard de l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement qu’elle poursuit, compte tenu de la durée maximale du trajet alternatif, des caractéristiques des liaisons ferroviaires de substitution et des aménagements prévus pour les services qui assurent majoritairement le transport de passagers en correspondance ou qui offrent un transport aérien majoritairement décarboné.

En quatrième lieu, le Conseil d’Etat observe que le projet est silencieux sur les conditions dans lesquelles sera appréciée la durée de ce trajet. Eu égard à la portée de la mesure, qui est susceptible d’affecter la liberté d’entreprendre ou de circulation et peut avoir des incidences concurrentielles, il convient qu’il soit plus explicite. Le Conseil d’Etat propose en conséquence de modifier la rédaction, afin de préciser que sont concernés les trajets assurés par les voies du réseau ferré national par plusieurs liaisons quotidiennes de moins deux heures trente. Il reviendra au décret de préciser l’application de cette condition de durée du trajet ferroviaire, en tenant compte de l’article 20 du règlement européen n° 1008/2008 qui impose que le service alternatif soit suffisant.

En cinquième et dernier lieu, le Conseil d’Etat estime également nécessaire, d’une part, de préciser, afin de rappeler le caractère temporaire d’une dérogation prise sur le fondement de l’article 20 du règlement européen n° 1008/2008, que la mesure fera l’objet d’une évaluation au terme d’une période de trois ans et, d’autre part, compte tenu des incertitudes sur les délais d’adoption de la loi et de son décret d’application ainsi que des exigences de notification préalables à la Commission européenne et aux autres Etats membres de l’Union européenne, dans un but de sécurité juridique, d’indiquer que ces dispositions entreront en vigueur le dernier dimanche d’octobre (début de la saison aéronautique d’hiver) de l’année qui suit la promulgation de la loi.

Interdiction de certaines créations ou extensions d’aérodromes

45. Le projet de loi introduit dans le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique un article L. 122-2-1 ayant pour objet d’interdire de déclarer d’utilité publique les travaux de création ou d’augmentation des capacités d’accueil d’un aérodrome, s’ils conduisent à augmenter les émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’année 2019. Diverses exceptions sont prévues, notamment pour les travaux relatifs à l’aérodrome de Nantes-Atlantique, compte tenu de l’abandon du projet de Notre-Dame des Landes, ou motivés par des raisons de sécurité, de défense nationale ou de mise aux normes réglementaire, pour les hélistations ou, pour des motifs de continuité territoriale, s’agissant des aérodromes situés dans une collectivité d’outre-mer. L’article renvoie au décret le soin de préciser les conditions d’application.

C’est la première fois que la loi prévoirait que certaines catégories de projets ne peuvent par principe bénéficier d’une déclaration d’utilité publique, indépendamment de leur intérêt intrinsèque. La mesure peut sembler contraire à la logique essentiellement pragmatique du régime de l’utilité publique. Le Conseil d’Etat estime toutefois qu’elle ne se heurte à aucune objection juridique de principe. Elle n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de l’environnement qu’elle poursuit, compte tenu des aménagements et exceptions prévus, sous réserve de limiter dans le temps la dérogation dont bénéficie l’aérodrome de Nantes-Atlantique, qui ne pourrait revêtir un caractère permanent sans méconnaître le principe d’égalité.

Le Conseil d’Etat observe aussi que la mesure peut trouver une justification dans le principe de prévention résultant de l’article 3 de la Charte de l’environnement. Il ressort de la décision du Conseil d’Etat statuant au contentieux du 9 juillet 2018, commune de Villiers-le-Bâcle, n° 410917 et 411030, que le juge amené à se prononcer sur l’utilité publique d’un projet doit apprécier sa légalité interne au regard du principe de prévention dans le cadre d’un pré-bilan environnemental autonome, qui n’est pas directement fondu dans le bilan de l’utilité publique. L’insuffisance des mesures, résultant de l’application de ce principe, tendant à éviter, réduire ou compenser les nuisances occasionnées peut donc conduire à faire obstacle au projet, quel que soit par ailleurs le bilan global de l’utilité publique. La disposition introduite par le projet de loi permettra ainsi de prévenir, dans un but de sécurité juridique, le lancement de lourds projets d’extension d’infrastructures aéroportuaires, dont le juge administratif, saisi d’un contentieux contre la déclaration d’utilité publique, pourrait constater tardivement l’illégalité.

Le Conseil d’Etat estime toutefois nécessaire d’apporter quelques compléments au projet. D’une part, il convient de préciser que les travaux et ouvrages concernés, sont ceux qui, augmentant les capacités d’accueil des aéronefs, des passagers ou du fret, ont pour effet d’entraîner une augmentation nette, après compensation, des émissions de gaz à effet de serre générées par l’activité aéroportuaire. D’autre part, le renvoi au décret en Conseil d’Etat pour fixer les conditions d’application de la mesure doit mentionner qu’il précise notamment les modalités, d’une part, de détermination des travaux et ouvrages concernés et, d’autre part, d’appréciation du respect de la condition relative à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Cette appréciation, selon la rédaction proposée par le Conseil d’Etat, tient compte de l’évolution prévisionnelle à moyen terme du trafic aérien par rapport à la date prévue d’achèvement de l’opération, des émissions des aéronefs et de leur compensation.

Compensation des émissions de gaz à effet de serre des vols intérieurs

46. Il est institué dans le code de l’environnement, aux articles L. 229-55 et suivants, un dispositif de compensation des émissions de gaz à effet de serre des vols opérés à l’intérieur du territoire national.  

Il existe déjà deux dispositifs analogues. Il s’agit d’abord du système européen de plafonnement et d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (SEQE-UE) résultant de la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003. L’aviation n’est concernée que pour les vols intra-européens. Les compagnies aériennes doivent restituer à titre onéreux chaque année autant de quotas d’émissions que leurs émissions vérifiées sur le marché européen du carbone. Elles bénéficient toutefois de quotas gratuits, dégressifs, qui représentent actuellement quelque 50 % de leurs quotas d’émissions.  Les vols entre la métropole et l’outre-mer ne sont pas inclus pour des motifs de continuité territoriale. Il s’agit ensuite du mécanisme « CORSIA » de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui oblige les compagnies aériennes, lorsque les Etats y souscrivent, à acheter des « crédits carbone » émis par des « programmes éligibles » pour compenser leurs émissions pour les vols internationaux. La plupart de ces programmes se situent dans les pays en voie de développement.

La mesure proposée a pour objet de contraindre les compagnies aériennes à compenser les émissions des vols intérieurs, hors vols en provenance ou à destination de l’outre-mer, sous peine de d’amendes administratives. La compensation est totale en fin d’année 2024.

Le Conseil d’Etat estime, en premier lieu, que cette mesure ne se heurte pas à des objections constitutionnelles de principe, au regard notamment de la liberté d’entreprendre et du droit de propriété. Elle est, en effet, complémentaire des dispositifs mentionnés ci-dessus et tend à mieux respecter les engagements internationaux de la France en matière de lutte contre le changement climatique. De caractère progressif, elle ne semble pas disproportionnée au regard de la finalité d’intérêt général de protection de l’environnement qu’elle poursuit, alors d’ailleurs que certaines compagnies aériennes ont d’ores et déjà décidé de s’engager dans des démarches de compensation de leurs émissions. Elle encouragera l’industrie à développer des motorisations moins polluantes. Elle peut, enfin, trouver une assise dans la Charte de l’environnement, notamment son article 3, selon lequel : « Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences » et son article 4, aux termes duquel : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi. ».  

Le Conseil d’Etat estime, en deuxième lieu, qu’elle ne se heurte pas non plus à des objections de principe à l’égard du droit européen. D’une part, ce dispositif de compensation des émissions est très différent du système européen de restitution à titre onéreux de quotas d’émissions, dans sa logique et ses effets, dont il apparaît ainsi complémentaire. Il est donc difficile de soutenir qu’il s’agit d’une mesure de protection renforcée devant être notifiée en vertu de l’article 193 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Le Conseil d’Etat estime toutefois souhaitable que le Gouvernement y procède, dès lors que ces dispositifs poursuivent une finalité commune. Cette notification ne conditionne, en tout état de cause, ni l’examen du projet par le Conseil d’Etat, ni l’adoption de la mesure. D’autre part, pour les mêmes raisons que celles qui viennent d’être indiquées tenant au caractère distinct des deux dispositifs et compte tenu de ce que la protection de l’environnement est un domaine de compétence partagé entre l’Union européenne et les Etats, la mesure ne semble pas contraire aux objectifs de la directive 2003/87/CE, même si elle conduit à cumuler les effets financiers des deux dispositifs pour les exploitants.

Le Conseil d’Etat observe toutefois, en troisième lieu, que cette mesure, qui s’ajoute à d’autres dispositions restrictives prévues par le projet de loi, est proposée dans le contexte d’une grave crise sanitaire, postérieure à la Convention citoyenne pour le climat, qui a bouleversé l’économie d’un secteur aérien déjà soumis à de multiples taxes et redevances. Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, aucune analyse du caractère soutenable des mesures projetées dans le contexte de la crise sanitaire n’apparaît dans l’étude d’impact. Les compagnies aériennes, dont le trafic s’est effondré, réduisant d’ailleurs ainsi fortement et durablement leurs émissions, seraient actuellement en faillite sans le soutien des Etats. Les perspectives d’un retour à leur niveau d’activité antérieur à moyen terme sont des plus incertaines. Enfin l’étude d’impact montre que l’estimation des coûts supplémentaires induits par cette mesure, dont les effets seraient concentrés sur le Groupe Air-France KLM, pourrait varier de manière très importante, selon les modalités d’application qui seront retenues, le coût total direct pour le secteur étant susceptible d’excéder sensiblement 60 millions d’euros dans l’hypothèse la moins favorable pour le secteur. Il en résulte que, si le Conseil d’Etat ne conteste nullement l’objectif de compensation de l’ensemble des émissions du secteur aérien, qui est conforme à nos engagements internationaux pour le climat et tend à mettre en œuvre les principes énoncés aux articles 3 et 4 de la Charte de l’environnement, et s’il est envisageable de soumettre à compensation les émissions correspondant aux quotas alloués à titre gratuit dans le système SEQE-UE, obliger les compagnies aériennes à compenser les quotas devant également être restitués à titre onéreux dans ce système, donc à payer deux fois pour la même tonne de carbone, paraît plus difficile à justifier. Le Conseil d’Etat propose, par suite, de prévoir que les quantités d’émissions de gaz à effet de serre devant être compensées en application de la présente section sont réduites à due concurrence des quotas d’émissions donnant lieu à restitution dans le système SEQE-UE, à proportion des vols intérieurs.

En quatrième et dernier lieu, si les projets d’absorption du carbone peuvent être réalisés, compte tenu du caractère global de la lutte contre les gaz à effet de serre, dans le monde entier, le Conseil d’Etat n’émet pas d’objection à la disposition prévoyant que doivent être privilégiés ceux réalisés sur le territoire français, qui ne semble pas contraire au droit de l’Union européenne. Elle risque toutefois de se heurter à des problèmes pratiques, compte tenu de la difficulté, en l’état des techniques disponibles, de réaliser de tels projets en France à des conditions financières acceptables. Le Conseil d’Etat propose en conséquence, avec l’accord du Gouvernement, d’étendre cette préférence au territoire des autres Etats membres de l’Union européenne.

En ce qui concerne le titre intitulé « Se Loger »

Rénovation des bâtiments (chapitre Ier)

Performance énergétique des bâtiments

47. Le projet du Gouvernement insère dans la partie législative du code de la construction et de l’habitation les définitions des niveaux de performance énergétique utilisés dans le diagnostic de performance énergétique (lettres A à G). Ces définitions relèvent du pouvoir réglementaire et n’ont pas vocation à figurer dans une loi. Le Conseil d’Etat propose donc de ne pas retenir ces dispositions.

48. Le projet modifie, pour le réduire, le champ d’application de l’obligation de réaliser un audit énergétique avant la vente d’un bien immobilier. Cette obligation concerne à ce jour, en application de l’article L. 126-28 du code de la construction et de l’habitation dans sa version applicable au 1er juillet 2021, issue de l’ordonnance n° 2020-71 du 29 janvier 2020, la « vente de tout ou partie d'un bâtiment », lorsque sa consommation énergétique primaire est supérieure ou égale à 331 kilowattheures par mètre carré et par an. Le projet de loi retire du champ d’application de cette exigence la vente de logements en copropriété.

Toutefois, le projet de loi instaure par ailleurs des exigences nouvelles sur les copropriétés. Comme tous les bâtiments d’habitation collective construits avant 2013, les copropriétés devront, selon un calendrier échelonné à compter de 2024, disposer d’un diagnostic de performance énergétique. Par ailleurs, en qualité de copropriétés, elles devront élaborer un plan pluriannuel de travaux destiné, notamment, au financement de travaux d’amélioration thermique.

Compte tenu de la latitude laissée au législateur par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, notamment sa décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, de modifier des textes antérieurs en leur substituant, le cas échant, d’autres dispositions, tout en prenant en compte le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement, le Conseil d’Etat estime que la substitution, en matière de performance énergétique, d’obligations collectives concernant l’immeuble en copropriété à une obligation limitée à la vente de chaque lot ne méconnaît pas une exigence constitutionnelle.

Performance énergétique des logements mis en location

49. Dans la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, le projet étend à la situation où le loyer est manifestement sous-évalué par rapport à ceux habituellement constatés dans le voisinage, le champ d’application des dispositions interdisant au propriétaire de rehausser le loyer de son bien à l’occasion d’un renouvellement ou d’un nouveau bail lorsque la consommation énergétique du logement est excessive. Le Conseil d’Etat estime que, compte tenu de l’objet de la mesure, qui est de conditionner toute hausse du loyer d’un logement à la réalisation de travaux lui permettant d’atteindre un niveau de performance énergétique suffisant, cette disposition ne porte pas atteinte au principe d’égalité.

50. Le projet modifie de manière purement rédactionnelle les dispositions combinées des articles 6 et 20-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs qui permettent déjà au locataire d’un logement dont la consommation énergétique dépasse un niveau fixé par décret en Conseil d’Etat, de saisir le juge afin d’obtenir la réalisation de travaux aux frais du bailleur permettant de satisfaire à ces conditions. Le Conseil d’Etat constate que la disposition prévoyant qu’au 1er janvier 2028, la performance thermique d’un logement ne pourra être inférieure à un certain niveau, relève de ce décret en Conseil d’Etat et que le pouvoir réglementaire peut d’ores et déjà, s’il le juge utile, le décider. Cette modification législative est donc inutile et le Conseil d’Etat propose de ne pas la retenir.

Service public de la performance énergétique de l’habitat

51. Le projet complète les missions du service public de la performance énergétique de l’habitat organisé aux articles L. 232-1 et L. 232-2 du code de l’énergie, pour y ajouter une mission d’accompagnement des ménages dans la définition et la réalisation des travaux d’amélioration thermique de leur logement.

Copropriété

52. Le projet du Gouvernement modifie sur deux points des dispositions de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ainsi que du livre VII du code de la construction et de l’habitation relatif aux immeubles relevant du statut de la copropriété, issues de la loi n° 2014-336 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, qui prévoient un diagnostic technique global facultatif des immeubles en copropriété (articles L. 731-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation), la possibilité d’adopter un plan pluriannuel de travaux (article L. 731-2 du code de la construction et de l’habitation) ainsi que l’obligation, à l'issue d'une période de cinq ans suivant la date de la réception de l’immeuble concerné, de constituer et d’abonder un fonds de travaux chaque année à hauteur de 5 % du montant du budget prévisionnel (article 14-2 de la loi du 10 juillet 1965).

En premier lieu, le projet de loi instaure, à l’issue d’un délai de quinze ans à compter de la date de réception de tout immeuble relevant du statut de la copropriété, une obligation de faire élaborer et de soumettre à l’assemblée générale des copropriétaires, un projet de plan pluriannuel de travaux et de le faire réviser tous les dix ans.

Ce projet de plan, qui a vocation à constituer un document moins lourd et moins coûteux que le diagnostic technique global, doit permettre aux copropriétaires de connaître l’état de l’immeuble, d’identifier les travaux relatifs à la sécurité, à la salubrité et à la réduction de la consommation d’énergie qui apparaissent indispensables pour les dix années suivantes, d’avoir une estimation de leur coût et de bénéficier d’une proposition de programmation de ces travaux en fonction de leur importance.

Toutefois, cette obligation n’est pas applicable si l’immeuble a fait l’objet d’un diagnostic technique global qui n’a fait apparaître aucun besoin de travaux dans les dix prochaines années. Par ailleurs, l’adoption du plan demeure, dans tous les cas, facultative.

En second lieu, le projet amende les dispositions existantes de la loi de 1965 relatives au fonds de travaux.

Ces amendements consistent à faire passer de cinq à dix ans le délai au terme duquel l’obligation de constituer un fonds de travaux s’impose, à corréler plus directement le fonds de travaux à l’éventuel plan pluriannuel de travaux adopté en recentrant ses dépenses sur les travaux relatifs à la sécurité, à la salubrité et à la réduction de la consommation d’énergie et enfin à prévoir que lorsque qu’un plan pluriannuel de travaux a été adopté, le montant de la cotisation annuelle ne peut être inférieur à 2,5% du montant estimé de ces travaux. En l’absence de plan adopté, cette cotisation demeure fixée à un minimum de 5% du montant du budget prévisionnel.

53. Le Conseil d’Etat relève tout d’abord que les dispositions modifiées par le projet de loi, dans une version où le diagnostic technique global était obligatoire, avaient été rejetées par l’assemblée générale lors de l’examen du projet de loi ALUR (n° 388634, 20 juin 2013) aux motifs d’une atteinte excessive au droit de propriété au regard de l’objectif d’intérêt général poursuivi voire au principe de liberté résultant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen mais également de leur incompatibilité avec l’objectif général de simplification du droit.

Pour autant, en premier lieu, le Conseil d’Etat constate que si le dispositif initialement mis en place par la loi ALUR avait pour objectif de surmonter le risque d’inertie dans le fonctionnement des copropriétés pour décider de la réalisation de travaux d’importance permettant d’éviter la dégradation des immeubles concernés, le dispositif envisagé par le projet de loi répond également à l’objectif de favoriser la rénovation énergétique des bâtiments qui a été reconnu comme constituant un motif d’intérêt général par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-718 DC du 13 août 2015, Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

Cet objectif et les politiques publiques qui le mettent en œuvre s’inscrivent dans un cadre plus large, commun à l’ensemble du chapitre Ier du titre IV du projet de loi, qui est de contribuer aux objectifs globaux de réduction de consommation d’énergie et de réduction des émissions de gaz à effet de serre que la France s’est assignés tant dans le cadre de l’accord de Paris et du droit de l’Union européenne que dans le cadre du droit national afin de lutter contre le phénomène du changement climatique et, ce faisant, de protéger notamment l’environnement des effets de ce phénomène. Or, dans sa récente décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a conféré un caractère d’objectif de valeur constitutionnelle à la protection de l’environnement.

En deuxième lieu, les modifications apportées au dispositif issu de la loi ALUR ont également pour objet de répondre au premier bilan de cette réforme, effectivement entrée en vigueur le 1er janvier 2017, qui met en évidence un insuffisant recours au diagnostic technique global mentionné à l‘article L. 731-1 du code de la construction et de l’habitation et, malgré son caractère obligatoire, une mise en œuvre limitée du fonds de travaux. Or, une partie de la doctrine et les professionnels du secteur ont à cet égard mis en cause le caractère trop peu contraignant du dispositif initialement mis en place ainsi que l’absence de corrélation entre le fonds de travaux et des éléments fiables de diagnostic concernant l’immeuble.

En troisième lieu, le Conseil d’Etat constate qu’afin de limiter autant que possible l’atteinte identifiée au droit de propriété et à ses attributs, le Gouvernement a, d’une part, recentré le plan pluriannuel de travaux ainsi que le fonds de travaux sur les travaux destinés à la sauvegarde de l’immeuble, à la préservation de la santé et de la sécurité des occupants et à la réalisation d’économies d’énergie, d’autre part, a allongé de 5 à 10 ans le délai au terme duquel un fonds de travaux doit être constitué et abondé, enfin, a corrélé le montant de la cotisation à ce fonds au montant des travaux figurant au plan pluriannuel éventuellement adopté.

Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estime que les dispositions envisagées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété.

Toutefois, le Conseil d’Etat attire l’attention du Gouvernement sur trois points qui méritent d’être soulignés dans l’évaluation mitigée qu’il fait, en l’état, du dispositif proposé.

En premier lieu, l’obligation de constituer et de maintenir en permanence un fonds de travaux d’un montant relativement élevé – puisque la cotisation annuelle ne peut être suspendue par l’assemblée générale des copropriétaires que lorsque le montant du fonds excède celui du budget prévisionnel – est imposée dans toutes les copropriétés, sans prise en compte de leur situation financière. Le caractère général de cette obligation rend nécessaire une évaluation régulière de son efficacité pour inciter à la réalisation des travaux nécessaires, au regard de l’importance des ressources financières qui seront immobilisées sur les comptes bancaires des copropriétés.

En deuxième lieu, la limitation des travaux susceptibles d’être financés par le fonds de travaux, proposée par le projet de loi, accroît le risque que des montants élevés soient immobilisés durablement, en particulier dans les copropriétés pour lesquelles l’état de sécurité et de salubrité de l’immeuble ne nécessite pas de travaux dans un futur proche et pour lesquelles le retour sur investissement des dépenses de rénovation énergétique ne justifierait pas l’adoption d’un plan pluriannuel de travaux. L’existence de ce risque rend encore plus nécessaire une évaluation approfondie du dispositif afin de pouvoir en mesurer l’efficacité et la proportionnalité.

En troisième et dernier lieu, le Conseil d’Etat constate la multiplication des contraintes imposées aux propriétaires immobiliers, en particulier aux copropriétaires, conduisant à des dépenses obligatoires (diagnostic de performance énergétique, et en cas de vente, constat de risque d’exposition au plomb, état mentionnant la présence ou l'absence d'amiante, état relatif à la présence de termites, état de l'installation intérieure de l'électricité ou de gaz lorsque l’installation a plus de quinze ans, …), pour des motifs liés notamment à la sécurité ou la salubrité des bâtiment ou à la protection de l’environnement, sans qu’une réflexion globale soit menée sur l’effet de cumul de ces différentes contraintes, ni sur la nécessité d’encadrer ou de réguler les marchés des prestations ainsi créés. A cet égard, le Conseil d’Etat estime que les compétences et les garanties d’indépendance présentées par les professionnels susceptibles d’intervenir devraient faire l’objet d’une plus grande vérification, que la qualité et la pertinence des diagnostics ou états établis devraient être mieux justifiées dans les textes et plus contrôlées dans leur mise en œuvre et, surtout, que les prix pratiqués par ces professionnels, à l’égard de propriétaires ou de copropriétaires souvent captifs, devraient être davantage encadrés, le cas échéant en envisageant une tarification ou un plafonnement de ces dépenses obligatoires.

Habilitation à légiférer par voie d’ordonnance pour généraliser la référence à un niveau de performance énergétique

54. Le projet habilite le Gouvernement, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, à généraliser dans les différents textes législatifs, la notion de « niveau » pour qualifier la performance énergétique d’un bâtiment ou partie de bâtiment, comme il le fait dans le présent projet de loi, en la substituant à des références chiffrées.

Habilitation à légiférer par voie d’ordonnance pour créer une police administrative portant sur les règles de construction et rationaliser le régime des attestations de conformité

55. Le projet du Gouvernement prévoit une habilitation à légiférer par ordonnance aux fins principalement, d’une part, de créer un régime de police administrative portant sur les règles de construction prévues par le livre Ier du code de la construction et de l’habitation et de coordonner cette police et les sanctions auxquelles elle est susceptible de conduire avec le dispositif de contrôle et de sanctions pénales prévu par ce même livre Ier, d’autre part, de rationaliser le dispositif d’attestation prévu par le même livre afin d’en renforcer l’efficacité.

Le Gouvernement a fixé à dix-huit mois le délai pour prendre l’ordonnance pour laquelle l’habilitation du Parlement est sollicitée. Compte tenu de la diversité des mesures à prendre et de la nécessité d’engager une large concertation avec les nombreux acteurs, publics comme privés, concernés, ce délai apparaît opportun.

A la faveur de quelques amendements rédactionnels destinés à définir avec une précision suffisante les finalités et le domaine d’intervention de cette ordonnance, cette habilitation, qui ne se heurte à aucune objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel, n’appelle pas d’observations particulières de la part du Conseil d’Etat.

Diminution de la consommation d’énergie (chapitre II)

Restrictions à l’installation sur le domaine public de terrasses chauffées ou climatisées

56. Pour permettre que soient imposées des restrictions à l’installation sur le domaine public de terrasses chauffées ou climatisées, le projet modifie l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques afin qu’un décret en Conseil d’Etat précise les conditions, notamment tirées de considérations environnementales, auxquelles la délivrance des titres d’occupation du domaine public est subordonnée.

Ces dispositions n’appellent pas d’objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel ni d’autres remarques de la part du Conseil d’Etat.

Lutte contre l’artificialisation des sols en adaptant les règles d’urbanisme (chapitre III)

Objectifs en matière de réduction de l’artificialisation des sols

57. Dans la ligne du Plan Biodiversité du 4 juillet 2018, le projet de loi fixe, tout d’abord, comme objectif l’arrêt, à terme, de tout accroissement de l’artificialisation des sols (objectif « zéro artificialisation nette »), ainsi que comme objectif intermédiaire la division par deux de l’accroissement de cette artificialisation au cours des dix prochaines années. Le Conseil d’Etat considère que ces dispositions, de nature programmatique, doivent être regroupées avec les dispositions de même nature dans la première partie du projet de loi.

Le projet fait également de la lutte contre l’artificialisation des sols et des modalités de sa mise en œuvre de nouveaux objectifs de l’action des collectivités publiques en matière d’urbanisme et définit la notion de « sols artificialisés », qui sera précisée par décret en Conseil d’Etat.

Le Conseil d’Etat estime que ces objectifs doivent figurer à l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme, au même titre que ceux déjà énoncés en matière d’urbanisme mais doivent, toutefois, compte tenu de leur caractère transversal, faire l’objet d’un paragraphe distinct, énonçant ces objectifs, indiquant les modalités générales selon lesquelles ils doivent être atteints et définissant la notion de « sols artificialisés ».

Déclinaison des objectifs en matière de réduction de l’artificialisation des sols

58. Le projet de loi détermine, ensuite, les modalités, pérennes ainsi que transitoires, selon lesquelles les documents de planification (schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires –SRADDET – schémas de cohérence territoriale – SCOT – plans locaux d’urbanisme – PLU –  ou carte communale et documents en tenant lieu) doivent, par mises en compatibilité successives, permettre d’atteindre l’objectif d’arrêt de l’artificialisation des sols. Le délai de mise en œuvre de ces modifications commencera à courir à compter de l’intervention des décrets d’application, en particulier le décret relatif à la nomenclature des sols artificialisés.

Le choix fait par le Gouvernement du niveau régional pour fixer l’objectif chiffré de réduction du rythme d’artificialisation des sols et de sa déclinaison dans les différents documents d’urbanisme permet de prendre en compte la diversité des situations des territoires, des effets de leurs politiques passées en matière d’artificialisation des sols et de leurs besoins actuels, notamment sur le plan démographique.

Le Conseil d’Etat relève, toutefois, que la solution retenue entraînera, comme indiqué au point 6, la modification d’un grand nombre de SRADDET alors que ces documents, de création récente, viennent à peine d’être adoptés ou sont seulement sur le point de l’être. Par ailleurs, la déclinaison des objectifs dans les documents d’urbanisme (SCOT, PLU et carte communale ou documents en tenant lieu) va également entraîner de nombreuses modifications qui devront être suivies et accompagnées si l’on veut aboutir à l’objectif désormais prévu dans la loi de réduction du rythme d’artificialisation de moitié en dix ans, c’est-à-dire avant 2031.

Rapport annuel sur l’artificialisation des sols

59. Le projet de loi ajoute un article L. 2231-1 au code général des collectivités territoriales afin d’introduire l’obligation pour le maire (ou le président de l’établissement public de coopération intercommunale – EPCI – compétent en matière de PLU) de présenter au conseil municipal (ou à l’assemblée délibérante de l’EPCI) un rapport annuel sur la manière dont les objectifs en matière de lutte contre l’artificialisation des sols sont poursuivis et atteints. Ce rapport doit faire l’objet d’un débat. Le rapport et l’avis rendu à l’issue de ce débat doivent être publiés et transmis aux autorités publiques concernées.

Dans la mesure où la lutte contre l’artificialisation des sols va bien au-delà des seuls sujets techniques et constitue un enjeu concernant tous les citoyens, le Conseil d’Etat considère que l’insertion de ces dispositions dans le code général des collectivités territoriales est appropriée.

Prise en compte de l’artificialisation des sols lors de la délivrance des autorisations d’exploitation commerciale

60. Le projet de loi complète les dispositions de l’article L. 752-6 du code de commerce, qui énumère les critères au regard desquels doivent être examinées les demandes d’autorisation d’exploitation commerciale. Il ajoute un V à cet article qui, d’une part, énonce l’interdiction de délivrer une autorisation pour une installation ou une extension qui engendrerait une artificialisation des sols et, d’autre part, organise un système de dérogation dont il définit les critères.

Depuis la loi du 27 décembre 1973, d’orientation du commerce et de l’artisanat, l’installation ou l’extension de commerces dont la surface de vente est supérieure à un seuil est soumise à une autorisation distincte du permis de construire et accordée au regard de critères distincts de ceux du droit de l’urbanisme. Dès l’origine, le but de cette réglementation restrictive était la protection du commerce de détail en centre-ville. Des objectifs liés à la protection de l’environnement et à la lutte contre la dégradation des entrées de ville ont été progressivement ajoutés et traduits dans les critères énoncés à l’article L. 752-6 du code de commerce, en dernier lieu par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (obligation d’établir qu’aucune friche existante n’est susceptible d’accueillir le projet).

L’atteinte portée à la liberté d’entreprendre par le dispositif restrictif introduit par le projet de loi peut être admise dès lors que le but poursuivi par le législateur est de favoriser un meilleur aménagement du territoire et, en particulier, de lutter contre le déclin des centres-villes, ce qui constitue un objectif d’intérêt général, ainsi que l’a retenu le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-830 QPC du 12 mars 2020. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel a, en outre, rappelé que l’appréciation de la demande devait être réalisée au regard de l’ensemble des critères énoncés à l’article L. 752-6.

Dans une zone où les documents d’urbanisme autorisent ce type d’activité, le refus systématique de délivrance de l’autorisation d’exploitation au seul motif d’une artificialisation des sols, au demeurant inhérente à l’acte de construire, pourrait, toutefois, porter une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. En outre, il serait susceptible de constituer une atteinte à l’égalité entre les opérateurs économiques dès lors qu’il ne concerne que les entreprises commerciales alors que d’autres entreprises peuvent s’installer sans autorisation dans ces zones tout en entraînant une artificialisation importante des sols. De même, dans l’avis émis sur le projet de loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, le Conseil d’Etat avait estimé qu’une suspension générale de l’enregistrement et de l’examen de toutes les demandes en cas d’opération de revitalisation du territoire porterait une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre. Dans ces conditions, l’énoncé d’une interdiction générale, qui correspond à la volonté d’un moratoire sur les installations de commerces entraînant une artificialisation en périphérie urbaine, doit être accompagné de la possibilité de dérogations accordées au cas par cas.

Sous réserve de modifications de rédaction, le système proposé par le projet de loi ne soulève pas d’objection au plan constitutionnel ou conventionnel.

Zones d’activité économique

61. Le projet de loi modifie le code de l’urbanisme pour imposer à certaines grandes collectivités urbaines la réalisation d’un inventaire des zones d’activité économique qui se trouvent sur leur territoire et mettre en place des outils destinés à en assurer la revitalisation. Si ces zones ne sont pas des outils d’urbanisme opérationnel, leur inventaire pourra apporter des informations utiles pour optimiser l’utilisation du patrimoine foncier de ces zones. Le projet comporte aussi des dispositions de clarification du régime juridique des associations syndicales de propriétaires, fréquemment utilisées pour revitaliser ces zones. Ces dispositions n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.

 Etude de réversibilité

62. Dans le but de favoriser la réutilisation de bâtiments existants, le projet de loi introduit dans le code de la construction et de l’habitation des dispositions imposant la réalisation d’une étude sur les possibilités de changement d’usage du bâtiment tant avant la délivrance d’un permis de construire qu’avant la délivrance d’une autorisation de démolir. Il s’agit d’inciter les constructeurs à envisager systématiquement le devenir des bâtiments qu’ils réalisent et à privilégier des solutions qui ne feront pas obstacle à des évolutions ultérieures ou, s’agissant de démolition, qui permettront le remploi en tout ou en partie du bâtiment. Cette mesure vient compléter des mesures voisines adoptées en matière de diagnostic déchet. Ces dispositions n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.

Renvoi à des ordonnances

63. Le projet de loi autorise le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi dans le but de favoriser la lutte contre l’artificialisation des sols.

Le Conseil d’Etat estime que les objectifs assignés au Gouvernement, extrêmement généraux au point recouvrir plusieurs objets du projet de loi, ne sont pas définis avec une précision suffisante pour répondre aux exigences fixées par le Conseil constitutionnel en ce qui concerne l’application de l’article 38 de la Constitution. Il écarte, en conséquence, cette habilitation.

Lutte contre l’artificialisation des sols pour la protection des écosystèmes (chapitre IV)

Stratégie nationale des aires protégées

64. Le projet de loi inscrit dans le code de l’environnement l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie nationale des aires protégées ainsi que l’objectif de cette stratégie, qui est de couvrir 30 % du territoire national et des espaces maritimes sous souveraineté ou juridiction nationale par un réseau cohérent d’aires protégées. Ces dispositions déterminent un objectif de l’action de l’Etat qui traduit le respect de la convention sur la diversité biologique, signée à Nairobi en 1992, à laquelle la République française est partie, et s’inscrit dans la stratégie de l’Union européenne en faveur de la biodiversité, annoncée par la communication de la Commission du 20 mai 2020.

Outre l’actualisation de la stratégie tous les dix ans, le projet prévoit l’interdiction de la diminution de la superficie des aires entre deux révisions, conformément au principe de non- régression en matière d’environnement.
Ces dispositions n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.

Droit de préemption du département dans les espaces naturels sensibles, pour les zones antérieurement délimitées par le préfet

65. L’ordonnance du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre premier du code de l’urbanisme a abrogé les dispositions qui permettaient au département d’exercer, dans les zones qui avaient été délimitées par le préfet avant l’entrée en vigueur de la loi n° 85-726 du 18 juillet 1985, le droit de préemption dans les espaces naturels sensibles que lui confère le code de l’urbanisme, pour la protection, la gestion et l’ouverture au public de ces espaces. Le projet de loi rétablit explicitement cette possibilité. Par ailleurs, une disposition du projet valide les décisions de préemption intervenues depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 septembre 2015 tout en réservant le cas des décisions passées en force de chose jugée.

Le Conseil d’Etat relève que les effets de l’abrogation prononcée par l’ordonnance de 2015, qui a été ratifiée, ne répondent pas à la volonté de ses auteurs et fragilisent, de manière parfois importante, les politiques de préservation de la biodiversité menées par les départements. La lutte pour la protection de la biodiversité constitue un motif impérieux d’intérêt général et le Conseil d’Etat estime, en conséquence, que ces dispositions de validation répondent aux exigences tant constitutionnelles que conventionnelles à ce sujet.

Adaptation des territoires aux effets du dérèglement climatique (chapitre V)

66. Le projet de loi habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de douze mois, les dispositions nécessaires en matière de planification territoriale et d’urbanisme afin de préparer et de faciliter l’adaptation des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte ou à d’autres risques naturels et d’améliorer l’information des acheteurs et locataires sur les risques naturels et technologiques auxquels est exposée la zone dans laquelle se situe l’immeuble qu’ils entendent acheter ou louer. Ces dispositions n’appellent pas d’objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel ni d’autres observations de la part du Conseil d’Etat.

En ce qui concerne le titre intitulé « Se nourrir»

Soutien à une alimentation saine et durable peu émettrice de gaz à effet de serre pour tous (chapitre Ier)

Expérimentation d’un choix végétarien quotidien dans la restauration collective publique

67. L’article 24 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine durable et accessible à tous (dite loi « EGalim ») a instauré, pour toutes les cantines scolaires, une expérimentation obligatoire consistant à proposer un menu végétarien une fois par semaine. Cette expérimentation a débuté le 1er novembre 2019 et la même loi en a prévu une première évaluation, attendue le 1er mai 2021.

Sans attendre les résultats de cette évaluation, un article du projet de loi prévoit une nouvelle expérimentation, selon des paramètres différents : elle porterait sur le choix quotidien, et non « au moins » hebdomadaire, d’un menu végétarien, serait volontaire et non obligatoire, et ouverte aux collectivités territoriales dans tous les services de restauration collective dont elles ont la charge, au lieu des seuls gestionnaires publics ou privés des services de restauration collective scolaire.

En premier lieu, le Conseil d’Etat note l’importance des développements de l’étude d’impact tendant à faire regarder la mesure comme inopportune, non seulement sur la forme, à cause de l’interférence avec la mesure de la loi « EGalim » en cours d’expérimentation, mais aussi sur le fond, pour des considérations tout à la fois de faisabilité pratique − en particulier dans les cantines scolaires à menu unique − et de santé de certaines classes d’âge − notamment les adolescentes qui pourraient pâtir de carences alimentaires. Dans l’hypothèse du maintien de cet article dans le projet de loi, le Conseil d’Etat invite donc le Gouvernement à étayer, en vue du débat parlementaire, les raisons pour lesquelles il estime souhaitable que les collectivités territoriales procèdent à cette expérimentation du menu végétarien quotidien dans la restauration collective.

En second lieu, le Conseil d’Etat observe que si une telle expérimentation, dont le projet de loi n’encadre rien de plus que les modalités d’évaluation, devait rester purement volontaire pour les collectivités territoriales, elle serait dépourvue de portée normative et n’aurait pas sa place dans la loi. Il écarte donc le dispositif pour ce motif.

Extension de la loi « EGalim » à la restauration collective privée en matière de composition des repas

68. Le même article 24 de la loi « EGalim » a créé et inséré dans le code rural et de la pêche maritime (CRPM) des obligations tenant à la qualité des repas servis dans certains restaurants collectifs – 50 % de produits durables et de qualité et 20 % de produits issus de l’agriculture biologique −, à la mise en place d’un plan pluriannuel de diversification des sources de protéines afin qu’elles soient davantage d’origine végétale, et enfin à une information annuelle des usagers de ces restaurants quant à la part des produits bio et de qualité servis ainsi qu’aux démarches entreprises pour développer l’acquisition de produits issus du commerce équitable. Ces obligations pèsent sur tous les restaurants collectifs dont les personnes morales de droit public ont la charge, mais aussi certaines personnes morales de droit privé lorsqu’elles gèrent des cantines scolaires et universitaires, des cantines de crèches et garderies, de cliniques ou d’établissements sociaux et médico-sociaux.

Un article du projet de loi étend l’ensemble de ces obligations, à compter de 2025 – et dès 2023 pour l’information annuelle − à tous les services de restauration collective privés non encore concernés, c’est-à-dire pour l’essentiel les restaurants d’entreprise, soit environ 10 % du secteur.

Le Conseil d’Etat relève, sur le plan de la méthode, que le projet de loi inclut cette mesure avant même que n’ait été remis le rapport du Gouvernement au Parlement sur sa faisabilité et son opportunité, ce qui devait, aux termes de l’article 30 de la loi « EGalim », intervenir au plus tard le 31 décembre 2020. Il invite donc le Gouvernement à remettre ce rapport sans délai, afin que l’ébauche sur le fondement de laquelle il a pu inscrire cette mesure dans son projet soit transformée en information transparente en vue du débat parlementaire. Le Conseil d’Etat considère néanmoins que l’étude d’impact contient d’ores et déjà suffisamment d’éléments permettant de regarder la mesure comme opérant une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la poursuite de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et l’atteinte à la liberté d’entreprendre. Il observe en outre que l’extension à l’ensemble des acteurs du secteur de la restauration collective des obligations exigeantes mentionnées ci-dessus, instaurées par la loi « EGalim », va dans le sens du respect du principe constitutionnel d’égalité.

Codification du programme national de l’alimentation, de la nutrition et du climat

69. Un article du projet de loi entreprend de rassembler les grandes orientations de la politique publique de l’alimentation, exposées à l’article liminaire (L. 1) du code rural et de la pêche maritime (CRPM), sous l’égide d’un document de programmation nouveau comprenant une « dimension climatique ». Cette dimension viendra ainsi étoffer, à compter de 2023, le Programme national de l’alimentation et de la nutrition (PNAN), qui n’est actuellement défini, pour la période 2019-2023, que dans un instrument de droit souple et recevra ainsi une consécration législative, sous la dénomination proposée de programme national de l’alimentation, de la nutrition et du climat (PNANC). Les actuels Programme national pour l’alimentation (PNA) défini à l’article L. 1 du CRPM et Programme national pour la nutrition et la santé (PNNS) défini à l’article L. 3231-1 du code de la santé publique seront plus étroitement articulés, en ce qu’ils constitueront deux sous-ensembles du PNANC : deux séries d’objectifs et d’actions déclinant les orientations de ce programme « chapeau ».

Le Conseil d’Etat n’a pas de remarque particulière à formuler sur le fond de cet article. Pour une meilleure intelligibilité du texte, il suggère cependant de substantiels allégements de rédaction pour éviter une reprise à l’identique du droit existant, ainsi qu’une articulation plus claire entre les trois programmes PNA, PNNS et PNANC. Il suggère notamment de changer la dénomination de ce programme faîtier en « stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat ».

Développement de l’agro-écologie (chapitre II)

Réduction de la consommation d’engrais azotés

70. Le projet de loi prévoit qu’un décret définit une trajectoire annuelle de réduction des émissions de protoxyde d’azote et d’ammoniac du secteur agricole permettant d’atteindre progressivement les objectifs, fixés en application des dispositions du code de l’environnement relatives à la réduction des polluants atmosphériques et à la stratégie bas carbone, d’une réduction de 13 % des émissions d’ammoniac en 2030 par rapport à 2005 et l’objectif d’une réduction de 15 % des émissions de protoxyde d’azote en 2030 par rapport à 2015. Si les objectifs annuels ainsi déterminés n’étaient pas respectés en 2022 et 2023, ou ultérieurement, deux années de suite, une taxation de la consommation d’engrais minéraux azotés serait mise en place.

Le Conseil d’Etat estime que la rédaction du projet du Gouvernement selon laquelle celui-ci présente dans ce cas au Parlement une redevance sur ces engrais, avec une entrée en vigueur au 1er janvier de l’année suivante et un taux et une assiette définis en cohérence avec les objectifs de baisse d’émissions, fait obligation au Gouvernement d’insérer dans le projet de loi de finances de l’année suivant celle de la constatation du non-respect pendant deux ans de ces objectifs, une disposition créant une redevance satisfaisant à ces conditions. Une telle injonction ne trouve de base juridique ni dans l’article 34, ni dans une autre disposition de la Constitution et porte atteinte au droit d’initiative des lois conféré par son article 39 au Premier ministre (Conseil constitutionnel, décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000, Loi d’orientation pour l’outre-mer, § 55).

Le Conseil d’Etat admet en revanche que la mise en place d’un tel dispositif en cas d’échec des autres mesures visant à la réduction de la consommation d’engrais minéraux azotés puisse figurer parmi les objectifs de la politique publique en faveur du climat. Le projet de loi pourrait demander au Gouvernement de présenter au Parlement un rapport analysant les conditions dans lesquelles celle-ci pourrait être créée. Eu égard à son objet spécifique et à sa portée circonscrite, cette obligation ne peut en effet être regardée comme une injonction au Gouvernement de nature à porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs (décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, paragr. 82).

Lutte contre la déforestation importée

71. Le projet de loi vise à renforcer l’efficacité de la politique de la lutte contre la « déforestation importée », c’est-à-dire contre l’importation de produits dont la production est à l’origine de la déforestation de certaines parties du monde, en autorisant les échanges de données entre les agents du ministère de l’environnement chargés de la mise en œuvre de cette politique et les agents de la direction générale des douanes et des droits indirects. Ces dispositions n’appellent pas d’objection d’ordre constitutionnel ou conventionnel ni d’autres observations de la part du Conseil d’Etat.

Futur plan stratégique national

72. Le projet de loi prévoit que les objectifs du plan stratégique national établi en déclinaison de la Politique agricole commune sont compatibles, dans le respect du cadre réglementaire européen qui s’applique à ce plan, avec la stratégie bas-carbone, la stratégie nationale pour la biodiversité, le plan national de prévention des risques pour la santé liée à l'environnement, ainsi que la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée.

Le Conseil d’Etat relève que l’obligation d’établir un « plan stratégique national », programmant les mesures des deux piliers de la politique agricole commune, et se substituant au document de planification national applicable jusqu’en 2020 pour les mesures du deuxième pilier, ne figure à ce stade que dans un projet de règlement du Conseil. Il relève en outre qu’aucune disposition ne prévoit l’établissement d’un document de programmation élaboré et publié sous la dénomination de « stratégie de lutte contre la déforestation importée ». Il propose par conséquent de modifier la rédaction du projet pour prévoir que  les objectifs de tout document de programmation stratégique nationale prévu par le droit de l’Union européenne pour la mise en œuvre de la politique agricole commune, sont compatibles, dans le respect du cadre réglementaire européen qui lui est applicable, avec les documents de programmation que sont  la stratégie bas-carbone, la stratégie nationale pour la biodiversité, le plan national de prévention des risques pour la santé liés à l'environnement, d’une part, et avec l’objectif de lutte contre la déforestation importée, d’autre part. Compte tenu de ces modifications, l’article n’encourt pas les critiques qui ont amené le Conseil d’Etat à écarter les dispositions législatives prises en anticipation d’un règlement européen non encore publié (Assemblée générale - 20 mars 2014 - Projet de loi relatif à la biodiversité n° 388449, Rapport annuel 2015 p. 292).

Réforme du fonctionnement des labels du commerce équitable

73. L’article 60 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, modifié en dernier lieu par l’article 173 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi « Pacte »), précise en quoi consiste le commerce dit équitable ; il organise et protège également la possibilité d’user du terme « équitable » dans la dénomination de vente d’un produit. Poursuivant le double objectif de renforcer, d’une part, l’aspect environnemental dans la caractérisation des filières du commerce équitable, et, d’autre part, de réformer la reconnaissance de tels produits, par exemple sous forme de labels − processus jugé actuellement défaillant à cause d’une commission administrative ad hoc dont le fonctionnement mériterait d’être revu −, un article du projet de loi procède à cette fin à deux modifications ponctuelles de l’article 60 de la loi du 2 août 2005, avec effet au 1er janvier 2023.

Le Conseil d’Etat estime que, quoique de portée normative limitée, la première de ces modifications atteint effectivement l’objectif recherché. Quant à la seconde modification, le Conseil d’Etat comprend qu’elle a essentiellement pour but de donner l’impulsion à un réaménagement administratif qui n’appelle pas de commentaire particulier dans le cadre du présent avis.

 En ce qui concerne le titre intitulé « Renforcer la protection judiciaire de l’environnement »

74. Le projet de loi résultant d’une troisième saisine rectificative comporte des dispositions créant, au sein du code de l’environnement, de nouvelles infractions, ou aggravant des infractions existantes dans le code de l’environnement ou dans le code des transports. Elles ont pour objet de renforcer la répression pénale des atteintes à l’environnement et de contribuer plus efficacement à la protection de l’environnement.

Le Conseil d’Etat examine les dispositions issues de cette saisine rectificative au regard des orientations et exigences suivantes.

Les nouvelles infractions ou les causes d’aggravation de peines créées par le projet de loi doivent respecter le principe de légalité des délits et des peines, le principe de la nécessité et de la proportionnalité des peines et le principe d’égalité devant la loi pénale.

Le Conseil d’Etat s’assure, en particulier, que le quantum de la peine prévue n’est manifestement pas disproportionné au regard de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction qu’elle sanctionne.

Dans la mesure où le projet de loi procède par l’ajout d’infractions nouvelles ou de nouvelles causes d’aggravation de peines, le Conseil d’Etat vérifie que des faits qualifiés par la loi de façon identique ne font pas courir à leurs auteurs, selon le texte d’incrimination sur lequel se fondent les autorités de poursuite, des peines de nature différente.

Enfin le Conseil d’Etat, au regard de l’objectif recherché d’un renforcement de la protection judiciaire de l’environnement, veille à l’absence d’incohérence manifeste dans la définition, par le projet de loi, du champ d’application des infractions ou des causes aggravantes de peines qu’il crée.

Sanction de l’exposition au risque

75. Le projet de loi introduit dans le code de l’environnement (article L. 173-3-1 nouveau) ainsi que dans le code des transport (II de l’article L. 1252-5) des dispositions aggravant les peines applicables aux faits prévus respectivement aux articles L. 173-1 et L. 173-2 du code de l’environnement et à l’article L. 1252-5 du code des transports, lorsque ces faits exposent directement la faune, la flore ou la qualité de l’eau à un risque immédiat d’atteinte grave et durable. Il précise qu’est considérée comme durable une atteinte susceptible de durer au moins dix ans.
Les peines sont de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au triple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

Le projet de loi précise que l’application des dispositions du premier alinéa de l’article 131-38 du code pénal, selon lesquelles le montant maximum de l’amende pouvant être prononcée à l’encontre d’une personne morale est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction, est limitée aux seules amendes exprimées en valeur absolue.

Le Conseil d’Etat considère que ces dispositions ne se heurtent à aucun obstacle constitutionnel ou conventionnel. En particulier, les peines prévues ne sont pas manifestement disproportionnées au regard de la gravité de l’infraction et sont justifiées par l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement.  Le Conseil d’Etat estime que la limitation apportée à l’application du premier alinéa de l’article 131-38 du code pénal est nécessaire pour assurer le principe de proportionnalité des peines car le quintuplement du montant maximum de l’amende pouvant être prononcée à l’encontre d’une personne morale aurait à défaut pour effet de porter le montant de l’amende en valeur relative à quinze fois l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

Le Conseil d’Etat relève que ces dispositions ont, au demeurant, un champ d’application limité. Tout d’abord, elles ne s’appliquent qu’à la violation des règles prévues par les trois articles, mentionnés ci-dessus, du code de l’environnement et du code des transports. Ensuite, elles imposent d’établir que les atteintes réprimées sont susceptibles de durer au moins dix ans. Enfin, elles excluent les risques d’atteinte grave et durable lorsqu’ils concernent la santé ou la sécurité des personnes, ainsi que la qualité de l’air ou du sol, alors que l’article L. 173-3 modifié par le projet de loi réprime les atteintes graves et durables à la santé ou à la sécurité des personnes, ou à la qualité de l’air ou du sol.

Sanction de la réalisation d’un dommage et délit d’écocide

76. Le projet de loi modifie, en premier lieu, l’article L. 173-3 du code de l’environnement et aggrave les peines applicables aux faits prévus aux articles L. 173-1 et L. 173-2 du même code lorsque ces faits entraînent des atteintes graves et durables à la santé, la flore, la faune ou la qualité de l’air, du sol ou de l’eau. Les peines sont de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

Le projet de loi crée, en deuxième lieu, un nouvel article L. 230-1 dans le code de l’environnement qui, d’une part, aggrave les peines applicables au délit non intentionnel de pollution des eaux prévu à l’article L. 216-6 du même code, d’autre part, crée un délit non intentionnel de pollution de l’air. Cet article réprime le fait, en violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, de rejeter dans l’eau ou d’émettre dans l’air une substance entraînant des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune ou des modifications graves du régime normal d’alimentation en eau. Il exclut de son champ d’application les émissions dans l’air respectant les valeurs limites fixées par décision de l’autorité administrative compétente, les opérations de rejet autorisées et l’utilisation de substances autorisées lorsque les prescriptions fixées par l’autorité administrative compétente ont été respectées. Il définit les effets durables comme ceux susceptibles de durer au moins dix ans.  Les faits prévus au nouvel article L. 230-1 sont punis d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

Le projet de loi crée, en troisième lieu, un nouvel article L. 230-2 dans le code de l’environnement, qui prévoit une infraction spéciale intentionnelle de pollution des sols lorsque les faits prévus aux 4° et 8° de l’article L. 541-46 du même code entraînent le dépôt, le déversement ou l’écoulement dans ou sur les sols de substances dont l’action ou les réactions entraînent des effets qui portent une atteinte grave et durable à la santé, la faune, la flore ou la qualité du sol. Les peines prévues sont de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

Le projet de loi crée, en quatrième lieu, un nouvel article L. 230-3 dans le code de l’environnement, définissant ce qui est qualifié « d’écocide » et prévoyant que, lorsque l’infraction prévue le nouvel article L. 230-1 est commise de manière intentionnelle ou que les infractions prévues au II de l’article L. 173-3 ou à l’article L. 230-2, qui sont des infractions intentionnelles, sont commises en connaissance des risques encourus d’atteintes graves et durables sur la santé, la flore, la faune ou la qualité de l’air, de l’eau ou des sols, ces infractions constituent le délit d’écocide. Ce délit d’écocide est puni de la peine de dix ans d’emprisonnement et de 4,5 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple de l’avantage tiré de l’infraction.

77. Le Conseil d’Etat ne peut pas donner un avis favorable à ces différentes dispositions pour les raisons suivantes.

D’une part, le projet de loi punit de la même peine de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende (ce montant pouvant être porté jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction), tant l’infraction prévue au nouvel article L. 230-1 du code de l’environnement que les infractions prévues au II nouveau de l’article L. 173-3 ainsi qu’au nouvel article L. 230-2, qui toutes sanctionnent des atteintes graves et durables à la santé, la flore, la faune, la qualité de l’air, du sol ou de l’eau. Toutefois, l’infraction prévue à l’article L. 230-1 est une infraction non intentionnelle, alors que les infractions prévues au II de l’article L. 173-3 et à l’article L. 230-2 sont des infractions intentionnelles. Le projet de loi n’assure donc pas une répression cohérente, graduée et proportionnée des atteintes graves et durables à l’environnement selon l’existence ou non d’une intention.

D’autre part, le projet de loi aggrave, sous le terme d’écocide, les infractions prévues au II de l’article L. 173-3 du code de l’environnement et à l’article L. 230-2 lorsqu’elles sont commises en connaissance des risques encourus d’atteintes graves et durables sur la santé, la flore, la faune ou la qualité de l’air, de l’eau ou des sols. Or, les infractions prévues au II de l’article L. 173-3 et à l’article L. 230-2 sont, ainsi qu’il a été dit, des infractions intentionnelles, qui répriment le non-respect volontaire de prescriptions légales ou réglementaires destinées à garantir la protection de l’environnement. Par suite, la connaissance du risque d’atteinte à l’environnement à raison du non-respect de cette réglementation est déjà incluse dans les éléments constitutifs de ces infractions, au titre du dol général. Il n’est ainsi pas possible de prévoir l’aggravation de ces infractions à raison d’une circonstance aggravante qui est déjà l’un de leurs éléments constitutifs, le Conseil constitutionnel censurant, au nom du principe d’égalité devant la loi pénale, des dispositions législatives qualifiant des faits de manière identique, tout en faisant encourir à leur auteur, selon le texte d’incrimination sur lequel se fondent les autorités de poursuites, des peines de natures différentes (décision n° 2013-328 QPC du 28 juin 2013).

L’infraction non intentionnelle prévue à l’article L. 230-1, qualifiée d’écocide lorsque les faits sont commis de manière intentionnelle, devient la seule infraction intentionnelle entraînant une atteinte grave et durable sur l’environnement punie de la peine de dix ans d’emprisonnement et de 4,5 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple de l’avantage tiré de l’infraction. Le délit intentionnel de pollution des sols, prévu à l’article L. 230-2 nouveau du code de l’environnement, et le délit intentionnel prévu au II nouveau de l’article L. 173-3, qui tous deux sanctionnent des atteintes graves et durables à l’environnement, ne sont en effet punis que de la peine de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au quintuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

Le projet de loi réprime ainsi de manière sensiblement différente et incohérente des comportements intentionnels causant des atteintes graves et durables à l’environnement. Le Conseil d’Etat ne peut retenir ces dispositions telles que rédigées par la troisième saisine rectificative reçue le 3 février 2021.

Il attire par conséquent l’attention du Gouvernement sur la nécessité de rechercher, pour atteindre les objectifs poursuivis, d’autres choix de politique pénale s’inscrivant dans le respect des principes constitutionnels qui viennent d’être rappelés. Les options devront veiller, d’une part, à ce que le champ d’application des infractions ou des causes aggravantes de peine soit cohérent avec l’objectif de renforcement de la protection judiciaire de l’environnement, d’autre part, à ce que le quantum des peines soit gradué et proportionné aux infractions ou aux causes d’aggravation qu’elles sanctionnent.

Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du 4 février 2021.