Conseil d'État, Assemblée, 13 novembre 2013, M. Dahan

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Contrôle normal sur la légalité des sanctions infligées aux agents publics

Les faits

M. Dahan avait fait l’objet d’une mise à la retraite d’office et d’une radiation des cadres à la suite d’une procédure disciplinaire engagée pour des faits de harcèlement sexuel. Il soutenait que ces sanctions étaient manifestement disproportionnées à la gravité des faits. En l’état de la jurisprudence antérieure, le juge n’exerçait en effet qu’un contrôle restreint sur la légalité des sanctions infligées aux agents publics, en se bornant à contrôler l’absence de disproportion manifeste entre la sanction et la gravité des faits l’ayant motivée. 

Le sens et la portée de la décision

Par cette décision, le Conseil d’Etat a abandonné le contrôle restreint qui prévalait jusque là en matière de sanctions infligées aux agents publics. Le juge de l'excès de pouvoir exerce désormais un contrôle normal sur les questions de savoir si les faits reprochés à un agent public constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. Il accepte donc de contrôler la matérialité des faits reprochés, la qualification de ceux-ci et s’assure non plus de l’absence de disproportion entre la sanction infligée et la gravité des faits reprochés, mais – et c’est là un revirement de jurisprudence - de la proportionnalité de la sanction à ces faits. 

Ce revirement s’inscrit dans une évolution progressive du contrôle, initialement très limité, des sanctions par le juge administratif. Celui-ci ne contrôlait d’abord que l’exactitude matérielle des faits (CE, 14 janvier 1916, Camino , n° 59619 et 59679) et le point de savoir si les faits reprochés étaient de nature à justifier une sanction (CE, 27 janvier 1926, Nguyen Hem Chank, Rec. ), en considérant qu’il n’avait pas à connaître du choix de celle-ci, qui relevait de l’opportunité (CE, Section, 28 février 1930, Sieur Remoux. Rec.). Les partisans de cette jurisprudence craignaient que l’instauration d’un contrôle du juge sur le choix de la sanction ne dissuade l’administration d’exercer son pouvoir disciplinaire. En dépit de ces réserves, la décision Lebon (CE, Section, 9 juin 1978, Lebon, n° 05911,) a par la suite introduit un contrôle restreint sur le degré de gravité de la sanction.

Le passage à un contrôle normal a été écarté de manière constante par la suite, ce dont témoigne l’arrêt Touzard (CE, Section,, 1er février 2006, Touzard,n° 271676)

La décision d’assemblée Dahan a finalement consacré ce passage à un contrôle normal sur les sanctions disciplinaires infligées aux agents publics en se fondant sur l’évolution considérable du droit administratif relatif à d’autres types de sanctions, de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui avait affirmé de longue date l’existence d’un principe de proportionnalité s’appliquant à toute sanction qui revêt le caractère d’une punition (CC,  3 septembre 1986, n° 86-215 DC) et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, pour laquelle les sanctions disciplinaires des agents publics entrent dans le champ de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, 19 avril 2007, Vilho Eskelinen c. Finlande, n° 63235/00), qui exige « d’apprécier la proportionnalité entre la faute et la sanction ».

La décision Dahan a entraîné d’autres évolutions : le juge de l’excès de pouvoir exerce désormais un contrôle normal sur la proposition de sanction d’un agent public (CE, 16 février 2016, Commune de Saint Dié des Vosges, n°369831) et sur les sanctions infligées à des détenus (CE, 1er juin 2015, M. Boromée, n°380449). Par ailleurs, l’Assemblée du contentieux, par un arrêt du  30 décembre 2014, (CE, Assemblée, 30 décembre 2014, M. Bonnemaison, n° 381245) a abandonné ses jurisprudences Sieur Valéry (CE, 30 janvier 1980, Sieur Valéry, n° 11675) et Midelton (CE, 21 juin 2000, Midelton, n° 179218) et jugé, tant pour les sanctions des ordres professionnels que pour celles infligées aux agents publics, que si le choix de la sanction relève de l'appréciation des juges du fond au vu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, il appartient au juge de cassation de vérifier que la sanction retenue n'est pas hors de proportion avec la faute commise et qu'elle a pu dès lors être légalement prise (voir pour des cas d’application aux agents publics : CE, 27 février 2015, La Poste, n°s 376598 381828 ; CE, 13 décembre 2017, Société La Poste, n° 400629).

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