Avis sur un projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d’État sur un projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire

1. Le Conseil d’État a été saisi le 5 juin 2019 d’un projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire.

Le texte comporte quatre titres, le premier relatif à l’information des consommateurs, le deuxième à la lutte contre le gaspillage, le troisième à la responsabilité des producteurs ; le quatrième comporte des dispositions d’habilitation du Gouvernement à prendre des ordonnances et des dispositions relatives à l’entrée en vigueur de la loi.

2. L’étude d’impact répond globalement aux exigences de l’article 8 de la loi organique  n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution mais elle est insuffisante sur les spécificités de la collecte, du tri et du recyclage dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

3. Les consultations obligatoires du Conseil national de la transition écologique, du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique, du Conseil national d’évaluation des normes et des collectivités de l’article 73 de la Constitution ont été réalisées. Le Conseil d’État déplore toutefois que les collectivités de l’article 73 aient été consultées dans un délai extrêmement court, avec invocation de l’urgence qui permet de réputer acquis leur avis quinze jours après leur saisine, ce qui n’entache pas la régularité de leur consultation mais n’a pas permis au Conseil d’État d’avoir connaissance de leur position explicite.

4. Le texte s’inscrit dans un cadre normatif déjà dense.

Il fait application des principes de la Charte de l’environnement, en particulier ceux de développement durable, prévention, réparation, information et permet de mettre en œuvre les articles 8 et 9 de ce texte constitutionnel.

Il fait application des principes et transpose déjà certains éléments contenus dans les directives (UE) 2018/850 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 1999/31/CE concernant la mise en décharge des déchets, (UE) 2018/851 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets et (UE) 2018/852 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 modifiant la directive 94/62/CE relative aux emballages et aux déchets d’emballages.

Il comporte des mesures concrètes qui apparaissent comme des mises en œuvre opérationnelles des objectifs énoncés dans la loi n° 2015-718 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui avait modifié plusieurs articles du code de l’environnement afin d’y inscrire le principe de la transition vers une économie circulaire et de renforcer les dispositifs de prévention des déchets et d’amélioration du recyclage et du réemploi. Il complète les dispositifs existant d’information des consommateurs, de lutte contre le gaspillage et de responsabilité des producteurs.

 

Information des consommateurs

5. Le premier titre, intitulé « information du consommateur », comporte des dispositions qui visent à améliorer l’information des consommateurs d’une part sur les caractéristiques environnementales des produits, en particulier leurs caractère réparable, recyclable, la présence de substances recyclées ou de substances dangereuses, d’autre part sur les modalités appropriées de tri ou d’apport de chaque produit en unifiant les règles de signalétique.

Il impose des obligations aux producteurs et aux importateurs. Il ajoute une obligation, spécifique aux équipements électriques et électronique, d’information sur leur caractère réparable.

Il comporte également des dispositions qui visent à inciter les consommateurs à choisir des produits réparables, en réduisant de deux mois à vingt jours le délai de mise à disposition des pièces détachées pour tous les biens meubles et, s’agissant des équipements électriques et électroniques ainsi que des éléments d’ameublement, en disposant qu’à défaut d’information fournie au vendeur professionnel sur l’existence de pièces détachées, elles sont réputées non disponibles.

Il instaure pour les équipements électriques et électroniques un dispositif similaire à celui qui existe déjà pour les véhicules automobiles en imposant aux professionnels qui commercialisent des prestations d’entretien et de réparation, de permettre au consommateur d’opter, pour certaines pièces de rechanges, pour l’utilisation de pièces issues de l’économie circulaire.

Les obligations d’information à la charge des producteurs ou importateurs sont sanctionnées par des amendes selon les procédures relevant du code de la consommation.

Sous réserve des modifications rédactionnelles qu’il estime nécessaires pour encadrer davantage les renvois au pouvoir réglementaire, le Conseil d’État n’a pas d’observation sur ces dispositions. 

 

Lutte contre le gaspillage

6. Le titre II est relatif à la lutte contre le gaspillage. Il complète les dispositions qui existent dans la sous-section 1 bis de la section 3 du chapitre Ier du titre IV du livre V du code de l’environnement en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire par des dispositions qui imposent aux producteurs, importateurs et distributeurs de produits non alimentaires de réemployer, recycler ou réutiliser leurs invendus.

Le Conseil estime nécessaire de modifier le titre de cette sous-section pour en ôter le terme « alimentaire » afin de le mettre en cohérence avec l’élargissement des champs désormais couverts par l’interdiction de destruction des produits neufs invendus.

Le texte dont a été saisi le Conseil d’État prévoit deux exceptions à cette interdiction. La première concerne les produits contenant des matières dont la valorisation est interdite ou dont l’élimination est prescrite ou qui sont périssables. Elle se justifie pleinement par des motifs liés à la sécurité et à la santé, et le Conseil d’État estime d’ailleurs préférable de mentionner explicitement ces deux termes.

La seconde exception, en faisant seulement référence à une impossibilité de réemploi, de réutilisation ou de recyclage est trop imprécise et ainsi de nature, par le renvoi général au pouvoir réglementaire dont elle est assortie, à comporter des risques de rupture d’égalité entre les acteurs économiques et par conséquent d’atteinte non justifiée à la liberté d’entreprendre.

Le Conseil d’État propose donc une autre rédaction de cette seconde exception, tenant compte de ce qu’elle ne concerne en réalité pas, au vu de l’argumentation du Gouvernement, de véritables impossibilités mais les cas dans lesquels les conditions qui seraient nécessaires pour procéder au réemploi, à la réutilisation ou au recyclage conduiraient à un bilan défavorable au regard des objectifs de développement durable.

L’application de ces interdictions aux plateformes électroniques de vente évite les distorsions de concurrence avec les autres modalités de vente.

Plus marginalement, le Conseil d’État estime préférable de ne pas codifier les dispositions relatives à l’entrée en vigueur de ces dispositions.

7. Ce titre II comporte également des dispositions qui visent à améliorer et étendre le dispositif existant de diagnostic sur les déchets issus de travaux de démolition ou de rénovation importants. Outre des modifications rédactionnelles pour rendre ces dispositions plus explicites et mieux les articuler avec le droit existant, le Conseil d’État n’a pas d’observation juridique à formuler sur ces dispositions.

 

Responsabilité de tous les producteurs

8. Le titre III est relatif à la responsabilité des producteurs. Le Conseil d’État estime plus cohérent avec le contenu des articles qui le composent de limiter son titre à « la responsabilité des producteurs », sans mention spécifique des plastiques auxquels n’est consacrée qu’une part très marginale des dispositions du titre.

Le projet de loi transmis par le Gouvernement procède à une restructuration des dispositions de la section 2 du chapitre Ier du titre IV du livre V du code de l’environnement, relative à la conception, la production et la distribution de produits générateurs de déchets, que le Conseil d’État estime bienvenue mais insuffisante.

Il préconise, au sein de cette section, la création de trois sous-sections : la première pour regrouper les dispositions générales applicables à tous les produits générateurs de déchets, la deuxième pour structurer les principes communs aux filières soumises à responsabilité élargie des producteurs, la troisième pour énoncer les règles propres à certaines filières soumises à responsabilité élargie des producteurs.

En outre, pour les articles modifiés plusieurs fois dans le projet du Gouvernement, le Conseil d’État préconise leur réécriture intégrale afin de rendre plus compréhensible le droit applicable. Il estime nécessaire de supprimer des dispositions obsolètes que le projet du Gouvernement laissait subsister.

9. Au titre des dispositions applicables à tous les produits générateurs de déchets, le texte ajoute la possibilité d’imposer l’incorporation de matière recyclée dans certains produits ou matériaux. Cette contrainte pour les producteurs est justifiée par les objectifs de recyclage imposés par certaines dispositions du droit de l’Union européenne ou par la loi.

Le texte complète la liste des informations que l’administration est en droit de demander, sur leurs déchets, aux producteurs, importateurs, exportateurs ainsi qu’aux éco-organismes, en ajoutant les informations sur la présence éventuelle de substances dangereuses et le mode de gestion des déchets. Pour les filières soumises à responsabilité élargie des producteurs, il permet aussi à l’administration de demander les données quantitatives et les caractéristiques des produits mis sur le marché, ainsi que les mesures de prévention et de gestion des déchets. Les données et informations économiques relatives à la gestion des déchets peuvent également être obtenues auprès des collectivités qui assurent la gestion d’un service public de gestion des déchets soumis à responsabilité élargie des producteurs.

Ces ajouts sont cohérents avec les objectifs recherchés, nécessaires pour permettre à l’administration de suivre l’équilibre économique des filières et ne font pas peser sur les acteurs économiques de contrainte excessive.

 

Filières soumises au principe de responsabilité élargie des producteurs

10. Pour les filières soumises à responsabilité élargie des producteurs, le texte reprend la définition existante de ce principe et y ajoute:

- des obligations relatives à l’éco-conception des produits, au réemploi et à la réparation, en cohérente avec le droit de l’Union européenne ;

- l’objectif de favoriser l’insertion par l’emploi dans les filières de recyclages, dans une logique de développement durable ;

- la possibilité de déroger par décret au principe de gouvernance des éco-organismes lorsqu’aucun éco-organisme n’a été mis en place par les producteurs ;

- des précisions quant aux obligations des producteurs lorsqu’ils  préfèrent mettre en place des systèmes individuels plutôt qu’adhérer à un éco-organisme : obligation de collecte sur tout point du territoire avec prime au retour pour éviter l’abandon et justification de garanties financières.

Ces exigences ne paraissent pas excessives eu égard aux objectifs assignés par le droit de l’Union européenne.

L’habilitation du pouvoir réglementaire à imposer des contraintes pour atteindre les objectifs conforte une compétence déjà largement exercée.

Le projet de loi transmis par le Gouvernement comporte une liste actualisée des filières soumises à la responsabilité élargie du producteur qui étend le champ de certaines filières existantes et en ajoute de nouvelles en conformité avec les préconisations des directives européennes, avec des dates d’entrée en vigueur échelonnées entre le 1er janvier 2021 et le 1er janvier 2023.

Le texte précise et étend les obligations des éco-organisme et des systèmes individuels, en unifiant les dispositions éparses dans un régime d’agrément et en appliquant les principes imposés par les directives européennes. Il impose notamment la transparence et un traitement non discriminatoire à l’égard des producteurs ainsi que la prise en compte d’un critère de proximité et de recours à l’insertion des personnes en difficulté pour les marchés passés par les éco-organismes.

Les règles de fixation des contributions financières des producteurs sont redéfinies en tenant compte de la directive 2018/851 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 qui permet la couverture de l’ensemble des coûts, y compris qualitatifs, de gestion des déchets.

Le Conseil d’État suggère toutefois une modification à la marge de la rédaction du projet de loi pour éviter une ambiguïté : la couverture de l’intégralité des coûts est possible mais dans la limite des coûts supportés par les éco-organismes, ceux-ci étant, comme il est par ailleurs rappelé dans le texte, des organismes sans but lucratif.

Pour les coûts supportés par le service public de gestion, le projet prévoit l’intervention d’un barème national qui pourra être majoré dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution pour tenir compte de l’éloignement, de l’insularité et de la maturité des dispositifs de collecte et de traitement des déchets de ces territoires.

Le projet permet la modulation des contributions sur la base de critères de performance environnementale, comme le prévoient les directives européennes.

Le projet accroit les garanties pour les producteurs et les collectivités publiques en imposant aux éco-organismes de constituer des mécanismes financiers destinés à assurer, en cas de défaillance de leur part, que les fonds déjà versés par les producteurs puissent être utilisés pour financer le service public de gestion des déchets en étant gérés par un autre éco-organisme désigné par l’État.

Ces dispositions, qui sont cohérentes avec les objectifs constitutionnels et du droit de l’Union européenne auquel le projet de loi répond, n’appellent pas d’autre observation du Conseil d’État.

11. Le projet généralise les obligations de reprise sans frais de produits usagés par les vendeurs de la même catégorie de produits dans toutes les filières soumises à la responsabilité élargie des producteurs, et impose la reprise gratuite, même sans achat, aux distributeurs ayant une certaine surface de vente. Ces obligations sont imposées aussi aux plateformes électroniques de vente, par défaut si le producteur ne s’en acquitte pas, ce qui évite les distorsions de concurrence.

 

Possibilité de créer des dispositifs de consigne

12. Le projet de loi transmis par le Gouvernement permet que des dispositifs de consigne pour le réemploi, la réutilisation ou le recyclage de produits consommés ou utilisés par les ménages soient mis en place par le pouvoir réglementaire, lorsque cela est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par le droit de l’Union européenne ou par la loi.

Le dispositif est financièrement neutre pour les consommateurs puisque la somme consignée leur sera restituée. Sa mise en œuvre imposera des contraintes d’organisation aux producteurs et aux distributeurs ; ainsi, elle sera justifiée pour autant que les taux de collecte constatés sans consignation sont sensiblement éloignés de ceux fixés par les directives européennes ou la loi.

Le projet du Gouvernement autorise les collectivités de l’article 73 de la Constitution à imposer elles-mêmes des dispositifs de consigne.

Le Conseil d’État constate qu’une telle habilitation ne répond pas aux conditions exigées par l’article 73 et les dispositions de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, notamment parce qu’elle n’a pas été demandée par les collectivités. Cependant, l’objectif d’améliorer les taux de collecte dans les collectivités d’outre-mer, où il est actuellement plus faible qu’en métropole, justifie que des dispositifs supplémentaires à ceux de métropole puissent y être imposés pour tenir compte de l’éloignement, de l’insularité et de la maturité des dispositifs de collecte et de traitement dans ces collectivités.

Le Conseil d’État estime que cette possibilité doit être donnée au pouvoir réglementaire de l’État, et que celui-ci étant conduit à fixer le champ d’application des dispositifs, sur le plan national et le cas échéant dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, il est nécessaire de renvoyer à un décret en Conseil d’État pour les conditions d’application de l’ensemble des dispositions relatives à la consigne.

 

Autres dispositions

13. Le texte comporte également des dispositions d’actualisation des règles propres à certaines filières soumises à responsabilité élargie des producteurs, celles des emballages ménagers, des publications de presse, des équipements électriques et électroniques et des éléments d’ameublement, ainsi que l’interdiction des sacs fabriqués à partir de plastique oxodégradable et de produits fabriqués à base de plastique oxodégradable, qui n’appellent pas d’observation du Conseil d’État.

14. Le titre IV habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour transposer les directives adoptées par le Parlement européen et le Conseil le 30 mai 2018 modifiant plusieurs directives relatives aux déchets, à leur mise en décharge et aux emballages et leurs déchets, ainsi que pour prendre des dispositions qui complèteront les dispositions contenues dans le projet de loi.

Ces habilitations sont suffisamment précises ; elles n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’État.

15. Le projet prévoit des dates d’entrée en vigueur de ses dispositions qui visent à tenir compte du délai réglementaire nécessaire à leur applicabilité et paraissent raisonnables.

Le Conseil d’État estime en outre nécessaire de prévoir un régime transitoire pour les éco-organismes qui bénéficient déjà d’un agrément, afin que celui-ci puisse demeurer valable jusqu’à son terme en étant régi par les dispositions en vigueur, même si certaines dispositions résultant du projet de loi peuvent leur être rendues obligatoires avant l’échéance de leur agrément.

 

Cet avis a été délibéré et adopté par l’assemblée générale du Conseil d’État dans sa séance du 4 juillet 2019.