Projet de loi "Egalité et citoyenneté"

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Le Gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu par le Conseil d'État sur le projet de loi "Egalité et citoyenneté". Retrouvez ci-dessous l'analyse que le Conseil d'État a faite du projet qui lui était soumis.

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CONSEIL D’ÉTAT

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
Séance du jeudi 31 mars 2016
Section des travaux publics
Section de l’intérieur
Section sociale
Section de l’administration

N° 391255

EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS

AVIS SUR LE PROJET DE LOI "Égalité et citoyenneté"

1. Le Conseil d’Etat a été saisi le 25 février 2016 d’un projet de loi « Egalité et citoyenneté » organisé en trois titres et en chapitres correspondants à différents objets. Ce projet a été modifié par quatre saisines rectificatives reçues les 16, 29 (à deux reprises) et 30 mars 2016.

Sur la création d’une réserve citoyenne

2. Le projet de loi propose de favoriser l’engagement volontaire des citoyens. A cette fin, il instaure une « réserve citoyenne » globale permettant à toute personne volontaire de servir les valeurs de la République en s’engageant à titre bénévole et occasionnel sur des projets d’intérêt général. Cette réserve regrouperait la réserve citoyenne « défense et sécurité » prévue par le code de la défense, les réserves communales de sécurité civile prévues par le code de la sécurité intérieure, la réserve citoyenne de la police nationale prévue par le code de la sécurité intérieure et la réserve citoyenne de l’éducation nationale initialement créée par circulaire et qui serait inscrite dans le code de l’éducation. Le projet de loi ouvre également la possibilité de créer dans le cadre de la réserve citoyenne d’autres types de réserve (thématique ou territoriale). Il pose les principes d’une charte du réserviste citoyen, prévoit, sous la direction de l’autorité de gestion, les orientations de cette réserve bénévole et exclut ses membres, dans l’exercice de leur mission, du champ d’application du code du travail et du statut général des fonctionnaires.

3. S’agissant de la dénomination du dispositif proposé, le Conseil d’Etat a relevé que l’emploi du terme « citoyen » dans le projet de loi, avec des sens différents selon les articles, était source d’ambiguïté et de confusion, dans la mesure où il renverrait tantôt à des dispositions applicables aux seuls ressortissants français – telles que celles relevant du code de la défense ou celles prévoyant la remise d’un « livret citoyen » lors du recensement imposé à tout Français âgé de seize ans par l’article L. 113-1 du code du service national –, tantôt à des formes d’engagement ouvertes à des étrangers remplissant certaines conditions de résidence. Il lui est apparu qu’une telle ambiguïté risquait de laisser croire, soit que ces réserves, en dehors de la réserve citoyenne de défense et de sécurité, n’étaient pas ouvertes aux ressortissants étrangers, alors qu’il est proposé qu’elles le soient, soit que l’engagement dans ces réserves de ressortissants étrangers conduirait à leur reconnaître tous les attributs de la citoyenneté, entendue comme impliquant la nationalité française. Prenant acte de ce que le projet entendait essentiellement, d’après l’exposé des motifs, favoriser l’engagement de la jeunesse dans le respect et la défense des valeurs de la République, le Conseil d'Etat a admis de conserver le terme de « réserve » pour dénommer cette forme d’engagement bénévole, mais il a estimé préférable de la qualifier de « républicaine ».

4. Le projet de loi entend instituer une « réserve citoyenne » qui, pour l’essentiel, intègre des dispositifs existants, créés soit par la loi (réserve citoyenne à caractère militaire, réserve communale de sécurité civile, réserve citoyenne de la police nationale), soit par circulaire (circulaire du 12 mai 2015 relative à la réserve citoyenne de l’éducation nationale), relevant tous déjà de règles particulières, et il prévoit de la soumettre à des dispositions communes, prenant notamment la forme d’une charte qui sera établie par voie réglementaire. Ayant admis que la définition des règles essentielles de cette réserve citoyenne justifiait l’intervention du législateur, en particulier pour en spécifier le caractère bénévole et exclure ainsi l’application tant du code du travail que des dispositions applicables aux agents publics, le Conseil d’Etat a estimé qu’il appartenait à la loi d’en définir le champ, en ce qui concerne notamment les organismes auprès desquels des missions peuvent être accomplies à ce titre. Il a, en conséquence, écarté la disposition du projet prévoyant que les autres formes de « réserve citoyenne » seraient instituées par décret et il lui a substitué une mention selon laquelle les autres formes de réserve sont créées par la loi.

Le Conseil d’Etat a par ailleurs admis le renvoi au pouvoir réglementaire pour la définition de l’autorité chargée de la gestion de la réserve. Il appelle cependant l’attention du Gouvernement sur la nécessité de compléter l’étude d’impact, afin qu’il fasse connaître ses intentions à cet égard, ou au moins qu’il indique de manière suffisamment précise, si son choix n’est pas encore arrêté, quelles sont les options susceptibles d’être retenues quant à la définition de cette autorité.

5. Conformément aux objectifs du Gouvernement, le Conseil d’Etat a veillé à ce que la rédaction du texte permette de faire prévaloir, le cas échéant, les dispositions propres à chaque type de réserve sur les règles générales établies par la présente loi, en particulier pour réserver l’accès de la réserve citoyenne de défense et de sécurité aux seuls ressortissants français.

6. Le Conseil d'Etat n’a pu approuver une mesure incluant spécifiquement, parmi les structures pouvant proposer des missions de réserviste citoyen, les organismes d’habitation à loyer modéré : cette mention ne lui a pas paru cohérente avec les objectifs d’une réforme qui vise à favoriser l’accomplissement bénévole de missions d’intérêt général auprès de personnes morales de droit public ou d’organismes sans but lucratif, alors que les organismes d’HLM peuvent être des sociétés commerciales.

7. Il n’a pu, de même, conserver deux dispositions relatives à la réserve citoyenne de la police nationale reprenant celles qui encadraient le service volontaire citoyen dans la police nationale créé par la loi du 5 mars 2007. Ce service donnant lieu à indemnisation, les dispositions qui le régissent lui ont paru incompatibles avec le statut de bénévole caractérisant le réserviste citoyen.

Sur le congé des dirigeants associatifs bénévoles

8. Afin de favoriser l’exercice de responsabilités associatives et de faciliter leur conciliation avec une vie professionnelle, le projet de loi propose de créer un nouveau congé spécifique de six jours par an, sans rémunération, ouvert aux personnes siégeant, à titre bénévole, dans l’organe d’administration ou de direction d’une association. Ce congé serait régi par référence aux dispositions applicables au congé de formation des cadres et animateurs pour la jeunesse prévues aux articles L. 3142-43 à L. 3142-46 du code du travail et il serait également ouvert aux fonctionnaires de l’Etat, territoriaux et hospitaliers, dans les mêmes conditions.

9. Ouvert aux salariés relevant du code du travail et aux fonctionnaires de l’Etat, territoriaux et hospitaliers, le congé de dirigeants associatifs bénévoles est fractionnable par demi-journée et réservé aux associations poursuivant un objectif d’intérêt général au sens du b du 1 de l’article 200 du code général des impôts.

Le Conseil d’Etat a d’abord estimé qu’il incombait au Gouvernement de préciser, dans l’étude d’impact, les raisons de la création de ce nouveau congé ainsi que le nombre des personnes susceptibles d’être concernées, au regard des difficultés effectives qui seraient rencontrées dans l’exercice de leurs fonctions par les dirigeants associatifs bénévoles, salariés ou fonctionnaires, afin d’établir la nécessité de ce nouveau congé et de justifier la différence de traitement opérée entre associations, d’une part, fondations et mutuelles, d’autre part.

Tout en appelant l’attention du Gouvernement sur la multiplicité et la diversité des congés dont bénéficient déjà les salariés et les fonctionnaires sur le fondement du code du travail ou du droit de la fonction publique, le Conseil d’Etat a néanmoins estimé que ce congé ne portait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre dans la mesure où il concourrait à favoriser l’engagement associatif, qui est un objectif d’intérêt général, tout en apportant des garanties à l’employeur. D’une part, en effet, le dirigeant associatif, qui n’est pas rémunéré pendant ce congé, doit respecter un délai de prévenance défini par décret à défaut de convention ou d’accord collectif. D’autre part, l’employeur peut, selon des modalités définies par décret, différer le congé en raison de nécessités propres à l’entreprise ou à l’exploitation de celle-ci. Enfin, le nombre maximum de salariés pouvant, par établissement, bénéficier de ce congé est fixé par décret, à défaut de convention ou d’accord collectif.

Sur le service civique et la reconnaissance de l’engagement des étudiants

10. Le projet de loi comprend des dispositions relatives à l’engagement des jeunes gens volontaires dans un « service » d’intérêt général, qui posent les jalons d’un « parcours citoyen ». Ces dispositions élargissent le vivier des organismes auprès desquels peut être accompli ce service appelé service civique, en ouvrant la possibilité d’organiser un tel service adapté auprès des sapeurs-pompiers, en élargissant le vivier des structures d’accueil à des organismes tels que les organismes d’habitation à loyer modéré et en établissant le principe d’une mise à disposition auprès de plusieurs personnes morales tierces, par une personne morale de droit public agréée, responsable de l’accomplissement de son service, du volontaire placé en son sein.

11. Plusieurs dispositions visent aussi à clarifier et à préciser l’accès, déjà existant sous conditions de séjour, des étrangers au service civique, à attribuer une compétence nouvelle à l’Agence du service civique qui gérerait le programme ERASMUS +, à créer un « livret citoyen » adossé à la délivrance de l’attestation de recensement et à renforcer les conditions de validation des expériences acquises par les étudiants.

12. Créé par la loi du 10 mars 2010 et codifié aux articles L. 120-1 et suivants du code du service national, le service civique est une forme particulière d’engagement donnant lieu à indemnisation. Le Conseil d’Etat a pris acte de la volonté du Gouvernement d’élargir le vivier des organismes auprès desquels peut être accompli ce service, sous réserve d’agrément. Il n’a pas formulé d’objection aux dispositions ouvrant la possibilité d’un engagement de service civique adapté auprès des sapeurs-pompiers volontaires, qui suppose une protection sociale particulière dérogatoire au droit commun du service civique. Il a admis, comme cadre potentiel de l’exécution du service civique, l’ouverture à tous les organismes d’habitations à loyer modéré, aux sociétés publiques locales ainsi qu’aux sociétés dont l’Etat détient la totalité du capital. Toutefois, il a estimé, par souci de cohérence, que la formulation relative à cet élargissement devait être précisée afin de viser l’ensemble des organismes « exerçant une mission de service public ou une activité d’intérêt général ». Il a également admis le principe d’une mise à disposition, par une personne morale de droit public, de volontaires du service civique auprès d’autres personnes morales de droit public non agréées, mais remplissant les conditions d’agrément.

13. Le Conseil d'Etat a pris acte de la volonté du Gouvernement de proposer à nouveau, par sa saisine rectificative en date du 16 mars 2016, les dispositions, initialement incluses dans le texte devenu la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 mais censurées par le Conseil constitutionnel pour non respect des règles de procédure parlementaire, tendant à élargir et préciser l’accès, qui existe déjà sous condition de durée et de régularité de séjour, des étrangers au service civique. Il s’agit d’ouvrir cette possibilité, d’une part, aux réfugiés titulaires d’une carte de résident en supprimant la condition préalable de résidence régulière d’un an qui leur est applicable et, d’autre part, aux étrangers en situation régulière depuis au moins un an en France et détenteurs de l’un des titres de séjour créés par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative aux droits des étrangers en France.

14. Le Conseil d’Etat n’a pu maintenir dans le projet de loi, en raison de son caractère réglementaire, la disposition prévoyant la remise d’un document intitulé « livret citoyen » lors du recensement prévu par l’article L. 113-1 du code du service national.

15. Il a enfin estimé que la mesure tendant à reconnaître, dans le code de l’éducation, l’engagement des étudiants dans des activités bénévoles ou des volontariats, afin de permettre la validation, selon des modalités fixées par décret, des compétences, connaissances et aptitudes ainsi acquises n’appelait pas d’observation.

Sur les dispositions relatives à l’autonomie et à la formation des jeunes

16. Le projet de loi modifie l’article 6 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour permettre aux mineurs de 16 ans d’être nommés « directeur de publication » d’un journal publié bénévolement.

17. Il propose de renforcer la coordination territoriale de la politique de la jeunesse en confiant un rôle de chef de file aux conseils régionaux, dans les conditions prévues par l’article L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales. De même, il propose de rapprocher les organismes d’information jeunesse participant au service public régional de l’orientation tout au long de la vie (SPRO), d’une part, en confiant aux conseils régionaux une mission de coordination, en lien avec le SPRO, de l’information jeunesse et, d’autre part, en ouvrant la possibilité d’une labellisation de ces organismes au titre du SPRO.

18. En matière de santé publique, le projet de loi institue une obligation d’information sur les droits des jeunes en matière de couverture santé, de dispositifs de prévention et d’existence d’examens gratuits (par exemple le bilan de santé prévu par l’article L. 321-3 du code de la sécurité sociale). A la charge des organismes gestionnaires des régimes obligatoires d’assurance maladie, cette nouvelle obligation aurait des effets concrets d’abord à 16 ans, puis lors de la sortie du statut d’ayant droit (à 18 ans ou sur la demande du mineur lorsqu’il remplit les conditions fixées par l’article L. 160-2 du code de la sécurité sociale) et, enfin, à 23 ans.

19. Le projet de loi instaure une aide ayant vocation à être accordée à des personnes diplômées à la recherche d’un emploi ou à des personnes sans qualification, qui suivent des formations préparant aux métiers du numérique, ces personnes étant sélectionnées par un groupement d’intérêt public. Il confie la gestion de ces aides au réseau des œuvres universitaires.

20. Le Conseil d’Etat, s’il a acquiescé à l’idée que l’activité journalistique est un creuset de l’expérimentation de la citoyenneté, a constaté que ces dispositions auront pour conséquence la possibilité nouvelle de faire supporter à des mineurs la responsabilité pénale spécifique liée à la fonction de directeur de publication, conséquence qui rend discutable en opportunité l’instauration de cette mesure. Au regard du principe de la liberté d’expression, le Conseil d’Etat a estimé nécessaire de compléter le projet de loi afin de préciser que la responsabilité civile des représentants légaux du mineur nommé directeur de publication ne puisse être engagée qu’à raison d’une faute du mineur dans les conditions prévues par la loi du 29 juillet 1881 et sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du code civil.

Le Conseil d’Etat a par ailleurs estimé que les dispositions de l’article 6 de la loi du 29 juillet 1881 relevaient de la garantie des libertés publiques et qu’elles pouvaient, dès lors, être étendues en Nouvelle‑Calédonie et en Polynésie française.

21. Accompagnant le parcours des jeunes vers l’autonomie, notamment par des actions en matière d’éducation, de formation, d’insertion sociale et professionnelle, de logement, de santé, de sécurité, de loisirs, de mobilité, et ce dans une perspective de réduction des inégalités, qu’elles soient sociales ou territoriales, la politique de la jeunesse est une politique transversale qui implique la participation des services de l’Etat ainsi que des différentes catégories de collectivités territoriales.

Le projet de loi souhaite renforcer la coordination territoriale de la politique de la jeunesse en confiant un rôle de chef de file aux conseils régionaux, dans les conditions prévues par l’article L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales. Ce rôle de chef de file s’exerce dans le cadre prévu par l’article L. 1111-9-1 qui crée la conférence territoriale de l’action publique et prévoit des conventions encadrant l’exercice concerté des compétences et ne méconnaît pas, par suite, le 5e alinéa de l’article 72 de la Constitution interdisant qu’une collectivité territoriale exerce une tutelle sur une autre.

22. Afin de mieux accompagner les jeunes vers l’autonomie, le Gouvernement souhaite également rapprocher les organismes d’information jeunesse du service public régional de l’orientation tout au long de la vie (SPRO), d’une part, en confiant aux conseils régionaux une mission de coordination, en lien avec le SPRO, de l’information jeunesse et, d’autre part, en ouvrant la possibilité d’une labellisation de ces organismes au titre du SPRO. Les organismes d’information jeunesse complètent, sur le plan de l’accès aux droits sociaux, de la vie quotidienne et des loisirs, les informations apportées par les acteurs actuels du SPRO. Le Conseil d’Etat a estimé que ces dispositions, qui devront être articulées avec celles régissant le service public de l’emploi, ne présentaient pas de difficultés juridiques particulières.

23. Le Conseil d’Etat a estimé que l’obligation d’information des jeunes sur leurs droits en matière de couverture santé, de dispositifs de prévention et d’existence d’examens gratuits, souhaitée par le Gouvernement, ne présentait pas de difficultés juridiques particulières.

24. Le Conseil d’Etat a estimé que l’instauration d’un régime d’aide pour certaines personnes suivant des formations préparant aux métiers du numérique, un tel régime entrant dans le domaine de la formation professionnelle, ne relevait pas de la compétence du législateur, dès lors que ces dispositions se bornent à permettre l’octroi d’une aide dans un secteur particulier et ne modifient pas les principes fondamentaux de la formation professionnelle. Il n’a donc pas retenu ces dispositions.

Sur l’accès aux filières de l’enseignement supérieur pour lesquelles le nombre de candidatures est supérieur au nombre de places

25. Le projet de loi modifie l’article L. 612-3-1 du code de l’éducation pour étendre le droit d’accès préférentiel ouvert dans les filières sélectives de l’enseignement supérieur aux meilleurs bacheliers de chaque lycée aux filières universitaires non sélectives dans lesquelles le nombre de demandes est supérieur au nombre de places. Il introduit la prise en compte de la qualité d’élève boursier dans cet accès préférentiel.

26. S’agissant de l’extension du dispositif dit « des meilleurs bacheliers », prévu à l’article L. 612‑3‑1 du code de l’éducation, aux filières universitaires pour lesquelles le nombre de candidatures est supérieur aux capacités d’accueil, le Conseil d’Etat a estimé que le principe d’égal accès à l’enseignement supérieur n’interdit nullement au législateur de prévoir une modalité de sélection à l’entrée de certaines filières universitaires fondée notamment sur les notes obtenues au baccalauréat. Il a, en outre, considéré que le critère d’un pourcentage de meilleurs bacheliers mesuré dans chaque lycée et dans chaque filière, s’il pouvait conduire à favoriser les élèves de lycées ne bénéficiant pas d’un recrutement privilégié, contribuait à rétablir de manière volontariste l'égalité des chances pour l'accès aux études universitaires tout en constituant un critère objectif et non discriminatoire. Le Conseil d’Etat a estimé que ce critère mesurant le mérite par établissement et par filière de baccalauréat et mêlant par là même la prise en compte des aptitudes et des « différences de situation notamment en matière économique et sociale » ne portait pas atteinte au principe d’égal accès à l’enseignement supérieur, dans la mesure où l’accès préférentiel qu’il permet n’est ouvert que sur un contingent de places dont il a admis que le législateur puisse arrêter la part maximum, qu’il a alors estimé cohérent de fixer à 15 % des capacités d’accueil des filières concernées de l’enseignement supérieur. Enfin, le Conseil d’Etat a considéré, eu égard à l’intérêt général qui s’attache à favoriser un accès effectif aux filières universitaires des étudiants issus de familles aux ressources modestes, que la qualité d’élève boursier pouvait être prise en compte dans cette modalité d’accès préférentiel, à la condition que ce critère vienne départager des élèves en situation équivalente au regard des critères prévus à l’article L. 612-3 du code de l’éducation et de la moyenne de leurs notes obtenues au baccalauréat.

Sur la réforme des critères et conditions d’accès aux logements locatifs sociaux

27. Au sein d’un chapitre visant à améliorer l’équité et la gouvernance territoriale des politiques d’attributions des logements locatifs sociaux, le projet de loi prévoit, en particulier, la possibilité pour les bailleurs sociaux de pratiquer, le cas échéant, des loyers différents en fonction des secteurs géographiques d’implantation de leur parc, mais également au sein même de chaque immeuble. Il interdit que l’absence de lien d’un demandeur de logement avec la commune d’implantation d’un logement puisse constituer le seul motif d’une décision de non-attribution de ce logement. Par ailleurs, le projet de loi impose aux bailleurs sociaux propriétaires de logements dans des agglomérations comportant au moins un quartier prioritaire de la politique de la ville, de réserver au moins un quart des attributions qu’ils réalisent en dehors de ce ou de ces quartiers aux demandeurs appartenant au dernier quartile des demandeurs les plus pauvres. En cas de manquement d’un bailleur à ces obligations, le préfet peut se substituer à lui pour effectuer les attributions manquantes. Ces dernières dispositions sont étendues aux collecteurs agréés de l’Union des entreprises et des salariés pour le logement et à l’association foncière logement. La possibilité pour le représentant de l’Etat dans le département de déléguer aux maires la gestion du contingent de logements réservés par l’Etat au sein du patrimoine des bailleurs sociaux est supprimée.

28. Sans sous-estimer les contraintes de sa mise en œuvre, le Conseil d’Etat n’a pas émis d’objection sur le dispositif dit de « remise en ordre des loyers », permettant à un bailleur social de revoir, à produit global constant, le niveau des loyers non seulement immeuble par immeuble, mais également logement par logement à l’intérieur d’un immeuble, afin de diversifier l’offre de logements et de rendre possible l’accès aux logements sociaux des ménages dont les ressources sont les plus faibles.

29. S’agissant de l’obligation faite aux bailleurs sociaux disposant d’un patrimoine dans les territoires des établissements publics de coopération intercommunale tenus de se doter d’un programme local de l’habitat ou compétents en matière d’habitat et comportant au moins un quartier prioritaire de la politique de la ville, de consacrer au moins un quart des attributions qu’ils réalisent en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville aux demandeurs les plus pauvres et aux personnes relogées dans le cadre du renouvellement urbain, le Conseil d’Etat a considéré qu’elle ne portait pas atteinte au principe d’égalité entre les demandeurs et que, compte tenu du statut et des missions des organismes d’HLM, qui sont chargés d’une activité de service d’intérêt économique général au sens du droit de l’Union européenne, et de l’objectif d’intérêt général poursuivi, la loi pouvait leur assigner un tel objectif. Il a attiré l’attention du Gouvernement sur le risque que cet objectif soit difficile à atteindre dans les zones dans lesquelles le marché du logement est peu tendu et, en particulier, celles dans lesquelles les logements situés hors des quartiers prioritaires de la politique de la ville peuvent ne pas correspondre aux besoins des demandeurs les plus modestes, notamment s’ils ne sont pas suffisamment desservis par les transports collectifs.

30. S’agissant des conventions de délégation aux maires de la gestion du contingent de logements sociaux réservés par l’Etat, le Conseil d’Etat a considéré que, compte tenu des caractéristiques de ces contrats et de l’objectif d’intérêt général qui s’attache à ce que des conventions en cours ne puissent poursuivre leurs effets pendant plusieurs années dans certaines villes, alors que la loi aurait prévu l’impossibilité d’en conclure de nouvelles pour l’avenir partout ailleurs, la dénonciation de plein droit, un mois après l’entrée en vigueur de la loi, de ces conventions de délégation ne méconnaissait pas le principe de la liberté contractuelle.

Sur les dispositions relatives aux organismes gestionnaires de logements locatifs sociaux

31. La composition et le fonctionnement des commissions d’attribution des logements sont modifiés.

32. Un numéro unique national et non plus départemental d’enregistrement des demandes de logements sociaux est créé. Les modalités d’élaboration et le contenu du plan partenarial de gestion de la demande, ainsi que les systèmes de cotation des demandes de logements sociaux sont revus. Le système dit de la « location choisie » (procédure d’attribution comportant la participation du demandeur au choix de son logement) est précisé.

33. Les modalités de réalisation de l’enquête annuelle que chaque bailleur social doit effectuer sont réformées, en particulier pour autoriser les bailleurs à exiger des locataires la production de leur avis d’imposition ou de non-imposition, pour préciser les modalités selon lesquelles les données agrégées seront mises à disposition d’acteurs publics et privés des politiques du logement et pour renforcer les sanctions financières à l’encontre des bailleurs en cas d’absence de transmission de ces données ou de transmissions de données erronées.

34. Au sein d’un chapitre qui vise à favoriser la mobilité dans le parc social et l’accès des ménages défavorisés aux quartiers attractifs, le projet de loi donne la faculté aux bailleurs sociaux de réorganiser les loyers de leurs immeubles et de leurs logements en fonction de critères de mixité sociale au travers des conventions d’utilité sociale prévues aux articles L. 445-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation. Les règles d’encadrement des loyers des logements sociaux sont renforcées, y compris en cas de réhabilitation des logements existants. La sanction prévue en cas de manquement grave de l’organisme aux obligations résultant de la convention d’utilité sociale est majorée.

35. Le dispositif du supplément de loyer de solidarité est réformé, afin de limiter les possibilités d’exemption par les programmes locaux de l’habitat, et son plafond est rehaussé à 35 % des ressources du locataire, afin de favoriser la mobilité des locataires dont les ressources dépassent significativement les plafonds d’accès au logement social.

36. Le Conseil d’Etat a admis le renforcement des règles s’imposant aux bailleurs sociaux en matière de fixation des loyers de leurs logements. Il a, toutefois, attiré l’attention du Gouvernement sur l’intérêt qui s’attache à ce que les opérations de réhabilitation lourde d’immeubles appartenant à ces bailleurs puissent, par exception aux règles limitant l’évolution des loyers d’une année sur l’autre et dès lors que l’accord des représentants des locataires et celui des locataires concernés eux‑mêmes auraient été recueillis préalablement, donner lieu à des évolutions supérieures, sous le contrôle du représentant de l’Etat dans le département.

37. Après examen de la question de savoir si la pénalité financière encourue par un organisme bailleur en cas de défaut de renseignement ou d’erreur dans les informations fournies annuellement par l’organisme sur les logements dont il assure la gestion et destinées à alimenter le répertoire des logements locatifs sociaux géré par l’Etat, devait être regardée comme conforme aux principes constitutionnels applicables en matière de sanctions administratives, le Conseil d’Etat a considéré que les critères des manquements susceptibles de fonder une telle pénalité sont suffisamment définis et que le niveau maximal de la pénalité financière, fixé à 1 000 euros par logement non renseigné ou mal renseigné, n’est pas manifestement disproportionné par rapport à ces manquements.

38. Après examen de la question de savoir si la pénalité financière encourue par un organisme bailleur en cas de manquement grave aux obligations inscrites dans la convention d’utilité sociale qu’il a signée avec l’Etat en application des dispositions des articles L. 445-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation, devait être regardée comme conforme aux principes constitutionnels applicables en matière de sanctions administratives, le Conseil d’Etat a considéré que les critères des manquements susceptibles de fonder une telle pénalité sont suffisamment définis et que le niveau maximal de la pénalité financière, porté par le projet de loi d’une somme de 100 euros à une somme de 200 euros par logement géré par l’organisme, n’est pas manifestement disproportionné par rapport à ces manquements, alors qu’un niveau significativement supérieur pourrait être constitutif d’une telle disproportion.

Sur les dispositions visant à renforcer la diversification géographique du logement social

39. Au sein d’un chapitre dont l’objet est de renforcer la diversification géographique du parc de logements locatifs sociaux, le projet de loi adapte aux évolutions en cours des cartes intercommunales l’obligation, issue de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, pour chaque commune urbaine de disposer, selon les cas, d’un minimum de 20 % ou de 25 % de logements sociaux. Les modalités du bilan imposé aux communes qui n’ont pas respecté les objectifs de construction dans la période triennale achevée sont revues et les conséquences de l’arrêté de carence que peut prendre le préfet dans ce cas sont renforcées : la contribution obligatoire que doivent verser les communes pour chaque logement social construit sur leur territoire sont accrues et les droits de réservation acquis par la commune sur les logements ainsi réalisés sont gérés par le préfet. Il est fait obligation au propriétaire souhaitant vendre un bien soumis au droit de préemption urbain dans ces communes de transmettre sa déclaration d’intention d’aliéner ce bien non seulement au maire, mais également au représentant de l’Etat dans le département, à peine de nullité de la vente postérieure. Les modalités du prélèvement sur les ressources des communes ayant fait l’objet d’un arrêté de carence sont revues.

40. Le Conseil d’Etat a examiné les conséquences, pour les communes assujetties aux obligations prévues à l’article L. 302-5 du code de la construction et de l’habitation de compter une part minimale de logements locatifs sociaux sur leur territoire, de l’arrêté de carence qui peut être pris par le représentant de l’Etat dans le département en cas de manquement à ces obligations. Il a constaté que le renforcement des mesures de sanctions susceptibles de leur être infligées ne conduisait pas à mettre en cause leur libre administration. En particulier, il a estimé que l’accroissement de la contribution obligatoire que doivent verser les communes aux constructeurs de chaque logement construit sur leur territoire, qui est déductible du prélèvement susceptible d’être réalisé sur leurs ressources, ne conduisait pas à réduire les ressources globales des communes, ni à diminuer leurs ressources fiscales dans une mesure qui porterait atteinte à leur libre administration.

41. Le Conseil d’Etat n’a pu admettre l’obligation imposée au propriétaire souhaitant vendre un bien soumis au droit de préemption urbain dans une commune ayant fait l’objet d’un arrêté de carence dans les conditions prévues à l’article L. 302-9-1 du code de la construction et de l’habitation, de transmettre sa déclaration d’intention d’aliéner ce bien, non seulement au maire, mais également au représentant de l’Etat dans le département, à peine de nullité de la vente postérieure. En effet, il a considéré que cette obligation, dont le Gouvernement reconnaît qu’elle est instituée dans le but de faire obstacle à la pratique de certains maires consistant à ne transmettre la déclaration d’intention d’aliéner au représentant de l’Etat dans le département que dans des délais insuffisants pour permettre à celui-ci d’utiliser effectivement le droit de préemption dont il bénéficie en lieu et place de la commune, portait, au regard des conséquences graves de la méconnaissance de cette démarche - la nullité de la vente du bien - et du caractère indirect du lien entre l’objectif poursuivi par cette mesure et la situation du propriétaire, une atteinte excessive au droit de propriété.

Sur les autres dispositions relatives au logement

42. Les missions des établissements publics fonciers d’Etat ou locaux sont modifiées afin de renforcer leur participation aux stratégies foncières menées par les collectivités locales en vue de réaliser des logements sociaux.

43. Plusieurs mesures de simplification pour lesquelles le Gouvernement souhaite obtenir l’habilitation du Parlement à prendre des ordonnances sont prévues. Elles portent sur le logement étudiant, la constitution du dépôt de garantie et le régime de la caution, les modalités de publication des convention relatives à l’aide personnalisée au logement, la réécriture du livre IV du code de la construction et de l’habitation, l’unification au sein de ce même code des dispositions relatives aux aides au logement, la mise en place plus aisée d’une autorité unique exerçant l’ensemble des polices spéciales de lutte contre l’habitat indigne, l’adaptation du régime des copropriétés dégradées, le renforcement du rôle de la commission de contrôle des activités de gestion et transaction immobilières et la réforme des dispositions relatives à la sécurité dans les ascenseurs et de celles relatives aux plans locaux d’urbanisme et aux schémas de cohérence territoriale dans le cadre de la réforme de la carte des intercommunalités.

44. Ces dispositions n’appellent pas d’observation de la part du Conseil d’Etat.

Sur les conseils citoyens

45. Le projet de loi prévoit que les conseils citoyens créés par la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine peuvent alerter le représentant de l’Etat dans le département sur les difficultés particulières qu’ils rencontrent. Celui-ci peut soumettre aux organes délibérants des collectivités territoriales signataires du contrat de ville, le diagnostic de la situation et les mesures qu’il estime appropriées pour y répondre, le cas échéant en s’appuyant sur un délégué du Gouvernement nommé spécialement.

46. Le Conseil d’Etat a largement réécrit l'article relatif au délégué du Gouvernement. Cet article prévoit la nomination par l’Etat, pour répondre à une demande des conseils citoyens créés en application de l’article 7 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville faisant l’objet d’un contrat de ville, de délégués du Gouvernement venant en renfort des services déconcentrés de l’Etat, lorsque des difficultés particulières y ont été relevées. Le Conseil d’Etat a d’abord constaté que plusieurs dispositions ne présentaient pas de caractère normatif ou ne relevaient pas du domaine de la loi, notamment la création de délégués du Gouvernement. Il a ensuite estimé que l’inscription à l’ordre du jour des assemblées délibérantes de toutes les collectivités territoriales signataires du contrat de ville, du diagnostic et des propositions d’action élaborés dans ce cadre, si elle peut se justifier s’agissant du conseil municipal de la commune concernée et de l’assemblée délibérante de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de politique de la ville, est excessive s’agissant des autres collectivités territoriales. Il a donc modifié le projet de loi pour prévoir l’inscription de ces questions à l’ordre du jour de l’assemblée compétente, qui sera dans la plupart des cas la commission permanente.

Sur les dispositions relatives à la langue française

47. Le projet de loi définit l’amélioration de maîtrise du français tout au long de la vie comme une priorité nationale, qualifie les politiques mises en œuvre en ce sens d’intérêt général et affirme que diverses personnes publiques et privées doivent y contribuer.

48. Le Conseil d'Etat a accepté la modification de diverses dispositions du code du travail ajoutant les actions en faveur de l'amélioration de la maîtrise de la langue française dans la formation professionnelle tout au long de la vie et dans les dispositifs d'intégration des étrangers en France. En revanche, il a écarté le premier des deux alinéas introduits à l'article L. 6111-2 du code du travail, au motif que ces dispositions ne présentaient pas de caractère normatif en ce qu'elles se bornaient à affirmer le principe que les actions de lutte contre l'illettrisme et en faveur de l'apprentissage et de l'amélioration de la maîtrise de la langue française constituent une « priorité nationale » et doivent s’inscrire dans une approche globale qui doit concerner tous les acteurs publics, sans en déduire des règles spécifiques relevant du domaine de la loi.

Sur l’élargissement du vivier des candidats aux concours de recrutement dans la fonction publique dits de la « troisième voie »

49. Dans le but d’élargir le vivier des candidats à la troisième voie des concours de la fonction publique, le projet de loi précise que toute expérience professionnelle, de quelque nature qu’elle soit, peut être valorisée dans le cadre de l’accès à ces concours. En conséquence, il supprime la possibilité pour les statuts particuliers d’exiger, pour l’accès aux corps et cadres d’emplois, une expérience professionnelle définie dans des domaines spécifiques. Il permet également que la durée du contrat d’apprentissage auprès d’un employeur public ainsi que celle de tout contrat d’apprentissage conclu en application de l’article L. 6221-1 du code du travail puisse être comptées dans le calcul de la durée d’activité professionnelle exigée pour se présenter aux concours dits de « la troisième voie » dans les trois fonctions publiques.

50. Le Conseil d’Etat a estimé que les dispositions du projet de loi qui visent à élargir les conditions d’accès à la troisième voie des concours de la fonction publique, ne se heurtent à aucune règle ni aucun principe constitutionnel. Il a constaté que cet article élargit juridiquement le vivier des candidats et qu’il est en cohérence avec les orientations de l’Etat qui a mis en œuvre, depuis 2014, un plan de relance de l’apprentissage dans le secteur public non industriel et commercial que la loi n° 92-675 du 17 juillet 1992 portant diverses dispositions relatives à l’apprentissage, à la formation professionnelle et modifiant le code du travail avait instauré à titre expérimental.

Il a cependant déploré que, notamment dans l’étude d’impact, le Gouvernement n’ait fourni aucune estimation sur les effets attendus d’une telle disposition pour les concours de la troisième voie qui seront organisés à compter de la promulgation de la loi, ni fourni d’éléments précis permettant d’apprécier dans quelle mesure cet élargissement du vivier potentiel des candidats ouvrirait effectivement les corps et cadres d’emplois sur des parcours professionnels, des compétences acquises et des profils nouveaux.

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a relevé que l’alinéa du projet du Gouvernement, inséré à l’article 20 de la loi du 17 juillet 1992 précitée, en vue de prévoir la prise en compte de la durée de l’apprentissage dans l’expérience professionnelle dont un candidat aux concours de la troisième voie peut se prévaloir, a le caractère d’une disposition propre à la fonction publique et non au régime de l’apprentissage. Il lui a donc paru plus conforme à l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme d’insérer cette disposition aux articles 19 de la loi du 11 janvier 1984, 36 de la loi du 26 janvier 1984 et 29 de la loi du 9 janvier 1986.

De même, le Conseil d’Etat a modifié le premier alinéa de ces mêmes articles qui, compte tenu des modifications apportées, souffrait d’une ambiguïté rédactionnelle préjudiciable à la compréhension de leur portée véritable, notamment quant à la volonté du Gouvernement d’ériger les concours de la troisième voie en voie de droit commun de recrutement dans la fonction publique au même titre que les concours externes et internes. En prévoyant que « les fonctionnaires sont recrutés par voie de concours organisés suivant l'une au moins des modalités ci-après », la nouvelle rédaction proposée par le Conseil d’Etat permet aux statuts particuliers des corps et cadres d’emploi des trois fonctions publiques, en fonction de leurs besoins propres, de prévoir que leur accès s’effectuera par l’une au moins des trois modalités que ces dispositions prévoient.

Sur les dispositions relatives à la lutte contre toutes les discriminations

51. Le projet de loi modifie les chapitres IV et V de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse afin de rendre inapplicables aux injures, diffamations et provocations à caractère discriminatoire des spécificités substantielles et procédurales de cette loi et de rendre le régime applicable à ces infractions plus proche du droit commun. Il généralise les circonstances aggravantes de mobile discriminatoire prévues aux articles 132-76 et 132-77 du code pénal à l’ensemble des crimes et délits, à l’exception de ceux pour lesquels cette circonstance constitue l’un des mobiles de l’infraction, et il modifie l’article 48-2 de la loi précitée du 29 juillet 1881, afin de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2015‑492 QPC du 16 octobre 2015 en permettant à toute association se proposant, dans ses statuts, de défendre la mémoire des victimes de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité d’exercer les droits reconnus à la partie civile pour l’infraction d’apologie de ces crimes s’ils ont donné lieu à une ou plusieurs condamnations prononcées par une juridiction française ou internationale.

52. Le projet de loi modifie les articles 1er et 2 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, qui avait pour objet de transposer plusieurs directives communautaires sectorielles de lutte contre les discriminations, pour en faire une loi généraliste prohibant les discriminations pour l’ensemble des critères prévus dans le droit positif dans l’ensemble des champs d’application déjà visés par cette loi.

53. Dès lors que le projet du Gouvernement maintient en l’état les incriminations d’injure et de diffamation à caractère discriminatoire, dont l’essentiel des éléments constitutifs est commun aux infractions génériques d’injure et de diffamation définies dans la loi du 29 juillet 1881, le Conseil d’Etat a estimé qu’il était possible et opportun de maintenir dans cette dernière loi le régime particulier applicable aux infractions de presse à caractère discriminatoire plutôt que d’opérer un transfert dans le code pénal de ces infractions de presse à caractère discriminatoire.

54. Toutefois, le Conseil d’Etat a considéré, au regard des exigences résultant de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que l’exclusion par la loi du fait justificatif d’exceptio veritatis, fait justificatif ancien dont le champ d’application a été progressivement accru par les jurisprudences du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’homme, pour les diffamations à caractère discriminatoire était excessive et soulevait, par conséquent, une difficulté au regard de la Constitution et de la convention européenne des droits de l’homme. Il a estimé qu’il appartenait au juge judiciaire d’apprécier la portée et la recevabilité de ce fait justificatif pour l’ensemble des critères visés aux alinéas 2 et 3 de l’article 32 de la loi du 29 juillet 1881 (origine, ethnie, race, religion, nation, sexe, orientation ou identité sexuelle, handicap), comme la Cour de cassation l’a déjà fait en matière de « diffamation raciale » (Cass. Crim. 11 juillet 1972). Il n’a donc pas retenu ces dispositions.

55. Le Conseil d’Etat a estimé que l’élargissement des actes d’enquête interruptifs de prescription ainsi que la possibilité conférée aux juridictions de requalifier les faits pour les infractions de presse à caractère discriminatoire opéraient une conciliation admissible entre un régime procédural protecteur de la liberté d’expression et l’objectif de lutter contre les propos discriminatoires et contraires à l’égalité. Il a alors, en conséquence du maintien du droit positif actuel sur l’exceptio veritatis, complété l’article 55 de la loi du 29 juillet 1881 afin de permettre, si la juridiction de jugement requalifie des provocations ou des injures discriminatoires en diffamations discriminatoires, que la procédure d’offre de preuve de la vérité des faits puisse, le cas échéant et dans les cas où la jurisprudence l’admettrait, intervenir devant la juridiction. Il a toutefois modifié le projet du Gouvernement pour limiter cette possibilité de requalification aux seules juridictions de jugement afin que les débats en ce sens se déroulent en audience publique.

56. Bien que constatant la rareté de cette situation juridique dans le droit pénal français, le Conseil d’Etat n’a pas vu d’objection d’ordre constitutionnel à l’instauration de circonstances aggravantes générales de mobile discriminatoire aux articles 132-76 et 132-77 du code pénal, sur le modèle de la circonstance aggravante de cryptologie instaurée à l’article 132-79 par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Il a veillé à ce que les dispositions visant à l’assouplissement des conditions de preuve de ces circonstances aggravantes garantissent que cette preuve se fonde toujours sur des éléments objectifs tirés de la procédure.

57. Le Conseil d’Etat a considéré que la limite introduite par le projet de loi réservant la possibilité que les associations concernées exercent les droits de la partie civile pour le délit d’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité lorsqu’ils ont fait l’objet d’une condamnation par une juridiction française ou internationale, alors même le délit d’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité n’est pas limité à ceux de ces crimes ayant fait l’objet d’une condamnation par une juridiction française ou internationale, n’est pas contraire au principe d’égalité dès lors que l’existence d’une telle condamnation induit une différence de situation avec les mêmes crimes n’ayant pas fait l’objet de telles condamnations. Cette distinction est en lien avec l’objet de la disposition qui est de permettre aux associations d’agir en justice pour la répression de l’apologie de tels faits, une telle distinction ayant d’ailleurs été admise par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-512 QPC du 8 janvier 2016 pour le délit de contestation de crime contre l’humanité prévu à l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881.

58. Le Conseil d’Etat a reconnu l’intérêt d’harmoniser les critères discriminatoires prévus dans la loi du 27 mai 2008, dans le code pénal et dans le code du travail. Il a constaté que l’inscription de l’ensemble de ces critères à l’article 1er de la loi élargissait son champ d’application. Il a approuvé le maintien pour le champ de l’emploi et du travail, conformément à la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000, de la dérogation autorisant les différences de traitement répondant à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée. Il n’a pas formulé d’objection à l’introduction, pour les autres champs prévus par la loi, d’une dérogation autorisant les différences de traitement lorsqu’elles sont justifiées par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but sont nécessaires et appropriés, ces dérogations ne pouvant pas s’appliquer aux différences faites en raison de l’origine, de l’ethnie ou de la prétendue race, ni à celles faites en raison de la grossesse ou de la maternité. Le Conseil d’Etat a ajouté une disposition de droit transitoire précisant que les principes prévus aux articles 1er et 2 de la loi ne faisaient pas obstacle aux différences prévues par les lois et règlements en vigueur, dès lors, bien sûr, qu’elles sont conformes au principe d’égalité.

Cet avis a été délibéré par l’assemblée générale du Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 31 mars 2016.